University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Paraguay, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.1 (1996).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

PARAGUAY


1. Le Comité a examiné le rapport initial du Paraguay (E/1990/5/Add.23) à ses 1ère, 2ème et 4ème séances, les 30 avril et 1er mai 1996, et a adopté, à sa 22ème séance, tenue le 14 mai 1996, les observations finales suivantes.


A. Introduction

2. Le Comité exprime sa satisfaction à l'Etat partie au sujet du rapport initial détaillé et franc qu'il a présenté, des importants renseignements supplémentaires communiqués oralement par la délégation, ainsi que du dialogue constructif maintenu entre celle-ci et les membres du Comité. Cependant, il regrette le manque de données statistiques claires. Il regrette également que l'Etat partie n'ait pas fourni en temps voulu de réponses écrites à la liste de questions qui lui a été soumise et que la délégation n'ait pas été en mesure d'apporter de réponses satisfaisantes à bon nombre de ces questions. Le Comité note que des réponses à certaines des questions soulevées dans le cadre du dialogue établi avec l'Etat partie ont été reçues ultérieurement.


B. Aspects positifs

3. Le Comité note avec une grande satisfaction que l'Etat partie est actuellement sur la voie d'une démocratisation pacifique, qui commence à avoir des incidences notables sur l'exercice des droits de l'homme. La ratification en 1992 des deux Pactes, l'adoption en 1992 de la nouvelle Constitution, qui garantit nombre de droits consacrés par le Pacte, et en 1993 du nouveau Code du travail, sont des événements extrêmement bienvenus. Le Comité se félicite par ailleurs que le Pacte (ainsi que les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme) occupe une place bien définie dans le régime juridique interne du pays. L'abrogation des lois 294/55 et 209/70 est notée avec satisfaction.

4. La création d'une Direction générale des droits de l'homme au sein du Ministère de la justice et du travail et l'engagement de l'Etat partie dans un programme de coopération technique avec le Centre pour les droits de l'homme de l'ONU sont considérés comme des éléments encourageants par le Comité.

5. Le Comité prend note avec satisfaction de la création d'un Secrétariat de la femme, chargé de coordonner les activités que le gouvernement a entreprises en vertu du mandat prévu dans la Constitution, qui proclame le principe de l'égalité de droits des hommes et des femmes.

6. Le Comité note également les progrès réalisés par l'Etat partie dans le domaine de l'éducation. La disposition de la Constitution qui prévoit que 20 % du budget de l'Etat doivent être consacrés à l'éducation est notée avec grand intérêt.


C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

7. Le Comité est parfaitement conscient que la démocratie au Paraguay doit être consolidée et que de nombreuses années seront encore nécessaires pour faire totalement disparaître les comportements issus de décennies de dictature, d'inégalités sociales criantes et de latifundisme. Les difficultés économiques rencontrées par l'Etat partie, le degré élevé de pauvreté dans le pays et les contraintes liées au remboursement de la dette extérieure ajoutent encore aux obstacles à la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels consacrés par le Pacte. Le Comité reconnaît aussi que la persistance dans la société paraguayenne d'attitudes engendrées par une culture consacrant la supériorité de l'homme sur la femme ne facilite pas la pleine application de l'article 3 du Pacte.


D. Principaux sujets de préoccupation

8. Le Comité est particulièrement préoccupé par la persistance d'inégalités manifestes dans la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels au sein de la société paraguayenne, étant donné le pourcentage élevé de la population vivant encore dans la pauvreté. Le Comité note avec inquiétude à cet égard la lenteur avec laquelle le gouvernement procède à la réforme agraire prévue dans la Constitution et dont l'application incombe à l'Institut de la protection sociale, car cette lenteur est une source permanente de conflits du travail et de conflits sociaux et entrave la jouissance dans le secteur agricole des droits reconnus dans le Pacte.

