University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Guatemala, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.3 (1996).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE


Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels


GUATEMALA

1. Le Comité a examiné le rapport initial du Guatemala sur l'application des articles premier à 15 du Pacte (E/1990/5/Add.24) lors de ses 11ème à 14ème séances, les 7 et 8 mai 1996, et a adopté à sa 26ème séance, tenue le 17 mai 1996, les observations finales suivantes.


A. Introduction

2. Le Comité remercie l'Etat partie d'avoir soumis un document de base détaillé et des réponses écrites à sa liste de questions, ainsi que de la déclaration liminaire donnant un aperçu de l'évolution récente de la situation et des plans établis en matière de promotion et de protection des droits énoncés dans le Pacte.

3. Le Comité se félicite de ce que la délégation de haut niveau envoyée par l'Etat partie ait été disposée à engager un dialogue ouvert et constructif avec le Comité. A cet égard, il note avec satisfaction qu'elle a admis avec franchise que l'Etat partie continue à se heurter à de nombreuses difficultés et qu'il lui reste encore des problèmes à surmonter pour assurer la jouissance effective des droits énoncés dans le Pacte. Le fait que l'Etat partie n'a pas hésité à distribuer aux membres du Comité des exemplaires du rapport du Procureur chargé des droits de l'homme, qui contient des informations critiques sur l'état actuel de la mise en oeuvre des droits de l'homme dans le pays est la preuve que le gouvernement est prêt à reconnaître et à mettre en évidence les faiblesses et les lacunes actuelles du système établi pour assurer l'application des normes relatives aux droits de l'homme au Guatemala.


B. Aspects positifs

4. Le Comité est encouragé par le fait que le gouvernement est déterminé à poursuivre le processus de négociation d'un accord de paix global, comme le montre la signature à Mexico, le 6 mai 1996, de l'Accord sur les aspects socio-économiques et agraires qui fait partie de l'Accord sur l'instauration d'une paix solide et durable et entrera en vigueur lorsque celui-ci aura été signé.

5. Le Comité se félicite de la conclusion, le 29 mars 1994, de l'Accord global relatif aux droits de l'homme et de la mise en place de la Mission des Nations Unies pour la vérification des droits de l'homme et du respect des engagements pris aux termes de l'Accord général relatif aux droits de l'homme au Guatemala (MINUGUA). Au nombre des autres faits positifs figurent l'Accord sur la réinstallation des populations déracinées du fait des affrontements armés, conclu le 23 juin 1994, ainsi que l'Accord sur l'identité et les droits des peuples autochtones signé, le 31 mars 1995, par le Gouvernement guatémaltèque et l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (UNRG). Il prend également note avec intérêt de l'adhésion récente de l'Etat partie à la Convention No 169 de l'OIT en date de 1989, concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

6. Le Comité prend note de la création de la Commission présidentielle de coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits de l'homme et du Bureau du Procureur chargé des droits de l'homme. Il relève que ce Bureau comprend un service chargé de la promotion et de la protection des droits des personnes handicapées et des personnes âgées et qu'un projet de loi réglementant les soins aux personnes handicapées est actuellement à l'étude.

7. Le Comité accueille avec satisfaction le fait qu'il a été mis fin à la pratique illégale de l'incorporation forcée au titre du service militaire.

8. Le Comité prend note des mesures prises pour promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes par voie de révision du Code du travail en vertu du décret 64-92 adopté par le Congrès en novembre 1992 et de l'arrêt de la Cour constitutionnelle déclarant nuls et non avenus les articles 232 à 235 du Code pénal au motif qu'ils étaient contraires à l'article 4 de la Constitution, qui dispose que tous les êtres humains sont libres et égaux en dignité, en responsabilités et en droits.

9. Le Comité note également que le Fonds guatémaltèque du logement (FOGUAVI) a été établi en février 1995 en vue principalement de financer des projets destinés à résoudre les problèmes de logement des familles guatémaltèques vivant dans la pauvreté et l'extrême pauvreté.

C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

10. Le Comité reconnaît que le Guatemala continue à souffrir des conséquences du conflit armé qui a duré plus de 30 ans. Il importe au plus haut point de surmonter la résistance à la réforme, opposée par des groupes d'intérêt qui ont, dans le passé, fait échouer la réforme agraire et continuent de se manifester aujourd'hui. Ainsi, comme l'Etat partie l'a reconnu, il reste à lutter contre les causes profondes du conflit armé, qui sont ancrées dans des disparités socio-économiques et dans l'inégalité de la répartition des terres, dans le cadre d'un système quasi féodal caractérisé par une discrimination à l'égard des populations autochtones et rurales.

