University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Yemen, U.N. Doc. A/50/40, paras. 242-265 (1995).


 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations du Comité des droits de l'homme




Yémen


242. Le Comité a examiné le deuxie rapport du Yémen (CCPR/C/82/Add.1) à ses 1372e et 1373e séances (26 octobre 1994) et 1403e et 1404e séances (30 mars 1995) et a ensuite adopté À sa 1414e séance (cinquante-troisième session), le 6 avril 1995. les observations ci-après :


1. Introduction

243. Le Comité prend acte avec satisfaction du deuxie rapport de l'État partie et est heureux que la délégation de ce dernier soit prête à poursuivre le dialogue avec lui. Il regrette cependant que le rapport, s'il renseigne sur la législation nationale de façon générale, n'indique pas comment le Pacte est concrètement appliqué, non plus que les difficultés qui peuvent se présenter à cet égard. La délégation de l'État partie a répondu avec compétence aux questions, apportant des informations utiles sur certains points, mais le Comité n'a toutefois obtenu qu'un aperçu partiel de la situation des droits de l'homme dans le pays.

244. Le Comité sera heureux de recevoir les renseignements complémentaires que la délégation de l'État partie lui fera parvenir comme elle l'a annoncé, en particulier les indications sur les obstacles à l'application du Pacte, les statistiques concernant la traduction dans les faits de certaines dispositions, ainsi que la teneur du Code civil, du Code de procédure pénale, des amendements à la Constitution et d'autres textes législatifs et réglementaires.


2. Facteurs et difficultés ayant une incidence
sur l'application du Pacte

245. Le Comité note que la guerre civile a, en grande partie, détruit les infrastructures et créé de graves difficultés économiques, de sorte que le financement des moyens de protection des droits de l'homme en a été réduit d'autant. Il constate aussi que les dissensions internes freinent toujours la reconstruction et la réconciliation nationales.

246. Il apparaît que certaines coutumes et traditions nationales, en particulier celles qui concernent la place assignée à chaque sexe par rapport à l'autre, peuvent ne pas aller dans le sens des droits fondamentaux tels qu'ils sont définis par les normes internationales.


3. Aspects positifs

247. Le Comité se félicite que le Yémen ait juridiquement succédé à la République démocratique du Yémen, qui avait adhéré au Pacte en 1986.

248. Le Comité constate avec satisfaction que l'État partie s'emploie à sensibiliser les esprits à la question des droits fondamentaux en diffusant le texte des traités protégeant ces droits, notamment celui du Pacte, et en organisant des séminaires. Il se réjouit aussi que l'État partie, selon les assurances qu'il donne, laisse les journaux libres de diffuser les informations qu'il communique, de même que celles que publient les groupes de défense des droits de l'homme et les organisations internationales.

249. Le Comité note aussi avec satisfaction que, selon la délégation de l'État partie, celui-ci est disposé à enquêter sur les violations des droits fondamentaux qui sont portées à son attention. Il prend acte des assurances données à cet égard par la délégation, qui affirme que les tribunaux sont actuellement saisis d'affaires de cette nature qui se sont produites pendant la guerre civile.


4. Principaux sujets de préoccupation

250. Certains éléments de la législation yéménite ne répondent pas entièrement aux prescriptions du Pacte.

251. Le Comité appelle l'attention sur le fait que la Constitution yéménite protège moins les droits de l'homme que ne le fait le Pacte et qu'elle s'écarte par conséquent de cet instrument. Si les tribunaux s'en tiennent aux normes énoncées dans la Constitution, et bien que le Pacte puisse être directement invoqué devant eux, on peut craindre que les personnes dont les droits fondamentaux n'ont pas été respectés n'aient pas de recours.

252. Il est préoccupant qu'une amnistie générale, applicable à toutes les atteintes aux droits fondamentaux de civils qui ont pu être commises par des fonctionnaires ou par l'armée pendant la guerre intestine, ait été accordée. Les lois d'amnistie empêchent parfois de pousser jusqu'au bout les enquêtes sur des abus antérieurs et de sanctionner les auteurs de ces actes, compromettent les efforts accomplis pour faire respecter les droits de l'homme en persuadant les coupables qu'ils bénéficieront de l'impunité et entravent l'action menée pour consolider la démocratie et promouvoir les droits fondamentaux.

253. Il est également préoccupant que la fonction et les attributions des forces de sécurité politiques n'aient pas été précisées.

254. Le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes seraient arbitrairement arrêtées et emprisonnées, subiraient de mauvais traitements durant leur détention, ne seraient pas jugées dans les règles, seraient arbitrairement exécutées, torturées ou victimes d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est tout aussi préoccupé de constater que ces pratiques répréhensibles n'ont pas fait l'objet d'enquêtes ou d'investigations, que ceux qui s'y sont livrés n'ont pas été sanctionnés et que les victimes n'ont pas été dédommagées. Outre les mauvais traitements infligés aux prisonniers, le surpeuplement des prisons reste lui aussi préoccupant.

