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Observations finales du Comité des droits de l'homme, France, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.80 (1997).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l'homme

France


1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la France (CCPR/C/76/Add.7) lors de ses 1597ème, 1598ème, 1599ème et 1600ème séances, les 21 et 22 juillet 1997, et il a par la suite adopté à sa 1613ème séance (soixantième session), le 31 juillet 1997, les observations suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité exprime sa satisfaction à l'Etat partie pour son rapport minutieux et approfondi, établi compte tenu des directives du Comité, et pour la volonté qu'il a manifestée d'avoir avec le Comité un dialogue constructif, par l'intermédiaire d'une délégation hautement qualifiée. Le Comité regrette, toutefois, que ce troisième rapport périodique, qui était attendu pour 1992, ait été présenté avec un retard considérable, de sorte qu'il n'a pas eu, pendant près de 10 ans, l'occasion de renouer son dialogue avec la France. Le Comité exprime sa satisfaction du fait que les renseignements fournis dans le rapport, et ceux qui lui ont été présentés oralement par la délégation française, à la fois en réponse aux questions écrites et à celles qui ont été formulées verbalement, lui ont permis de se faire une juste idée de l'accomplissement effectif des obligations contractées par la France en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité apprécie la somme considérable de renseignements que le Gouvernement a fournis par écrit, après le débat, en réponse à des questions qui avaient été posées par des membres du Comité.


B. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre du Pacte

3. Le Comité estime que les réserves et déclarations faites par la France lors de la ratification du Pacte, et le fait qu'en conséquence il n'a pas été rendu compte de nombreuses questions liées à ces réserves et déclarations, ce qui peut affecter directement ou indirectement la jouissance des droits énoncés dans le Pacte, rendent difficile d'apprécier pleinement et complètement la situation en France du point de vue des droits de l'homme.


C. Aspects positifs

4. Le Comité note avec satisfaction la création et le fonctionnement de la Commission consultative des droits de l'homme, qui comporte la participation d'organisations non gouvernementales et fait office d'organe consultatif indépendant.

5. Le Comité accueille avec satisfaction les mesures récemment prises par la France pour favoriser la parité entre hommes et femmes dans le contexte de l'article 3 du Pacte. Il note également l'adoption de la loi du 22 novembre 1992, qui vise à prévenir et réprimer le harcèlement sexuel imputable aux employeurs. Le Comité se félicite de l'augmentation rapide de la proportion des femmes dans les emplois de la fonction publique.

6. Le Comité se réjouit de l'annonce faite par la délégation française, pendant l'examen du rapport, selon laquelle la pratique de l'expulsion de groupes d'immigrants sans papiers dans des avions affrétés devant les ramener dans leur pays, pratique qui a certaines caractéristiques d'une expulsion collective, a cessé depuis le 1er juin 1997.

7. Le Comité note que l'article 55 de la Constitution française prévoit l'applicabilité directe du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et prévoit aussi la primauté du Pacte par rapport au droit interne. Il se félicite de l'élargissement de l'application de ce principe aux juridictions administratives en vertu de la décision du Conseil d'Etat datée du 20 octobre 1989.

8. Le Comité note avec satisfaction qu'un référendum conforme aux dispositions de l'article premier du Pacte est prévu dans le territoire d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie pour 1998 afin que le peuple de ce territoire décide de son statut politique ultérieur.

9. Le Comité prend note de la création d'un Comité de liaison dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour l'éducation dans le domaine des droits de l'homme.


D. Sujets de préoccupation; recommandations du Comité

10. Le Comité est préoccupé de ce qu'il n'existe en France aucun mécanisme spécifique pour s'assurer qu'il est donné suite aux constatations formulées par lui au sujet de communications envoyées par des particuliers en vertu du Protocole facultatif. En conséquence :

11. Le Comité est préoccupé par le fait que, dans certains territoires d'outre-mer, tels que Mayotte et la Nouvelle-Calédonie, le statut personnel est déterminé par le droit religieux ou coutumier, ce qui, dans certaines situations, pourrait favoriser des attitudes et des décisions discriminatoires, en particulier à l'encontre des femmes. En conséquence :

12. Le Comité est préoccupé du malaise qui règne dans la magistrature et la profession juridique au sujet de l'indépendance du pouvoir judiciaire et des procureurs. A cet égard, il accueille avec satisfaction les renseignements fournis par la délégation française selon lesquels une commission a récemment rédigé un rapport et formulé des recommandations sur cette question.

