University of Minnesota


Application du pacte International Relatif Aux Droits Economiques, Sociaux Et Culturels, Observation générale No 17, Le droit au meilleur état de santé susceptible d'être atteint, Trente-cinquième session, U.N. Doc. E/C.12/GC/17 (2006).


 


COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Trente-cinquième session
Genève, 7‑25 novembre 2005

 

OBSERVATION GÉNÉRALE N o  17 (2005)

Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux
et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou
artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte)


I. INTRODUCTION ET PRINCIPES DE BASE

1. Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur tient à la dignité et à la valeur inhérentes à tous les êtres humains et fait donc partie des droits de l’homme. Ce fait distingue le paragraphe 1 c) de l’article 15 et d’autres droits de l’homme de la plupart des droits juridiques reconnus dans les régimes de propriété intellectuelle. Fondamentaux, inaliénables et universels, les droits de l’homme appartiennent à tous les individus et, dans certaines circonstances, à des groupes d’individus et à des communautés. Les droits de l’homme sont des droits fondamentaux, dans la mesure où ils sont inhérents à la personne en tant que telle, alors que les droits de propriété intellectuelle sont instrumentaux, en ce qu’ils sont des moyens − les moyens dont les États peuvent se servir pour promouvoir l’esprit d’innovation et de créativité, encourager la diffusion de productions créatives et innovantes, ainsi que le développement d’identités culturelles, et préserver l’intégrité des productions scientifiques, littéraires et artistiques, dans l’intérêt de la société dans son ensemble.

2. Contrairement aux droits de l’homme, les droits de propriété intellectuelle ont généralement un caractère provisoire, et ils peuvent être révoqués, concédés sous licence ou attribués à un tiers. Alors que, dans la plupart des régimes de propriété intellectuelle, les droits de propriété intellectuelle, souvent à l’exception des droits moraux, peuvent être cédés, limités dans le temps et dans leur portée, négociés, modifiés, voire perdus, les droits de l’homme sont intemporels et sont l’expression des prérogatives fondamentales de la personne humaine. Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur préserve le lien personnel qui l’unit à sa création et qui unit les peuples, communautés ou autres groupes à leur patrimoine culturel collectif, ainsi que leurs intérêts matériels fondamentaux, qui leur sont nécessaires pour leur permettre d’avoir un niveau de vie suffisant, alors que les régimes de propriété intellectuelle protègent principalement les intérêts et les investissements des milieux d’affaires et des entreprises. En outre, l’étendue de la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs prévue par le paragraphe 1 c) de l’article 15 ne coïncide pas nécessairement avec les droits de propriété intellectuelle au sens de la législation nationale ou des accords internationaux1.

3. C’est pourquoi il importe de ne pas confondre les droits de propriété intellectuelle et le droit reconnu au paragraphe 1 c) de l’article 15. Le droit fondamental de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur est reconnu dans un certain nombre d’instruments internationaux. C’est ainsi qu’en termes presque identiques le paragraphe 2 de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose: «Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.». Le même droit est reconnu dans des instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme tels que la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’homme de 1948, en son article 13, paragraphe 2, le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels de 1988 («Protocole de San Salvador»), en son article 14, paragraphe 1 c), ou encore, quoique de façon non explicite, le Protocole n o 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1952 (Convention européenne des droits de l’homme), en son article premier.

4. Le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de sa propre production scientifique, littéraire ou artistique a pour objet d’encourager les créateurs à contribuer activement aux arts et aux sciences et au progrès de la société dans son ensemble. En tant que tel, il est intrinsèquement lié aux autres droits reconnus à l’article 15 du Pacte, à savoir le droit de participer à la vie culturelle (par. 1 a) de l’article 15), le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications (par. 1 b) de l’article 15) et la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices (par. 3 de l’article 15). Le paragraphe 1 c) de l’article 15 et les autres éléments du paragraphe 1 de l’article 15 se renforcent mutuellement et sont réciproquement limitatifs. Les limites imposées au droit des auteurs de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques seront étudiées pour partie dans la présente observation générale et pour partie dans des observations générales distinctes portant sur les alinéas a et b du paragraphe 1 et sur le paragraphe 3 de l’article 15 du Pacte. En tant que norme matérielle relative à la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices, garantie par le paragraphe 3 de l’article 15, le paragraphe 1 c) de l’article 15 possède également une dimension économique et, par conséquent, est étroitement lié au droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi (art. 6, par. 1) et à une rémunération suffisante (art. 7 a)) ainsi qu’au droit à un niveau de vie suffisant (art. 11, par. 1), qui est un droit de l’homme. De plus, la réalisation du paragraphe 1 c) de l’article 15 dépend de l’exercice des autres droits de l’homme garantis par la Charte internationale des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux et régionaux, notamment le droit à la propriété qu’a toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité2, le droit à la liberté d’expression, qui implique le droit de chercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées quelles qu’elles soient3, le droit au plein épanouissement de la personnalité humaine4 et les droits à la participation culturelle5 y compris les droits culturels accordés à des groupes donnés6.

5. Dans le souci d’aider les États parties à mettre le Pacte en œuvre et à s’acquitter de leurs obligations en matière d’établissement de rapports, la présente observation générale porte sur le contenu normatif du paragraphe 1 c) de l’article 15 (sect. I), les obligations incombant aux États parties (sect. II), les violations (sect. III) et la mise en œuvre au niveau national (sect. IV), tandis que les obligations des acteurs autres que les États parties font l’objet de la section V.

