University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Fédération de Russie, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.13 (1997).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE


Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels


FEDERATION DE RUSSIE

1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Fédération de Russie concernant les droits visés aux articles premier à 15 du Pacte (E/1994/104/Add.8) de sa 11ème à sa 14ème séance, les 5, 6 et 7 mai 1997 et, à sa 25ème séance, tenue le 15 mai 1997, a adopté les observations finales ci-après :


A. Introduction

2. Le Comité se félicite de ce que l'Etat partie ait présenté un troisième rapport périodique établi conformément aux directives concernant la forme et le contenu des rapports que les Etats parties doivent présenter. Il note avec intérêt qu'il s'agit du premier rapport soumis par l'Etat partie après la fin de l'époque soviétique. Il constate avec satisfaction que le rapport contient des renseignements complets et, en particulier, que l'Etat partie y a reconnu en toute franchise et sincérité les graves problèmes rencontrés dans la protection des droits économiques, sociaux et culturels de la population. Il se félicite également des renseignements supplémentaires fournis en réponse à la liste écrite des points à traiter, tout en regrettant que le texte de ces renseignements n'ait été fourni qu'en russe et n'ait pas été traduit. Il se félicite de la présence d'une importante délégation de haut niveau avec laquelle il a engagé un dialogue ouvert et constructif, ainsi que des renseignements complémentaires fournis oralement par la délégation au cours du débat.

B. Aspects positifs

3. Le Comité se félicite, dans la mesure où la promotion des droits économiques, sociaux et culturels s'en trouvera assurée, des efforts que l'Etat partie a entrepris pour édifier un Etat fondé sur la primauté du droit, et de la réforme des institutions ou de la création de nouvelles institutions engagées à cette fin. Il accueille également avec satisfaction le projet de réforme de toute une série d'institutions responsables de la fourniture de services de protection sociale.

4. Le Comité note que le taux d'inflation a été sensiblement réduit, que la tendance à la baisse du produit intérieur brut semble s'être ralentie, que certains secteurs de l'économie commencent à progresser de nouveau et que des efforts ont été entrepris pour améliorer le système d'imposition et de collecte des impôts. Il reconnaît l'importance d'un tel cadre pour assurer un financement soutenu des institutions chargées de protéger les droits économiques, sociaux et culturels de la population de l'Etat partie.

5. Le Comité accueille avec satisfaction la déclaration du représentant de l'Etat partie, selon laquelle les projets de loi sont examinés par les organes du pouvoir exécutif pour veiller à ce qu'ils soient conformes aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, notamment à celles du Pacte, avant d'être soumis à l'examen de la Douma. Il se félicite de ce que la Cour constitutionnelle ait cité les dispositions du Pacte dans ses arrêts. Il note en outre avec satisfaction que le nouveau Code du travail de l'Etat partie a été directement inspiré des dispositions du Pacte, ainsi que d'autres instruments internationaux pertinents, notamment des conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT).

6. Le Comité se félicite de la loi de 1996 sur la réforme du pouvoir judiciaire et accueille favorablement le projet de loi de 1997 visant à renforcer l'appui à l'appareil judiciaire, et du projet de loi visant à créer un poste d'ombudsman pour les droits de l'homme, dans la mesure où la protection des droits économiques, sociaux et culturels consacrés dans le Pacte s'en trouve renforcée.

7. Le Comité note avec satisfaction que les employeurs bénéficient d'avantages fiscaux les incitant à engager des handicapés, facilitant ainsi à ceux-ci l'accès à des emplois lucratifs.

8. Le Comité note avec satisfaction l'apparition du pluralisme dans le mouvement syndical, tout en constatant qu'un grand nombre de problèmes concrets restent à résoudre pour permettre aux nouveaux syndicats de fonctionner efficacement.

9. Le Comité a entendu avec satisfaction le représentant de l'Etat partie donner l'assurance qu'il n'est plus fait recours abusivement au placement en établissement psychiatrique.

10. Le Comité se félicite de l'actuelle politique officielle en matière de planification de la famille, qui a permis une diminution du nombre d'avortements.

11. Le Comité accueille favorablement les efforts entrepris par l'Etat partie pour dispenser aux étudiants une formation concernant les recours juridiques existants en cas de violation des droits de l'homme.

12. Le Comité se félicite de l'appui manifesté par l'Etat partie à l'égard d'un protocole facultatif se rapportant au Pacte.


