University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Argentina, U.N. Doc. A/50/40, paras. 144-165 (1995).


 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations du Comité des droits de l'homme



Argentine



144. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de l'Argentine (CCPR/C/75/Add.1) de sa 1389e à sa 1391e séance, les 21 et 22 mars 1995 (voir CCPR/C/SR.1389 à 1391), et il a adopté à sa 1411e séance (cinquante-troisième session), le 5 avril 1995 les observations ci-après :


1. Introduction

145. Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique présenté par l'État partie et se félicite de l'esprit constructif et franc dans lequel s'est engagé le dialogue. Il se félicite en particulier des réponses détaillées que lui a données la délégation de haut niveau représentant l'État partie. Le Comité regrette toutefois que le rapport ne fournisse pas de renseignements suffisants sur les facteurs et difficultés qui entravent l'application effective du Pacte. Le Comité note que ces lacunes ont été en partie compensées par une mise à jour orale du rapport, ainsi que par les réponses données à la liste de questions et autres points soulevés par le Comité au cours de l'examen du rapport de l'État partie.


2. Facteurs et difficultés ayant une incidence sur L'application du Pacte

146. Le Comité note que les compromis consentis par l'État partie touchant son passé autoritaire, en particulier la "loi sur l'obéissance" et la loi du "Punto Final", ainsi que les grâces présidentielles accordées aux plus hautes autorités militaires, ne sont pas compatibles avec les dispositions du Pacte.


3. Aspects positifs

147. Le Comité note avec satisfaction les progrès enregistrés par l'Argentine sur la voie de la démocratisation ainsi que les mesures prises pour rendre la législation relative aux droits de l'homme conforme aux normes internationales. S'il reste beaucoup à faire dans ce domaine, les nouvelles dispositions législatives adoptées depuis 1983 montrent que l'Argentine s'emploie résolument à assurer la protection des droits de l'homme au plus haut niveau. À cet égard, le Comité se félicite des modifications apportées à la Constitution en août 1994, qui assurent la primauté de plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, dont le Pacte et le Protocole facultatif sur la législation nationale et leur confèrent valeur constitutionnelle (art. 31 et 75 (22) de la Constitution). Le Comité se félicite également de la création du poste de "défenseur du peuple", créé en décembre 1993 par la loi 24.284. Le titulaire de ce poste est chargé de protéger les Argentins contre toutes violations éventuelles de leurs droits par les autorités nationales.

148. Le Comité accueille avec satisfaction les programmes portant sur la promotion de l'égalité de la femme et se félicite en particulier que l'État partie se préoccupe de la violence exercée contre les femmes.

149. Le Comité se félicite de la promulgation de la loi 24.043 qui prévoit l'indemnisation des personnes ayant été détenues par le pouvoir exécutif. Il accueille aussi avec satisfaction la loi 24.411 qui octroie des avantages aux membres de la famille des personnes disparues.

150. Le Comité se félicite des révisions apportées au Code de procédure pénale, des révisions en cours du Code de procédure civile, de la réforme du régime pénitentiaire et de la création de la charge de procureur pour les affaires pénitentiaires. Il accueille également favorablement l'action menée par l'État partie en faveur de la réadaptation des condamnés ainsi que la construction de nouvelles facilités visant à décongestionner les prisons.

151. Le Comité note avec satisfaction qu'il n'est plus fait mention dans la Constitution de 1994 de l'obligation pour le Président de la République d'être de confession catholique.

152. Le Comité note également avec satisfaction que les Ministères de l'intérieur et des affaires étrangères organisent des programmes de formation aux droits de l'homme pour les responsables de l'application des lois, le personnel du système judiciaire et le grand public.


4. Principaux sujets de préoccupation

153. Le Comité note à nouveau avec inquiétude que la loi 23.521 (loi sur l'obéissance) et la loi 23.492 (loi du "Punto Final") ne permettent pas aux victimes de violations des droits de l'homme de disposer de recours, contrairement aux paragraphes 2 et 3 de l'article 2 et au paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte. Le Comité craint que l'octroi d'amnisties et de grâces n'ait empêché l'ouverture d'enquêtes sur des crimes présumés de membres des forces armées et d'agents des services de la sécurité nationale et que ces mesures aient été octroyées même dans les cas où il existe des preuves importantes de violations des droits de l'homme, telles que les disparitions et les détentions illégales de personnes, notamment d'enfants. Le Comité craint que les grâces et les amnisties générales ne créent un sentiment d'impunité chez les membres des forces de sécurité coupables de violations des droits de l'homme. Du fait de l'impunité dont jouissent ces derniers, le respect des droits de l'homme peut se trouver affaibli.

154. À cet égard, le Comité déplore que les témoignages présentés au Sénat contre des membres des forces armées qui prouvent que ceux-ci se sont livrés à des exécutions extrajudiciaires, ont été impliqués dans des disparitions forcées ou ont commis des actes de torture ou d'autres violations des droits de l'homme, s'ils empêchent parfois les accusés d'obtenir une promotion, n'entraînent jamais leur destitution.

155. Le Comité s'inquiète des menaces proférées à l'encontre de membres du pouvoir judiciaire, qui visent, en recourant à l'intimidation, à compromettre l'indépendance des juges énoncée à l'article 14 du Pacte. Il s'inquiète également des attaques perpétrées contre les journalistes et les syndicalistes et du peu de protection dont ceux-ci jouissent, ce qui restreint l'exercice des droits à la liberté d'expression et d'association prévus aux articles 19 et 22 du Pacte.