II. CONTENU NORMATIF DU PARAGRAPHE 1 c) DE L’ARTICLE 15

6. Le paragraphe 1 de l’article 15 énumère, en trois alinéas, trois droits couvrant différents aspects de la participation à la vie culturelle, y compris le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15), sans en définir explicitement le contenu ni la portée. Par conséquent, chacun des éléments du paragraphe 1 c) de l’article 15 appelle une interprétation.

Éléments du paragraphe 1 c) de l’article 15

«Auteur»

7. Le Comité considère que seul l’auteur, c’est‑à‑dire le créateur, homme ou femme, individu ou groupe7, de productions scientifiques, littéraires ou artistiques, à savoir, entre autres, un écrivain ou un artiste, peut être le bénéficiaire de la protection visée au paragraphe 1 c) de l’article 15. Cela découle des termes «chacun», «il» et «auteur», qui indiquent que les rédacteurs de cet article semblaient avoir estimé que les auteurs de productions scientifiques, littéraires ou artistiques étaient des personnes physiques8 sans s’apercevoir à l’époque qu’il pouvait également s’agir de groupes. Dans les régimes de protection des traités internationaux existants, des droits de propriété intellectuelle peuvent être détenus par une personne morale mais, comme on l’a vu plus haut, leurs prérogatives ne sont pas protégées dans le cadre des droits de l’homme9.

8. Même si le libellé du paragraphe 1 c) de l’article 15 renvoie généralement au créateur en tant que particulier («chacun», «il», «auteur»), le droit d’un auteur à bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de ses productions scientifiques, littéraires ou artistiques peut dans certains cas être revendiqué ou exercé par des groupes d’individus ou des communautés10.

«Toute production scientifique, littéraire ou artistique»

9. Le Comité considère que la formule «toute production scientifique, littéraire ou artistique», au sens du paragraphe 1 c) de l’article 15, renvoie aux œuvres de l’esprit, c’est‑à‑dire les «productions scientifiques», telles que les publications scientifiques et les inventions scientifiques, y compris le savoir, les innovations et les pratiques des communautés autochtones et locales et les «productions littéraires et artistiques», telles que les poèmes, les écrits, les peintures, les sculptures, les compositions musicales, les œuvres dramatiques et cinématographiques, les représentations et les traditions orales.

«Bénéficier de la protection»

10. Le Comité est d’avis que le paragraphe 1 c) de l’article 15 reconnaît aux acteurs et inventeurs le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques, sans toutefois préciser les modalités de cette protection. Afin de ne pas vider le paragraphe 1 c) de l’article 15 de tout contenu, la protection offerte doit garantir efficacement les intérêts moraux et matériels des créateurs découlant de leurs travaux. Toutefois, la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs prévue au paragraphe 1 c) de l’article 15 ne doit pas nécessairement égaler le niveau et les moyens de protection offerts par les régimes actuels de droit d’auteur, de brevet et de propriété intellectuelle, pour autant que la protection assurée soit à même de garantir aux créateurs les intérêts moraux et matériels de leurs œuvres, tels que définis aux paragraphes 12 à 16 ci‑dessous.

11. Le Comité relève qu’en reconnaissant le droit de chacun de «bénéficier de la protection» des intérêts moraux et matériels découlant de ses propres productions scientifiques, littéraires ou artistiques, le paragraphe 1 c) de l’article 15 ne saurait empêcher les États parties d’adopter des normes plus ambitieuses en matière de protection que ce soit dans des traités internationaux relatifs à la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs ou dans leur législation nationale11, pour autant que lesdites normes ne limitent pas de façon injustifiée l’exercice par autrui de ses droits en vertu du Pacte12.

«Intérêts moraux»

12. La protection des «intérêts moraux» des auteurs était l’une des principales préoccupations des rédacteurs du paragraphe 2 de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme: «L’auteur de toute œuvre artistique, littéraire, scientifique et l’inventeur conservent, indépendamment des revenus légitimes de leur travail, un droit moral sur leur œuvre ou leur découverte, droit qui ne disparaît pas même lorsque cette œuvre est tombée dans le patrimoine commun de tous les hommes.»13. Leur intention était de proclamer le caractère intrinsèquement personnel de toute œuvre de l’esprit et, en conséquence, le lien durable entre un créateur et sa création.

13. Dans la droite ligne de l’historique de la rédaction du paragraphe 2 de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du paragraphe 1 c) de l’article 15 du Pacte, le Comité estime que les «intérêts moraux» visés au paragraphe 1 c) de l’article 15 comprennent le droit de l’auteur d’être reconnu comme étant le créateur de ses productions scientifiques, littéraires et artistiques et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même production, préjudiciables à son honneur et à sa réputation14.

14. Le Comité souligne l’importance qu’il y a à reconnaître la valeur des productions scientifiques, littéraires et artistiques en tant qu’expressions de la personnalité de leur créateur et observe que la protection des intérêts moraux existe, quoique dans des mesures variables, dans la plupart des États, quel que soit leur système juridique.

«Intérêts matériels»

15. La protection des «intérêts matériels» des auteurs par le paragraphe 1 c) de l’article 15 est un corollaire du lien étroit entre cette disposition et le droit à la propriété, tel qu’il est reconnu à l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’avec le droit du travailleur à une rémunération suffisante (art. 7 a)). À la différence d’autres droits de l’homme, les intérêts matériels de l’auteur ne sont pas directement liés à la personnalité du créateur, mais contribuent à l’exercice du droit à un niveau de vie suffisant (art. 11, par. 1).

16. Le délai pendant lequel les intérêts matériels sont protégés par le paragraphe 1 c) de l’article 15 ne doit pas nécessairement s’étendre à toute la vie d’un auteur. En effet, l’objectif consistant à permettre aux auteurs et aux inventeurs de mener une vie digne peut également être atteint en effectuant des paiements ponctuels ou en accordant à l’auteur, pendant un délai limité, le droit exclusif d’exploiter sa production scientifique, littéraire ou artistique.

