University of Minnesota



M. Jacek Boboli c. Espagne, Communication No. 1013/2002, U.N. Doc. CCPR/C/78/D/1013/2002 (2003).



Comité des droits de l'homme

Soixante-dix-huitième session

14 juillet - 8 août 2003


ANNEXE

Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables

des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Soixante-dix-huitième session -



Communication No. 1013/2002

Présentée par:M. Jacek Boboli
Au nom de:L'auteur
État partie:Espagne
Date de la communication:19 août 1997 (date de la communication initiale)


Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2003

Adopte ce qui suit:


DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1. L'auteur de la communication datée du 19 août 1997 est Jacek Boboli, de nationalité belge, domicilié à Saragosse (Espagne), qui se déclare victime de violations par l'Espagne des articles 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1). Il n'est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l'Espagne le 25 janvier 1985.


Rappel des faits exposés par l'auteur

2.1 En raison de litiges nés de l'inexécution de contrats conclus avec plusieurs entreprises de transport, l'auteur s'est adressé à la Commission d'arbitrage des transports de Saragosse, qui a rendu le 6 octobre 1993 une sentence arbitrale (affaire no 59/93), contraire aux intérêts de l'auteur. De plus, le 29 novembre de la même année, la Commission d'arbitrage a rendu trois décisions se déclarant incompétente pour trancher d'autres litiges soumis par l'auteur.

2.2 L'auteur a fait appel de la sentence arbitrale rendue dans l'affaire no 59/93. Le 27 mai 1994, la section V de l'Audiencia Provincial de Saragosse a rejeté le recours, ce qui a été notifié à l'auteur le 1er juin 1994. L'auteur a alors adressé par courrier un recours en amparo qui a été enregistré sous le numéro 2261/94. Le 30 janvier 1995, la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel a déclaré ce recours irrecevable en raison de l'expiration du délai, faisant valoir que l'auteur disposait de 20 jours pour déposer son recours en amparo à compter du lendemain de la date à laquelle la décision de l'Audiencia Provincial lui avait été notifiée et qu'en conséquence le délai d'appel avait expiré.

2.3 L'auteur affirme que la date à laquelle sa déclaration de recours a été remise au concierge du tribunal, qui est portée sur l'accusé de réception de la poste, est le vendredi 24 juin 1994, dernier jour du délai d'appel. Or le recours a été enregistré au greffe du Tribunal constitutionnel le lundi 27 juin (2), comme l'atteste le tampon du greffe.

2.4 En outre, l'auteur a formé recours contre les trois décisions rendues le 29 novembre 1993 par la Commission d'arbitrage des transports de Saragosse auprès du Tribunal de première instance no 1 de Saragosse, lequel a rejeté le recours par une décision du 2 juin 1994. L'auteur a alors formé un pourvoi devant la section 2a de l'Audiencia Provincial de Saragosse, qui l'a débouté par une décision du 23 janvier 1995. La décision a été notifiée à l'avouée de l'auteur le 24 janvier 1995.

2.5 D'après l'auteur, ni l'avouée ni l'avocate commises d'office ne lui ont transmis la décision. Il affirme qu'il a cherché plusieurs fois, en vain, à entrer en contact avec son avocate, et que ce n'est que le 28 février 1996 qu'il a appris qu'elle n'exerçait plus dans la même étude et que, quelque temps avant, une décision en sa défaveur avait été rendue. L'auteur s'est adressé au greffe de l'Audiencia Provincial pour demander une copie de la décision, qu'il a reçue par courrier le 7 mai 1996.

2.6 Le 29 mai 1996, l'auteur a formé un nouveau recours en amparo, enregistré sous le numéro 2214/96, auprès de la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel qui a rejeté le recours le 30 septembre 1996 pour expiration des délais d'appel.

2.7 L'auteur a porté plainte contre l'avouée d'office María Dolores Sanz Chandro et contre l'avocate María Pilar Español Bardají auprès du Conseil de l'Ordre des avoués (Junta de Gobierno del Ilustre Colegio de Procuradores) et auprès du Conseil de l'Ordre du barreau (Real e ilustre Colegio de Abogados). Le premier a décidé, en date du 22 mai 1996 que l'avouée avait agi correctement du point de vue déontologique et a recommandé le classement sans suite. Le deuxième a ordonné, en date du 18 avril 1996, le non-lieu et le classement sans suite.

2.8 L'auteur s'est pourvu devant le Conseil général des avoués (Consejo General de Procuradores) qui a conclu, par une décision en date du 5 décembre 1996, que l'avouée avait agi correctement et dans le respect du droit.

2.9 L'auteur a en outre demandé l'intervention du Défenseur du peuple qui l'a informé, en date du 15 juillet 1996, que ses relations avec son avocate et son avouée commises d'office relevaient du droit privé et que, par conséquent, le Défenseur du peuple n'était pas compétent pour intervenir.

2.10 L'auteur a attaqué la décision du Conseil de l'Ordre des avoués près les tribunaux d'Espagne en déposant le 28 octobre 1997 un recours contentieux auprès de la neuvième section de la chambre du contentieux administratif du Tribunal supérieur de justice de Madrid, qui n'a pas encore statué.