13. Le Comité se voit contraint de faire observer que les lois d'amnistie de novembre 1988 et janvier 1990 relatives à la Nouvelle-Calédonie sont incompatibles avec l'obligation qu'a la France d'enquêter sur les violations présumées des droits de l'homme.

14. Tout en reconnaissant les efforts entrepris et les succès obtenus par l'Etat partie, au cours de la période considérée, dans la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes, le Comité est préoccupé par la faible proportion de femmes qui sont nommées à des postes de responsabilité dans l'administration publique, à la fois locale et centrale. En conséquence :

15. Le Comité est préoccupé par les procédures en vigueur pour les enquêtes sur les violations des droits de l'homme commises par la police. Il est également préoccupé par le fait que les procureurs s'abstiennent d'appliquer la loi pour ce qui est d'enquêter sur les violations des droits de l'homme dans les cas où des agents de la force publique sont concernés, ou qu'ils hésitent à le faire, et il est préoccupé aussi par l'existence de délais et de procédures anormalement longues lorsqu'il s'agit d'enquêter et de poursuivre des violations présumées des droits de l'homme mettant en cause des agents de la force publique. En conséquence :

16. Le Comité est sérieusement préoccupé par le nombre et la gravité des allégations parvenues jusqu'à lui en ce qui concerne les mauvais traitements infligés par des agents de la force publique à des détenus et à d'autres personnes auxquelles ils se heurtent, y compris l'emploi inutile d'armes à feu, qui a provoqué un certain nombre de décès, le risque de ces mauvais traitements étant beaucoup plus grand dans le cas des étrangers et des immigrés. D'autre part, semble-t-il, le nombre des suicides a augmenté dans les centres de détention, ce qui ne laisse pas d'être préoccupant. Le Comité exprime aussi sa préoccupation devant le fait que, dans la plupart des cas, l'administration interne de la police et de la gendarmerie nationale ne fait que peu ou pas d'enquêtes sur les plaintes concernant les mauvais traitements susmentionnés, ce qui aboutit pratiquement à l'impunité. Il est préoccupé par le fait qu'il n'existe aucun mécanisme indépendant chargé de recevoir les plaintes des détenus formulées à titre individuel. En conséquence :

17. Le Comité est préoccupé par le recours fréquent à la détention provisoire et par la durée de celle-ci. C'est pour lui un motif particulier de préoccupation que la durée de la détention provisoire soit si élevée dans le cas des mineurs. Cela constituerait une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et des paragraphes 2 et 3 c) de l'article 14 du Pacte. Le Comité est également préoccupé de ce que le droit à un conseil juridique ne soit pas reconnu aux mineurs dans le cadre de certaines procédures. En conséquence :

18. Le Comité est préoccupé de ce que, lorsque la gendarmerie nationale, qui est essentiellement une formation militaire, intervient pour maintenir l'ordre civil, ses pouvoirs soient plus larges que ceux de la police. En conséquence :

19. Le Comité est préoccupé par le fait que, pour exercer le droit d'objection de conscience à l'égard du service militaire, qui fait partie de la liberté de conscience au regard de l'article 18 du Pacte, la demande doit être faite avant l'incorporation du conscrit, et le fait que ce droit ne peut être exercé par la suite. De plus, le Comité note que la durée du service de remplacement est deux fois plus grande que celle du service militaire et que cela peut soulever des questions de compatibilité avec l'article 18 du Pacte.

20. Le Comité est préoccupé de ce que le traitement dont les demandeurs d'asile font l'objet de la part de l'Etat partie ne semble pas conforme aux dispositions du Pacte. Il est, de plus, préoccupé par les cas signalés de requérants d'asile qui ne sont pas autorisés à débarquer dans les ports maritimes français, sans que cependant l'occasion leur soit donnée de faire valoir individuellement leurs titres; ces pratiques soulèvent des questions de compatibilité avec le paragraphe 2 de l'article 12 du Pacte. Toutefois, le Comité se réjouit du fait que la France envisage l'abolition desdites pratiques.

