University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Libyan Arab Jamahiriya, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.45 (1994).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-deuxième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations du Comité des droits de l'homme



Jamahiriya arabe libyenne

1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/28/Add.16) à ses 1275ème, 1276ème, 1376ème et 1377ème séances, tenues le 26 octobre 1993 et le 28 octobre 1994, et il a adopté à sa 1384ème séance (cinquante-deuxième session), le 3 novembre 1994, les observations suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité se félicite de pouvoir renouer le dialogue avec l'Etat partie; en effet 15 ans se sont écoulés entre le moment où le rapport initial du Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne a été examiné et celui où son deuxième rapport périodique a été présenté. Le Comité déplore cependant que ce délai ait été aussi long. Il regrette également que les directives concernant l'établissement des rapports n'aient pas été appliquées. Le rapport renferme trop peu de renseignements sur les restrictions ou limites dont font l'objet les droits ou sur les facteurs et les difficultés qui entravent la jouissance des droits et la mise en oeuvre du Pacte en Jamahiriya arabe libyenne.

Par ailleurs, il ne fait état ni des violations des droits de l'homme dans le pays, dont l'existence a été reconnue même par le chef de l'Etat, ni des mesures administratives et autres qui ont été adoptées pour donner effet aux droits inscrits dans le Pacte.

3. Le Comité se félicite des renseignements complémentaires qu'ont fournis par écrit les autorités libyennes en réponse aux questions posées par les membres du Comité durant la première partie de l'examen du rapport, en octobre 1993, mais il regrette que du fait de leur présentation tardive, le document dans lequel ils figurent n'ait pu être disponible dans toutes ses langues de travail. Il prend note avec satisfaction des efforts faits par le Gouvernement libyen pour répondre aux questions et élucider certains points, à la fois par écrit et oralement, par l'intermédiaire de ses représentants. Ces efforts témoignent incontestablement de la volonté qu'a le gouvernement de poursuivre le dialogue avec le Comité.


B. Facteurs et difficultés ayant une incidence sur l'application du Pacte

4. Au nombre des facteurs ayant une incidence sur l'application du Pacte, le Comité relève les difficultés économiques et l'existence de mouvements extrémistes. Il constate, en outre, que l'embargo sur les voyages aériens imposés par le Conseil de sécurité à la Jamahiriya arabe libyenne depuis avril 1992 constitue, aux yeux du Gouvernement libyen, une difficulté qui entrave l'application de certaines dispositions du Pacte.


C. Aspects positifs

5. Le Comité note avec satisfaction que le Pacte fait partie du droit interne de la Jamahiriya arabe libyenne et que certains éléments du Pacte sont incorporés dans le Grand document vert sur les droits de l'homme de l'ère jamahiriyenne (1988), dans la loi de 1991 sur la protection de la liberté et dans le projet de constitution. Il se félicite que le Pacte ait été imprimé dans le Journal officiel et ait fait l'objet de commentaires dans les médias, tout en relevant que les renseignements qui lui ont été fournis ne lui permettent pas de préciser le degré exact d'application des dispositions du Pacte ni de savoir de quels moyens concrets dispose la population pour faire respecter ses droits ou obtenir réparation en cas de violation.

6. Le Comité prend également note avec satisfaction des mesures adoptées en Jamahiriya arabe libyenne pour que cessent les comportements discriminatoires à l'égard des femmes, ainsi que des initiatives prises dans le pays pour promouvoir les droits des femmes, accroître leur participation à la vie publique et favoriser l'égalité entre les deux sexes en matière d'emploi et dans le mariage.

7. Le Comité se félicite, en outre, des renseignements donnés dans le rapport au sujet de la libération de certains prisonniers politiques et autres, de la démolition de certaines prisons, de l'annulation des listes de personnes interdites de voyage et du projet d'abolition des tribunaux d'exception.


D. Principaux sujets de préoccupation

8. Le Comité constate avec une vive préoccupation que, bien qu'il ressorte du rapport que la suppression de la peine de mort constitue un objectif en Jamahiriya arabe libyenne, un grand nombre d'infractions y demeurent passibles de cette peine, notamment les infractions économiques et d'autres infractions qui semblent aller au-delà des limites définies dans l'article 6(2) du Pacte. Il déplore que le nombre des exécutions semble avoir augmenté l'année écoulée.

9. Le Comité s'inquiète grandement des informations qu'il a reçues de l'ONU et d'autres sources dignes de foi selon lesquelles les forces de sécurité libyennes auraient perpétré des exécutions sommaires ou extrajudiciaires et des actes de torture. Il déplore l'introduction de châtiments cruels tels que la flagellation ou l'amputation. La pratique de l'arrestation arbitraire, la détention de personnes condamnées à l'issue de procès inéquitables et la longueur de la détention provisoire constituent également des sujets de profonde préoccupation. Le Comité regrette l'absence de renseignements sur certaines personnes effectivement identifiées qui seraient détenues au secret sans jugement depuis très longtemps et sur des opposants au régime qui auraient disparu.