Teneur de la plainte

3.1 L'auteur invoque une violation du droit à une protection effective de la justice consacré au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, au motif que le rejet du recours en amparo enregistré sous le numéro 2261/94 formé contre la décision de la section V de l'Audiencia Provincial de Saragosse était dû au fait que le recours avait été enregistré au greffe du Tribunal constitutionnel trois jours après avoir été envoyé par courrier, et donc avait été enregistré après expiration du délai d'appel.

3.2 De même, l'auteur invoque une violation du droit à l'égalité devant la loi, garanti à l'article 26 du Pacte, parce que, d'après lui, il y a une discrimination territoriale dans la mesure où les plaignants qui n'habitent pas à Madrid sont obligés de se rendre dans cette ville pour déposer leur demande en personne, étant donné que c'est le seul moyen de pouvoir déposer un recours dans le délai d'appel.

3.3 De plus, l'auteur fait valoir que l'avouée qui lui a été commise d'office par le Tribunal supérieur d'Aragon a manqué à ses obligations étant donné qu'elle ne lui a pas transmis la décision de la section 2a de l'Audiencia Provincial de Saragosse, ce qui est à l'origine du rejet par le Tribunal constitutionnel du recours en amparo no 2214/96 pour dépassement du délai d'appel. D'après l'auteur, cette faute ne lui est pas imputable et elle porte atteinte à son droit à une protection effective de la justice, garanti à l'article 14 du Pacte.


Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Dans ses observations concernant la recevabilité, en date du 25 octobre 2001, l'État partie fait valoir que le rejet du recours en amparo no 2261/94 pour expiration du délai d'appel a été parfaitement conforme à la loi, car ce recours a été déposé après l'expiration du délai de 20 jours fixé pour un recours en amparo; par conséquent la communication est irrecevable.

4.2 L'État partie affirme en outre que le principe de la sécurité juridique détermine que, conformément au paragraphe 1 de l'article 238 (3) a loi organique du pouvoir judiciaire, c'est la date de réception des actes au greffe des tribunaux qui doit être prise en considération. L'État partie ajoute que M. Boboli n'a pas apporté la preuve qu'il avait envoyé sa déclaration d'appel le 21 juin 1994 ni que le Tribunal constitutionnel l'avait reçue le 24 juin 1994. La seule chose qui ressort du dossier est que la déclaration d'appel a été reçue le 27 juin 1994.

4.3 L'État partie demande également que soit déclarée irrecevable la partie de la communication portant sur le rejet du recours en amparo no 2214/96 pour dépassement du délai d'appel, faisant valoir que la décision de rejet est conforme au paragraphe 2 de l'article 43 de la loi organique 2/1979 du Tribunal constitutionnel. L'État partie affirme que la décision judiciaire qui faisait l'objet du recours a été notifiée à Mme Sanz Chandro, qui représentait M. Boboli à la procédure, le 24 janvier 1995 et que le recours en amparo n'a été déposé que le 27 mai 1996 seulement, c'est-à-dire un an et quatre mois plus tard, alors que le délai pour un recours en amparo est de 20 jours.

4.4 L'État partie ajoute que conformément aux dispositions de l'article 6 de la loi de procédure civile, «L'avoué entend et signe les notifications de toutes sortes, y compris les décisions, qui concerneront la partie représentée, faites pendant le cours de la procédure et ses démarches auront la même valeur que si le mandant était intervenu.».

4.5 L'État partie affirme que la décision judiciaire en question a été dûment notifiée à la représentante de M. Boboli, que dès que celle-ci en a eu notification elle l'a remise à l'auteur ainsi qu'à son avocate et qu'aucune de ces notifications n'a été retournée par le service des postes; il ajoute que M. Boboli a reconnu expressément que la lettre adressée à l'avocate était arrivée à destination.

4.6 L'État partie ajoute qu'il est de jurisprudence constante pour le Tribunal constitutionnel ainsi que pour la Cour européenne des droits de l'homme que la notification valable aux fins du calcul du délai de dépôt d'un recours en amparo est la notification faite à l'avoué, qui représentait légalement l'auteur de la communication à l'examen.

4.7 L'État partie affirme que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes car il n'apparaît pas qu'il ait engagé une quelconque action judiciaire en responsabilité contre son avouée et que, conformément à l'article 442 de la loi organique du pouvoir judiciaire (4) «Les avoués, dans l'exercice de leurs fonctions, sont responsables civilement, pénalement et disciplinairement, selon qu'il convient.».

4.8 Dans ses observations concernant le fond en date du 12 mars 2002, l'État partie réaffirme que le recours en amparo no 2261/94 a été valablement rejeté pour dépassement du délai d'appel et souligne que l'auteur se contredit quand il affirme dans sa communication qu'il a envoyé le recours par lettre recommandée le 21 juin 1994 alors que la date qui figure sur la demande d'amparo est le 22 juin 1994.