«Découlant»

17. Le mot «découlant» souligne que les auteurs ne bénéficient de la protection de ces intérêts moraux et matériels que si ceux-ci résultent directement de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques.

Conditions relatives à l’application par les États parties
du paragraphe 1 c) de l’article 15

18. Le droit à la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs suppose l’existence des éléments essentiels et interdépendants suivants, dont la mise en œuvre précise dépendra des conditions économiques, sociales et culturelles existant dans chacun des États parties:

a) Disponibilité. Une législation et une réglementation adéquates, ainsi que des recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés, propres à assurer la protection effective des intérêts moraux et matériels des auteurs, doivent être disponibles sur le territoire des États parties;

b) Accessibilité. Les voies de recours administratives ou judiciaires ou d’autres recours appropriés pour la protection des intérêts moraux et matériels découlant des productions scientifiques, littéraires ou artistiques doivent être accessibles à tous leurs auteurs. L’accessibilité comporte quatre dimensions qui se chevauchent:

i) Accessibilité physique: les tribunaux et les organismes nationaux chargés de la protection des intérêts moraux et matériels découlant des productions scientifiques, littéraires ou artistiques doivent être à la disposition de toutes les catégories de la société, notamment des auteurs handicapés;

ii) Accessibilité économique (abordabilité): ces recours doivent être abordables pour tous, y compris pour les groupes défavorisés et marginalisés. Par exemple, lorsqu’un État décide de donner effet aux dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 15 au moyen des formes traditionnelles de protection de la propriété intellectuelle, les coûts des procédures administratives et judiciaires s’y rapportant doivent respecter le principe de l’équité afin que ces recours soient abordables pour tous;

iii) Accessibilité de l’information: l’accessibilité comprend le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations concernant la structure et le fonctionnement du cadre juridique ou de la politique générale de protection des intérêts moraux et matériels des auteurs découlant de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques, notamment des informations concernant la législation et les procédures applicables. Ces informations devraient être compréhensibles pour tous et être publiées également dans les langues des minorités linguistiques et des peuples autochtones.

c) Qualité de la protection. Les procédures propres à assurer la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs doivent être administrées avec compétence et diligence par des juges, des avocats et d’autres professionnels.

Thèmes spéciaux de portée générale

Non-discrimination et égalité de traitement

19. L’article 2, paragraphe 2, et l’article 3 du Pacte interdisent toute discrimination dans l’accès à une protection effective des intérêts moraux et matériels des auteurs, y compris les recours administratifs, judiciaires et autres, qu’elle soit fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, qui ont pour but ou pour effet de contrarier ou de rendre impossible la jouissance ou l’exercice dans des conditions d’égalité du droit reconnu au paragraphe 1 c) de l’article 1515.

20. Le Comité souligne que l’élimination de la discrimination dans l’accès à une protection effective des intérêts moraux et matériels des auteurs peut souvent s’obtenir avec des ressources limitées grâce à l’adoption, à la modification ou à l’abrogation de textes législatifs ou à la diffusion d’informations. Le Comité rappelle l’Observation générale n o 3 (1990) sur la nature des obligations des États parties, paragraphe 12, aux termes duquel, même en temps de graves pénuries de ressources, les éléments vulnérables de la société doivent être protégés grâce à la mise en œuvre de programmes spécifiques relativement peu coûteux.

21. L’adoption à titre temporaire de mesures spéciales destinées uniquement à garantir l’égalité de droit et de fait aux groupes ou aux individus défavorisés ou marginalisés, ainsi qu’à ceux qui souffrent de discrimination, ne constitue pas une violation du droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur, dès lors que ces mesures ne conduisent pas au maintien de l’application aux différents groupes ou individus de normes de protection inégales ou distinctes, et à condition qu’elles ne soient pas maintenues une fois atteints les objectifs pour lesquels elles ont été adoptées.

Limitations

22. Le droit qu’a chaque personne de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de ses productions scientifiques, littéraires et artistiques est soumis à des limitations et doit être mis en balance avec les autres droits garantis par le Pacte16. Cependant, les limitations auxquelles sont soumis les droits protégés par le paragraphe 1 c) de l’article 15 doivent être établies par la loi, doivent être compatibles avec la nature de ces droits, doivent viser un but légitime et doivent être indispensables pour favoriser le bien-être général dans une société démocratique, conformément à l’article 4 du Pacte.

23. Les limitations doivent être proportionnées, ce qui signifie que c’est la mesure la moins restrictive qui doit être adoptée lorsque plusieurs types de limitations sont disponibles. Les limitations doivent être compatibles avec la nature même des droits protégés par le paragraphe 1 c) de l’article 15, à savoir la protection du lien personnel entre le créateur et sa création et des moyens d’aider les créateurs à atteindre un niveau de vie suffisant.

24. L’imposition de limitations peut donc nécessiter, dans certaines circonstances, des mesures compensatoires, telles que le paiement d’une compensation appropriée17 pour l’usage de productions scientifiques, littéraires ou artistiques dans l’intérêt du public.

III. OBLIGATIONS DES ÉTATS PARTIES

Obligations juridiques générales

25. S’il est vrai que le Pacte prévoit la réalisation progressive des droits qui y sont énoncés et prend en considération les contraintes dues à la limitation des ressources disponibles (par. 1 de l’article 2 du Pacte), il n’en impose pas moins aux États parties diverses obligations avec effet immédiat, notamment des obligations fondamentales. Les mesures prises pour exécuter des obligations doivent avoir un caractère délibéré et concret et viser au plein exercice du droit qu’a toute personne de bénéficier de la protection des avantages moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont elle est l’auteur18.