10. Le Comité est également préoccupé par certaines restrictions dont font l'objet en Jamahiriya arabe libyenne la liberté d'opinion, la liberté d'expression, le droit de réunion et la liberté d'association, restrictions qui ne sont pas en conformité avec les articles 19, 21 et 22 du Pacte. Ces restrictions limitent en outre par trop le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, y compris la possibilité de critiquer le gouvernement ou d'exprimer son opposition à son égard.

11. En l'absence d'informations, le Comité a des difficultés à se rendre compte de l'efficacité pratique des garanties qui protègent les droits des personnes détenues et de celles qui sont accusées d'une infraction pénale. Le manque d'indépendance de la profession juridique et les doutes qui pèsent sur la publicité et l'équité des procès continuent de le préoccuper.

12. En ce qui concerne les femmes, le Comité demeure préoccupé par l'absence d'égalité dans certains domaines du droit, par exemple en ce qui concerne la nationalité et les droits en matière d'héritage. Il regrette également l'absence de renseignements précis sur l'égalité des sexes.

13. La liberté de religion est un autre sujet de préoccupation. Les châtiments sévères (qui ne seraient pas appliqués) dont sont passibles les personnes déclarées coupables d'hérésie, ainsi que les restrictions imposées au droit de changer de religion, paraissent incompatibles avec l'article 18 du Pacte. L'absence de dispositions régissant l'objection de conscience au service militaire constitue une autre préoccupation.

14. D'une façon générale le Comité est préoccupé par le fait que les exceptions à de nombreux droits relevant du Pacte qu'autorise la loi fondamentale sont définies en termes très larges et qu'aucun élément n'a été fourni sur les modalités d'incorporation de ces exceptions dans des lois spécifiques, et sur leur conformité au Pacte au stade de l'application.


E. Suggestions et recommandations

15. Le Comité encourage l'Etat partie à adopter des arrangements devant permettre l'adoption de mesures d'ordre législatif ou autre propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte, conformément au paragraphe 2 de l'article 2 de celui-ci. Il insiste sur le fait que ces droits constituent des normes minimales d'application universelle. A cette fin, il faudra procéder à un examen détaillé des lois et pratiques spécifiques pour s'assurer qu'elles sont pleinement conformes au Pacte et n'imposent pas aux droits d'autres limites que celles qui sont autorisées par le Pacte.

16. Notant qu'il est dit dans le rapport que l'objectif de la société jamahiriyenne est d'abolir la peine de mort, le Comité encourage l'Etat partie à aller de l'avant et à abolir cette peine afin de pouvoir adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

17. Le Comité demande à la Jamahiriya arabe libyenne d'enquêter sur toutes les allégations faisant état d'exécutions sommaires ou extrajudiciaires, de disparitions, de cas de torture et de détention au secret, y compris les allégations sur lesquelles il a appelé son attention, et de veiller à ce que les auteurs de violations des articles 6, 7 et 9 du Pacte soient poursuivis et que les victimes disposent de voies de recours appropriées. L'Etat partie devrait mettre en oeuvre des mesures propres à prévenir toute nouvelle violation de ces dispositions du Pacte, à assurer aux détenus la sauvegarde de leurs droits et à respecter les garanties judiciaires.

18. Le Comité recommande à l'Etat partie de réexaminer les lois imposant des limites aux libertés d'opinion, d'expression, d'association et de réunion, pour s'assurer de la conformité de ces limites avec celles qu'autorisent les articles 19, 21 et 22 du Pacte.

19. Le Comité demande instamment à l'Etat partie de poursuivre la mise en oeuvre de ses programmes destinés à assurer intégralement l'égalité de droit et de fait pour les femmes dans tous les domaines de la vie sociale. Il devrait en outre s'attacher à honorer les obligations concernant la liberté religieuse qui lui incombent au titre de l'article 18 du Pacte. A ce propos, le Comité appelle l'attention sur son Observation générale relative à l'article 18 du Pacte.

20. Enfin, le Comité recommande à la Jamahiriya arabe libyenne de lui donner dans son prochain rapport périodique de plus amples renseignements sur des lois spécifiques ainsi que des informations plus concrètes et plus circonstanciées sur l'exercice des droits, afin qu'il puisse bien mesurer les progrès accomplis dans la mise en oeuvre du Pacte dans l'Etat partie.

21. Le Comité demande instamment à l'Etat partie de s'acquitter à l'avenir de l'obligation de présenter des rapports en vertu de l'article 40 du Pacte en respectant les délais.

 



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