University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Estonia, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.59 (1995).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-cinquième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE
Observations du Comité des droits de l'homme

ESTONIE

1. Le Comité a examiné le rapport initial de l'Estonie (CCPR/C/81/Add.5 et HRI/CORE/1/Add.50) à ses 1455ème et 1459ème séances, tenues les 23 et 25 octobre 1995 (voir CCPR/C/SR.1455 et 1459), et a adopté à sa 1471ème séance (cinquante-cinquième session), tenue le 2 novembre 1995 les observations ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l'Estonie et se félicite du dialogue franc et constructif engagé avec la délégation. Il regrette toutefois que, bien que le rapport fournisse des renseignements détaillés sur les principales dispositions législatives en vigueur dans le domaine des droits de l'homme, il ne dise rien des modalités d'application du Pacte dans la pratique. Les informations et les réponses apportées oralement par la délégation aux questions posées par les membres du Comité ont comblé en partie ces lacunes et permis au Comité de se faire une image plus claire de la situation des droits de l'homme dans le pays.


B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

3. Le Comité note qu'il est nécessaire de surmonter les vestiges du totalitarisme et qu'il reste beaucoup à faire pour renforcer les institutions démocratiques et le respect de la primauté du droit. Il regrette que les lacunes de certaines des lois en vigueur aient entravé les efforts déployés par le gouvernement pour restructurer le système juridique et assurer une meilleure application du Pacte et que plusieurs des principes énoncés dans la Constitution de 1992 n'aient pas encore été mis en application par le biais des mesures législatives voulues.

4. Le Comité note qu'à l'époque où elle a recouvré son indépendance, l'Estonie comptait une proportion non négligeable de résidents permanents appartenant à des minorités. La politique du gouvernement en matière de naturalisation et de citoyenneté a soulevé un certain nombre de difficultés qui entravent l'application du Pacte.


C. Aspects positifs

5. Le Comité exprime sa satisfaction face aux transformations fondamentales et positives qui se sont produites en Estonie, qui offrent un meilleur cadre politique, constitutionnel et législatif à la mise en oeuvre des droits consacrés par le Pacte.

6. Le fait que l'Estonie, peu après le rétablissement de son indépendance, ait adhéré au Pacte et à d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme confirme l'engagement authentique que prend l'Etat partie de garantir les droits de l'homme fondamentaux de tous les individus relevant de sa juridiction. Le fait que l'Estonie ait reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers au titre du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte est d'une importance toute particulière pour l'application effective de ce dernier.

7. Le Comité se félicite de ce que le nouveau code pénal en cours d'élaboration ne prévoit pas la peine capitale et se réjouit de l'intention de l'Estonie d'adhérer au deuxième Protocole facultatif dans un proche avenir.

8. Le Comité se félicite de l'adoption par référendum d'une nouvelle Constitution dont les articles 3 et 123 prévoient que les normes et principes de droit international universellement reconnus ainsi que les instruments relatifs aux droits de l'homme, dont le Pacte, seront incorporés dans l'ordre juridique interne et, après ratification, primeront les dispositions de droit interne qui pourraient être incompatibles avec eux.

9. L'adoption d'une nouvelle loi sur les tribunaux ainsi que la réforme de la "procurature" représentent un progrès sur la voie de l'indépendance et de l'impartialité de la justice.


D. Principaux sujets de préoccupation

10. Le Comité est préoccupé par l'absence de dispositions législatives tendant à faire appliquer les articles 3 et 123 de la Constitution, qui nuit à la primauté effective du Pacte sur tout acte législatif qui serait incompatible avec lui. Le Comité ne voit toujours pas clairement non plus si la nullité d'une disposition de droit interne qui serait en contradiction avec le Pacte peut être reconnue.

11. Le Comité note avec préoccupation qu'aucune mesure législative n'a encore été prise en ce qui concerne le droit à indemnisation des citoyens dont les droits ont été violés par l'Etat ou par le comportement illicite d'agents de l'Etat.