26. Le fait que la réalisation du droit considéré s’inscrit dans le temps signifie que les États parties ont pour obligation précise et constante d’œuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible pour appliquer intégralement le paragraphe 1 c) de l’article 1519.

27. Comme pour tous les autres droits énoncés dans le Pacte, il existe une forte présomption que celui‑ci n’autorise aucune mesure régressive s’agissant du droit à la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur. S’il prend une mesure délibérément régressive, l’État partie doit apporter la preuve qu’il l’a fait après avoir mûrement pesé toutes les autres solutions possibles et qu’elle est pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits visés dans le Pacte20.

28. Le droit qu’a toute personne de bénéficier de la protection des bienfaits moraux et matériels découlant d’une production scientifique, littéraire ou artistique dont elle est l’auteur impose, comme pour tous les autres droits de l’homme, trois catégories ou niveaux d’obligations aux États parties: l’obligation de le respecter, de le protéger et de le mettre en œuvre. L’obligation de respecter le droit à la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur exige de l’État qu’il s’abstienne d’entraver directement ou indirectement l’exercice du droit au bénéfice de cette protection. L’obligation de le protéger requiert des États qu’ils prennent des mesures pour empêcher des tiers de faire obstacle aux intérêts moraux et matériels des auteurs. Enfin, l’obligation de mettre en œuvre ce droit suppose que l’État adopte des mesures appropriées d’ordre législatif, administratif, budgétaire, judiciaire, incitatif ou autre en vue de donner pleinement effet au paragraphe 1 c) de l’article 1521.

29. Pour donner pleinement effet au paragraphe 1 c) de l’article 15, l’État partie doit prendre les mesures nécessaires pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture. Cela ressort du paragraphe 2 de l’article 15 du Pacte, qui définit les obligations qui incombent à l’État partie en ce qui concerne chaque aspect des droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 15, notamment le droit qu’ont les auteurs de bénéficier de la protection de leurs intérêts moraux et matériels.

Obligations juridiques spécifiques

30. Les États sont en particulier tenus de respecter le droit des auteurs de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels, notamment en s’abstenant d’enfreindre le droit des auteurs d’être reconnus comme créateurs de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de ces productions ou à toute autre atteinte à ces mêmes productions qui seraient préjudiciables à leur honneur ou à leur réputation. Les États parties doivent s’abstenir de porter atteinte de façon injustifiée aux intérêts matériels des auteurs qui sont essentiels pour leur permettre d’avoir un niveau de vie suffisant.

31. L’obligation de protéger requiert notamment des États qu’ils protègent efficacement les intérêts moraux et matériels des auteurs contre toute violation par des tiers. En particulier, les États doivent empêcher que des tiers ne portent atteinte au droit des créateurs de revendiquer la paternité de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques et ne se livrent à toute déformation, mutilation ou autre modification de ces productions d’une manière qui serait préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’auteur. De même, les États parties sont tenus d’empêcher que des tiers portent atteinte aux intérêts matériels des auteurs découlant de leurs productions. À cet effet, les États parties doivent empêcher l’utilisation non autorisée des productions scientifiques, littéraires et artistiques qu’il est facile de se procurer et de reproduire par les technologies modernes de communication et de reproduction, par exemple en créant des systèmes de gestion collective des droits d’auteur ou en adoptant une législation obligeant les utilisateurs à informer les auteurs de toute utilisation qu’ils font de leurs productions et à les rémunérer de manière adéquate. Les États doivent veiller à ce que les tiers offrent une indemnisation adéquate aux auteurs pour tout préjudice indu résultant de l’utilisation non autorisée de leurs productions.

32. S’agissant du droit des peuples autochtones de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toutes leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques, les États parties devraient adopter des mesures garantissant aux peuples autochtones la protection efficace des intérêts liés à leurs productions, qui sont souvent des expressions de leur patrimoine culturel et savoir traditionnel. Lorsqu’ils adoptent des mesures de protection des productions scientifiques, littéraires et artistiques des peuples autochtones, les États parties devraient tenir compte de leurs préférences. Une telle protection pourrait englober l’adoption de mesures visant à reconnaître, à enregistrer et à protéger le droit d’auteur individuel ou collectif des peuples autochtones en vertu des régimes nationaux de droits de propriété intellectuelle et devrait empêcher l’utilisation non autorisée des productions scientifiques, littéraires et artistiques des peuples autochtones par des tiers. En mettant en œuvre ces mesures de protection, les États parties devraient, chaque fois que c’est possible, respecter le principe du consentement libre, préalable et donné en connaissance de cause des auteurs autochtones concernés, ainsi que les formes orales ou autres formes coutumières de transmission des productions scientifiques, littéraires ou artistiques; le cas échéant, ils devraient garantir l’administration collective, par les peuples autochtones, des avantages découlant de leurs productions.

33. Les États où se trouvent des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ont l’obligation de protéger les intérêts moraux et matériels des auteurs membres de ces minorités au moyen de mesures spéciales destinées à préserver le caractère unique des cultures minoritaires22.

