University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
Pérou, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.14 (1997).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

PEROU


1. Le Comité a examiné le rapport initial du Pérou (E/1990/5/Add.29) à ses 15ème, 16ème et 17ème séances, tenues les 7 et 9 mai 1997, et, à sa 26ème séance, tenue le 16 mai 1997, a adopté les observations finales ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité remercie l'Etat partie de la présentation de son rapport initial, ainsi que des réponses écrites à la liste des points à traiter, bien que ces réponses n'aient pas été soumises au Comité suffisamment à temps pour qu'elles puissent être traduites et que les membres puissent les étudier plus à fond.

3. Le Comité remercie également le Gouvernement péruvien d'avoir envoyé une délégation de haut niveau, dirigée par le Ministre de la justice, qui a répondu à la plus grande partie des questions posées oralement et qui a proposé de faire parvenir des réponses aux questions laissées en suspens ou auxquelles il n'a pas été répondu de façon satisfaisante.

4. Le Comité regrette néanmoins que les informations présentées par écrit et oralement par l'Etat partie aient été de nature essentiellement juridique, se soient lourdement attardées sur les droits civils et politiques, et se soient trop attachées à décrire les succès de la politique sociale du Gouvernement, plutôt qu'à fournir des renseignements détaillés sur la situation des droits économiques, sociaux et culturels au Pérou.

5. Le Comité exprime ses remerciements aux organismes des Nations Unies et aux organisations non gouvernementales péruviennes qui lui ont fait parvenir des documents qui ont été d'une grande utilité pour le déroulement du dialogue.


B. Aspects positifs

6. Le Comité note que l'Etat partie a engagé un processus de réforme sociale comportant des changements de la législation, la création de nouvelles institutions et l'exécution de programmes dans divers domaines concrets.

7. Le Comité constate avec satisfaction l'élimination de certaines dispositions juridiques qui avaient un caractère discriminatoire, en particulier à l'égard des femmes.

8. Le Comité prend note avec satisfaction de la création du Ministère de la promotion de la femme et du développement humain.

9. Le Comité se félicite de la création du Fonds de compensation pour le développement social, en vue de l'exécution de projets d'assistance et de soutien aux petites et moyennes entreprises.

10. Le Comité se félicite des mesures prises par le Gouvernement pour améliorer le système d'enseignement et le rendre accessible à tous les groupes de la société. Les programmes d'alphabétisation et de construction d'écoles entrepris dans le but d'encourager l'éducation des enfants et des adultes dans le secteur rural, ainsi que le programme d'aide intégral à l'enfance apparaissent comme des mesures positives visant à assurer le respect effectif du droit à l'éducation. Les programmes d'alphabétisation et d'éducation dans les langues autochtones revêtent une importance particulière car, au-delà de leurs objectifs concrets, ils contribuent à la préservation de ces langues et au renforcement de l'identité culturelle des groupes qui les parlent.


C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

11. La société péruvienne se compose de trois éléments distincts, vivant presque indépendamment les uns des autres, ayant leurs caractéristiques ethniques, économiques, sociales, culturelles et linguistiques propres. Au bas de la pyramide se trouve le gros de la population, à savoir les Indiens autochtones de l'Alto Plano ou des montagnes et de la jungle amazonienne. La plupart d'entre eux ne parlent pas espagnol, mais quechua ou imaru; ils sont extrêmement isolés et marginalisés. Ils ne sont donc pas en mesure d'exercer effectivement leurs droits économiques, sociaux et culturels.

12. Etant donné la situation décrite ci-dessus, le Comité, conscient du coût élevé de la reconstruction de l'infrastructure détruite au cours des années de violence interne, considère que les obstacles majeurs à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels sont notamment les suivants :

a) Le refus de traiter les problèmes graves et persistants de la pauvreté; 60 % des Péruviens vivent au-dessous du seuil de pauvreté et ne jouissent pas des services adéquats en matière de santé et d'enseignement;

b) L'inégalité patente de la répartition des richesses au sein de la population;

c) Le refus de mettre en oeuvre des réformes agraires;

d) L'absence de services sanitaires adéquats et la brutale réduction des dépenses publiques de santé;

e) L'appauvrissement des écoles publiques au cours de la décennie écoulée allant de pair avec une baisse des rémunérations des enseignants, la dégradation qui s'ensuit des normes en matière d'enseignement, et la pauvreté croissante des familles; et

f) Les formes extrêmes de discrimination qui frappent particulièrement les femmes, les autochtones et d'autres groupes minoritaires, et les grandes inégalités qui s'étendent à toute la société péruvienne.


