University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Jordan, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.35 (1994).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante et unième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE
Observations du Comité des droits de l'homme

Jordanie

1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Jordanie (CCPR/C/76/Add.1) de sa 1321ème à sa 1324ème séance, les 5 et 6 juillet 1994, et adopté à sa 1354ème séance, le 27 juillet 1994 les observations suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité se réjouit de l'occasion qui lui est offerte de poursuivre le dialogue avec l'Etat partie et remercie le Gouvernement jordanien pour son rapport (CCPR/C/76/Add.1) et le document de base (HRI/CORE/1/Add.18/Rev.1). Il note que ceux-ci ne contiennent pas de renseignements suffisants sur l'application effective des dispositions du Pacte. Cependant, grâce à la présence d'une délégation de haut niveau qui a fourni des renseignements complémentaires sur de nombreux points qui n'avaient pas été abordés dans le rapport, le Comité a pu mieux comprendre la situation des droits de l'homme en Jordanie et engager ainsi un dialogue franc et fructueux avec l'Etat partie.


B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

3. Le Comité prend note des difficultés économiques et sociales auxquelles la Jordanie doit faire face à la suite de la crise du Golfe et en raison du manque de stabilité dans la région. La présence d'un très grand nombre de réfugiés est aussi un facteur qui rend l'application du Pacte plus difficile.


C. Aspects positifs

4. Le Comité se félicite du processus démocratique engagé en 1989, de la levée de l'état d'urgence et de l'abolition de la loi martiale et de la loi sur la défense de 1935, ainsi que de la libération des prisonniers politiques, de la restitution des passeports confisqués, de la réintégration des fonctionnaires qui avaient été licenciés pour des raisons politiques et de l'instauration d'un droit de recours devant la Cour suprême contre les décisions de la Cour de sûreté de l'Etat. Le Comité prend également note avec satisfaction de l'existence d'une procédure de recours devant la Cour suprême contre les décisions administratives, y compris les décisions concernant des fonctionnaires. Les efforts déployés pour procéder à une réforme complète de la législation ont déjà donné de nombreux résultats, en particulier l'adoption de la nouvelle loi sur la presse et la loi sur les partis politiques. Le Comité se réjouit également de la mise en place d'une Commission des droits de l'homme et de la création de sections jordaniennes de l'Organisation arabe des droits de l'homme et d'Amnesty International. Ces événements et la rédaction de nouveaux projets de lois susceptibles de promouvoir les droits de l'homme, ainsi que la tenue d'élections multipartites, illustrent clairement la tendance positive au renforcement de la démocratie et à la protection des droits de l'homme qui se fait jour en Jordanie. Les progrès accomplis au cours des dernières années dans le domaine de la promotion de la femme sont également à relever et les résultats notables obtenus dans le domaine de l'espérance de vie et de la réduction des taux de mortalité infantile sont autant de faits positifs qui vont dans le sens d'un meilleur respect du droit à la vie énoncé à l'article 6 du Pacte.


D. Principaux sujets de préoccupation

5. Le Comité note que la Constitution ne comporte aucune disposition spécifique concernant le rapport entre les conventions internationales et le droit interne, Il est nécessaire, par conséquent, de définir la place qu'occupe le Pacte dans l'ordre juridique de la Jordanie pour faire en sorte que les dispositions du droit interne soient interprétées d'une manière conforme aux dispositions du Pacte. De plus, le Comité note avec inquiétude que le cadre juridique général n'est pas encore conforme aux dispositions du Pacte. Le Comité regrette également que la Cour constitutionnelle ne soit toujours pas établie.

6. Le Comité est préoccupé par le fait que la Cour de sûreté de l'Etat continue à jouir de pouvoirs spéciaux et que, conformément aux articles 124 et 125 de la Constitution et à la nouvelle loi sur la défense, les lois ordinaires peuvent être suspendues en période d'exception, ce qui est contraire aux dispositions de l'article 4 du Pacte qui interdit toute dérogation aux dispositions concernant certaines catégories de droits de l'homme. L'absence de clarté en ce qui concerne la responsabilité des actes accomplis en vertu des dispositions de la loi martiale est aussi préoccupante.

7. Le Comité regrette que, bien que la condition de la femme se soit améliorée, l'Etat partie n'ait pas entrepris toutes les réformes nécessaires pour lutter contre les facteurs qui font encore obstacle à l'égalité entre les hommes et les femmes. Il note avec inquiétude que la Constitution ne garantit pas le principe de l'interdiction de la discrimination fondée sur le sexe et qu'il existe encore dans la pratique et dans la loi des inégalités entre les sexes, en ce qui concerne le statut au sein de la famille, le droit d'hériter, le droit de quitter le pays, l'acquisition de la nationalité jordanienne, l'accès au travail et la participation à la vie publique.

