University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Nigeria, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.65 (1996).


 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-septième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE


Observations finales du Comité des droits de l'homme


NIGERIA

1. A la suite de l'examen du rapport initial du Nigéria pour ce qui est de l'application des articles 6, 7, 9 et 14 du Pacte au Nigéria, le Comité a, lors de sa 1499ème séance, le 3 avril 1996, adopté certaines recommandations urgentes. Celles-ci portaient notamment sur l'abrogation de tous les décrets portant création de tribunaux spéciaux ou révoquant les garanties constitutionnelles normales de droits fondamentaux ou la juridiction des tribunaux ordinaires ainsi que sur l'adoption de mesures urgentes pour que les personnes appelées à être jugées bénéficient de toutes les garanties d'un procès équitable (voir document CCPR/C/79/Add.64, par. 11 à 13).

2. Le dialogue avec le Nigéria s'est poursuivi au cours de la cinquante-septième session. A ses 1526ème et 1527ème séances (cinquante-septième session), le 24 juillet 1996, le Comité a adopté les observations finales suivantes :


A. Introduction

3. Le Comité se félicite de l'occasion qui lui est offerte de reprendre le dialogue avec le Gouvernement nigérian par l'intermédiaire d'une délégation de haut rang qui comprend des membres de la Commission nationale des droits de l'homme récemment créée.


B. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre du Pacte

4. Le Comité note que le maintien du régime militaire et en particulier la suspension des garanties constitutionnelles de droits fondamentaux par voie de décrets pris par ce régime, constituent un obstacle à la mise en oeuvre effective des droits protégés par le Pacte.

5. Le Comité note également que le fait que le Gouvernement n'a pas procédé à une analyse des lois et procédures en vigueur, y compris des règles du droit coutumier, pour évaluer leur compatibilité avec le Pacte a été un obstacle à la mise en oeuvre effective des droits protégés par le Pacte.

6. Les violences interethniques et interreligieuses qui persistent au Nigéria semblent avoir des effets néfastes sur la jouissance des droits et libertés protégés par le Pacte.


C. Aspects positifs

7. Le Comité prend note des mesures prises par le gouvernement depuis la cinquante-sixième session pour surmonter certains des obstacles à la jouissance des droits qui ont été relevés par le Comité. Il se réjouit qu'en vertu du décret portant amendement du décret sur les troubles sociaux (tribunal spécial), des militaires ne soient plus autorisés à siéger au tribunal spécial et qu'il puisse être désormais fait appel des décisions rendues et des condamnations prononcées par ledit tribunal. Il se félicite de l'abrogation du décret No 14 de 1994 (qui empêchait les tribunaux de délivrer des ordonnances d'habeas corpus) par le décret, adopté le 16 juin 1996, portant amendement et abrogation de certaines dispositions du décret No 2 sur la détention, pris par la Direction de la sûreté. Il note également qu'un collège de juges a été constitué pour examiner les cas des personnes détenues en vertu du décret No 2 de 1984.

8. Le Comité se félicite que des élections municipales aient eu lieu; que des partis politiques aient été inscrits; que les préparatifs des élections nationales soient en cours et que l'année prévue pour la tenue de ces élections ait été annoncée.

9. Le Comité prend note avec satisfaction de l'adoption du décret No 22 de 1995, portant création de la Commission nationale des droits de l'homme à laquelle ont été confiées certaines responsabilités en matière de promotion et de protection des droits de l'homme.

10. Le Comité se félicite par ailleurs de la création d'un Ministère des affaires féminines et de la protection sociale. Il se félicite également des mesures prises pour promouvoir la participation des femmes à tous les niveaux de la vie politique, économique et sociale du pays.

11. Le Comité apprécie également que le Gouvernement nigérian soit disposé à procéder à une analyse du système juridique nigérian à la lumière des obligations qu'il a contractées en vertu du Pacte et à demander l'assistance technique du Centre pour les droits de l'homme à cette fin.


