University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Togo, U.N. Doc. CCPR/CO/76/TGO (2002).


 

 

28 novembre 2002

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME
Soixante‑seizième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Togo


1. Le Comité des droits de l’homme a examiné le troisième rapport périodique du Togo (CCPR/C/TGO/2001/3) à ses 2052 e et 2053 e séances (CCPR/C/SR.2052 et CCPR/C/SR.2053), les 21 et 22 octobre 2002. Il a adopté les observations finales suivantes à sa 2064 e séance (CCPR/C/SR.2064), le 24 octobre 2002.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du troisième rapport périodique du Togo, qui contient des renseignements détaillés sur la législation togolaise en matière de droits civils et politiques, tout comme l’occasion qui lui a ainsi été offerte de reprendre, après huit ans, le dialogue avec l’État partie. Le Comité regrette néanmoins le manque d’informations concernant la mise en œuvre du Pacte dans la pratique, de même que sur les facteurs et difficultés rencontrés par l’État partie à cet égard. Le Comité note que les renseignements apportés oralement par la délégation n’ont que partiellement répondu aux questions et préoccupations exprimées dans la liste de questions écrites et lors de l’examen du rapport.

3. Le Comité tient notamment à exprimer ses inquiétudes face aux contradictions importantes existant entre, d’une part, les allégations nombreuses et concordantes faisant état de violations graves de plusieurs dispositions du Pacte, en particulier les articles 6, 7 et 19, et, d’autre part, les dénégations, parfois catégoriques, formulées par l’État partie. De l’avis du Comité, l’État partie n’a pas démontré sa volonté de faire toute la lumière sur ces allégations. Rappelant que la présentation et l’examen des rapports visent à l’établissement d’un dialogue constructif et sincère, le Comité invite l’État partie à déployer tous les efforts en ce sens.

B. Aspects positifs

4. Le Comité se réjouit de la place accordée par l’article 50 de la Constitution togolaise aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier le Pacte, dont les dispositions font partie intégrante de la Constitution.

5. Le Comité se félicite de l’adoption, le 17 novembre 1998, d’une loi interdisant la pratique des mutilations génitales féminines. Le Comité prend note de l’engagement de l’État partie de poursuivre ses efforts dans ce domaine.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

6. Le Comité note avec préoccupation que le processus d’harmonisation des lois nationales, dont un grand nombre est antérieur à la Constitution de 1992, avec les dispositions de la Constitution et des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme est au point mort. Des propositions, formulées avec l’assistance du Bureau du Haut‑Commissaire aux droits de l’homme au cours des années 90, n’ont été suivies d’aucun effet. Le Comité s’inquiète par ailleurs du fait que de nombreux projets de réforme, en matière notamment de droits des enfants et des femmes, annoncés parfois depuis plusieurs années, n’ont toujours pas abouti.

L’État partie devrait réviser sa législation, de manière à la mettre en conformité avec les dispositions du Pacte.

7. Le Comité constate que, malgré les dispositions des articles 50 et 140 de la Constitution, il n’existe aucune affaire dans laquelle les dispositions du Pacte ont été directement invoquées devant la Cour constitutionnelle ou les tribunaux ordinaires.

L’État partie devrait assurer la formation des magistrats, avocats et auxiliaires de justice, y compris ceux qui sont déjà en fonctions, sur le contenu du Pacte et des autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Togo.

8. Le Comité souhaite obtenir des informations supplémentaires sur l’organisation, les fonctions et les résultats obtenus par la Commission nationale des droits de l’homme, et se félicite de la promesse de la délégation de lui faire parvenir rapidement les rapports annuels de cette commission (art. 2 du Pacte).