8. Le Comité est préoccupé par le nombre excessif de délits punissables de la peine de mort ainsi que par le nombre de condamnations à mort prononcées par les tribunaux.

9. Le Comité note également avec inquiétude que les garanties énoncées aux articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte ne sont pas pleinement respectées. Il est préoccupé en particulier par le fait que des cas de torture et de mauvais traitements de personnes privées de liberté continuent à être signalés. L'internement administratif, le déni du droit des détenus de communiquer avec un conseil, la longueur de la détention provisoire sans inculpation et la détention au secret sont aussi de graves sujets de préoccupation. Le Comité s'inquiète en particulier des conditions de détention au siège du Service général des renseignements.

10. Le Comité constate avec préoccupation des lacunes dans l'application des dispositions de l'article 18 du Pacte, en particulier pour ce qui est des restrictions imposées à l'exercice par les membres de confessions religieuses non reconnues ou non enregistrées, notamment les Bahai's, de leur droit à la liberté de religion ou de conviction. Il s'inquiète également des limitations concrètes dont fait l'objet le droit d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, droit qui devrait comprendre la liberté de changer de religion.

11. Le Comité se déclare également préoccupé par le fait qu'en dépit des améliorations découlant de l'adoption de la nouvelle loi sur la presse, la liberté d'expression est toujours restreinte du fait du contrôle exercé par les autorités sur les services publics de radio et de télévision et des mesures de harcèlement dont certains journalistes font l'objet. Le Comité craint également qu'une interprétation trop stricte des dispositions de la nouvelle loi sur la presse et de la loi sur les partis politiques ainsi que des dispositions concernant les poursuites pour délit de diffamation ne porte atteinte à la jouissance effective des droits énoncés aux articles 19 et 25 du Pacte.


E. Suggestions et recommandations

12. Le Comité recommande à l'Etat partie de poursuivre la révision de la législation envisagée dans la Charte nationale et, au cours de ce processus, d'incorporer toutes les dispositions de fond du Pacte dans le droit interne et de veiller à ce que les restrictions prévues par les lois nationales n'aillent pas au-delà de celles qu'autorise le Pacte.

13. Le Comité espère que le Gouvernement jordanien envisagera de devenir partie au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

14. Le Comité recommande en outre que la Jordanie envisage de prendre des mesures en vue d'abolir la peine de mort, y compris d'adhérer au deuxième Protocole facultatif.

15. Le Comité insiste sur le fait que le gouvernement doit prévenir et réprimer les comportements discriminatoires et les préjugés à l'égard des femmes et assurer l'application effective de l'article 3 du Pacte, en adoptant des mesures d'incitation appropriées pour libérer la société du poids de certaines traditions et coutumes.

16. Le Comité recommande au gouvernement de songer à abolir la Cour de sûreté de l'Etat. Il recommande également que les lieux de détention relevant du Service central des renseignements soient placés sous le strict contrôle des autorités judiciaires; que l'on prenne les mesures requises pour veiller à ce qu'aucun cas de torture, de mauvais traitements et de détention illégale ne se produise et qu'une enquête soit ouverte sur tous les cas de ce type afin de traduire en justice les personnes soupçonnées d'avoir commis de tels actes et de les punir si elles sont reconnues coupables. Il recommande en outre que les mesures d'internement administratif et de détention au secret ne soient appliquées que dans des cas très limités et exceptionnels, et que les garanties en matière de détention provisoire prévues au paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte soient respectées.

17. Le Comité souligne la nécessité de prendre d'autres mesures pour garantir la liberté de religion et éliminer la discrimination fondée sur la religion et suggère à cet égard à l'Etat partie de tenir compte des recommandations qui figurent dans l'observation générale du Comité sur l'article 18 du Pacte.

18. Le Comité met l'accent sur le fait que d'autres mesures devraient être prises pour faire plus largement connaître les dispositions du Pacte. Il invite instamment le gouvernement à établir son quatrième rapport périodique conformément aux directives relatives à l'établissement des rapports des Etats parties, en tenant compte des observations générales adoptées par le Comité. Le quatrième rapport périodique devrait contenir des renseignements détaillés sur la mesure dans laquelle chacun des droits reconnus par le Pacte est exercé dans la pratique et indiquer quels sont les facteurs et les difficultés spécifiques qui pourraient entraver l'application du Pacte. Une large place devrait être également accordée aux mesures prises pour donner suite aux suggestions et recommandations du Comité.

19. Le Comité recommande aux autorités jordaniennes de faire en sorte que le rapport présenté par l'Etat partie et les observations formulées par le Comité soient diffusés le plus largement possible afin d'encourager la participation de tous les secteurs concernés à l'amélioration de la situation des droits de l'homme.



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