University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Ukraine, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.52 (1995).


 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME



EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE


Observations du Comité des droits de l'homme


UKRAINE

1. Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de l'Ukraine (CCPR/C/95/Add.2) de sa 1418e à sa 1420e séance, les 11 et 12 juillet 1995 (voir CCPR/C/SR.1418 à 1420) et a adopté A sa 1440e séance (cinquante-quatrième session), le 26 juillet 1995.les observations suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de l'Ukraine et se félicite de l'esprit de coopération de la délégation ukrainienne avec laquelle s'est engagé un dialogue franc et constructif. Le Comité sait gré à l'Etat partie de ne pas avoir dissimulé dans son rapport les difficultés qu'il a rencontrées dans l'application du Pacte. Toutefois, ces difficultés ont été exposées en termes très généraux, sans précision sur les mesures envisagées pour les surmonter. En outre, le rapport ne renseigne pas suffisamment sur la manière dont le Pacte est mis en oeuvre dans la réalité. Le complément d'information donné oralement par la délégation en réponse aux questions posées et aux observations faites par les membres du Comité a permis à ce dernier d'avoir une idée plus nette de la situation d'ensemble, et en particulier de la ligne de conduite adoptée par l'Ukraine à l'égard des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte.


B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

3. Le Comité note que les vestiges de l'autoritarisme ne sont pas faciles à maîtriser et reconnaît qu'il reste beaucoup à faire pour renforcer les institutions démocratiques et le respect de la primauté du droit. A cet égard, le Comité constate que l'action entreprise par le gouvernement pour restructurer l'ordre juridique et améliorer l'application du Pacte a été entravée par les lacunes de la législation nationale et par l'utilisation persistante d'un grand nombre des lois de l'ancien régime qui sont dépassées mais toujours en vigueur et dont beaucoup sont incompatibles avec les dispositions pertinentes du Pacte. Le Comité constate aussi que les attitudes extrémistes et discriminatoires qui se font jour dans le pays empêchent de promouvoir et de protéger pleinement les droits de l'homme. En outre, la période actuelle de transition vers une économie de marché est marquée par de graves difficultés économiques et sociales.


C. Aspects positifs

4. Le Comité exprime sa satisfaction devant les changements radicaux et positifs qui se sont produits dernièrement en Ukraine. Ces changements amélioreront le cadre politique, constitutionnel et juridique requis pour assurer le plein respect des droits consacrés par le Pacte.

5. Le Comité se félicite de ce que, grâce à l'adoption de la loi sur l'effet des accords internationaux sur le territoire ukrainien, en décembre 1991, et de la loi sur les accords internationaux de l'Ukraine, en décembre 1993, les instruments internationaux ratifiés par l'Ukraine font désormais automatiquement partie du régime juridique national. Le fait que l'Ukraine ait reconnu que le Comité avait compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte et qu'elle soit disposée à adopter des procédures appropriées pour donner suite sans retard aux constatations du Comité est particulièrement important pour l'application effective du Pacte.

6. Le Comité accueille favorablement les nombreuses autres initiatives prises dernièrement dans le domaine de la législation et les progrès réalisés actuellement sur la voie de la démocratie et du pluralisme. D'une façon générale, il juge encourageante l'adoption de la loi sur la détention provisoire, en juin 1993, et de l'arrêté ministériel concernant les programmes destinés à rendre les conditions de détention conformes aux normes internationales, en janvier 1994, qui tient compte de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Il se félicite aussi de l'adoption des lois sur le ministère public, en novembre 1991, sur la profession d'avocat, en décembre 1992, sur le statut des juges, en décembre 1992, et sur l'autonomie du pouvoir judiciaire, en février 1994, qui visent à renforcer l'indépendance du système judiciaire et à améliorer les garanties judiciaires offertes aux individus.

7. Le Comité note aussi la promulgation par le Gouvernement ukrainien de la loi de 1991 sur la liberté de conscience et les organisations religieuses, des lois de 1993 sur l'information et sur la presse, de la loi de 1993 sur la télévision et la radio et de la loi sur les organisations sociales de citoyens. L'adoption de la loi sur la protection de l'environnement en 1991 et de dispositions spéciales du Code pénal établissant la responsabilité de ceux qui préparent, transforment ou commercialisent des aliments ou autres produits irradiés ainsi que l'accession de l'Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires sont également des innovations bienvenues.

8. Le Comité note en outre l'adoption en 1991 par le Conseil suprême de l'Ukraine de la Déclaration des droits des nationalités de l'Ukraine, qui a acquis force de loi avec la promulgation en 1992 de la loi sur les minorités nationales.

9. Le Comité note avec satisfaction que la délégation ukrainienne a confirmé que les personnes victimes dans le passé de violations des droits de l'homme avaient droit à réparation. Il accueille de plus favorablement les efforts déployés par le Gouvernement ukrainien en vue d'encourager et de faciliter le retour des minorités déplacées par le régime soviétique et en particulier la réinstallation des Tatars en Crimée.


