University of Minnesota



Conclusions finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Colombie, U.N. Doc. E/C.12/1995/18,paras.173-202 (1995).


 



Conclusions finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels


COLOMBIE


173. Le Comité a examiné à ses 32e, 33e et 35e séances, tenues les 21 et 22 novembre 1995, le troisième rapport périodique de la Colombie (E/1994/104/Add.2) et il a adopté à sa 54e séance, tenue le 6 décembre 1995, les observations finales ci-après.

A. Introduction

174. Le Comité prend acte avec satisfaction du rapport périodique soumis par la Colombie, rapport qui suit en grande partie les directives pour la préparation des rapports. Les réponses écrites à la liste de questions posées au gouvernement ainsi que le rapport de la Defensoría del Pueblo de Colombia (ombudsman) ont fourni nombre d'informations utiles au Comité. La compétence et la franchise des représentants du gouvernement, ainsi que leur volonté de répondre à toutes les questions des membres du Comité, ont également été appréciées. Enfin, le Comité sait gré aux organisations non gouvernementales pour les informations qu'elles ont fournies, et se réjouit de la volonté exprimée par le gouvernement de poursuivre le dialogue avec elles.

B. Aspects positifs

175. Le Comité note avec satisfaction le statut des obligations découlant des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme dans l'ordre juridique interne, les dispositions claires relatives aux droits de l'homme dans la Constitution de 1991 et l'important programme de réformes législatives visant à améliorer le respect des droits de l'homme et à assurer des procédures efficaces de compensation en cas de violation des droits fondamentaux. Il prend note également de l'intention du gouvernement de ratifier le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador).

176. Le Comité se félicite de la création de l'Office des droits de l'homme et de la Defensoría del Pueblo, ainsi que de la commission chargée d'assurer le suivi des recommandations internationales adressées au Gouvernement colombien, et espère que dans le prochain rapport figureront des renseignements détaillés sur les activités et les progrès de ces organismes, ainsi que sur le rôle du mécanisme établi par la Constitution de 1991 pour veiller à la protection des droits économiques, sociaux et culturels.

177. Le Comité prend note de l'adoption du plan de développement pour la période 1994-1998, « El Salto Social », et reconnaît les efforts entrepris par le gouvernement pour tenter de porter remède aux graves problèmes sociaux qui affectent le pays. Bien que conscient de la persistance de ces problèmes, le Comité accueille avec satisfaction les programmes du gouvernement destinés à améliorer le système de sécurité sociale, à renforcer l'accès à l'éducation, à promouvoir les droits des populations autochtones et à intensifier l'assistance aux sans-logis, particulièrement les enfants des rues.

178. Le Comité se félicite de la détermination exprimée par le gouvernement d'apporter une réponse au problème de la violence contre les femmes par un examen immédiat des dispositions pertinentes du droit pénal et par une amélioration continue des programmes en faveur des femmes. Il note également avec satisfaction que la Colombie a l'intention de procéder prochainement à la ratification de la Convention interaméricaine de 1994 sur la prévention, la répression et l'élimination de la violence à l'égard des femmes (Convention de Belém do Pará) .

C. Facteurs et difficultés affectant l'application du Pacte

179. Le Comité note que la Colombie est caractérisée par un climat de violence généralisée, particulièrement dans la région d'Uraba. Ce facteur déstabilise sérieusement le pays et affecte les efforts du gouvernement pour assurer à tous la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Le Comité note que cette violence est causée en partie par de graves inégalités dans la société, telles que les énormes disparités dans la répartition de la richesse nationale, y compris la propriété foncière.

180. Le Comité note que le recours fréquent à l'instauration de l'état d'urgence a des répercussions adverses sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels en Colombie.

D. Principaux sujets de préoccupation

181. Le Comité est gravement préoccupé par la persistance d'un niveau élevé de pauvreté affectant la majorité des habitants du pays. En particulier, il note avec préoccupation que le taux de mortalité infantile de la Colombie est un des plus élevés d'Amérique du Sud. Tout en reconnaissant les efforts entrepris par le gouvernement pour tenter de redresser la situation, le Comité souligne qu'il est anormal que de tels niveaux de pauvreté se maintiennent dans un pays qui connaît par ailleurs un développement économique en croissance constante. Il exprime sa préoccupation devant les résultats décevants de la plupart des programmes de lutte contre la pauvreté et d'amélioration des conditions de vie, d'autant plus que les fonds dégagés dans le budget pour des dépenses sociales n'ont pas été entièrement utilisés à cette fin.

182. Le Comité souligne l'importance considérable du problème des personnes déplacées, dont le nombre est estimé à environ 600 000. Des centaines de milliers de paysans ont été déracinés et contraints de migrer vers les villes, où ils augmentent la population des bidonvilles et se retrouvent, de fait, privés de la satisfaction la plus élémentaire de leurs besoins vitaux. La raison première de ces déplacements est le niveau élevé de violence dans certaines régions du pays.