D. Principaux sujets de préoccupation

13. Le Comité note avec inquiétude que la Constitution de 1993 n'a pas incorporé les dispositions du Pacte, qui, par conséquent, ne font pas partie intégrante du droit interne et ne peuvent être invoquées devant les tribunaux péruviens. Cette situation est contraire à ce qui avait été le cas avec la Constitution de 1979, qui a incorporé les dispositions du Pacte. Le Comité note l'information contenue dans le rapport de l'Etat partie (par. 126 et 127 notamment) selon laquelle, pour faire définitivement partie de la Constitution de 1993, les traités signés par le Pérou en matière de droits de l'homme doivent au préalable être approuvés par le Congrès à la majorité des deux tiers avant d'être ratifiés par le Président. La délégation péruvienne n'a pas donné au Comité une réponse bien tranchée indiquant que, s'agissant du Pacte, ces étapes ont été franchies par l'Etat partie. Parmi les droits figurant dans le Pacte qui ont été reconnus et incorporés à la Constitution de 1979, mais qui jusqu'à présent ne l'ont pas été à la Constitution de 1993, il faut citer les suivants :

a) Le droit à un niveau de vie décent (art. 2 de la Constitution de 1979);

b) Le droit à une nourriture et un logement suffisants (art. 18);

c) L'égalité des chances et des responsabilités entre les hommes et les femmes (art. 2);

d) Le droit au travail en général.

14. Le Comité note en outre qu'avec la Constitution de 1993, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme sont sur un pied d'égalité avec le droit interne et qu'une décision récente de la Cour suprême de justice a déclaré que les dispositions de ces instruments n'ont pas de valeur constitutionnelle.

15. Le Comité est particulièrement préoccupé par l'insuffisance de l'application des droits à l'éducation des populations autochtones et noires. Il note par exemple qu'environ 22 % des habitants du Pérou parlant quechua, dont 31 % sont du sexe féminin et ont plus de 6 ans, ne sont pas du tout scolarisés. Cette situation s'est encore aggravée récemment du fait de la réduction des dépenses publiques par rapport au PIB.

16. La plupart des populations indienne et métisse du Pérou, qui représentent plus des trois quarts de la population totale du pays, sont extrêmement pauvres, et le Comité note avec préoccupation la précarité de leur état de santé. Il constate que chez les femmes pauvres sans instruction le taux de mortalité maternelle est dix fois plus élevé que chez les femmes instruites.

17. Le Comité juge préoccupantes les diverses formes de discrimination à l'égard des femmes, en particulier dans les domaines de l'éducation et de l'emploi.

18. Le Comité constate avec inquiétude que bon nombre de travailleurs ne touchent pas le salaire minimum fixé par la loi. Il s'inquiète également du fait que ce salaire soit inférieur au niveau minimum de subsistance, comme la délégation péruvienne l'a reconnu. Il s'inquiète vivement de ce que les jeunes de 16 à 25 ans soient considérés comme des "apprentis", ce qui les exclut du champ de la législation du travail pertinente.

19. Le Comité est préoccupé par l'inefficacité de la législation du travail pour ce qui est de la protection des droits syndicaux, notamment le droit de grève. Ainsi, en dépit de la politique déclarée du Gouvernement péruvien visant à renforcer l'inspection du travail et à apporter des changements dans la surveillance et l'application des normes du travail, les droits fondamentaux des travailleurs sont fréquemment violés.

20. Le Comité est préoccupé par le fait qu'une bonne partie de la population ne bénéficie d'aucune protection sociale, alors que le secteur structuré de l'économie est très important.

21. Le Comité est préoccupé par le décret-loi No 25967 portant modification du régime national de retraite et par le décret-loi No 25897 qui contient de nouvelles dispositions régissant les fonds de pension privés qui, selon diverses sources d'information, notamment l'OIT, ont été préjudiciables aux droits des travailleurs.

22. Le Comité est également préoccupé par la situation des affaires concernant les droits à pension en suspens depuis 1992, qui, selon les renseignements reçus, touchent quelque 50 000 retraités n'ayant pas reçu leur pension. Pour ce qui est des fonctionnaires visés par le décret No 817, les causes en instance touchent 280 000 retraités et 50 000 actifs.

23. Le Comité s'inquiète du taux élevé de mortalité enfantine et féminine due à l'absence ou à l'insuffisance de services de santé adéquats.