34. L’obligation de mettre en œuvre (assurer l’exercice du droit) requiert des États parties qu’ils fournissent des recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés qui permettent aux auteurs de revendiquer les intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques et d’obtenir réparation en cas de violation de ces intérêts23. Les États parties sont également tenus de mettre en œuvre (faciliter) le droit visé au paragraphe 1 c) de l’article 15, par exemple en prenant des mesures financières et autres mesures positives qui facilitent la création d’associations professionnelles et autres représentant les intérêts moraux et matériels des auteurs, y compris des auteurs défavorisés et marginalisés, conformément au paragraphe 1 a) de l’article 8 du Pacte24. L’obligation de mettre en œuvre (promouvoir) requiert des États qu’ils garantissent le droit des auteurs de productions scientifiques, littéraires et artistiques de participer à la conduite des affaires publiques et à l’adoption de toute décision importante ayant des incidences sur leurs droits et intérêts légitimes, et qu’ils consultent ces individus ou groupes ou leurs représentants élus avant l’adoption des décisions importantes qui ont des incidences sur leurs droits au titre du paragraphe 1 c) de l’article 1525.

Obligations connexes

35. Le droit des auteurs de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques ne saurait être considéré indépendamment des autres droits reconnus dans le Pacte. Les États parties ont donc l’obligation de trouver un équilibre entre, d’une part, leurs obligations en vertu du paragraphe 1 c) de l’article 15 et, d’autre part, les autres dispositions du Pacte, afin de promouvoir et de protéger la totalité des droits garantis dans le Pacte. Ce faisant, les intérêts privés des auteurs ne devraient pas être indûment avantagés, et l’intérêt du public à avoir largement accès à leurs productions devrait être dûment pris en considération26. Les États parties devraient donc veiller à ce que leurs régimes juridiques ou autres de protection des intérêts moraux et matériels découlant des productions scientifiques, littéraires ou artistiques ne les empêchent aucunement de s’acquitter de leurs obligations fondamentales en matière de droits à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, droits de participer à la vie culturelle et de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ou de tout autre droit consacré dans le Pacte27. En dernière analyse, la propriété intellectuelle est un bien social et elle a une fonction sociale28. Les États doivent donc veiller à ce que des prix excessivement élevés à acquitter pour avoir accès aux médicaments essentiels, aux semences ou à d’autres moyens de production alimentaire, ou aux manuels scolaires et matériels pédagogiques, ne portent atteinte aux droits à la santé, à l’alimentation et à l’éducation de larges couches de la population. En outre, les États devraient empêcher que le progrès scientifique et technique soit utilisé à des fins contraires aux droits de l’homme et à la dignité humaine, y compris les droits à la vie, à la santé et à la vie privée, par exemple en excluant les inventions de la brevetabilité à chaque fois que leur commercialisation pourrait compromettre la pleine réalisation de ces droits29. Les États parties devraient en particulier étudier dans quelle mesure la commercialisation du corps humain et de ses parties porte atteinte aux obligations qui leur incombent en vertu du Pacte ou d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme30. Les États devraient aussi envisager de procéder à des études d’impact sur les droits de l’homme avant d’adopter une législation relative à la protection des intérêts moraux et matériels découlant pour un auteur de ses productions scientifiques, littéraires ou artistiques et après l’avoir mise en œuvre.

Obligations internationales

36. Dans son Observation générale n o 3 (1990), le Comité a appelé l’attention sur l’obligation faite à tous les États parties d’agir, tant par leur effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, en vue d’assurer le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte. Dans l’esprit de l’Article 56 de la Charte des Nations Unies, ainsi que des dispositions spécifiques du Pacte (art. 2, par. 1, art. 15, par. 4, et art. 23), les États parties devraient reconnaître le rôle essentiel de la coopération internationale pour la réalisation des droits reconnus dans le Pacte, y compris le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire et artistique, et devraient honorer leur engagement de prendre conjointement et séparément des mesures à cet effet. La coopération scientifique et culturelle internationale devrait profiter à tous les peuples.

37. Le Comité rappelle que, en vertu des Articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, des principes confirmés du droit international et des dispositions du Pacte lui‑même, la coopération internationale pour le développement et, partant, pour l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels est une obligation qui incombe à tous les États parties et, en particulier, aux États qui sont en mesure d’aider les autres États31.

38. Compte tenu du fait que le niveau de développement varie selon les États parties, il est primordial que les régimes de protection des intérêts moraux et matériels découlant des productions scientifiques, littéraires et artistiques facilitent et promeuvent la coopération pour le développement, le transfert de technologies et la coopération scientifique et culturelle32, tout en tenant dûment compte de la nécessité de préserver la diversité biologique33.

Obligations fondamentales

39. Dans son Observation générale n o 3 (1990), le Comité a confirmé que les États parties ont l’obligation fondamentale d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits énoncés dans le Pacte. Conformément à d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’aux accords internationaux relatifs à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de productions scientifiques, littéraires ou artistiques, le Comité estime que le paragraphe 1 c) de l’article 15 du Pacte implique au minimum les obligations fondamentales ci‑après, qui ont un effet immédiat:

a) De prendre les mesures législatives et autres mesures nécessaires pour assurer la protection efficace des intérêts moraux et matériels des auteurs;

b) De protéger le droit des auteurs d’être reconnus comme étant les créateurs de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de ces productions ou à toute autre atteinte à ces mêmes productions, qui seraient préjudiciables à leur honneur ou à leur réputation;

c) De respecter et de protéger les intérêts matériels fondamentaux des auteurs qui découlent de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques et dont ils ont besoin pour pouvoir atteindre un niveau de vie adéquat;

d) D’assurer l’égalité d’accès, en particulier pour les auteurs appartenant à des groupes vulnérables ou marginalisés, aux recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés afin que les auteurs puissent obtenir réparation en cas d’atteinte à leurs intérêts moraux et matériels;

e) De trouver un juste équilibre entre la nécessité d’assurer la protection efficace des intérêts moraux et matériels des auteurs et les obligations des États parties concernant les droits à la santé, à l’alimentation, à l’éducation et celui de participer à la vie culturelle et de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ou tout autre droit reconnu dans le Pacte.