9. Le Comité est préoccupé par:

i) Des informations selon lesquelles de nombreuses exécutions extrajudiciaires, arrestations arbitraires, menaces et intimidations perpétrées par les forces de sécurité togolaises contre les membres de la population civile, notamment les membres de l’opposition, n’ont pas fait l’objet d’enquêtes crédibles par l’État partie. Le Comité note par ailleurs que l’adoption de lois telles que la loi d’amnistie générale adoptée en décembre 1994 est de nature à renforcer la culture de l’impunité au Togo.

ii) Le fait que la Commission internationale d’enquête conjointe ONU/OUA a conclu à «l’existence d’une situation de violations systématiques des droits de l’homme au Togo au cours de l’année 1998» (E/CN.4/2001/134, par. 68). Ces violations concernent en particulier l’article 6 du Pacte, et concerneraient également les articles 7 et 9. Le rejet catégorique du rapport de cette commission, déclaré irrecevable par l’État partie, et la création, quelques semaines plus tard, d’une commission nationale d’enquête, laquelle n’a manifestement pas cherché à identifier précisément les auteurs des violations portées à l’attention du Gouvernement, suscitent par ailleurs la plus grande inquiétude du Comité.

L’État partie devrait adopter des mesures législatives ou autres pour réprimer et prévenir la perpétration de telles violations, en conformité avec les articles 6 et 9 du Pacte et les «Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions». L ’État partie devrait établir, par la voie judiciaire, les responsabilités individuelles des auteurs présumés de ces violations.

10. Le Comité, prenant en compte avec satisfaction que, depuis plusieurs années, aucune condamnation à mort prononcée par un tribunal n’a été exécutée au Togo, demeure préoccupé par le caractère insuffisamment précis des crimes pour lesquels la peine capitale peut être encourue.

L’État partie devrait restreindre les cas pour lesquels la peine capitale est encourue, et garantir que celle-ci n’est prononcée que pour les crimes les plus graves. Le Comité demande que des informations précises (procédure suivie, copie des jugements, etc.) lui soient fournies sur les personnes condamnées à mort au titre des articles 229 à 232 du Code pénal, relatifs aux attentats contre la sûreté intérieure de

l’État. Le Comité encourage l’État partie à abolir la peine capitale et à adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11. Le Comité s’inquiète des informations concordantes selon lesquelles les agents de l’ordre public font usage d’un recours excessif à la force lors de manifestations estudiantines et divers rassemblements organisés par l’opposition. Le Comité s’étonne de la réponse de l’État partie à ce propos, selon lequel les forces de l’ordre ne font jamais un usage excessif de la force, les manifestants étant principalement victimes de mouvements de foule. Le Comité regrette que l’État partie n’ait fait état d’aucune enquête qui aurait été ouverte à la suite de ces allégations.

L’État partie devrait ouvrir des enquêtes impartiales à la suite de toute allégation relative à un usage excessif de la force publique. En particulier, de telles enquêtes devraient être menées à propos des manifestations d’étudiants et d’enseignants de décembre 1999, et des manifestations organisées par des organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’homme et des partis politiques, qui auraient violemment été dispersées au cours des années 2001 et 2002.

12. Le Comité relève avec inquiétude que de nombreuses allégations font état d’une pratique courante de la torture au Togo, en particulier lors de différentes arrestations, de la garde à vue et dans les lieux de détention, alors que, selon l’État partie, qui ne cite pas d’exemples concrets, seuls quelques rares cas auraient été commis, et auraient fait l’objet de sanctions (art. 7).

L’État partie devrait honorer sa promesse de lui transmettre dans les meilleurs délais des informations écrites concernant le traitement des détenus dans les camps de Landja et Temedja.

L’État partie devrait veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal, et interdire qu’une déclaration obtenue sous la torture soit utilisée comme élément de preuve. Des enquêtes impartiales et indépendantes devraient être menées pour répondre à toutes les allégations de torture et traitements inhumains et dégradants imputés aux agents de l’État, en vue de poursuivre en justice les auteurs présumés de ces violations. Le Comité demande à l’État partie de lui communiquer des statistiques faisant état des plaintes alléguant des actes de torture, des poursuites engagées en conséquence, et des sanctions prononcées.

13. Le Comité, prenant note que l’État partie reconnaît que des arrestations arbitraires sont parfois accomplies, est préoccupé par des informations nombreuses faisant état d’arrestations arbitraires contre des membres de l’opposition et de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes, en violation de l’article 9 du Pacte.

