University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Haiti, U.N. Doc. A/50/40, paras. 224-241 (1995).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations du Comité des droits de l'homme



Haïti


224. Compte tenu des événements passés et des événements en cours qui affectent en Haïti les droits de l'homme garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et conformément au paragraphe 1 b) de l'article 40 du Pacte, le Comité a demandé au Gouvernement haïtien, le 27 octobre 1994, de présenter au plus tard le 31 janvier 1995 un rapport, éventuellement succinct, décrivant en particulier la mise en oeuvre des articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte pendant la période actuelle, pour examen par le Comité à sa cinquante-troisième session. Suite à cette demande, le Gouvernement haïtien a présenté, le 27 février 1995, un rapport (CCPR/C/105) qui a été examiné par le Comité à ses 1397e et 1398e séances, le 27 mars 1995 (voir CCPR/C/SR.1397 et 1398). Le Comité a adopté à sa 1412e séance (cinquante-troisième session), le 5 avril 1995 les observations ci-après :


1. Introduction

225. Le Comité se félicite de l'esprit de coopération manifesté par le Gouvernement de l'État partie et de sa volonté de nouer avec lui un dialogue constructif sur l'application du Pacte en Haïti, comme en témoignent l'élaboration du rapport spécial et l'envoi d'une délégation de haut niveau pour présenter celui-ci. Le Comité note que, si le rapport contient des informations sur les mesures constitutionnelles et législatives prises en vue de donner effet aux articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte, il ne fournit cependant pas de renseignements sur la pratique concernant les droits de l'homme ni sur les difficultés affectant la mise en oeuvre des dispositions du Pacte dans le pays. Conscient des difficultés que doivent affronter toutes les divisions de l'administration haïtienne depuis le rétablissement du gouvernement légitime, le Comité sait gré à la délégation de s'être efforcée de répondre aux questions posées au cours du dialogue et de remédier ainsi, dans une certaine mesure, aux lacunes du rapport.


2. Facteurs et difficultés ayant une incidence sur l'application du Pacte


226. Le Comité note qu'Haïti commence seulement à émerger d'une longue dictature militaire qui a eu des effets dévastateurs et qui a permis de graves violations des droits de l'homme, notamment des exécutions sommaires, des tortures et autres traitements inhumains et dégradants, ainsi que des arrestations et des détentions arbitraires. Le pays vient à peine d'engager un processus de redressement et d'amorcer la transition vers la démocratie. Le Comité relève encore que, malgré les efforts déployés par le Gouvernement, les comportements politiques et sociaux qui continuent de prévaloir dans le pays ne sont pas propices à la promotion et à la protection des droits de l'homme. La violence et les désordres continuent de désorganiser la société et un grand nombre d'armes continuent d'être détenues par des groupes paramilitaires et par la population en général. Le dysfonctionnement du système judiciaire et des problèmes sociaux et économiques profondément enracinés affectent la mise en oeuvre des dispositions du Pacte.


3. Aspects positifs

227. Le Comité accueille avec satisfaction le rétablissement des autorités légitimes en Haïti et les efforts considérables déployés par le Gouvernement actuel pour garantir le respect des droits de l'homme. Il se félicite en particulier, à cet égard, de la création, par décret présidentiel, d'une Commission nationale de vérité et de justice chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'homme et d'aboutir à la justice pour les victimes de pareilles violations. Il note aussi que la création d'un corps de police civile, séparé de l'armée, constitue un pas important en ce sens. Il se félicite que l'on ait commencé de former des juges et des fonctionnaires de police.

228. Le Comité note avec satisfaction l'adoption d'un certain nombre de lois affectant directement l'établissement et le développement d'institutions et de politiques conçues en vue de la protection des droits de l'homme, comme la loi récente mettant tous les groupes paramilitaires hors la loi, la loi sur les collectivités territoriales, qui supprime l'ancien système autocratique des chefs de section et prévoit l'élection des autorités locales par la population, ainsi que la loi électorale. Le Comité se félicite aussi de l'ouverture du processus qui permettra des élections législatives en juin 1995 et des élections présidentielles en décembre 1995.


4. Principaux sujets de préoccupation

229. Compte tenu des conditions générales qui prévalent en ce moment en Haïti, le Comité n'a pas formulé expressément toutes les préoccupations que lui inspirent les incompatibilités existant entre la législation haïtienne, y compris la Constitution et les dispositions du Pacte.

