University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Cyprus, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.39 (1994).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante et unième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE


Observations du Comité des droits de l'homme


Chypre

1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de Chypre (CCPR/C/32/Add.18) à ses 1333ème à 1335ème séances, les 13 et 14 juillet 1994 (CCPR/C/SR.1333 à 1335), et adopté à sa 1354ème séance, le 27 juillet 1994 les observations suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité saisit cette occasion de reprendre son dialogue avec le Gouvernement chypriote tout en regrettant que ce soit au terme d'une période de 16 ans pendant laquelle aucun rapport n'a été présenté. Il se déclare satisfait des renseignements utiles sur l'application du Pacte qui figurent dans le deuxième rapport périodique et dans les annexes, ainsi que dans le document de base (HRI/CORE/1/Add.28). Il est reconnaissant à la délégation de haut niveau qui a présenté le rapport et qui a fourni au Comité une masse de renseignements supplémentaires détaillés et à jour, en réponse aux questions posées par ses membres.


B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

3. Le Comité note que l'Etat partie, à la suite d'événements survenus en 1974 qui ont abouti à l'occupation d'une partie du territoire chypriote, n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur l'ensemble de son territoire et, en conséquence, ne peut pas assurer l'application du Pacte dans les zones qui ne sont pas sous sa juridiction. Le Comité note également qu'à la suite des mêmes événements un certain nombre de citoyens sont toujours portés disparus, ce qui a empêché l'Etat partie de fournir des renseignements sur la protection de leurs droits. Le Comité note encore que la division persistante du pays a compromis les efforts faits pour réduire les tensions entre les diverses communautés ethniques et religieuses qui constituent la population.


C. Aspects positifs

4. Le Comité note que Chypre a des dispositions constitutionnelles et des institutions démocratiques qui assurent le respect fondamental de la légalité et la protection des droits, et qu'il y a des organisations non gouvernementales actives dans le domaine de la promotion des droits de l'homme. Il se réjouit de la réforme législative générale qui a été entreprise et concerne un certain nombre de domaines qui relèvent du Pacte. En particulier, le Comité prend note des lois nouvelles ou envisagées concernant les procédures d'arrestation et de détention, l'incitation à la haine raciale ou religieuse, la déportation d'étrangers, la législation électorale, les données à caractère personnel, la violence contre les femmes et le droit de la famille, et la création de tribunaux familiaux. Il prend également note de la commission d'enquête sur les allégations et les plaintes contre la police et du projet de loi à l'examen pour modifier la loi relative au Commissaire de l'administration (ombudsman) (Law for the Commissioner for Administration) afin d'inclure les plaintes pour mauvais traitements dans ses fonctions. Le Comité prend encore note que le Commissaire (Law Commissioner) est tenu de rédiger des rapports en application du Pacte et de prendre des mesures appropriées lorsqu'il est nécessaire d'aligner les dispositions du droit interne sur le Pacte.


D. Principaux sujets de préoccupation

5. Le Comité est préoccupé de noter que, si le Pacte prévaut sur le droit interne en vertu de la Constitution et peut être invoqué devant les tribunaux, des incertitudes demeurent quant aux dispositions du Pacte qui sont d'application automatique et à celles qui peuvent exiger une législation spécifique.

6. En ce qui concerne le droit à la vie, le Comité est préoccupé par le fait que l'article 7 de la Constitution prévoit de très larges exceptions à ce droit et que les instructions actuelles régissant l'emploi de la force laissent une grande discrétion à la police. Le Comité est également préoccupé de ce que la législation interne permet l'application de la peine de mort aux personnes de plus de 16 ans, contrairement aux dispositions du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte. Il note cependant que la peine de mort n'est pas appliquée dans la pratique.

7. Le Comité est préoccupé par des cas signalés de tortures ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à des personnes détenues par la police, et par le fait qu'aucun des coupables n'a été condamné ni puni. A cet égard, il note avec préoccupation la longueur de la détention provisoire à Chypre, durant laquelle les détenus peuvent être vulnérables à des abus éventuels de la police. Le Comité est également préoccupé par le fait que les agents de police ou d'autres responsables de l'application des lois ne reçoivent pas une éducation et une formation adéquates au sujet des dispositions du Pacte concernant les procédures d'arrestation et de détention.

8. Le Comité est préoccupé de ce que, selon la législation actuelle, une peine de prison peut être imposée pour le non-paiement d'une dette civile dans certaines circonstances, en violation de l'article 11 du Pacte.

9. Tout en notant que certains progrès ont été réalisés dans la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes, le Comité est préoccupé par la persistance de certaines attitudes et pratiques patriarcales qui empêchent les femmes de jouir pleinement de leurs droits sur un pied d'égalité.

10. Le Comité est préoccupé par le traitement inéquitable des objecteurs de conscience à Chypre, qui sont soumis à un service de remplacement, d'une durée excessive de 42 mois, ce qui n'est pas compatible avec les dispositions des articles 18 et 26 du Pacte, et par le fait que les personnes qui n'accomplissent pas de service militaire sont passibles de sanctions répétées.

