EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE
Observations finales du Comité des droits de l'homme
Portugal
1. Le Comité des droits de l'homme a examiné le troisième rapport périodique du Portugal (CCPR/C/PRT/2002/3) à ses 2110e et 2111e séances, le 21 juillet 2003 (voir CCPR/C/SR.2110 et 2111). Il a adopté les observations finales qui suivent à sa 2126e séance, le 31 juillet 2003 (voir CCPR/C/SR.2126).
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique du Portugal et se félicite de l'occasion de reprendre, après plus de 10 ans d'interruption, le dialogue avec l'État partie. Le fait de ne pas présenter un rapport pendant une si longue période constitue, de l'avis du Comité, un obstacle à une réflexion approfondie sur les mesures qui doivent être prises pour assurer une application satisfaisante du Pacte. Le Comité invite l'État partie à soumettre dorénavant ses rapports en respectant la périodicité fixée par le Comité.
3. Le Comité se félicite des informations fournies dans le rapport et des renseignements présentés oralement et par écrit par la délégation de l'État partie. Il regrette cependant l'insuffisance des renseignements relatifs à la mise en œuvre pratique du Pacte et aux facteurs et difficultés qui font obstacle à son application.
B. Aspects positifs
4. Le Comité salue la création en 1995, au Ministère de l'intérieur, de l'Inspection générale de l'administration interne, qui est chargée de faire enquête sur les plaintes contre les comportements abusifs de la police. Il se félicite aussi de la création en 2000 de l'Inspection générale des services judiciaires et du Bureau de l'Ombudsman.
5. Le Comité constate avec satisfaction que le surpeuplement des prisons s'est atténué ces dernières années et se félicite des mesures prises pour améliorer les conditions des détenus.
6. Le Comité se félicite du fait que le droit de voter et d'être élu aux élections locales ait été accordé aux étrangers et que des droits politiques plus étendus aient été octroyés aux citoyens des pays lusophones, sous condition de réciprocité.
7. Le Comité note avec satisfaction que l'État partie a traduit en portugais et fait distribuer de nombreux documents des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
8. Le Comité est préoccupé par les cas d'emploi disproportionné de la force et de mauvais traitements par la police qui se produiraient notamment au moment de l'arrestation et pendant la garde à vue, avec parfois pour conséquence la mort de l'intéressé. Les violences commises par la police contre des personnes appartenant à des minorités ethniques semblent se répéter. Le Comité note aussi avec avec préoccupation les informations selon lesquelles l'appareil judiciaire et administratif n'a pas fait face avec promptitude et efficacité à de tels cas, en particulier aux décès de plusieurs personnes en 2000 et 2001 qui seraient imputables à des policiers (art. 2, 6, 7 et 26 du Pacte).
a) L'État partie devrait mettre fin aux violences policières sans retard. Il devrait s'efforcer davantage de faire en sorte que l'éducation en matière d'interdiction de la torture et des mauvais traitements et la sensibilisation aux questions de discrimination raciale soient intégrées à la formation du personnel chargé de l'application des lois. Il devrait également s'efforcer de recruter dans la police des membres de groupes minoritaires.
b) L'État partie devrait veiller à ce que toutes les plaintes pour torture, mauvais traitements ou emploi disproportionné de la force par des policiers fassent l'objet d'une enquête complète et rapide, à ce que les personnes reconnues coupables soient punies et à ce que les victimes ou leur famille reçoivent un dédommagement. Il devrait mettre en place à cette fin un service de contrôle de la police indépendant du Ministère de l'intérieur. L'État partie est prié de fournir au Comité des données statistiques précises sur les plaintes pour torture, mauvais traitements ou emploi disproportionné de la force par la police et sur le sort réservé à ces plaintes, ventilées par origine nationale et ethnique.
9. Le Comité note avec préoccupation que le règlement régissant l'usage des armes à feu par la police, tel qu'il est décrit dans le rapport périodique, n'est pas compatible avec les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois. Il s'inquiète du fait que plusieurs personnes aient été tuées par balle ces dernières années par la police et que la formation à l'emploi des armes à feu serait insuffisante (art. 6 et 7 du Pacte).
L'État partie devrait veiller à ce que les Principes 9, 14 et 16 des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, qui définissent les conditions d'utilisation légitime des armes à feu, soient pleinement intégrés au droit portugais et mis en application pratique, et à ce qu'une formation adéquate soit effectivement dispensée.
10. Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de mauvais traitements et d'abus de pouvoir par le personnel pénitentiaire, et de violences entre prisonniers, qui ont dans certains cas provoqué des décès (art. 6 et 7 du Pacte).
a) L'État partie devrait intensifier ses efforts pour mettre fin aux violences entre prisonniers et aux mauvais traitements infligés par le personnel pénitentiaire, en particulier en formant convenablement ce personnel et en sanctionnant les infractions en temps utile.
b) L'État partie devrait tenir le Comité informé de l'issue de la procédure engagée à la suite de la mort violente en octobre 2001 de deux détenus de la prison de Vale de Judeus. Il est également prié de répondre aux allégations de mauvais traitements par le personnel pénitentiaire des prisons de Custóias et de Linhó (Sintra).
c) Des renseignements plus complets sur le statut, la mission et les succès des divers organismes qui surveillent les prisons et reçoivent les plaintes des détenus devraient être fournis au Comité.
11. Le Comité constate avec inquiétude qu'en dépit d'une nette amélioration, la surpopulation carcérale s'établit encore à 22 %, que l'accès aux soins de santé reste problématique et que les prisonniers en attente de jugement et les détenus condamnés ne sont pas toujours séparés dans la pratique (art. 7 et 10 du Pacte).
L'État partie devrait faire en sorte que toutes les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité d'êtres humains. Il devrait redoubler d'efforts pour réduire le surpeuplement des prisons et garantir la séparation des prisonniers en attente de jugement des détenus condamnés. Des soins médicaux appropriés devraient être mis à la disposition de tous les détenus en temps utile.
12. Le Comité note que les demandeurs d'asile dont la requête est jugée irrecevable (par exemple sur le fondement des exclusions prévues à la disposition F de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, ou encore parce qu'ils n'ont pas respecté le délai de huit jours prévu pour la présentation de leur requête) ne sont pas expulsés dans un pays où se déroule un conflit armé ou dans lequel sont commises des violations systématiques des droits de l'homme. Il s'inquiète cependant du fait que le droit interne applicable n'offre aucun recours utile contre le renvoi forcé, en violation des obligations qu'impose l'article 7 du Pacte à l'État partie.
L'État partie devrait veiller à ce que les personnes dont la demande d'asile est jugée irrecevable ne soient pas renvoyées de force dans des pays où il y a de bonnes raisons de penser qu'elles risquent d'être victimes d'une exécution arbitraire, de tortures ou de mauvais traitements, et devrait prévoir dans son droit interne des recours utiles à cet égard.]
13. Le Comité note avec inquiétude que la police n'enregistrerait pas certaines arrestations et mises en détention (art. 9 du Pacte).
L'État partie devrait s'assurer que toutes les arrestations et détentions soient enregistrées, notamment en améliorant des mécanismes de contrôle et la formation des policiers.
14. Le Comité s'inquiète qu'une personne puisse rester en détention provisoire pendant 6 à 12 mois avant d'être inculpée et que cette détention puisse, dans des cas exceptionnels, durer jusqu'à quatre ans. Il note également avec préoccupation qu'en dépit du caractère exceptionnel que le Code de procédure pénale confère à la détention provisoire, près du tiers des personnes détenues au Portugal se trouvent dans cette situation (art. 9 et 14 du Pacte).
L'État partie devrait modifier sa législation pour que les personnes qui se trouvent en détention provisoire soient informées des charges retenues contre elles et jugées dans des délais raisonnables. Il devrait s'assurer qu'en pratique les magistrats ne prononcent la mise en détention provisoire qu'en dernier recours.
15. Le Comité constate avec inquiétude que de nombreuses dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives au terrorisme concernent des situations exceptionnelles qui peuvent déboucher sur des violations des articles 9, 15 et 17 du Pacte.
L'État partie devrait veiller à ce que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme ne soient pas en infraction avec des dispositions du Pacte et à ce que les dispositions d'exception ne soient pas abusivement utilisées par les agents de l'État.
16. Le Comité note avec préoccupation que les détenus soumis à la mise au secret à des fins disciplinaires ne peuvent faire appel que si la période de mise au secret est supérieure à huit jours. Le Comité note aussi avec inquiétude que, pendant la mise au secret, le contrôle quotidien devant être effectué par un personnel médical qualifié n'est pas garanti (art. 10 du Pacte).