40. Le Comité tient à souligner qu’il incombe tout particulièrement aux États parties et aux autres intervenants en mesure d’apporter leur concours de fournir «l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique» nécessaires pour permettre aux pays en développement d’honorer les obligations mentionnées au paragraphe 36 ci‑dessus.

IV. VIOLATIONS

41. En déterminant les actions ou omissions des États parties qui constituent une violation du droit des auteurs de bénéficier de la protection de leurs intérêts moraux et matériels, il importe de faire une distinction entre un État qui ne peut pas et un État qui ne veut pas s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 c) de l’article 15. Cette affirmation découle du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, qui stipule que chacun des États parties est tenu de prendre les mesures voulues, au maximum des ressources dont il dispose. Un État qui ne veut pas utiliser toutes les ressources dont il dispose pour assurer la réalisation du droit des auteurs de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques commet une violation de ses obligations au titre du paragraphe 1 c) de l’article 15. Si un État, faute de moyens, se trouve dans l’incapacité de s’acquitter pleinement de ses obligations au titre du Pacte, il lui appartient de prouver qu’il n’a ménagé aucun effort pour utiliser l’ensemble des ressources à sa disposition afin de s’acquitter, en priorité, des obligations fondamentales susmentionnées.

42. Les violations du droit des auteurs de bénéficier de la protection de leurs intérêts moraux et matériels peuvent découler de l’action directe des États ou d’autres entités insuffisamment contrôlées par les États. L’adoption de toutes mesures régressives incompatibles avec les obligations fondamentales au titre du paragraphe 1 c) de l’article 15, telles qu’elles sont énoncées au paragraphe 39 plus haut, constitue une violation de ce droit. Les violations commises à travers des actes comprennent notamment l’abrogation formelle ou la suspension injustifiée de la législation portant protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire et artistique.

43. Les violations du paragraphe 1 c) de l’article 15 peuvent également survenir lorsqu’un État a omis de prendre les mesures nécessaires pour s’acquitter des obligations juridiques découlant de cette disposition. Les violations par omission comprennent notamment le manquement à l’obligation de prendre les mesures voulues pour assurer la pleine réalisation du droit des auteurs de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques et l’absence de mesure visant à faire respecter les lois applicables ou à fournir des recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés permettant aux auteurs de faire valoir leurs droits au titre du paragraphe 1 c) de l’article 15.

Manquement à l’obligation de respecter

44. Les exemples de manquement à l’obligation de respecter sont notamment les suivants: l’adoption par un État de mesures, de politiques ou de lois ayant pour effet de porter atteinte au droit des auteurs d’être reconnus comme créateurs de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques et de contester toute déformation, mutilation ou autres modifications de leurs productions ou toute autre mesure portant atteinte à ces mêmes productions, qui seraient préjudiciables à leur honneur ou à leur réputation; de porter atteinte de manière injustifiée aux intérêts matériels dont les auteurs ont besoin pour avoir un niveau de vie suffisant; de refuser aux auteurs l’accès à des recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés pour demander réparation en cas d’atteinte à leurs intérêts moraux et matériels et d’infliger une discrimination à l’égard de tel ou tel auteur en ce qui concerne la protection de ses intérêts moraux et matériels.

Manquement à l’obligation de protéger

45. Le manquement à l’obligation de protéger découle du non‑respect par un État de l’obligation de prendre toutes les mesures voulues pour protéger les auteurs se trouvant sous sa juridiction contre tout atteinte, par des tiers, à leurs intérêts moraux et matériels. Les exemples d’un tel manquement comprennent notamment des omissions telles que le défaut de promulgation et/ou d’application d’une législation interdisant toute utilisation des productions scientifiques, littéraires ou artistiques incompatible avec les droits des auteurs d’être reconnus comme créateurs de leurs productions ou de nature à entraîner une déformation, une mutilation ou toute autre modification ou altération de ces mêmes productions d’une manière qui serait préjudiciable à leur honneur ou à leur réputation, ou à porter atteinte de façon injuste aux intérêts matériels dont ils ont besoin pour pouvoir atteindre un niveau de vie suffisant, ainsi que le manquement à l’obligation de veiller à ce que les auteurs, y compris les auteurs autochtones, soient suffisamment indemnisés par des tiers pour tout préjudice excessif subi à la suite de l’utilisation non autorisée de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques.

Manquement à l’obligation de mettre en œuvre

46. Un tel manquement survient lorsque les États parties ne prennent pas toutes les mesures voulues, dans la limite des ressources dont ils disposent, pour promouvoir la réalisation du droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant des productions scientifiques, littéraires ou artistiques dont il est l’auteur. Les exemples d’un tel manquement sont notamment le fait de ne pas fournir des recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés permettant aux auteurs, en particulier ceux appartenant à des groupes défavorisés et marginalisés, de demander et d’obtenir réparation en cas d’atteinte à leurs intérêts moraux et matériels, ou l’absence de mécanismes permettant aux auteurs ou aux groupes d’auteurs de participer activement et en connaissance de cause à tout processus de prise de décisions important ayant une incidence sur leur droit à bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques.

V. MISE EN ŒUVRE AU NIVEAU NATIONAL

Législation nationale

47. Les mesures les plus appropriées pour mettre en œuvre le droit à la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur varient considérablement d’un État à un autre. Chaque État dispose d’une marge de discrétion considérable pour déterminer les mesures les mieux adaptées aux circonstances et aux besoins qui lui sont propres. Cela dit, le Pacte impose clairement à chaque État le devoir de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que chacun ait accès, dans des conditions d’égalité, à des procédures efficaces de protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.