230. Le Comité se déclare préoccupé par les effets que pourrait avoir la loi d'amnistie, telle qu'elle a été convenue pendant le processus qui a abouti au retour des autorités haïtiennes légitimes. Il craint que l'amnistie, même si elle vise exclusivement les crimes politiques commis dans la foulée du coup d'État ou sous le régime passé, n'entrave les enquêtes concernant des allégations de violations des droits de l'homme, comme des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des disparitions, des tortures et des arrestations arbitraires, des viols et des agressions sexuelles, qui auraient pour auteurs des membres des forces armées et des agents des services nationaux de sécurité. À cet égard, le Comité tient à souligner qu'une amnistie au sens large risque de susciter un climat d'impunité pour les auteurs de violations des droits de l'homme et de saper les efforts déployés pour rétablir le respect des droits de l'homme en Haïti et empêcher que ne se produisent à nouveau les violations massives des droits de l'homme commises dans le passé.

231. Le Comité souligne qu'il importe d'enquêter sur les violations des droits de l'homme, de déterminer les responsabilités individuelles et d'accorder une juste réparation aux victimes, et déplore que la Commission nationale de vérité et de justice ne se soit pas encore mise à l'oeuvre.

232. Le Comité craint que le fait de n'avoir pas dépisté les auteurs de violations des droits de l'homme et de ne les avoir pas exclus des rangs de l'armée, de la police et de la magistrature ne compromette gravement la transition vers la sécurité et la démocratie. Le Comité s'inquiète aussi de ce que des membres des forces armées et des agents des services de sécurité ou de groupes paramilitaires continuent de violer les droits de l'homme. Il note avec une profonde inquiétude que les autorités civiles n'exercent pas un contrôle pleinement efficace sur les militaires. Il constate avec préoccupation que la composition, le commandement et les effectifs des forces armées n'ont pas été définis clairement.

233. Le Comité se déclare préoccupé par les nombreux problèmes affectant le bon fonctionnement du système judiciaire, notamment la durée excessive de la détention provisoire et le surpeuplement des prisons. Il tient à souligner à cet égard que, faute d'un sérieux effort pour réformer le pouvoir judiciaire et rétablir le bon fonctionnement du système judiciaire, les efforts déployés pour renforcer la primauté du droit et promouvoir le respect des droits de l'homme risquent d'être gravement compromis.

234. Les allégations concernant le travail forcé des mineurs, qui est proscrit par l'article 8 du Pacte, inquiètent le Comité.


5. Suggestions et recommandations

235. Eu égard au fait que la loi d'amnistie a été adoptée avant le rétablissement des autorités légitimes, le Comité prie instamment l'État partie d'appliquer cette loi d'une manière qui soit compatible avec le Pacte et d'exclure de son champ d'application les auteurs de violations passées des droits de l'homme.

236. Le Comité souligne que l'État partie est tenu, en vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, de garantir que les victimes de violations passées des droits de l'homme disposeront d'un recours utile et seront indemnisées. Il souhaite vivement que la Commission nationale de vérité et de justice se mette à l'oeuvre dès que possible et que d'autres mécanismes soient mis en place pour enquêter sur les violations des droits de l'homme commises par des membres de la police, des forces armées et autres services de sécurité, ainsi que du pouvoir judiciaire, de manière à garantir que des personnes impliquées de près dans de telles violations ne soient pas affectées à ces emplois.

237. Le Comité recommande, afin que la sécurité de la population soit garantie, de suivre clairement une politique visant à désarmer les groupes paramilitaires et de prendre des mesures efficaces pour réduire le nombre d'armes détenues par la population.

238. Le Comité recommande d'entreprendre une réforme en profondeur du pouvoir judiciaire à l'effet de créer une magistrature indépendante et impartiale qui préservera les droits de l'homme et fera respecter la primauté du droit.

239. Le Comité recommande avec force à l'État partie de confirmer son intention de signer les protocoles facultatifs se rapportant au Pacte en déposant les instruments requis de ratification ou d'adhésion auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. En adhérant au premier Protocole facultatif, le Gouvernement haïtien affirmerait son engagement en ce qui concerne les communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation des droits de l'homme et contribuerait à protéger les droits de l'homme des particuliers dans la période difficile que le pays connaît.

240. Le Comité exige que le respect des droits de l'homme soit reconnu comme faisant partie intégrante du processus de réconciliation et de reconstruction nationales. À cette fin, il recommande d'incorporer toutes les dispositions du Pacte dans la législation nationale; il recommande au Gouvernement et au parlement de créer, en tant que mesure de confiance, des institutions spéciales, ouvertes aux particuliers, chargées de veiller à la mise en oeuvre des droits de l'homme dans la vie courante; il recommande de dispenser une formation approfondie dans le domaine des droits de l'homme aux juges, aux membres de la police et aux militaires; il recommande enfin de veiller à ce qu'une éducation dans le domaine des droits de l'homme soit assurée à tous les niveaux de l'enseignement.

241. Le Comité prie instamment l'État partie de faire connaître les mesures qu'il aura prises comme suite aux suggestions et recommandations qui précèdent, en même temps qu'il présentera son rapport initial, qui aurait dû être communiqué au plus tard le 6 juillet 1992, et que le Comité s'attend à recevoir avant le 1er avril 1996.

 

 



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