C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

13. Le Comité reconnaît que l'Etat partie a hérité de l'ancien régime un cadre défavorable pour la promotion des droits économiques, sociaux et culturels. Il note aussi avec préoccupation que le processus de transition vers une société démocratique dotée d'une économie de marché est entravé par la corruption, le crime organisé, la fraude fiscale et l'inefficacité de la bureaucratie et s'est soldé jusqu'ici par un financement insuffisant pour les dépenses de protection sociale et le paiement des salaires dans la fonction publique.


D. Principaux sujets de préoccupation

14. Le Comité se déclare préoccupé par la situation des peuples autochtones de l'Etat partie, qui sont nombreux à vivre dans la pauvreté et n'ont pas accès à un approvisionnement alimentaire approprié et dont certains souffrent de malnutrition. Il s'inquiète en particulier de la situation des peuples dont l'approvisionnement alimentaire repose sur la pêche et l'élevage des rennes et qui assistent à la destruction de leur environnement par la pollution généralisée. Il est alarmé par les informations selon lesquelles les droits économiques des peuples autochtones seraient impunément violés par des sociétés d'exploitation de pétrole et de gaz qui signent des accords dans des conditions manifestement illégales, et l'Etat partie n'aurait pas pris les mesures voulues pour protéger les peuples autochtones contre une telle exploitation.

15. Le Comité note avec préoccupation que les femmes sont apparemment touchées de façon disproportionnée par le chômage et que peu de mesures concrètes sont prises par l'Etat partie pour éviter les licenciements discriminatoires ou le recrutement en fonction du sexe, ou pour offrir des recours utiles aux victimes de tels actes de discrimination.

16. Le Comité se déclare préoccupé par l'importance du phénomène de la violence domestique contre les femmes et par le fait que la police hésite à intervenir pour protéger les femmes ou interpeller les agresseurs, bien que la législation pénale sanctionnant la violence contre des personnes s'applique à la violence exercée par un mari sur sa femme.

17. Le Comité note avec inquiétude le développement rapide de la prostitution et du phénomène des enfants des rues et de leur exploitation à des fins criminelles et sexuelles. Il s'inquiète aussi du taux d'accroissement de la criminalité chez les mineurs.

18. Le Comité constate avec préoccupation qu'il existe de nombreux problèmes concernant la réglementation du travail et que l'Etat partie n'a pas pris les mesures appropriées ni octroyé des fonds suffisants pour trouver les moyens de lutter contre les problèmes suivants :

a) Les conditions de travail dangereuses dans un grand nombre d'entreprises, notamment l'emploi de techniques dangereuses et dépassées, l'absence de protection des travailleurs et la durée excessive des journées de travail;

b) Le taux élevé d'accidents graves du travail, dont un nombre excessif entraînant la mort;

c) Le refus de certaines entreprises de verser des indemnités pour blessures sur le lieu de travail;

d) L'insuffisance des procédures en place pour signaler les accidents et les conditions de travail dangereuses, notamment l'absence de cadre juridique propre à protéger les travailleurs, qu'ils soient syndiqués ou non;

e) L'insuffisance du financement des services d'inspection du travail permettant d'effectuer des vérifications adéquates en vue de dissuader les employeurs et de les sanctionner en cas de manquement;

f) Le grand nombre de licenciements illégaux qui, dans la pratique, ne font pas l'objet de recours;

g) La généralisation du travail des enfants;

h) Le refus de certains employeurs de reconnaître les "nouveaux" syndicats ou de traiter avec eux et le fait que certains employeurs prennent des sanctions contre les militants syndicaux pouvant aller jusqu'au licenciement.

19. Le Comité note avec préoccupation que l'Etat partie est mal équipé pour faire face au problème du chômage qui touche désormais, d'après les chiffres communiqués entre trois et sept millions d'individus. Il semble qu'il faille réexaminer les critères d'attribution des allocations de chômage, envisager la mise en place d'un système de détection des fraudes ou des demandes d'allocation frauduleuses ainsi que relever le montant de ces allocations, actuellement faible. En outre, les prestations destinées à aider les chômeurs à trouver un emploi, notamment les services d'information et de recyclage, doivent être développées plus avant.