48. Les lois et réglementations nationales régissant la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur devraient être fondées sur les principes de responsabilité, de transparence et d’indépendance du corps judiciaire, étant donné que la bonne gouvernance est essentielle à la jouissance effective de l’ensemble des droits de l’homme, y compris du paragraphe 1 c) de l’article 15. Afin d’instaurer un climat favorable à la réalisation de ce droit, les États parties devraient prendre les mesures voulues pour faire en sorte que le secteur commercial privé et la société civile soient conscients des effets du droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de ses productions scientifiques, littéraires et artistiques sur l’exercice des autres droits énoncés dans le Pacte, et prennent ces effets en considération. Les États parties, lorsqu’ils évalueront les progrès accomplis vers la réalisation des dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 15, devront recenser les facteurs et difficultés affectant l’exécution de leurs obligations.

Indicateurs et critères

49. Les États parties devraient définir des indicateurs et des critères appropriés pour évaluer, aux niveaux national et international, la manière dont ils s’acquittent de leurs obligations au titre du paragraphe 1 c) de l’article 15. Les États peuvent obtenir de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ainsi que d’autres institutions spécialisées et programmes des Nations Unies s’occupant de la protection des productions scientifiques, littéraires et artistiques des directives sur les indicateurs appropriés, qui devraient porter sur les différents aspects du droit à la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur. Ces indicateurs devront être désagrégés en fonction des motifs de discrimination et comporter un calendrier précis.

50. Après avoir défini les indicateurs appropriés concernant le paragraphe 1 c) de l’article 15, les États parties sont invités à mettre au point, pour chaque indicateur, des critères nationaux appropriés. Dans le cadre de la présentation du rapport périodique, le Comité engagera avec l’État partie un processus de cadrage consistant à examiner ensemble les indicateurs et critères nationaux, ce qui permettra ensuite de fixer les objectifs à atteindre par l’État partie au cours de la période faisant l’objet du rapport suivant. Durant cette période, l’État partie s’appuiera sur ces critères nationaux pour déterminer dans quelle mesure il a mis en œuvre les dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 15. Par la suite, dans le cadre du processus d’examen du rapport périodique, l’État partie et le Comité verront si les critères ont été atteints ou non et passeront en revue les difficultés éventuellement rencontrées.

Recours et responsabilité

51. Les litiges relatifs au droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur doivent être tranchés par des tribunaux administratifs et judiciaires compétents. Une protection efficace des intérêts moraux et matériels des auteurs découlant de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques serait du reste à peine concevable sans la possibilité de se prévaloir de recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés34.

52. Par conséquent, tous les auteurs victimes d’une atteinte aux intérêts moraux et matériels découlant de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques devraient avoir accès à des recours administratifs, judiciaires ou autres recours appropriés et utiles, au niveau national. Ces recours doivent être justes et équitables; ils ne devraient pas être excessivement compliqués ou coûteux, ni être assortis de délais déraisonnables ni entraîner des retards indus35. Les parties à une action en justice devraient avoir la possibilité de demander la révision, par une autorité judiciaire ou une autre autorité compétente, de la procédure judiciaire en question36.

53. Toutes les victimes de violations des droits protégés par le paragraphe 1 c) de l’article 15 devraient avoir droit à une compensation suffisante ou à réparation.

54. Les médiateurs nationaux, les commissions des droits de l’homme, les associations professionnelles d’auteurs ou les institutions similaires sont tous appelés à traiter des violations des dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 15.

VI. OBLIGATIONS DES ACTEURS AUTRES QUE LES ÉTATS PARTIES

55. S’il est vrai que seuls les États parties au Pacte sont responsables du respect de ses dispositions, il leur est instamment demandé néanmoins d’envisager de réglementer la responsabilité qui incombe au secteur commercial privé, aux instituts de recherche privés et aux autres acteurs non étatiques de respecter le droit reconnu au paragraphe 1 c) de l’article 15 du Pacte.

56. Le Comité note que les États parties, en tant que membres d’organisations internationales telles que l’OMPI, l’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont l’obligation de prendre toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les politiques et décisions de ces organisations soient conformes aux obligations découlant du Pacte, en particulier celles énoncées au paragraphe 1 de l’article 2, au paragraphe 4 de l’article 15, ainsi qu’aux articles 22 et 23 concernant l’assistance et la coopération internationales37.

57. Les organes ainsi que les institutions spécialisées des Nations Unies devraient, dans leurs domaines de compétence respectifs et conformément aux articles 22 et 23 du Pacte, prendre des mesures internationales de nature à contribuer à la réalisation progressive et effective des dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 15. L’OMPI, l’UNESCO, la FAO, l’OMS ainsi que les autres institutions, organes et mécanismes compétents des Nations Unies, en particulier, sont invités à redoubler d’efforts pour prendre en compte les principes et obligations relatifs aux droits de l’homme dans leurs travaux ayant trait à la protection des avantages moraux et matériels des auteurs découlant de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques, et ce en collaboration avec le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme.

1 Les instruments internationaux pertinents comprennent, notamment, la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, telle que révisée pour la dernière fois en 1967; la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, telle que révisée pour la dernière fois en 1979; la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion («Convention de Rome»); le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur; le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (qui, entre autres choses, offre une protection internationale aux interprètes d’«expressions du folklore»); la Convention sur la diversité biologique; la Convention universelle sur le droit d’auteur, telle que révisée pour la dernière fois en 1971; et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) de l’OMC.

2 Voir l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; l’article 5 d) v) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; l’article premier du Protocole n o 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme); l’article 21 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme; et l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte de Banjul).