9. Le Comité est très préoccupé par le sort de la population autochtone et des quelque 200 000 familles de paysans métis sans terre. La principale cause de la faim et de la malnutrition dont souffre la population autochtone et du fait qu'elle est privée de ses droits tient au grave problème de l'accès aux terres traditionnelles et ancestrales. Quoique reconnu par la loi 904/81 et d'autres lois ultérieures, ce droit reste un vain mot. Quatre-vingts dossiers de demande de légalisation de l'accès des autochtones aux terres occupées traditionnellement sont en suspens depuis plusieurs années. Tous les groupes autochtones du Chaco ont été expulsés de ces terres par des éleveurs de bétail ou des entreprises industrielles. Le Comité est également préoccupé par la situation des familles de paysans sans terre : le 15 mars 1996, 50 000 d'entre elles ont organisé une marche vers la capitale, Asunción, pour demander l'adoption de mesures législatives concernant les terres qu'elles occupent et pour dénoncer le fait que le gouvernement n'avait pas tenu ses promesses antérieures de procéder à une réforme agraire. Au Paraguay, 5 % de la population détiennent actuellement entre 60 et 80 % du territoire national, situation lourde de menaces pour la paix et la stabilité du pays.

10. Le Comité exprime sa préoccupation devant les nombreuses formes de discrimination que subissent les femmes. La discrimination en matière d'emploi est un sérieux problème, qui se traduit notamment par des différences de salaires à travail égal. Le Comité regrette également de n'avoir reçu aucune information de l'Etat partie sur la situation réelle des femmes au Paraguay, en particulier les violences à leur égard.

11. En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'article 7 du Pacte, le Comité est très préoccupé par le fait qu'en dépit de l'existence de dispositions législatives régissant le salaire minimal, une grande partie des travailleurs - jusqu'à 50 % peut-être - ne gagnent pas ce salaire.

12. Tout en reconnaissant que le droit de former des associations professionnelles et de s'affilier à un syndicat est consacré par les textes législatifs, le Comité est préoccupé par les trop nombreux cas de pratiques discriminatoires de la part des employeurs à l'égard des travailleurs syndiqués, y compris les licenciements abusifs liés aux activités syndicales. Conscient de l'impact de décennies de dictature dans la culture des entreprises, le Comité se doit de rappeler que le libre exercice des droits syndicaux relève des droits fondamentaux des travailleurs, ainsi qu'il est précisé à l'article 8 du Pacte.

13. Le Comité exprime sa préoccupation quant au caractère restrictif des textes législatifs régissant le droit de grève.

14. En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'article 9 du Pacte, le Comité exprime sa préoccupation quant au fait que des pans entiers de la population du pays restent à l'écart de toute protection sociale en raison de l'importance du secteur informel dans l'économie.

15. Le Comité s'inquiète tout particulièrement du nombre élevé d'enfants qui travaillent et d'enfants des rues au Paraguay. Il relève l'insuffisance des mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre ces phénomènes constitutifs de violations graves des droits fondamentaux de l'enfant.

16. Le Comité exprime sa préoccupation quant à la distribution inéquitable des services de santé entre les zones urbaines et les zones rurales. Il note par ailleurs le très faible effectif du personnel médical et paramédical dans le pays. Le taux élevé de mortalité et de morbidité infantiles est également un sujet de préoccupation pour le Comité, de même que le fort taux de mortalité maternelle et l'insuffisance des services d'orientation et de planification familiales.

17. En ce qui concerne la mise en oeuvre des articles 13 et 14 du Pacte, tout en reconnaissant l'effort soutenu du Gouvernement paraguayen, le Comité est très préoccupé par les disparités existant entre le système scolaire en zone urbaine et celui des zones rurales et par le taux élevé d'abandon scolaire. Le Comité exprime également sa préoccupation devant l'insuffisance de la formation et de la rémunération des enseignants à tous les niveaux du système éducatif. La baisse de qualité de l'éducation, l'irrelevance des méthodes éducatives, la gestion excessivement centralisée et bureaucratique de ce secteur, telles que diagnostiquées par l'UNICEF, sont notées avec préoccupation par le Comité.

18. Le Comité regrette l'apparent manque de diffusion du Pacte dans les différents secteurs de la société, et en particulier en langue guaranie. Il note que presque rien n'a été fait pour informer le grand public, en particulier la population autochtone, de ses droits fondamentaux.

D. Suggestions et recommandations

19. Le Comité recommande que soit établi sans délai le bureau du Médiateur (Ombudsman) tel que prévu au chapitre IV de la Constitution de 1992.

20. Le Comité invite instamment le Gouvernement paraguayen à poursuivre les programmes de développement économique, de réforme agraire et de réforme fiscale en cours pour s'attaquer au grave problème de la répartition inéquitable des richesses parmi la population, de façon à lutter contre la pauvreté.