4.9 En ce qui concerne le reçu pour l'expéditeur et l'accusé de réception, qui ont été joints par l'auteur, l'État partie affirme que la photocopie est illisible et qu'il y a une différence dans l'écriture et le stylo utilisés pour la date d'un côté et le nom, la signature et la pièce d'identité du destinataire de l'autre. Il ajoute qu'il n'y a nulle part de cachet de la poste alors que sur le registre du Tribunal constitutionnel on voit clairement deux tampons et un paraphe.

4.10 Pour ce qui est du recours en amparo no 2214/96, l'État partie souligne que la décision judiciaire a été notifiée à l'avouée et que celle-ci l'a remise à l'auteur; en outre, les recours internes n'ont pas été épuisés.


Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie en ce qui concerne la recevabilité et le fond

5.1 Dans une réponse datée du 28 novembre 2001, l'auteur assure que son recours en amparo est parvenu au Tribunal constitutionnel dans le délai légal et fait valoir qu'il faut déduire les jours fériés. Il joint des copies du reçu pour l'expéditeur et de l'accusé de réception remis par le service des postes (Correos y Telégrafos) qui attestent qu'il a envoyé un document le 23 juin 1994 et que celui-ci a été réceptionné par le personnel de ce tribunal le lendemain.

5.2 L'auteur fait valoir que la sécurité juridique invoquée par l'État partie laisse sans protection aucune tous ceux qui voudraient former un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel et qui vivent loin de Madrid.

5.3 L'auteur affirme que le fait de ne pas avoir examiné le recours lui a causé un grave préjudice car, dans une affaire similaire à la sienne, le Tribunal constitutionnel avait donné raison au recourant.

5.4 En ce qui concerne le rejet du recours en amparo no 2214/96, l'auteur fait valoir que si la notification de la décision n'a pas été retournée par le service des postes c'est parce qu'elle n'a jamais été envoyée et que de plus rien ne prouve l'authenticité des copies avec lesquelles l'avouée est censée prouver qu'elle a envoyé la décision étant donné que les documents ont pu avoir été rédigés à n'importe quel moment.

5.5 Dans une lettre datée du 25 mai 2002, l'auteur répond aux observations de l'État partie concernant le fond, faisant valoir que la date qui doit être prise en considération pour le délai d'appel dans le cas de son recours en amparo est la date à laquelle le Tribunal constitutionnel a reçu le recours et non pas la date à laquelle il l'a envoyé, même si, d'après l'auteur, cela représente une injustice.

5.6 En réponse à l'argument de l'État partie qui a objecté que le reçu pour l'expéditeur et l'accusé de réception ne portent pas le tampon du tribunal, l'auteur fait valoir que les accusés de réception ne portent jamais le tampon du Tribunal constitutionnel et joint à titre de preuve plusieurs accusés de réception qui concernent des affaires différentes de la sienne. Pour ce qui est de l'observation de l'État partie concernant les différences d'écriture et de stylo constatées dans ces documents, l'auteur affirme qu'il n'y a rien là que de très normal car les cases dans lesquelles sont portées les signatures sont destinées à deux personnes distinctes: le destinataire et l'employé des postes.


Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne le grief tiré du rejet de son recours en amparo no 2261/94 par le Tribunal constitutionnel, le Comité relève que l'article 135 de la loi de procédure civile (5) dispose que les documents doivent être présentés au greffe du tribunal, lequel doit accuser réception en indiquant la date et l'heure de présentation; il faut interpréter cette disposition comme visant à garantir qu'il existe une preuve quand un délai est fixé, comme c'est le cas dans la présente affaire. Or, même si la disposition de la loi autorise l'utilisation de moyens permettant l'envoi d'actes, de mémoires et de documents et leur réception normale, au nombre desquels l'envoi par avion, il est précisé que la façon d'envoyer les actes doit être telle que «l'authenticité est garantie et qu'il puisse y avoir une trace faisant foi de la remise et de la réception en totalité des actes et documents et de la date de leur réception». (6) En ce sens, il ressort des documents dont le Comité est saisi que la seule date écrite qui atteste la réception du recours en amparo est celle qui est portée sur le Registre central du Tribunal constitutionnel, du 27 juin 1994. Par conséquent, le Comité ne dispose pas d'éléments suffisants permettant d'étayer la plainte aux fins de la recevabilité et cette partie de la communication est déclarée irrecevable conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne l'allégation de violation du droit à l'égalité devant la loi, garanti à l'article 26 du Pacte, le Comité relève que la plainte ne vise pas un cas particulier mais vise les procédures en matière civile en Espagne, c'est-à-dire un système juridique en général. Le Comité estime donc que l'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l'allégation de violation de l'article 26 du Pacte, conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne l'allégation de violation du droit à une protection effective de la justice, du fait que l'avouée et l'avocate commises d'office auraient manqué à leurs devoirs, le Comité relève que l'auteur a déposé un recours contentieux auprès du Tribunal supérieur de justice contre la décision du Conseil général de l'Ordre des avoués près les tribunaux d'Espagne. Or, il ne ressort pas du dossier que ce tribunal se soit encore prononcé et par conséquent le recours est pendant; les conditions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif n'étant pas remplies, cette partie de la communication est irrecevable.

7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication et à l'État partie.


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[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]



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