3 Voir l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; l’article 19, par. 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme; l’article 13 de la Déclaration américaine des droits de l’homme; et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

4 Voir l’article 26, par. 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Voir aussi l’article 13, par. 1, du Pacte.

5 Voir l’article 5 e) vi) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; l’article 14 du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador); et l’article 17, par. 2, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

6 Voir l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; l’article 13 c) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; l’article 31 de la Convention relative aux droits de l’enfant; et l’article 31 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

7 Voir également le paragraphe 32 ci‑dessous.

8 Voir Maria Green, International Anti‑Poverty Law Centre, «Historique de la rédaction du paragraphe 1 c) de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels», E/C.12/2000/15, par. 45.

9 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, vingt‑septième session (2001), Droits de l’homme et propriété intellectuelle, Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 29 novembre 2001, E/C.12/2001/15, par. 6.

10 Voir également le paragraphe 32 ci‑dessous.

11 Voir l’article 5, par. 2, du Pacte.

12 Voir ci‑dessous, par. 22, 23 et 35. Voir également les articles 4 et 5 du Pacte.

13 Commission des droits de l’homme, deuxième session, rapport du Groupe de travail sur la Déclaration des droits de l’homme, E/CN.4/57, 10 décembre 1947, p. 17.

14 Voir également l’article 6 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.

15 Dans une certaine mesure, cette interdiction fait double emploi avec les dispositions sur le traitement national figurant dans les conventions internationales pour la protection de la propriété intellectuelle, la principale différence étant que le paragraphe 2 de l’article 2 et l’article 3 du Pacte s’appliquent non seulement aux étrangers mais aussi aux ressortissants de l’État partie (voir art. 6 à 15 du Pacte: «toute personne»). Voir également Comité des droits économiques, sociaux et culturels, trente‑quatrième session, Observation générale n o  16 (2005): Le droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels, 13 mai 2005.

16 Voir le paragraphe 35 ci‑dessous. La nécessité de préserver un équilibre adéquat entre les droits énoncés au paragraphe 1 c) de l’article 15 et les autres droits énoncés dans le Pacte s’applique, en particulier, aux droits de prendre part à la vie culturelle (art. 15, par. 1 a)) et au droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications (art. 15, par. 1 b)), ainsi qu’aux droits à la nourriture (art. 11), à la santé (art. 12) et à l’éducation (art. 13).

17 Voir l’article 17, par. 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme; l’article 21, par. 2, de la Convention américaine des droits de l’homme; et l’article premier du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

18 Voir le paragraphe 9 de l’Observation générale n o 3 (1990), le paragraphe 43 de l’Observation générale n o 13 (1999), le paragraphe 30 de l’Observation générale n o 14 (2000). Voir aussi les paragraphes 16 et 22 des Principes de Limburg concernant l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Principes de Limburg), Maastricht, 2‑6 juin 1986.

19 Voir le paragraphe 9 de l’Observation générale n o 3 (1990), le paragraphe 44 de l’Observation générale n o 13 (1999), le paragraphe 31 de l’Observation générale n o 14 (2000). Voir aussi le paragraphe 21 des Principes de Limburg.

20 Voir le paragraphe 9 de l’Observation générale n o 3 (1990), le paragraphe 45 de l’Observation générale n o 13 (1999) et le paragraphe 32 de l’Observation générale n o 14 (2000).

21 Voir les paragraphes 46 et 47 de l’Observation générale n o 13 (1999), le paragraphe 33 de l’Observation générale n o 14 (2000). Voir aussi le paragraphe 6 des Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et culturels (Directives de Maastricht), Maastricht, 22‑26 janvier 1997.

22 Voir l’article 15, par. 1 c), du Pacte, lu en parallèle avec l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Voir également UNESCO, Conférence générale, dix‑neuvième session, recommandation concernant la participation et la contribution des masses populaires à la vie culturelle, adoptée le 26 novembre 1976, par. I 2) f).

23 Voir Comité des droits économiques, sociaux et culturels, dix‑neuvième session, Observation générale n o 9 (1998), sur l’application du Pacte au niveau national, par. 9. Voir aussi l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 2, par. 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

24 Voir également l’article 22, par. 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

25 Voir Comité des droits économiques, sociaux et culturels, vingt‑septième session (2001), Droits de l’homme et propriété intellectuelle, Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 29 novembre 2001, E/C.12/2001/15, par. 9.

26 Ibid, par. 17.

27 Ibid, par. 12.

28 Ibid, par. 4.

29 Voir le paragraphe 2 de l’article 27 de l’Accord de l’OMC sur les ADPIC.

30 Voir l’article 4 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur le génome humain et les droits de l’homme, bien que cet instrument ne soit pas juridiquement contraignant en tant que tel.

31 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, cinquième session, Observation générale n o 3 (1990), par. 14.

32 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, vingt‑septième session, Droits de l’homme et propriété intellectuelle, Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 29 novembre 2001, E/C.12/2001/15, par. 15.

33 Voir l’article 8 j) de la Convention sur la diversité biologique. Voir également Sous‑Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, 26 e séance, cinquante‑troisième session, résolution 2001/21, E/CN.4/Sub.2/Res/2001/21.

34 Voir la Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 8; l’Observation générale n o 9 (1998), par. 3 et 9; Principes de Limburg, par. 19; Directives de Maastricht, par. 22.

35 Voir l’Observation générale n o 9 (1998), par. 9 (en ce qui concerne les recours administratifs). Voir en outre l’article 14, par. 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

36 Voir l’Observation générale n o 9 (1998), par. 9.

37 Voir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, dix‑huitième session, La mondialisation et les droits économiques, sociaux et culturels, Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 11 mai 1998, par. 5.

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