11. Le Comité partage l'observation faite par le gouvernement, selon laquelle la situation de conflit armé a donné lieu à de graves violations des droits de l'homme. L'existence de groupes paramilitaires se qualifiant de "comités civils d'autodéfense", responsables de plusieurs milliers d'exécutions extrajudiciaires, constitue toujours un grave obstacle à la paix. Les difficultés persistantes rencontrées dans la lutte contre le problème de l'impunité et l'inégalité de la répartition des ressources économiques ont conduit à une perte de confiance de la part de la population civile, problème qui doit être combattu afin d'assurer les droits économiques, sociaux et culturels et le rétablissement de la règle de droit dans le pays.

12. Le Comité est d'avis que les valeurs et les pratiques traditionnelles selon lesquelles les femmes occupent une place inférieure dans la société et dans la famille constituent de graves obstacles à la pleine réalisation par les femmes de leurs droits économiques, sociaux et culturels, tels qu'ils sont énoncés dans le Pacte.


D. Principaux sujets de préoccupation

13. Tout en se félicitant de ce que le gouvernement ait l'intention de réformer la législation interne afin de la rendre davantage conforme aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, parmi lesquels le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Comité reste préoccupé par le décalage considérable qui existe entre les droits énoncés dans la législation et leur mise en oeuvre dans la pratique. Il note avec préoccupation que les dispositions du Code civil guatémaltèque, notamment ses articles 109, 114 et 131, exercent une discrimination à l'égard des femmes.

14. Le Comité est extrêmement préoccupé par les effets néfastes que les disparités économiques et sociales existant dans le pays ont sur l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels par la majorité de la population, en particulier les populations autochtones et rurales du Guatemala, ainsi que d'autres groupes vulnérables de la société, notamment les enfants, les handicapés et les personnes âgées.

15. La profonde discrimination raciale, l'extrême pauvreté et l'exclusion sociale touchant les populations autochtones nuisent à la jouissance, par ces populations, de leurs droits économiques, sociaux et culturels et sont un sujet de grave préoccupation pour le Comité.

16. Le Comité souhaite également exprimer sa grave préoccupation concernant le problème persistant de la violence à l'égard des femmes et l'attention insuffisante accordée à celui-ci par les institutions gouvernementales, ce qui fait que la violence exercée contre les femmes dans la famille reste un problème occulte.

17. Tout en sachant gré au gouvernement d'avoir reconnu ouvertement que des terres avaient été illégalement saisies par le passé et d'avoir annoncé que des plans étaient prévus pour résoudre ce problème, le Comité reste convaincu que la question du régime de propriété des terres et de leur répartition est d'une importance cruciale pour répondre aux griefs d'une part non négligeable de la population dans les domaines économique, social et culturel.

18. Le Comité est profondément troublé par l'indifférence manifeste dont la législation du travail semble faire l'objet, les informations tout aussi alarmantes quant à l'impunité des employeurs, le non-respect des règles concernant le salaire minimum, les conditions de travail et l'activité syndicale, en particulier du fait que ces problèmes touchent des personnes employées dans un grand nombre de secteurs de l'agriculture. Le fait que la législation du travail ne protège pas les droits syndicaux, s'ajoutant au problème des taux élevés de chômage et de sous-emploi, est source de profonde préoccupation. Ainsi, malgré la politique déclarée du gouvernement qui s'est engagé à prendre d'autres mesures pour renforcer les moyens d'inspection du travail et apporter des modifications dans le contrôle et l'application des normes relatives au travail, notamment dans le cadre des propositions concernant la politique économique et la législation du travail formulées dans les accords récemment signés, le Comité reste préoccupé quant aux possibilités de veiller à la mise en oeuvre concrète des nouvelles propositions. L'une des questions qui inquiètent vivement le Comité est celle de la situation des personnes travaillant dans les "maquillas" (industries du secteur de l'exportation), dont la plupart sont des femmes.

19. Le Comité se demande encore si la protection sociale des employés du secteur non structuré est suffisante.

20. La situation générale des personnes déplacées tant dans le pays qu'à l'extérieur reste une cause de grave préoccupation pour le Comité.

21. Le Comité se déclare préoccupé par les problèmes que sont l'accès insuffisant de la population rurale à l'eau salubre, le taux plus élevé de mortalité infantile parmi certains groupes socio-économiques, la situation des personnes handicapées, la fréquence des maladies endémiques, l'insuffisance de la protection et de la sécurité sociales, la pénurie persistante de logements et l'accès insuffisant aux soins de santé. Le Comité est d'avis qu'un tel état de choses, qui pèse sur les plus vulnérables au sein de la société guatémaltèque, prive ceux-ci de la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels prévus dans le Pacte.

22. Le Comité se déclare particulièrement préoccupé par les problèmes persistants de l'analphabétisme et du manque d'accès à l'éducation, considérant qu'ils touchent les couches les plus pauvres de la population. Il prend note également de l'insuffisance de l'éducation en matière de droits de l'homme fournie à l'ensemble de la population.