255. La mutilation génitale des femmes paraît être une pratique courante dans certaines régions du pays. Le Comité note aussi que les dispositions de la loi No 20 de 1992 relative à l'état des personnes, et en particulier les articles 40 et 41, n'imposent pas les mêmes obligations au mari qu'à l'épouse, laquelle est reléguée dans une position inférieure. Ces dispositions, en particulier le fait que l'épouse doit obéir au mari et n'est autorisée à quitter le foyer familial que dans quelques cas bien précis, sont contraires aux articles 3 et 23 du Pacte. Le Comité regrette enfin que la législation yéménite ne comporte pas de dispositions précises contre la violence au foyer.

256. Le Comité regrette que l'État partie n'ait pas fourni d'éléments d'information sur la question de la peine capitale, notamment la nature des infractions passibles de ce châtiment et le nombre effectif d'exécutions; il n'est donc pas en mesure de déterminer si l'État partie respecte l'article 6 du Pacte, qui limite les cas dans lesquels la peine de mort peu être imposée. Il déplore que, selon les informations dont il dispose, des condamnés de moins de 18 ans aient été exécutés, ce qui serait manifestement contraire à la disposition du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte. Le Comité prie l'État partie d'apporter des précisions sur les cas qui ont été invoqués devant sa délégation. Il regrette que la nouvelle Constitution ne protège pas expressément le droit à la vie. Il est par ailleurs extrêmement troublé de constater que les châtiments corporels, par exemple les amputations et la flagellation, restent pratiqués, ce qui est contraire à l'article 7 du Pacte.

257. Le Comité note avec beaucoup de préoccupation que le travail des mineurs est une pratique largement répandue, en particulier dans les régions rurales.


5. Suggestions et recommandations

258. Le Comité recommande à l'État partie de réexaminer en détail les dispositions de sa législation qui visent les droits de l'homme afin de s'assurer qu'elles sont parfaitement conformes au Pacte. Puisque, selon sa délégation, l'État partie n'a pas à sa disposition les compétences juridiques internes nécessaires et qu'il a besoin d'une assistance technique dans ce domaine, le Comité lui recommande de profiter des services de coopération technique que peut offrir le Centre pour les droits de l'homme (Secrétariat) et de traiter dans le cadre des programmes du Centre la question des rapports de prééminence entre le Pacte et la Constitution.

259. Le Comité souhaiterait que l'État partie indique dans les prochains rapports s'il y a eu des cas où le Pacte a été directement invoqué devant les tribunaux, en précisant le résultat.

260. Le Comité recommande à l'État partie de faire le nécessaire, conformément au paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte, pour que les auteurs d'atteintes aux droits fondamentaux soient traduits en justice. Il l'engage instamment à poursuivre les enquêtes sur les atteintes qui auraient pu ou pourraient actuellement être commises et à donner suite aux conclusions de ces investigations, en faisant juger les coupables et en indemnisant les victimes. Le Comité recommande de constituer pour cela un organe indépendant qui recevra les plaintes et pourra ouvrir des enquêtes. Il suggère à l'État partie d'enquêter non seulement sur les plaintes individuelles mais aussi sur les violations dénoncées par les organisations non gouvernementales nationales et internationales.

261. Le Comité recommande à l'État partie de revoir sa législation de façon à assurer aux femmes, dans tous les domaines de la vie de la société, l'égalité complète avec les hommes sur le plan juridique et dans les faits. Il s'agit en particulier des lois définissant le statut et les droits de la femme et les obligations dans le mariage. Le Comité recommande en outre à l'État partie de recueillir des données sur la pratique de la mutilation génitale des femmes dans la population yéménite et d'établir des plans précis pour mettre fin à cette coutume.

262. Le Comité recommande à l'État partie de revoir la question de la peine de mort, en envisageant l'abolition de celle-ci. Il rappelle que l'article 6 du Pacte limite les circonstances qui peuvent justifier la peine capitale et il recommande à l'État partie de préciser dans son prochain rapport toutes les infractions que les tribunaux jugent passibles de cette peine. S'il apparaît que certaines de ces infractions n'entrent pas dans les cas prévus à l'article 6 et par conséquent ne devraient pas être punies de mort, le Comité recommande de réviser la loi. Il recommande en outre à l'État partie de prendre l'initiative d'abolir totalement le châtiment corporel.

263. Le Comité recommande à l'État partie de faire une enquête sur le travail des enfants, en particulier dans les régions rurales, et de présenter ses constatations dans son prochain rapport.

264. Le Comité recommande à l'État partie de fournir dans son prochain rapport davantage de détails sur les lois précises par lesquelles il protège les droits fondamentaux, et des indications plus concrètes sur la manière dont ces lois se traduisent dans les faits, afin de mettre en évidence ce qu'il a fait pour véritablement appliquer le Pacte.

265. Le Comité recommande que l'État partie mette en place les structures qui conviennent pour réviser le cadre juridique régissant la protection des droits fondamentaux, sensibiliser à ces droits le personnel chargé de l'administration de la justice, rédiger les rapports à présenter aux divers organes qui surveillent l'application des traités protégeant les droits de l'homme, et recueillir et analyser les données pertinentes. Il lui recommande de faire appel pour cela aux services de coopération technique du Centre pour les droits de l'homme.

 



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