D. Principaux sujets de préoccupation

12. Le Comité constate avec une profonde préoccupation qu'aucune mesure n'a été adoptée pour remédier à tous les problèmes préoccupants qu'il a relevés à sa cinquante-sixième session et donner suite aux recommandations urgentes qu'il a formulées dans ses observations préliminaires (voir CCPR/C/79/Add.64). Il est préoccupé en particulier par le fait que le Gouvernement nigérian n'a pas abrogé les décrets instituant des tribunaux spéciaux ou révoquant les garanties constitutionnelles normales de droits fondamentaux ainsi que la juridiction des tribunaux ordinaires. Il déplore que, d'après ce qu'a dit la délégation, ces décrets ne soient pas abrogés parce qu'ils sont antérieurs à l'entrée en vigueur du Pacte pour le Nigéria et sont un élément essentiel du gouvernement militaire au Nigéria. Le Pacte interdit les mesures dérogeant aux obligations de l'Etat partie autres que celles qui sont prises dans les circonstances restreintes prévues à l'article 4 et qui ne s'appliquaient pas dans le cas du Nigéria.

13. Le Comité se déclare gravement préoccupé par le fait que le maintien du gouvernement et du pouvoir militaires par voie de décrets présidentiels, qui suspendent ou abolissent des droits constitutionnels et qui ne sont pas susceptibles d'examen par les tribunaux, est incompatible avec la mise en oeuvre effective du Pacte.

14. Le Comité tient à réaffirmer qu'il subsiste un décalage fondamental entre les obligations du Nigéria, qui s'est engagé à respecter et à faire appliquer les droits garantis par le Pacte, et la mise en oeuvre effective de ces droits au Nigéria. Il s'inquiète en outre du fait qu'il n'existe aucune protection juridique des droits au Nigéria, du fait de la non-applicabilité de la Constitution de 1989 et de l'adoption du décret No 107 de 1993 en vertu duquel la Constitution de 1979 a été remise en vigueur à l'exclusion de la section relative aux droits fondamentaux. Le Comité est préoccupé également par le nombre de décrets suspendant ou rétablissant des lois antérieures avec des exceptions dans certains cas. Il en résulte une certains incertitude quant aux droits qui peuvent être invoqués et ceux qui sont suspendus.

15. Le Comité doit réitérer sa profonde inquiétude devant la création par voie de décret de tribunaux spéciaux qui ne respectent pas les conditions garantissant un procès équitable requises par l'article 14 du Pacte.

16. Le Comité note avec préoccupation qu'en droit nigérian, la peine de mort peut être prononcée pour des crimes qui ne constituent pas "les crimes les plus graves" comme le prescrit l'article 6 du Pacte et que le nombre de peines de mort prononcées et exécutées est très élevé. Le fait que des sentences de mort sont prononcées sans la garantie d'un procès équitable constitue une violation des dispositions des articles 14 1) et 6 du Pacte. Les exécutions publiques sont aussi incompatibles avec la dignité humaine.

17. Le Comité note avec inquiétude qu'à la suite de l'introduction de mesures visant à remédier à certaines violations particulières de droits et concernant la composition des tribunaux spéciaux et le droit de faire appel de leurs décisions, aucune réparation n'a été accordée aux victimes des violations de droits de l'homme qui s'étaient déjà produites auparavant.

18. Le Comité est extrêmement préoccupé par le nombre élevé de cas d'exécution extrajudiciaire et sommaire, de disparition, de torture, de mauvais traitements et d'arrestation et de détention arbitraire dont seraient responsables des membres de l'armée et des forces de sécurité et par l'inaction du gouvernement qui n'a pas fait procéder à des enquêtes approfondies sur ces cas pour que les auteurs présumés de ces infractions soient poursuivis et les coupables punis, et n'a pas accordé réparation aux victimes ou à leur famille. L'impunité qui en résulte encourage d'autres violations des droits énoncés dans le Pacte.

19. Le Comité s'inquiète des mauvaises conditions de détention dans les lieux de détention, notamment le surpeuplement, l'absence d'hygiène, l'insuffisance de nourriture, d'eau saine et de soins de santé, tous éléments qui contribuent au taux élevé de décès en détention. Il souligne qu'il est contraire au Pacte de détenir des personnes dans des conditions qui ne sont pas conformes aux garanties fondamentales prévues à l'article 10 du Pacte ainsi que dans l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, en dépit de l'adoption par le Nigéria de nouveaux règlements pénitentiaires qui figurent dans le chapitre 366 de la loi sur les prisons (1990).