12. Le Comité se déclare inquiet devant le nombre non négligeable de personnes, en particulier de membres de la minorité de langue russe, qui ne peuvent jouir de la nationalité estonienne en raison de la multitude de critères établis par la loi et de la sévérité du critère linguistique, et l'absence de voie de recours prévue dans la loi relative à la citoyenneté contre une décision administrative rejetant une demande de naturalisation.

13. Notant que les nombreux droits et prérogatives, tels que le droit de participer au processus de privatisation des terres et le droit d'occuper certains postes ou de pratiquer certains métiers, ne sont accordés qu'aux citoyens estoniens, le Comité craint que des résidents permanents qui ne sont pas citoyens soient ainsi privés d'un certain nombre de droits que leur reconnaît le Pacte.

14. Le Comité est préoccupé par le fait que les conditions exigées pour être nommé à un poste quelconque au sein d'un organisme public local ou national, en particulier l'exclusion automatique de personnes qui ne sont pas en mesure de s'acquitter de l'obligation de prêter un serment écrit sur l'honneur concernant leurs activités antérieures (sous le régime précédent), risquent de donner lieu à des restrictions déraisonnables du droit d'accès à la fonction publique sans discrimination.

15. En ce qui concerne l'article 3 du Pacte, le Comité regrette d'avoir reçu peu d'informations au sujet de la situation de fait des femmes en Estonie.

16. S'agissant de l'article 4 du Pacte, le Comité note que, bien qu'il existe dans la Constitution des dispositions concernant l'imposition d'un état d'exception, aucune loi n'a encore été adoptée pour répondre aux exigences du Pacte.

17. Le Comité est préoccupé par le fait que la peine de mort peut être encore imposée en Estonie pour des faits qui ne peuvent être qualifiés de crimes les plus graves selon l'article 6 du Pacte. Qui plus est, le Comité note avec préoccupation que, malgré l'élaboration d'un nouveau code pénal qui abolira la peine capitale, des amendements apportés dernièrement au Code pénal en vigueur ont ajouté deux autres crimes à la liste de ceux passibles de la peine de mort.

18. Le Comité note que la définition de la torture donnée à l'article 114 du Code pénal se limite à l'emploi de la force physique et n'embrasse pas la torture mentale et l'emploi de la contrainte.

19. Le Comité se déclare inquiet devant les cas d'emploi excessif de la force par les agents de la force publique ainsi que le mauvais traitement des détenus. Il juge particulièrement inquiétant que des sanctions comme le régime cellulaire puissent être imposées aux mineurs en détention. Il note que les forces de l'ordre ne pourront fonctionner de façon satisfaisante qu'après recrutement d'un nombre suffisant de policiers et d'agents pénitentiaires ayant reçu la formation voulue.

20. Le Comité est profondément préoccupé par le fait, confirmé par l'Etat partie dans son rapport, que "les établissements pénitentiaires sont surpeuplés" et que "de nombreux détenus vivent dans des conditions insalubres". Il regrette aussi de ne pas avoir reçu de renseignements suffisants qui lui auraient permis d'apprécier dans quelle mesure l'Etat partie se trouve en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Il note par ailleurs avec inquiétude qu'il n'a pas reçu d'informations concernant la séparation des prévenus d'avec les condamnés, comme l'exige le paragraphe 2 a) de l'article 10 du Pacte.

21. Le Comité constate avec inquiétude que faute de lois et de procédures nationales régissant le traitement et la détermination du statut des demandeurs d'asile, le gouvernement a eu trop souvent recours à des mesures privatives de liberté.

22. Le Comité se déclare préoccupé par les limites imposées à l'exercice de la liberté d'association en ce qui concerne les résidents permanents à long terme en Estonie, en particulier dans le domaine politique.

23. Le Comité est profondément préoccupé par la définition donnée des minorités dans la législation estonienne, qui s'entend uniquement des minorités nationales et restreint ainsi le champ d'application de la loi relative à l'autonomie culturelle, en empêchant les résidents permanents de participer pleinement aux activités des groupes minoritaires.