24. Le Comité s'inquiète du grand nombre d'enfants qui travaillent et d'enfants des rues au Pérou ainsi que de l'insuffisance des mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre ces phénomènes.

25. Le Comité s'inquiète du niveau élevé d'analphabétisme, d'absentéisme et d'abandon scolaire.

26. Le Comité s'inquiète du grand nombre d'expulsions forcées de la population du bassin amazonien, qui aboutissent à la destruction de leur habitat et de leur mode de vie.


E. Suggestions et recommandations

27. De l'avis du Comité, l'introduction et l'application de mesures fort nécessaires en faveur de la justice sociale, c'est-à-dire de réformes politiques, économiques et sociales, sont requises pour rompre le cercle vicieux de la violence et de la contre-violence, et rallier la population autochtone, les paysans et d'autres secteurs défavorisés de la société péruvienne.

28. Le Comité exhorte également le Gouvernement à redoubler d'efforts pour faire traduire le Pacte dans les langues autochtones appropriées et faire davantage connaître ses dispositions.

29. Le Comité recommande que le prochain rapport périodique de l'Etat partie contienne des renseignements précis sur les activités du Défenseur du peuple et celles du Tribunal des garanties constitutionnelles dans le domaine des droits de l'homme, et particulièrement pour ce qui est de la protection des droits économiques, sociaux et culturels.

30. Le Comité prie l'Etat partie de prendre des mesures effectives pour éliminer toutes les formes de discrimination et de marginalisation dont sont victimes les populations autochtones dans la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels.

31. Le Comité recommande que le Gouvernement péruvien prenne des mesures pour garantir l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines.

32. Le Comité recommande à l'Etat partie de faire les efforts nécessaires pour veiller au respect de la législation en matière de salaire minimum, de sécurité et d'hygiène du travail, d'égalité de rémunération des hommes et des femmes pour un travail égal, et de reconnaissance du statut de travailleurs pour les jeunes de 16 à 25 ans. A cette fin, il souligne que des moyens suffisants doivent être accordés aux services d'inspection du travail de sorte qu'ils puissent s'acquitter dûment de leurs responsabilités. Il recommande aussi de veiller à ce que la promotion du régime privé de pensions de retraite ne se fasse pas au détriment des obligations de l'Etat partie à l'égard du régime public de pensions, de façon à préserver les droits acquis des retraités.

33. Le Comité recommande l'adoption de mesures urgentes, en particulier grâce à une plus grande sensibilisation des employeurs et des agents de l'Etat, afin de garantir pleinement le respect du droit de mener des activités syndicales et du droit de grève.

34. Le Comité recommande à l'Etat partie d'entreprendre, en coopération avec l'UNICEF et l'OIT, un programme de lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine et contre l'abandon et l'exploitation des enfants des rues. Il recommande l'adoption d'autres mesures visant à prévenir et empêcher l'emploi de la main-d'oeuvre enfantine, en mettant pleinement en oeuvre les normes internationales relatives à l'âge minimum d'emploi des enfants, contenues dans la Convention No 138 de l'OIT, qu'il serait bon que le Pérou ratifie.

35. Le Comité invite l'Etat partie à améliorer les conditions de travail des employés de maison et de les aligner sur les obligations que lui fait le Pacte.

36. Le Comité engage l'Etat partie à adopter des mesures visant à améliorer le système de soins de santé et à l'étendre à tous les secteurs de la société.

37. Le Comité recommande au Gouvernement péruvien d'accroître ses investissements dans le domaine de l'éducation. Il rappelle à cet égard l'obligation qui est faite à l'Etat partie de garantir l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous les enfants du Pérou, en vue de réduire le taux d'analphabétisme.

38. Le Comité recommande à l'Etat partie de ratifier le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant des droits économique, sociaux et culturels.

39. Le Comité recommande aux autorités péruviennes de prendre des mesures immédiates pour mettre un terme aux expulsions forcées,àéé notamment dans le bassin amazonien.

40. Le Comité exhorte le Gouvernement péruviené à communiquer le plus tôt possible tous les renseignements pertinents qu'il n'a pas fournis lors de l'examen du érapport. L'Etat partie devrait notamment fournir des renseignements détaillés sur les mesures législatives et autres et les dispositions concrètes prises concernant le droit à un logement suffisant et le droit à la sécurité sociale, en particulier pour ce qui concerne le fonctionnement du régime de pensions de retraite.



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