20. Le Comité est préoccupé par le grand nombre de personnes détenues sans inculpation et de la durée excessive de la détention avant jugement, ce qui est incompatible avec l'article 9 du Pacte. Il note en particulier avec inquiétude que la détention au secret est couramment ordonnée et souvent pour une durée indéterminée et sans possibilité pour la personne détenue d'introduire un recours devant un tribunal, en violation de l'article 9 du Pacte.

21. Le Comité est gravement préoccupé par les violations du droit à la liberté d'expression, comme le montrent l'adoption d'un certain nombre de décrets suspendant des journaux ainsi que l'arrestation arbitraire, la mise en détention et le harcèlement de directeurs de journaux ou de journalistes.

22. Le Comité note avec inquiétude que d'importantes restrictions sont imposées à la liberté d'association et de réunion par la législation et dans la pratique. Il est alarmé par les nombreuses informations qu'il a reçues selon lesquelles des membres de syndicats ont fait l'objet de mesures de harcèlement et d'intimidation, et parfois même ont été arrêtés et placés en détention, et la dissolution de certains syndicats a été ordonnée par le gouvernement.

23. Le Comité juge préoccupantes l'arrestation et la détention de membres d'organisations de défense des droits de l'homme, ce qui constitue une violation des articles 9 et 20 du Pacte et une atteinte à la liberté d'action de ces organisations qui jouent un rôle important dans la protection des droits de l'homme.

24. Le Comité prend note des allégations formulées par une organisation non gouvernementale nigériane (Civil Liberty Organization) qui affirme que deux de ses représentants ont été empêchés par les services de sécurité de l'Etat de participer à la cinquante-sixième session du Comité et se sont vu confisquer leurs passeports. Il regrette qu'en dépit d'une lettre du Président exposant ces allégations en détail, une enquête n'ait pu être menée à bien avant la cinquante-septième session et qu'aucune information n'ait pu être fournie au sujet des faits allégués. Le fait d'empêcher des personnes de quitter leur pays est contraire à l'article 12 2) du Pacte et incompatible avec l'obligation qui incombe à l'Etat de coopérer avec le Comité en n'empêchant pas ces personnes de quitter le pays pour aller suivre les sessions du Comité.

25. Le Comité se déclare préoccupé par la situation des femmes au Nigéria, en particulier pour ce qui est de leur faible niveau de participation à la vie publique et du maintien de régimes matrimoniaux qui autorisent la polygamie et ne respectent pas pleinement le principe de l'égalité de droits des hommes et des femmes. Il est plus particulièrement préoccupé par les pratiques largement répandues du mariage forcé et des mutilations génitales infligées aux fillettes.


E. Suggestions et recommandations

26. Le Comité recommande que des mesures immédiates soient prises pour rétablir sans retard la démocratie et tous les droits constitutionnels au Nigéria.

27. Comme le Comité l'a déjà recommandé, tous les décrets révoquant ou limitant les garanties de droits fondamentaux et de libertés fondamentales devraient être abrogés. Tous les tribunaux doivent respecter toutes les conditions d'un procès équitable et garanties de justice prescrites à l'article 14 du Pacte.

28. Le Comité recommande qu'un examen du cadre juridique de protection des droits de l'homme au Nigéria soit entrepris de façon que les principes énoncés dans le Pacte soient incorporés dans le système juridique national et que des recours utiles soient prévus en cas de violation de droits.

29. Le Comité recommande également l'abrogation du décret No 107 de 1993 et de toutes autres mesures qui suppriment ou suspendent l'application des droits fondamentaux consacrés dans la Constitution de 1979, de telle sorte que la protection juridique de ces droits soit rétablie au Nigéria. Il recommande à l'Etat partie de veiller à ce qu'aucune mesure d'abrogation ou de dérogation ne soit prise dans l'avenir autrement que dans les cas expressément énoncés à l'article 4, c'est-à-dire en cas de danger public exceptionnel menaçant l'existence de la nation, proclamé par un acte officiel et notifié au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.