21. Le Comité est particulièrement préoccupé par la définition restrictive de la notion de "persécutions" qui est retenue en ce qui concerne les réfugiés par les autorités françaises, car elle ne tient pas compte des persécutions éventuellement exercées par des auteurs autres qu'un Etat. En conséquence :

22. Le Comité est préoccupé par le fait que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne se voit pas reconnaître en propre le droit d'accéder aux différents lieux dans lesquels sont retenues les personnes qui demandent l'asile ou sont en attente d'expulsion. En conséquence :

23. Le Comité est préoccupé du maintien en vigueur des lois antiterroristes du 2 septembre 1986 et du 16 décembre 1992, qui prévoient un tribunal centralisé et des procureurs dotés de pouvoirs spéciaux en matière d'arrestation, de perquisition et de garde à vue prolongée à quatre jours (le double de la durée normale), et en vertu desquelles l'accusé n'a pas, en ce qui concerne la détermination de la culpabilité, les mêmes droits que dans le cadre des tribunaux ordinaires. Le Comité est, de plus, préoccupé du fait que l'accusé n'a nullement le droit de prendre contact avec un avocat au cours des premières 72 heures de la garde à vue. Il exprime sa préoccupation devant le fait qu'aucun appel n'est prévu contre les décisions de la juridiction en question. Il regrette que l'Etat partie n'ait pas fourni de renseignements permettant de savoir quelle est l'autorité qui, dans la pratique, décide qu'une affaire relèvera du droit pénal ordinaire ou des lois antiterroristes, et quel rôle joue la police dans cette décision. Le Comité possède maintenant des renseignements sur les statistiques relatives aux affaires jugées en vertu des lois antiterroristes qui sont parvenues à leur terme, mais il est informé de ce que plusieurs centaines de personnes sont actuellement détenues, poursuivies et jugées pour avoir commis des actes de terrorisme ou des actes de caractère pénal qui s'y rattachent. En conséquence, dans ces conditions, :

24. Le Comité prend note de la déclaration faite par la France en ce qui concerne l'interdiction, énoncée à l'article 27 du Pacte, de priver les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. Il a pris note des déclarations par lesquelles la France s'est engagée à respecter l'égalité de droits de tous les individus et faire en sorte que ceux-ci jouissent effectivement de ces droits égaux, sans distinction d'origine. Toutefois, il ne peut faire sienne l'affirmation selon laquelle la France est un pays où il n'y a pas de minorités ethniques, religieuses ou linguistiques. Il voudrait rappeler à cet égard que le simple fait que des droits égaux sont accordés à tous les individus et que tous les individus sont égaux devant la loi n'exclut pas qu'il existe en fait des minorités dans un pays, et n'exclut pas le droit qu'elles ont d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.

25. Le Comité est préoccupé de ce que le Code civil institue, en ce qui concerne le mariage, un âge minimum différent pour les filles (15 ans) et pour les garçons (18 ans), et de ce qu'il institue un âge aussi bas pour les filles. Autre objection : le fait que selon ce que dispose le Code civil, seul le père peut déclarer la naissance de son enfant. De plus, le Comité est préoccupé par le fait que, dans certaines situations, les enfants nés hors mariage peuvent ne pas voir pleinement reconnu leur droit à l'héritage. En conséquence :

26. Le Comité est préoccupé de l'absence de mécanisme indépendant de protection et d'application en ce qui concerne le respect des droits de l'homme, tel qu'une commission nationale des droits de l'homme. En conséquence :

27. Le Comité recommande à l'Etat partie de présenter son prochain rapport en temps voulu, et il recommande que ce rapport comprenne une appréciation détaillée du degré d'application des dispositions du Pacte, y compris et en particulier des articles 9 et 14, ainsi que des détails sur les droits culturels, religieux et linguistiques des groupes ethniques et des habitants des territoires d'outre-mer. Il serait heureux que la France reconsidère ses réserves et déclarations relatives au Pacte.

28. Le Comité, appelant l'attention du Gouvernement français sur les dispositions de l'alinéa a) du paragraphe 6 des directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques présentés par les Etats parties, demande que, dans le prochain rapport périodique, attendu pour le 31 décembre 2000, figure une documentation qui réponde à toutes les questions soulevées dans les présentes observations finales. Le Comité, de plus, demande que ces observations finales soient largement diffusées auprès de l'ensemble du public dans toutes les parties du pays.

 



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