156. S'il se félicite de l'adoption des lois 24.043 et 24.411, le Comité regrette néanmoins qu'elles ne prévoient pas d'indemnisation pour les victimes de la torture. Il se déclare préoccupé par les cas d'emploi excessif de la force par des membres de la police et des forces armées qui ont été portés à son attention, ainsi que par les cas de torture et de détention arbitraire ou illégale. Il s'inquiète du fait qu'il n'existe aucun dispositif spécifique d'enquête sur les plaintes au sujet de violences policières qui mettrait le plaignant à l'abri de représailles, et que, lorsque l'administration provinciale fait preuve de laxisme à l'égard des allégations de violences policières, les autorités fédérales n'assurent pas l'application des dispositions du Pacte, que les coupables d'actes de violences policières restent généralement impunis, enfin que les victimes ne soient pas indemnisées. Les retards enregistrés dans la recherche de solutions à la situation des enfants de personnes disparues sont préoccupants et le fait que le rapport ne donne aucune information sur la situation réelle concernant les dispositions de l'article 7 du Pacte est particulièrement inquiétant.

157. Le Comité est préoccupé par le fait que le Code pénal comporte dans certains domaines clefs des lacunes qui semblent être en contradiction avec le principe de présomption d'innocence (par. 2 de l'article 14 du Pacte). Le système de détention préventive lui semble, à cet égard, un vestige du régime autoritaire. La possibilité de maintenir des personnes en détention pendant des périodes dépassant la durée maximale de la peine prévue par la loi est préoccupante et le Comité regrette que l'article 317 de la Constitution n'ordonne pas la libération desdites personnes. Il note par ailleurs que le montant du cautionnement doit être établi en fonction des conséquences économiques du délit commis et non en se fondant sur la probabilité que le prévenu ne se présentera pas personnellement devant le tribunal ou fera obstacle d'une autre manière au bon fonctionnement de la justice. Fixer la durée de la détention préventive non en fonction de la complexité de l'affaire mais en se fondant sur la durée de la peine dont est passible le prévenu est également incompatible avec le principe de la présomption d'innocence. Le Comité déplore aussi que les prévenus soient détenus dans les mêmes locaux que les personnes reconnues coupables. Les dispositions régissant, sur décision judiciaire, les autorisations de mise sur écoute téléphonique ne sont peut-être pas suffisamment restrictives.


5. Suggestions et recommandations

158. Le Comité recommande que l'État partie, conformément au paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte, élabore des mécanismes d'indemnisation des autres victimes de violations antérieures des droits de l'homme en modifiant la loi 24.043 ou en promulguant la législation appropriée pour les victimes de ces délits. Il recommande en particulier, lors de l'octroi de grâces et d'amnisties générales, de veiller soigneusement à ne pas favoriser la création d'un climat d'impunité (voir l'Observation générale No 7 (16) du Comité). Le Comité recommande que les membres des forces armées ou des forces de sécurité contre lesquels existent des témoignages crédibles de participation à des violations flagrantes des droits de l'homme soient destitués.

159. Le Comité invite instamment l'État partie à poursuivre ses enquêtes sur les personnes disparues, à éclaircir sans tarder la question des enfants de disparus qui auraient été adoptés illégalement et à prendre les mesures qui conviennent. Il l'engage également à ouvrir une enquête exhaustive sur des allégations récentes concernant des meurtres qui auraient été commis par des militaires au cours de la période de dictature et à engager des poursuites au vu des conclusions auxquelles elle aurait abouti.

160. Le Comité note que le Bureau du Sous-Secrétaire aux droits de l'homme et aux droits sociaux relève du Ministère de l'intérieur qui réglemente les forces de police. Il recommande de prendre des mesures garantissant l'indépendance du Sous-Secrétaire général, en particulier lorsque celui-ci enquête sur des violations des droits de l'homme.

161. Le Comité prie instamment l'État partie de faire tout le nécessaire pour prévenir les cas d'emploi excessif de la force, de torture, de détention arbitraire ou d'exécution extrajudiciaire par des membres des forces armées ou de la police, notamment en prenant des mesures préventives, des mesures disciplinaires ou des sanctions, de même qu'en assurant une formation. Chaque fois que se produit une affaire de cette nature, il faudrait ouvrir une enquête et indemniser les victimes.

162. Le Comité recommande d'offrir une protection spéciale aux journalistes et aux syndicalistes victimes de menaces ou d'intimidation afin d'assurer effectivement la protection des droits prévus aux articles 19 et 22 du Pacte.

163. En ce qui concerne le Code de procédure pénale, le Comité recommande de revoir soigneusement le régime de détention préventive. Il faudrait établir des garanties juridiques assurant, dans les cas où la détention préventive dépasse la durée maximale de la peine prévue pour l'infraction commise, la libération sans condition de l'inculpé. Le Comité exhorte l'État partie à définir clairement l'objet de la détention préventive et à fixer la durée de la détention en conséquence, en respectant le principe de la présomption d'innocence. Il recommande de se fonder sur la même considération pour fixer le montant du cautionnement.

164. Le Comité recommande à l'État partie d'indiquer dans son prochain rapport les dispositions qu'il aura prises comme suite aux observations et recommandations du Comité se rapportant au premier Protocole facultatif. Il rappelle à cet égard les obligations qu'impose l'article 2 du Pacte.

165. Le Comité recommande à l'Argentine d'inclure dans son prochain rapport des renseignements sur les mesures adoptées pour donner suite aux observations qui précèdent et mettre en application les suggestions et recommandations qu'il a formulées. Il recommande également que ces observations soient largement diffusées et soient incorporées dans les programmes de formation aux droits de l'homme organisés pour les responsables de l'application des lois et les membres du système judiciaire.

 

 



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