D. Principaux sujets de préoccupation

10. Le Comité est préoccupé par le maintien en vigueur d'une constitution qui n'offre pas des garanties et des moyens de recours en pleine conformité avec le Pacte. De plus, il n'a pas été indiqué assez clairement lors de l'examen du rapport si, en vertu de la loi et selon la pratique des autorités judiciaires et administratives, les dispositions du Pacte l'emportent systématiquement en cas de divergence avec la législation nationale.

11. Le Comité juge inquiétantes l'existence de cas de discrimination à l'égard des femmes et, d'une façon générale, étant donné les difficultés économiques et sociales ambiantes, la persistance dans les faits de disparités entre les sexes, concernant la rémunération et la participation à la conduite des affaires publiques et à la vie économique, sociale et culturelle du pays. L'Etat partie n'a pas encore pris de mesures pour lutter avec efficacité contre les mentalités conditionnées par les rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes qui empêchent de réaliser l'égalité entre les deux sexes. En outre, le Comité déplore que la violence au sein de la famille soit si répandue en Ukraine et rappelle que le Pacte exige des Etats parties qu'ils appliquent des mesures de protection.

12. Le Comité est profondément préoccupé par la tendance actuelle à condamner à la peine capitale et à exécuter un nombre croissant de personnes et par les conditions inhumaines dans lesquelles les sentences de mort sont appliquées. Il rappelle qu'en vertu de l'article 6 du Pacte une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves.

13. Le Comité s'inquiète de ce que les garanties prévues aux articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte ne soient pas pleinement assurées. Il est préoccupé en particulier de voir que des actes de torture et de mauvais traitement imputables à des éléments de la police et d'autres corps de sécurité continuent d'être signalés, notamment au ministère public. A cet égard, il est préoccupé de voir que le droit à la sécurité des personnes peut être restreint sans l'intervention d'une autorité judiciaire. Les fonctions du ministère public au cours de l'enquête et tout au long du procès ne satisfont pas aux prescriptions minimales énoncées aux articles 9 et 14 du Pacte. En outre, les cas d'internement administratif, en particulier de vagabonds, le refus aux détenus des services d'un avocat et la durée de la détention provisoire, sont pour le Comité de graves sujets d'inquiétude.

14. Le Comité s'inquiète également des conditions qui règnent dans les lieux de détention, qu'il s'agisse de prisons ou d'établissements de rééducation par le travail, qui ne sont pas conformes à l'article 10 du Pacte ou à d'autres normes internationales. Le surpeuplement carcéral est un autre sujet de préoccupation.

15. Le Comité est préoccupé de voir que l'indépendance de la magistrature n'est pas encore acquise. Il déplore à cet égard que, malgré l'adoption de la loi portant création de la Cour constitutionnelle de juin 1992, la cour constitutionnelle en question n'ait pas encore été établie. Il s'inquiète en outre des très longs délais dans l'administration de la justice, délais qui ne sont pas conformes aux prescriptions des articles 9 et 14 du Pacte, et relève à ce propos que le système judiciaire ne saurait être efficace en Ukraine tant qu'il n'y aura pas un nombre suffisant de juges et d'avocats dûment formés et qualifiés. L'absence de dispositions spéciales en faveur des mineurs délinquants est un autre sujet d'inquiétude.

16. Le Comité est également inquiet de voir que certains obstacles à la liberté de mouvement en Ukraine n'ont pas été levés, notamment le maintien des dispositions juridiques autorisant le refus du passeport aux personnes qui détiennent des secrets d'Etat. L'obligation de visas de sortie et le maintien du passeport intérieur sont inacceptables et incompatibles avec l'article 12 du Pacte.

17. Le Comité se déclare préoccupé de ce que, bien que l'Ukraine ait adopté une loi sur les réfugiés en décembre 1993, aucune mesure concrète n'ait encore été prise pour la mettre en application ou pour instituer une procédure de détermination de la qualité de réfugié des demandeurs d'asile en Ukraine.

18. Le Comité est préoccupé par les renseignements contenus dans le rapport, et corroborés par des affaires dont il a été saisi, faisant état d'incidents ou de situations qui pourraient conduire à des actes de discrimination fondés sur la race, le sexe, la religion, la langue ou la fortune. Le Comité déplore que les autorités n'aient pas pris les mesures qui s'imposaient pour venir à bout de ces difficultés, et plus particulièrement pour prévenir et éliminer l'incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse, conformément aux prescriptions de l'article 20 du Pacte. Cette situation est d'autant plus alarmante qu'elle risque de compromettre l'harmonie des relations avec les minorités. A cet égard, le Comité déplore que la définition des minorités donnée dans la Déclaration des droits des nationalités de l'Ukraine ne soit pas entièrement conforme à l'article 27 du Pacte, qui prévoit la protection des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques et ne la limite pas aux personnes appartenant aux minorités "nationales". Enfin, le Comité constate avec regret qu'aucune mesure n'a encore été prise pour accorder automatiquement la citoyenneté ukrainienne aux Tatars de Crimée rentrés en Crimée.