L’État partie devrait identifier les prisonniers qui seraient détenus pour des raisons politiques au Togo, et revoir leur situation. L’État partie devrait également garantir que les personnes arrêtées arbitrairement soient libérées dans les plus brefs délais et que des poursuites judiciaires soient engagées contre les auteurs de telles violations.

14. Le Comité constate avec préoccupation, d’une part, que les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la garde à vue ne prévoient ni la notification des droits, ni la présence d’un avocat, ni le droit de la personne gardée à vue d’informer un membre de sa famille, d’autre part, que l’examen médical de la personne gardée à vue n’est possible que sur sa demande ou la demande d’un membre de sa famille, après accord du parquet. Par ailleurs, le délai de 48 heures pour la garde à vue serait peu respecté en pratique, et certaines personnes seraient détenues sans inculpation ou en attente de jugement pendant plusieurs années.

Le Comité accueille avec satisfaction la promesse de la délégation de lui répondre par écrit sur le cas de personnes dont les noms lui ont été communiqués. L’État partie devrait réformer les dispositions du Code de procédure pénale en matière de garde à vue, de façon à assurer une prévention efficace des atteintes à l’intégrité physique et mentale des personnes gardées à vue, et à protéger leurs droits de défense, en application des articles 7, 9 et 14 du Pacte. Il devrait également faire en sorte que justice soit rendue dans un délai raisonnable, conformément à l’article 14.

15. Le Comité constate avec préoccupation que les conditions de détention sont déplorables au Togo, notamment dans les prisons civiles de Lomé et de Kara, qui se caractérisent par une forte surpopulation et une alimentation précaire et insuffisante. Les difficultés sont reconnues par l’État partie, qui invoque des difficultés financières et le manque de formation de ses agents .

L’État partie devrait développer les peines alternatives à l’emprisonnement. L’État partie devrait en outre mettre en place un système d’inspection indépendante et régulière des établissements de détention, qui devrait comprendre des éléments indépendants du Gouvernement de manière à assurer la transparence et le respect des articles 7 et 10 du Pacte, et serait chargé de faire toutes propositions utiles en matière d’amélioration des droits des détenus et des conditions de détention, y compris l’accès aux soins de santé .

16. Le Comité est fortement préoccupé, d’une part, par le harcèlement, les intimidations continues et les arrestations dont seraient victimes les journalistes, notamment au cours des années 2001 et 2002 et, d’autre part, par le fait que plusieurs publications et radios indépendantes auraient été censurées depuis le début de l’année. Le Comité prend note des affirmations de la délégation selon lesquelles ces restrictions à la liberté d’expression sont accomplies en conformité avec l’article 26 de la Constitution, mais constate que le Code de la presse et de la communication a été modifié au cours des deux dernières années dans un sens particulièrement répressif.

L’État partie devrait revoir le Code de la presse et de la communication, et garantir que celui‑ci réponde à l’article 19 du Pacte.

17. Le Comité se déclare préoccupé par des informations selon lesquelles des partis politiques d’opposition n’auraient pas accès, en pratique, aux médias publics audiovisuels et radiophoniques, et que leurs membres seraient par ailleurs, sur ces médias, la cible de diffamations publiques continues (art. 19 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait garantir l’accès équitable des partis politiques aux médias, publics et privés, et assurer la protection de leurs membres contre les diffamations éventuelles. Le Comité souhaite recevoir des informations supplémentaires sur la façon dont la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication veille, dans la pratique, à l’accès équitable des partis aux médias, de même que sur les résultats obtenus. Le contenu de la réglementation en la matière devrait également être communiqué au Comité.

18. Le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles les manifestations pacifiques organisées par la société civile sont régulièrement interdites et violemment dispersées par les autorités, alors que les marches de soutien au Président de la République seraient souvent organisées par le pouvoir.

L’État partie devrait garantir la jouissance, dans la pratique, du droit de réunion pacifique, et ne restreindre l’exercice de ce droit qu’en dernier recours, conformément à l’article 21 du Pacte.