L'État partie devrait assurer le droit des détenus à exercer un recours utile avec effet suspensif contre toute mesure disciplinaire de mise au secret et garantir qu'un contrôle quotidien soit effectué par un personnel médical qualifié.
17. Le Comité note qu'il est impossible d'imposer une peine accessoire d'expulsion lorsque l'intéressé est né et vit au Portugal, ou exerce l'autorité parentale sur des enfants mineurs résidant au Portugal, ou se trouve au Portugal depuis une date antérieure à son dixième anniversaire. Le Comité craint cependant que ces restrictions n'assurent pas la protection de la vie familiale des intéressés dans certains cas, et que les étrangers non résidents ne bénéficient pas des mêmes garanties (art. 17 et 26 du Pacte).
L'État partie devrait modifier sa législation de façon à garantir pleinement la protection de la vie familiale des étrangers résidents et non résidents frappés d'une peine accessoire d'expulsion.
18. Le Comité s'inquiète du fait que les avocats et les médecins puissent être obligés de témoigner, bien qu'ils soient tenus par le secret professionnel, dans des cas que le Code de procédure pénale définit en termes très larges (art. 17 du Pacte).
L'État partie devrait modifier sa législation de manière à y indiquer les circonstances précises dans lesquelles des restrictions sont imposées au secret professionnel dans le cas des avocats et des médecins.
19. Le Comité relève avec préoccupation que la proportion des jeunes travailleurs a augmenté au Portugal depuis 1998 en dépit de nombreuses mesures législatives protectrices et qu'aucune statistique n'a été recueillie sur les pires formes du travail des enfants (art. 24 du Pacte).
L'État partie devrait redoubler d'efforts pour éliminer le travail des enfants, procéder à des enquêtes sur les pires formes de travail des enfants et renforcer l'efficacité des mécanismes de contrôle dans ce domaine. Dans son prochain rapport périodique, l'État partie devrait présenter au Comité des informations détaillées sur la manière dont est mis en pratique l'article 24 du Pacte, notamment sur les sanctions pénales et administratives qu'il aura prises.
20. Le Comité s'inquiète du fait qu'en dépit des nombreuses mesures positives adoptées par l'État partie, les Roms continuent de souffrir de préjugés et de faire l'objet de discrimination notamment en matière de logement, d'emploi et d'accès aux services sociaux, et que l'État partie n'a pas été en mesure de présenter des renseignements détaillés, notamment statistiques, sur la situation des communautés roms et sur les résultats obtenus par les institutions responsables de leur promotion et de leur bien-être (art. 26 et 27 du Pacte).
a) L'État partie devrait intensifier ses efforts pour intégrer les communautés roms du Portugal en respectant leur identité culturelle, notamment grâce à l'adoption de mesures volontaristes dans les domaines du logement, de l'emploi, de l'enseignement et des services sociaux.
b) L'État partie devrait présenter au Comité des renseignements détaillés sur la situation et les difficultés des Roms et sur les résultats obtenus par le Haut-Commissaire pour l'immigration et les minorités ethniques, la Commission pour l'égalité et contre la discrimination, et le Groupe de travail pour l'égalité et l'insertion des Roms. Des renseignements sur les plaintes déposées auprès de ces institutions par les membres des minorités ethniques présentes au Portugal et sur l'issue de ces procédures devraient également être présentés.
21. Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d'informations suffisantes sur les activités et les réalisations de l'Ombudsman (art. 2 du Pacte).
L'État partie devrait fournir des renseignements plus complets sur l'Ombudsman et présenter au Comité un exemplaire du rapport annuel de celui-ci.
22. Le Comité fixe au 1er août 2008 la date de soumission du quatrième rapport périodique du Portugal. Il demande que le texte du troisième rapport périodique de l'État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et diffusés largement au Portugal, et que le quatrième rapport périodique soit porté à la connaissance des organisations non gouvernementales qui opèrent au Portugal.
23. Conformément au paragraphe 5 de l'article 70 du règlement intérieur du Comité, l'État partie devrait fournir dans un délai d'un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité. Le Comité demande à l'État partie de communiquer dans son prochain rapport des renseignements sur les autres recommandations qu'il a faites et sur l'application du Pacte dans son ensemble.