E. Suggestions et recommandations

19. Le Comité recommande que la réforme constitutionnelle en cours soit accélérée afin de garantir l'adoption et la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution et que le texte du Pacte soit pris en compte à cet égard. Dans l'élaboration de la nouvelle législation concernant les droits de l'homme, il faudrait veiller systématiquement à instituer des garanties effectives pour la sauvegarde des droits civils et politiques. A ce sujet, les autorités pourraient recourir aux services consultatifs et aux programmes de coopération technique mis en place par le Centre pour les droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies.

20. Le Comité exhorte le gouvernement à instituer un organe indépendant, un médiateur pour les droits de l'homme par exemple, qui serait chargé de veiller à l'application de la loi conformément aux obligations découlant des divers instruments relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Ukraine est partie, et qui serait compétent pour recevoir des plaintes des particuliers.

21. Le Comité recommande à l'Etat partie de réviser les procédures adoptées en vue de veiller à la mise en oeuvre des constatations et recommandations adoptées par le Comité au titre du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, compte tenu également des obligations qui découlent de l'article 2 du Pacte, et d'inclure des renseignements sur ce sujet dans son prochain rapport périodique.

22. En ce qui concerne les droits des femmes, le Comité pense que des mesures énergiques doivent être prises afin d'accroître leur participation à la vie politique, économique et sociale du pays, et des mesures concrètes afin de garantir une protection effective contre la violence familiale.

23. Le Comité recommande à l'Ukraine d'examiner les mesures qu'elle pourrait adopter afin que les catégories de crimes passibles de la peine de mort soient limitées aux crimes les plus graves, conformément à l'article 6 du Pacte, en vue d'abolir cette peine, et à recourir plus largement, le cas échéant, à la commutation de peine ou à la grâce.

24. Le Comité souligne la nécessité de contrôler davantage l'action de la police. Des programmes intensifs de formation et d'enseignement en matière de droits de l'homme devraient être mis en place à l'intention des fonctionnaires chargés de faire appliquer la loi. Des mesures devraient être prises pour renforcer les recours offerts aux victimes d'actes de violence de la part de policiers, et aux détenus. Il faudrait donner suite comme il convient aux plaintes concernant des actes de violence de cette nature en menant des enquêtes approfondies et en appliquant des sanctions pénales et administratives appropriées. Les conditions de détention devraient être rendues conformes à l'article 10 du Pacte et à l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

25. En vue de renforcer l'indépendance et l'impartialité de la magistrature ainsi que la confiance des individus dans une saine administration de la justice, le Comité recommande de prendre de nouvelles mesures afin d'accélérer la réforme et de la mener à bien. Les mesures en faveur des mineurs devraient être adaptées à leurs besoins et à leur statut. En outre, des efforts énergiques devraient être faits afin de développer un esprit d'indépendance chez les magistrats et de créer un corps de juristes bien formés et indépendants. L'adoption d'une loi comportant toutes les garanties énoncées dans le Pacte devrait être une priorité absolue.

26. Les dispositions en vigueur qui limitent ou restreignent l'exercice du droit à la liberté de mouvement, y compris les prescriptions relatives au passeport intérieur, ainsi que les dispositions légales appliquées aux détenteurs de secrets d'Etat, devraient être reconsidérées afin de rendre la législation pleinement conforme à l'article 12 du Pacte.

27. Le Comité recommande à l'Ukraine de s'engager à mettre en oeuvre la loi de décembre 1993 sur les réfugiés et de faire appel à cet égard à l'aide et aux avis des organisations internationales compétentes, notamment du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

28. Le Comité exprime le souhait que des mesures énergiques soient prises afin de mettre en oeuvre sans réserve l'article 20 du Pacte.

29. Le Comité se félicite de la publication du rapport en Ukraine et de l'intention des autorités de diffuser la teneur du dialogue avec ses membres. Il insiste sur la nécessité de publier le texte du Pacte et du Protocole et de le diffuser largement dans les langues qui sont parlées en Ukraine afin que la population soit parfaitement au courant des droits consacrés par ces instruments. Il recommande également que l'enseignement des droits de l'homme et de la démocratie soit inscrit dans les programmes scolaires et universitaires et que ses observations soient largement diffusées et inscrites au programme de tous les cours de formation sur les droits de l'homme organisés à l'intention de responsables de l'application des lois et de fonctionnaires de l'administration.




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