E. Suggestions et recommandations

24. Le Comité recommande que toutes les mesures nécessaires soient adoptées pour abroger toutes les dispositions internes incompatibles avec le Pacte et que les lois adoptées respectent pleinement les dispositions du Pacte. En ce qui concerne l'application effective du Pacte, le Comité prie l'Etat partie de signaler dans son deuxième rapport périodique tout cas où le Pacte a été directement invoqué devant les tribunaux, ainsi que les résultats qui en ont découlé.

25. Le Comité recommande que l'Etat partie examine les procédures mises en place pour assurer la prise en compte des constatations et recommandations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, et inclue des informations à ce sujet dans son prochain rapport périodique, en gardant aussi à l'esprit les obligations découlant de l'article 2 du Pacte.

26. S'agissant de l'article 2 du Pacte, le Comité recommande de passer systématiquement en revue et d'aligner sur les articles 2 et 26 du Pacte, toutes les dispositions de droit interne de caractère discriminatoire à l'encontre des non-citoyens.

27. Le Comité recommande à l'Etat partie de revoir la loi relative à l'application de la Constitution au regard de l'obligation de prêter serment sur l'honneur, afin d'aligner la loi sur les dispositions de lutte contre la discrimination et l'article 25 du Pacte et de prévoir le droit à une voie de recours utile contre une décision de ne pas nommer ou de licencier une personne qui refuserait de prêter ce serment.

28. Le Comité recommande que des lois soient adoptées pour permettre aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés d'être dûment indemnisées conformément à la législation interne.

29. Le Comité recommande que des informations soient fournies dans le deuxième rapport périodique sur la situation des femmes et, de façon plus générale, que les mesures nécessaires soient prises pour inclure des programmes appropriés dans l'enseignement de type scolaire et non scolaire en vue d'assurer l'égalité entre les sexes.

30. Le Comité invite instamment l'Etat partie à adopter des mesures législatives conformes aux dispositions de l'article 4 du Pacte.

31. Le Comité invite instamment le gouvernement à réduire sensiblement le nombre de crimes passibles de la peine capitale, conformément à l'article 6 du Pacte, en attendant l'adoption du nouveau code pénal qui abolira la peine capitale.

32. En ce qui concerne l'article 7 du Pacte, le Comité recommande vivement à l'Etat partie de modifier l'article 114 du Code pénal pour tenir compte de la portée plus large de la notion de torture qui ressort du Pacte, et appelle l'attention des autorités sur son Observation générale No 20 (44).

33. Le Comité invite instamment l'Etat partie à faire immédiatement le nécessaire afin d'assurer que toutes les personnes privées de leur liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l'être humain, conformément aux articles 7 et 10 du Pacte.

34. Le Comité souligne la nécessité d'un contrôle efficace de l'Etat sur la police et le personnel pénitentiaire. Il recommande l'adoption de programmes intensifs de formation et d'enseignement dans le domaine des droits de l'homme à l'intention des agents des forces de l'ordre et du personnel pénitentiaire de façon à ce qu'ils respectent le Pacte et les autres instruments internationaux.

35. Le Comité recommande que le Gouvernement estonien se dote d'une législation nationale régissant le traitement des demandeurs d'asile qui soit conforme au Pacte. A cet égard, le Comité recommande, en outre, que le Gouvernement estonien demande l'assistance des organisations internationales compétentes, notamment du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et envisage d'adhérer à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et au Protocole de 1967.

36. Pour ce qui est des droits des minorités, le Comité recommande vivement à l'Etat partie de modifier la législation nationale de façon à étendre le champ d'application de la loi relative à l'autonomie culturelle à toutes les minorités visées à l'article 27 du Pacte, et appelle l'attention des autorités sur son Observation générale No 23 (50).

37. Le Comité recommande que le Pacte, le Protocole facultatif et les observations du Comité soient largement diffusés en Estonie. Le Comité recommande en outre qu'une éducation en matière de droits de l'homme soit assurée dans les établissements d'enseignement à tous les niveaux, et qu'une formation très complète aux droits de l'homme soit donnée à tous les secteurs de la population, y compris aux agents des forces de l'ordre et à toutes autres personnes intervenant dans l'administration de la justice. A cet égard, le Comité suggère que l'Etat partie ait recours aux services de coopération technique du Centre pour les droits de l'homme.

 

 



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