30. Le Comité prie l'Etat partie de prendre des mesures efficaces pour que les femmes puissent jouir pleinement et dans des conditions d'égalité des droits et libertés protégés par le Pacte. Ces mesures devraient garantir la participation des femmes à égalité avec les hommes à tous les niveaux de la vie politique, sociale et économique du pays. Le Comité recommande que l'on s'efforce, en particulier par l'éducation, de combattre certaines traditions et coutumes telles que les mutilations génitales féminines et les mariages forcés qui sont incompatibles avec le droit à l'égalité des femmes.

31. Le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager d'abolir la peine de mort. Jusque-là, l'Etat partie devra veiller à ce que l'application de la peine de mort soit strictement limitée aux crimes les plus graves comme le prescrit l'article 6 2) du Pacte et à ce que le nombre de crimes passibles de la peine de mort soit réduit au minimum. Des mesures urgentes devraient être prises pour que les personnes appelées à être jugées bénéficient de toutes les garanties d'un procès équitable expressément prévues aux paragraphes 1), 2) et 3) de l'article 14 du Pacte et pour que la déclaration de culpabilité et la condamnation dont elles ont fait l'objet soient examinées par une juridiction supérieure conformément au paragraphe 5) du même article.

32. Le Comité recommande aux autorités nigérianes de prendre des mesures efficaces pour empêcher les exécutions arbitraires, extrajudiciaires et sommaires ainsi que les actes de torture, les mauvais traitements et les arrestations et détentions arbitraires dont sont responsables des membres des forces de sécurité et pour que des enquêtes soient menées sur ces faits afin de traduire en justice tous ceux qui sont soupçonnés d'avoir commis de tels crimes ou d'y avoir participé et de les punir s'ils sont reconnus coupables, et pour qu'une réparation soit accordée aux victimes ou à leur famille.

33. Le Comité recommande que des mesures urgentes soient prises en vue de libérer toutes les personnes qui ont été emprisonnées arbitrairement ou sans inculpation et de réduire la durée de la détention avant jugement. La pratique de la détention au secret devrait cesser. Une réparation devrait être accordée dans les cas indiqués au paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte.

34. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les conditions de détention des personnes privées de leur liberté soient pleinement conformes à l'article 10 du Pacte et à l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Il faudrait limiter le surpeuplement des prisons en accélérant les procédures judiciaires, en envisageant d'autres formes de sanction ou en augmentant le nombre de lieux de détention.

35. Le Comité recommande une révision et une modification de la législation et de la pratique en ce qui concerne l'exercice de la liberté d'expression afin d'assurer leur conformité avec les dispositions de l'article 19 du Pacte.

36. Le Comité recommande également que des mesures soient prises pour assurer le respect du droit de constituer des syndicats et d'y adhérer comme l'exige l'article 22 du Pacte et que le plan prévoyant la tenue d'élections syndicales en octobre 1996 soit exécuté.

37. Le Comité recommande aux autorités fédérales et aux autorités de chaque Etat de se pencher sur la situation des personnes appartenant à des minorités, pour veiller à ce que les droits qui leur sont reconnus à l'article 27 du Pacte soient pleinement protégés. A cet égard, l'Observation générale No 23 (50) du Comité devrait être dûment prise en compte.

38. Le Comité tient à souligner que l'examen des rapports présentés en application de l'article 40 du Pacte a lieu en public et en présence de représentants de l'Etat partie concerné. Les représentants d'organisations non gouvernementales, qu'elles soient internationales ou nationales, ont le droit d'assister aux séances au cours desquelles ces rapports sont examinés et de fournir des informations à des membres du Comité à titre privé. Le Gouvernement nigérian devrait faire en sorte qu'aucun particulier (y compris les membres d'organisations non gouvernementales) ne soit empêché de quitter le Nigéria pour assister aux sessions du Comité, devrait immédiatement faire procéder à des enquêtes sur les allégations mentionnées au paragraphe 24 ci-dessus et devrait informer le Comité du résultat de ces enquêtes.

39. Le Comité recommande au Gouvernement nigérian de veiller à ce que la Commission nationale des droits de l'homme (ou tout autre organisme) entreprenne une action d'information et d'éducation auprès de la population concernant les droits et libertés protégés par le Pacte et la Constitution et les recours disponibles en cas de violation de ces droits. Il devrait solliciter à cette fin l'assistance du Service des services consultatifs et de l'assistance technique du Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme.

 

 



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