20. Le Comité est très préoccupé par le grand nombre de grèves déclenchées à la suite du non-paiement de salaires, tout particulièrement dans le secteur public, ainsi que par la pratique de certains employeurs qui rémunèrent leurs employés en nature. Selon une source, le montant des arriérés de salaire, dus à près d'un travailleur sur quatre, se chiffrerait à environ 10 milliards de dollars et l'Etat serait le principal débiteur. Ces retards dans le versement des salaires sont inacceptables, parce qu'ils empêchent les salariés de pourvoir à leurs besoins et, en période d'inflation, enlèvent toute valeur à l'argent gagné.

21. Le développement de la pauvreté, dont on estime qu'elle touche environ 30 % de la population, et l'incapacité de l'Etat partie de fournir à cette catégorie des services sociaux suffisants et un niveau de revenu raisonnable lui permettant de subsister inquiètent profondément le Comité.

22. Le Comité s'inquiète de ce que les retraités, qui constituent une proportion importante et croissante de la population, souffrent beaucoup du manque de ressources financières. En conséquence, nombre d'entre eux ne reçoivent pas leur pension et sont donc dans l'impossibilité de pourvoir à leurs besoins essentiels. Le Comité est aussi préoccupé de ce que le financement des pensions se trouve gravement entravé par le fait que les entreprises ne versent pas leur quote-part légale aux caisses de retraite.

23. Le Comité est gravementè préoccupé par le fait que, en moyenne, le régime alimentaire des Russes se détériore. Il note aussi avec la plus grande inquiétude que la malnutrition et la faim se sont développées dans les couches les plus pauvres de la population. Il s'alarme tout particulièrement de la tragique situation des sans-abri, des familles sans revenu, des familles nombreuses et des habitants autochtones de la partie septentrionale du pays où l'infrastructure de la distribution des produits alimentaires est insuffisante.

24. Le Comité est très préoccupé par le taux de contamination - élevé au regard des normes internationales - des denrées alimentaires produites localement comme importées, qui semble avoir pour origine, en ce qui concerne la production nationale, un usage inapproprié des pesticides et la pollution de l'environnement venant par exemple de rejets non réglementaires de métaux lourds et de marées noires et, en ce qui concerne les produits importés, les pratiques illégales de certains importateurs de denrées alimentaires. Le Comité note que les pouvoirs publics ont la responsabilité de veiller à ce que ces produits n'arrivent pas sur le marché.

25. Le Comité est alarmé par l'étendue des problèmes environnementaux dans l'Etat partie et par le fait que les déperditions industrielles nocives représentent un problème si grave dans certaines régions qu'elles pourraient à juste titre être considérées comme des zones sinistrées. Il est également très préoccupé de la forte réduction des fonds destinés à moderniser un réseau de distribution d'eau obsolète, qui empêche la population d'avoir accès à de l'eau salubre.

26. Le Comité est très préoccupé par la réapparition de la tuberculose dans l'Etat partie, en particulier dans les prisons, où les conditions de détention sont inacceptables.

27. Le Comité se déclare vivement préoccupé par le fait qu'en 1996 le taux d'infection à VIH a été multiplié par huit ce qui d'après le représentant de l'Etat partie est largement dû à une augmentation de la toxicomanie. Il est également inquiétant que la toxicomanie soit un problème majeur et de plus en plus important parmi les jeunes.

28. L'insuffisance du financement des hôpitaux est une source de préoccupation majeure. De même, le manque de médicaments est une source de préoccupation, tout particulièrement en ce qui concerne les populations qui n'ont pas les moyens d'en acheter.

29. Le Comité se déclare préoccupé par la dégradation du système éducatif de la Fédération de Russie et ses conséquences sur les résultats scolaires des jeunes à tous les niveaux, sur la fréquentation scolaire et les taux d'abandon.


E. Suggestions et recommandations

30. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour protéger les peuples autochtones de l'exploitation par les compagnies pétrolières et gazières, et, d'une manière plus générale, que des mesures soient prises pour leur garantir l'accès à leurs sources traditionnelles de vivres et aux autres sources d'approvisionnement.

31. Le Comité recommande d'adopter des mesures plus vigoureuses pour protéger les femmes contre la discrimination en matière d'emploi et de prévoir des moyens pour que les victimes de discrimination sexuelle puissent être indemnisées par les employeurs qui agissent illégalement.

32. Le Comité recommande aussi d'adopter des dispositions législatives en vue de protéger les femmes victimes de violences dans leur famille, de créer des programmes spécifiques pour aider ces femmes et de faire traduire en justice les auteurs de tels actes.

33. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre des mesures systématiques pour veiller à ce que la sécurité et la santé soient assurées sur le lieu de travail et, à cette fin d'augmenter les ressources consacrées à l'inspection du travail. Il recommande en outre qu'un cadre soit mis en place pour encourager et protéger les travailleurs qui dénoncent les conditions de travail inadéquates. Il recommande aussi à l'Etat partie de prendre des mesures pour accélérer le développement des syndicats en supprimant, notamment, les entraves matérielles à la liberté d'association, pour veiller à ce que la direction soit séparée des syndicats officiels en tant que partie à un groupe de négociation et, d'une façon générale, pour permettre aux syndicats de fonctionner efficacement. Il recommande en outre d'élaborer une stratégie globale pour lutter contre le travail des enfants.

34. Le Comité recommande à l'Etat partie de développer et d'améliorer sa politique visant à aider les chômeurs à trouver du travail et à recevoir des allocations de chômage. A cet égard, l'Etat partie voudra peut-être solliciter l'assistance de l'OIT.

35. Le Comité recommande que des mesures soient prises immédiatement pour veiller à ce que tant les entreprises publiques que les entreprises privées versent les salaires et punir ceux qui ont illégalement détourné ces fonds.

36. Le Comité recommande que l'assistance accordée aux pauvres soit accrue et que des ressources financières suffisantes leur soient accordées pour qu'ils puissent vivre dans la dignité. Des efforts analogues devraient être entrepris au bénéfice des retraités, dont beaucoup sont dans une situation financière très difficile. Le Comité est d'avis qu'il faut engager des efforts plus importants pour assurer que les dépenses sociales soient affectées aux secteurs de la société qui en ont véritablement besoin.

37. Le Comité recommande l'adoption d'un programme de subventions alimentaires au bénéfice des pauvres. Il encourage l'Etat partie à tenter de résoudre les problèmes liés à l'attribution des titres fonciers, au financement des fournitures et du matériel destiné aux régions agricoles et à la réduction des délais de transport vers les marchés afin de stimuler la production alimentaire intérieure.

38. Le Comité est d'avis que la question d'une offre alimentaire acceptable et suffisante est également liée aux questions relatives à la grave pollution de l'environnement et à l'absence d'investissements dans les infrastructures en vue de l'entretien et de l'amélioration de l'approvisionnement en eau. Il recommande à l'Etat partie d'examiner les liens entre ces questions et de prendre des mesures appropriées pour assainir l'environnement et empêcher les entreprises de continuer à polluer l'environnement, en particulier la chaîne alimentaire. Le Comité recommande aussi que l'entretien et l'amélioration du réseau d'approvisionnement en eau soient considérés comme une question prioritaire. Il recommande en outre de prendre des mesures énergiques contre les entreprises convaincues d'avoir importé des denrées alimentaires contaminées.

39. Le Comité recommande fermement à l'Etat partie de prendre immédiatement des mesures pour améliorer les conditions sanitaires dans les prisons, en particulier pour enrayer l'augmentation de l'incidence de la tuberculose parmi les prisonniers et les détenus.

40. Le Comité engage l'Etat partie à lutter contre l'augmentation des cas d'infection à VIH (ils ont été multipliés par huit en 1996), qui constitue un problème sanitaire de la plus haute importance. Il recommande de lancer dans les médias une campagne d'information expliquant la nature de la maladie, ses modes de transmission (y compris sexuels) et les techniques de prévention. Il recommande en outre à l'Etat partie d'adopter des lois et de prendre toutes les mesures nécessaires visant à prévenir la discrimination contre les séropositifs afin qu'ils puissent mener une vie normale.

41. Le Comité recommande d'augmenter le financement des hôpitaux et d'assurer l'accès aux médicaments et aux soins médicaux à ceux qui n'ont pas les moyens, eu égard aux problèmes exposés plus haut.

42. Le Comité recommande que l'action menée pour traiter les toxicomanes ainsi que pour appréhender et punir les trafiquants de drogue soit poursuivie et intensifiée.

43. Le Comité recommande vivement de prendre des mesures plus vigoureuses et plus efficaces pour renforcer le système éducatif, réduire le taux d'abandon scolaire et renforcer la protection des enfants contre leur embauche illégale et d'autres abus.



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