19. Le Comité s’inquiète de la distinction opérée par l’État partie entre associations et ONG, et des informations selon lesquelles les ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’homme ne réussissent pas à se faire enregistrer.

L’État partie devrait fournir des renseignements sur les conséquences de la distinction entre associations et ONG. L’État partie devrait garantir que cette distinction n’est pas de nature à porter atteinte, en droit comme en pratique, aux dispositions de l’article 22 du Pacte.

Le Comité prend note de l’assurance, donnée par la délégation, selon laquelle les défenseurs des droits de l’homme qui lui ont soumis des informations ne seront pas inquiétés au Togo.

20. Le Comité prend note de la dissolution par l’État partie, en juin 2002, sur la base de l’article 40 du Code électoral, de la Commission électorale indépendante (CENI) issue de l’Accord‑cadre de Lomé et composée de représentants des divers partis politiques. Le Comité prend note également des explications présentées par la délégation à ce propos, ainsi que d’autres informations selon lesquelles l’État partie n’avait pas fait tous les efforts nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de la CENI. Dans ces conditions, il se pourrait que les élections législatives du 27 octobre 2002, auxquelles une partie de l’opposition a refusé une nouvelle fois de participer, n’aient pas suffisamment répondu aux exigences de transparence et d’honnêteté requises par l’article 25 du Pacte.

L’État partie devrait faire tout son possible pour que l’esprit et la lettre de l’Accord‑cadre de Lomé soient respectés. L’État partie devrait en outre garantir la sécurité de tous les membres de la société civile, notamment les membres de l’opposition, lors des prochaines élections.

21. Le Comité note avec une grande inquiétude que le Code des personnes et de la famille, en cours de révision depuis 1999, contient toujours des dispositions discriminatoires envers les femmes, notamment en matière d’âge minimum pour se marier, de choix du domicile conjugal, et de liberté de travailler; que ledit Code autorise la polygamie et désigne le mari comme chef de famille; et qu’il organise la prévalence des lois coutumières, particulièrement discriminatoires, en matière de mariage et de succession.

L’État partie devrait mettre le Code des personnes et de la famille en conformité avec les articles 3, 23 et 26 du Pacte, et prendre en compte, à cet égard, les préoccupations exprimées par les ONG de défense et de promotion des droits des femmes.

22. Le Comité s’inquiète de la persistance de discriminations envers les femmes et les jeunes filles dans le domaine de l’accès à l’éducation et à l’emploi, de l’héritage et de la représentation politique au Togo. De plus, ainsi que le reconnaît l’État partie, certaines pratiques culturelles, de même que l’ignorance par les femmes de leurs droits, sont à l’origine de nombreuses violations des droits des femmes.

L’État partie devrait éliminer toutes les discriminations contre les femmes, renforcer ses efforts en matière d’éducation des filles et de sensibilisation de la population en matière de droits des femmes, et entreprendre de nouveaux programmes en faveur de l’accès des femmes à l’emploi et aux fonctions politiques.

23. Le Comité recommande qu’un vaste programme d’éducation aux droits de l’homme soit mis en place, en faveur des responsables de l’application des lois, en particulier les policiers, gendarmes et membres des forces armées, de même que l’ensemble du personnel pénitentiaire. Des formations régulières et spécifiques devraient être organisées, notamment en matière de lutte contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants, d’interdiction des exécutions extrajudiciaires et des arrestations arbitraires, ainsi que dans le domaine du traitement et des droits des détenus. Le Comité suggère, à cet égard, que l’État partie requière l’assistance du Bureau du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme et le concours des ONG.

24. L’État partie devrait donner une large diffusion au texte de son troisième rapport périodique et aux présentes observations finales.

25. L’État partie devrait indiquer dans un délai d’un an, conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, les mesures qu’il a prises ou qu’il envisage de prendre pour donner suite aux recommandations figurant aux paragraphes 9, 10, 12 à 14 et 20 du présent texte. Le Comité demande à l’État partie de communiquer dans son prochain rapport, qu’il doit soumettre d’ici au 1 er novembre 2004, des renseignements sur les autres recommandations qu’il a faites et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

 



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