11. Le Comité est préoccupé par les restrictions imposées à la presse, particulièrement en ce qui concerne l'intention séditieuse telle qu'elle est définie à l'article 47 du Code pénal. Il note que la liberté de critiquer les autorités et de contester les politiques du gouvernement est un élément normal et essentiel du fonctionnement d'une démocratie.

12. Le Comité craint que la loi de 1958 régissant les réunions légales, qui exige des autorisations pour des réunions publiques, ne soit pas en harmonie avec l'article 21 du Pacte. A cet égard, il souligne que les restrictions à la liberté de réunion doivent être limitées à celles qui sont nécessaires selon le Pacte.

13. Le Comité est préoccupé par le fait que dans un certain nombre de domaines clés les enfants ne sont pas suffisamment protégés aux termes de la législation existante. En particulier, il est préoccupé par le fait que l'âge du mariage est défini comme le début de la puberté, que la responsabilité pénale commence à l'âge de sept ans, et que les personnes de 16 à 18 ans ne sont pas considérées comme des délinquants mineurs et sont passibles de sanctions pénales.

14. A propos de l'article 25 du Pacte, le Comité est préoccupé par le fait qu'en raison des événements mentionnés au paragraphe 3, des élections prévues par la Constitution de 1960 n'ont pas pu avoir lieu depuis 1974 pour pourvoir les postes gouvernementaux attribués aux représentants de la communauté chypriote turque. Etant donné la persistance de ces circonstances, les citoyens chypriotes d'origine turque ne peuvent pas exercer effectivement leur droit de vote et leur droit d'être candidat à un mandat électif comme cela est garanti par le Pacte.

15. Le Comité est préoccupé par la diffusion insuffisante du Pacte et la publicité insuffisante accordée à la rédaction et à la présentation des rapports en application du Pacte. A cet égard, le fait qu'il n'y a pas eu d'affaires dans lesquelles les dispositions du Pacte ont été invoquées devant les tribunaux, ainsi que l'absence de communications présentées en vertu du premier Protocole facultatif, semblent indiquer que les juges ou les membres du barreau ne connaissent pas bien le Pacte et le Protocole facultatif.


E. Suggestions et recommandations

16. Le Comité recommande que les réformes législatives en cours soient élargies et intensifiées pour assurer que toute la législation pertinente, y compris le Code pénal et les procédures administratives, soient en conformité avec les exigences du Pacte. Pour élargir cette révision, le Comité recommande que ses observations générales guident l'application du Pacte. A cet égard, il suggère que le Code pénal fasse expressément mention de la présomption d'innocence. En outre, la législation pertinente concernant l'emprisonnement pour dettes et les restrictions à la liberté d'expression et à la liberté de réunion devrait être amendée en conformité avec les exigences du Pacte.

17. Le Comité recommande que le Gouvernement chypriote envisage de devenir partie au deuxième Protocole facultatif aussitôt que possible.

18. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour assurer des enquêtes sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements de détenus et des poursuites et des sanctions contre toutes les personnes coupables de tels actes. La durée de la détention provisoire devrait être sensiblement abrégée en accord avec le Pacte et une formation adéquate devrait être dispensée à tous les responsables de l'application des lois pour promouvoir le respect de la protection apportée par le Pacte. Les instructions concernant l'emploi de la force par la police devraient être mises à jour pour être rendues conformes aux dispositions du Pacte et des Principes de base relatifs au recours à la force et à l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois.

19. Le Comité recommande que la législation applicable aux objecteurs de conscience soit amendée pour assurer qu'ils soient traités équitablement devant la loi, réduire la durée excessive du service national de remplacement et restreindre les possibilités de sanctions répétées.

20. En ce qui concerne l'égalité et les droits des femmes, le Comité recommande que des mesures palliatives soient prises pour assurer leur participation au processus politique, et que la nouvelle législation concernant la violence au foyer soit suivie de près pour assurer son application effective.

21. En ce qui concerne l'article 24 du Pacte, le Comité recommande que les lois existantes concernant la protection des enfants soient révisées et amendées comme cela est nécessaire en conformité avec les exigences du Pacte. En particulier, l'âge minimum du mariage, de la responsabilité pénale, des sanctions pénales et de l'imposition de la peine de mort devrait être modifié en conformité avec les normes internationales actuelles et l'esprit du paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte.

22. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour assurer une meilleure sensibilisation du public aux dispositions du Pacte et du Protocole facultatif, et que les juristes ainsi que les autorités judiciaires et administratives disposent des renseignements détaillés sur ces instruments pour assurer leur application effective. Le Comité recommande également qu'une publicité suffisante soit donnée au deuxième rapport périodique et à son examen par le Comité, y compris les présentes observations, afin de stimuler un intérêt accru pour le Pacte à Chypre.




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