21. Le Comité demande instamment à l'Etat partie de prendre des mesures énergiques pour éliminer les formes de discrimination dont sont victimes les populations autochtones dans la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Il est impératif à cet égard qu'une attention toute particulière soit accordée aux problèmes fonciers qui les affectent et qu'une réelle volonté politique soit mise en oeuvre pour régler ces problèmes dans l'optique des droits de l'homme. Le Comité recommande par ailleurs qu'une étude détaillée soit réalisée, sous les auspices du gouvernement, sur la situation socio-économique des femmes autochtones.

22. Le Comité recommande au Gouvernement paraguayen de poursuivre les politiques visant à assurer une véritable égalité de droits entre les hommes et les femmes, et d'éliminer les dispositions discriminatoires qui subsistent encore dans la législation civile, pénale, commerciale et du travail et dans le droit de la famille.

23. Le Comité recommande que des mesures juridiques appropriées soient prises en ce qui concerne les délits impliquant des violences contre les femmes et les enfants, que ce soit au sein ou à l'extérieur de la famille.

24. Le Comité recommande au Gouvernement paraguayen d'engager une action concrète pour améliorer la condition sociale des femmes, entre autres dans le monde du travail. Le Comité encourage l'Etat partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit effectivement appliquée la législation en matière d'égalité de salaires et d'égalité des chances.

25. Le Comité recommande que des mesures urgentes soient adoptées, y compris sous la forme d'une sensibilisation des employeurs, des juges du travail et de la police, pour garantir pleinement l'application du droit d'exercer des activités syndicales et du droit de grève.

26. Le Comité recommande que soient adoptées les mesures nécessaires (d'ordre législatif et autre) pour prévenir l'abandon de famille en sensibilisant les parents à leur devoir d'assistance et d'entretien à l'égard de leurs enfants et pour atténuer les effets de telles situations.

27. Le Comité recommande à l'Etat partie de s'engager, en coopération avec l'UNICEF et l'OIT, dans un programme de lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile et contre l'abandon et l'exploitation des enfants vivant dans les rues.

28. Le Comité encourage l'Etat partie à prendre des mesures pour améliorer le système des soins de santé, qui devrait tenir compte des besoins de tous les secteurs de la société, et pour réduire les disparités dont ce système se ressent actuellement.

29. Le Comité recommande que le Gouvernement paraguayen poursuive énergiquement ses efforts et augmente ses investissements dans le domaine de l'éducation, en particulier dans l'enseignement primaire. Une attention accrue devrait être accordée à ce secteur dans les programmes de coopération technique dans lesquels le pays est engagé. Le Comité demande instamment au Gouvernement paraguayen d'élargir la campagne d'éducation aux droits de l'homme entreprise par le Bureau des droits de l'homme du Ministère de la justice et du travail aux niveaux primaire, secondaire et universitaire et d'en étendre la portée aux élus, aux militaires, aux enseignants et à l'appareil judiciaire.

30. L'Etat partie est encouragé à ratifier le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels.

31. Le Comité estime qu'il conviendrait d'améliorer le système d'établissement de statistiques, sur la base des indicateurs les plus appropriés, ce qui permettrait de procéder à une évaluation objective aussi bien des problèmes qui se posent que des progrès réalisés dans la mise en oeuvre des dispositions du Pacte.

32. Le Comité prie l'Etat partie de répondre par écrit aux questions restées sans réponse sur la liste qui lui a été soumise avant l'examen du rapport (questions 2, 6, 10, 12, 19, 20, 30 et 32) et à toutes celles qui se rapportent aux droits énoncés aux articles 13 à 15 du Pacte (questions 34 à 42), et demande que cette information soit envoyée au Centre pour les droits de l'homme d'ici au 31 octobre 1996. Le Comité souhaiterait par ailleurs que le prochain rapport du Paraguay comble les lacunes en matière d'information relevées dans l'examen du rapport actuel par le Comité. Le rapport devrait aussi contenir des informations détaillées sur la mise en oeuvre effective des mesures législatives et administratives de prévention et de répression en matière de sécurité et de santé au travail. Le Comité souhaiterait également que lui soient fournies des informations sur les cas où le Pacte a été invoqué devant les tribunaux.



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