E. Suggestions et recommandations

23. Le Comité prend acte de la bonne volonté du gouvernement et du fait qu'il admet franchement la nécessité d'opérer des réformes dans tous les domaines de la vie sociale, économique et culturelle. Le Comité souligne que l'application des dispositions du Pacte ne peut être assurée sans des réformes et la mise en oeuvre appropriée de l'accord de paix, qui appellent en premier lieu une juste répartition des richesses et des terres.

24. C'est ainsi que, de l'avis du Comité, il importe de suivre de près la question de la propriété foncière et de la redistribution des terres, à la lumière de l'application à la fois de l'article 14 de la Constitution politique de la République du Guatemala qui autorise l'expropriation des terres en jachère appartenant à des particuliers et de l'accord sur les aspects socio-économiques et agraires. Il est essentiel de fixer des objectifs au niveau national de manière à pouvoir faire systématiquement le point des progrès réalisés vers leur réalisation et ces objectifs devraient être considérés comme autant d'éléments indispensables aux fins de la coopération internationale et de l'évolution à l'intérieur du pays. Le Comité recommande donc que la coopération internationale soit axée sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.

25. Le Comité note que le gouvernement a l'intention de modifier sa politique fiscale et monétaire afin d'encourager le développement social et économique. Les projets du gouvernement concernant une redistribution des ressources en faveur de la protection sociale, en particulier dans les domaines de la santé et de l'éducation, sont les bienvenus. Le Comité recommande que la communauté internationale apporte son appui aux mesures prises dans ce sens et s'attache à suivre et à examiner régulièrement et de près l'exécution des projets entrepris en vertu des divers accords conclus pour garantir une paix durable.

26. Le Comité souligne l'importance du rôle joué par la MINUGUA dans le suivi du processus de paix et des progrès réalisés dans le renforcement du respect des droits de l'homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels.

27. Le Comité recommande que toutes les réformes législatives et autres tiennent compte de la nécessité de promouvoir l'égalité et de remédier aux effets dévastateurs de la discrimination contre les populations autochtones, à travers des mesures en leur faveur.

28. Le Comité est d'avis que le problème de la discrimination à l'encontre des femmes a été négligé et qu'il convient de combler cette lacune, étant donné en particulier les efforts déployés actuellement pour modifier les attitudes et les politiques dans la perspective de l'instauration dans le pays d'une paix et d'un développement durables. Le Comité prend note avec approbation du fait qu'il est envisagé de réformer le Code civil en ce qui concerne le droit de la famille, notamment ses articles 109, 131 et 114 qui sont discriminatoires à l'encontre des femmes.

29. Il est recommandé d'urgence de s'attaquer à la mise en oeuvre effective des droits syndicaux et du droit du travail. La protection des droits syndicaux exige qu'une attention particulière soit portée à l'application du droit du travail, en conformité avec les dispositions du Pacte, étant donné en particulier que les groupes autochtones et autres groupes défavorisés de la société ont cruellement besoin de perspectives économiques et de mobilité sociale.

30. Tout en prenant note des diverses mesures prises pour assurer la réintégration des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur du pays, le Comité tient à souligner que dans ce domaine aussi la coopération internationale doit se poursuivre. De plus, un examen attentif de ces mesures par la communauté internationale et la participation de cette dernière à tous les efforts entrepris s'avéreront d'autant plus indispensables si l'accord de paix est signé et s'il faut en conséquence réintégrer l'armée et les forces de guérilla après leur démobilisation dans la société et la vie économique du pays.

31. Le Comité recommande que d'autres mesures soient prises pour prévenir et combattre le problème du travail des enfants et que soient notamment pleinement respectées les normes internationales relatives à l'âge minimum d'admission à l'emploi des enfants.

32. Le Comité reconnaît le bien-fondé de l'accent mis dans la politique en matière de santé et d'éducation sur la promotion de l'accès aux soins et aux services de santé et à l'éducation des groupes les plus désavantagés de la société et recommande vivement au gouvernement de maintenir cette approche. Il réaffirme à cet égard sa ferme conviction qu'il est nécessaire de consacrer des ressources suffisantes aux mesures visant à appliquer les articles 9 à 14 du Pacte. Dans ce contexte, l'attention est également appelée sur la nécessité urgente de prendre d'autres mesures pour résoudre le problème de l'analphabétisme.

33. Le Comité souscrit à l'observation formulée par la délégation selon laquelle la tâche principale qui attend le pays et le gouvernement consiste à développer davantage, renforcer et garantir la participation de la population en instaurant et en sauvegardant une paix durable dans le pays grâce à l'application des décisions convenues dans les accords de paix, visant à assurer le plein respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De l'avis du Comité, il faut créer au Guatemala une culture des droits de l'homme, y compris pour résoudre le problème d'une discrimination ancrée dans les moeurs et omniprésente.



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