183. Le Comité souligne sa préoccupation au sujet du nombre élevé d'enfants abandonnés, ceux que l'on appelle les enfants des rues, privés de tous leurs droits (environnement familial, éducation, santé, logement, etc.). Le Comité exprime sa préoccupation devant le fait que le « Programme des mères communautaires », destiné à venir en aide à ces enfants, ne dispose pas de ressources financières suffisantes, compte tenu de l'important travail social accompli par ces femmes, qui ne bénéficient ni d'une formation ni des conditions de travail appropriées.

184. Le Comité est préoccupé par la timidité du gouvernement face à l'odieuse pratique de la « purification sociale », à laquelle recourent certains groupes criminels pour menacer et tuer des personnes, y compris des enfants, dont ils estiment pouvoir se débarrasser.

185. Le Comité s'inquiète de constater que l'état de droit semble avoir complètement disparu de la région d'Uraba, et que l'Etat n'assure plus les services les plus élémentaires en matière sociale, éducative et sanitaire.

186. Le Comité exprime sa préoccupation devant les discriminations généralisées dont sont victimes les femmes. Ainsi, on relève que les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes de 30 % en moyenne.

187. Le Comité prend note avec préoccupation de la perte de pouvoir d'achat des salaires en valeur réelle. Selon un rapport de la Defensoría del Pueblo en mars 1995, 23,8 % de la population active, dans les sept principales villes du pays, recevaient le salaire minimum légal (environ 135 dollars), et 64,2 % recevaient moins que deux fois le salaire minimum. Ainsi, quelque 75 % des travailleurs ne peuvent pas remplir le « panier familial » qui coûte deux fois et demie le salaire minimum.

188. Le Comité est gravement préoccupé par la violation du droit de nombreux travailleurs de former des syndicats et de s'y affilier, ainsi que de participer à des négociations collectives et à des actions de grève. Le Comité estime que les restrictions légales au droit de grève sont beaucoup trop étendues et ne peuvent être justifiées par des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public. Il regrette que l'actuelle commission tripartite pour le développement syndical n'ait pas mandat pour examiner ces graves questions.

189. Le Comité est préoccupé par la proportion élevée d'enfants qui travaillent, particulièrement dans des activités pénibles et malsaines (telles que les briqueteries et les mines), et par l'insuffisance de l'action menée par le gouvernement pour combattre ces pratiques.

190. Le Comité note que l'application et le suivi des mesures sanitaires et des prescriptions de sécurité sur les lieux de travail n'ont pas atteint le niveau souhaitable, en raison notamment du nombre insuffisant d'inspecteurs du travail.

191. Le Comité note avec préoccupation qu'il y a un déficit considérable de logements, représentant 3,7 millions d'unités, et qu'un grand nombre d'habitants vivent dans des conditions précaires, dans des logements qui ne correspondent pas à la définition d'un logement suffisant aux termes de l'article 11 du Pacte, ainsi que l'a également précisé le Comité.

192. Le Comité note que, malgré une série d'initiatives de l'Etat, l'accès effectif à l'éducation est limité en Colombie. Il est particulièrement préoccupant de constater que l'objectif de l'enseignement primaire universel, prévu dans le Pacte, n'est pas encore atteint. Le Comité est également préoccupé par le déclin de la qualité de l'enseignement secondaire et par les conditions de travail des enseignants.

E. Suggestions et recommandations

193. Le Comité recommande que le gouvernement, par ses programmes de développement économique et une modification du système fiscal actuellement à l'étude, s'attaque au problème de la répartition inéquitable des richesses, dans le but de lutter efficacement contre la pauvreté qui caractérise le pays. Il recommande également des efforts concertés pour améliorer l'efficacité des programmes de développement économique et social de la Colombie.

194. Le Comité recommande que le gouvernement continue à donner la priorité aux efforts visant à améliorer le sort des communautés autochtones, des personnes déplacées, des sans-abri et d'autres personnes vivant en marge de la société. Il prie instamment le gouvernement de veiller à la satisfaction des besoins les plus élémentaires de ces personnes, indépendamment de toute stratégie à long terme.

195. Le Comité est d'avis que le phénomène de la « purification sociale » n'a pas été éradiqué, et il recommande la plus grande vigilance à cet égard, en particulier le châtiment des auteurs de tels crimes. Il recommande aussi que l'on s'attaque aux causes profondes du phénomène par tous les moyens dont l'Etat dispose.

196. Le Comité demande instamment qu'une attention accrue soit accordée au problème de la discrimination contre les femmes et que des programmes soient appliqués pour éliminer les inégalités entre hommes et femmes. De tels programmes devraient simultanément aviver la prise de conscience du public et l'intérêt pour les droits économiques, sociaux et culturels des femmes.

197. Le Comité recommande que le Gouvernement colombien adopte toutes les mesures nécessaires pour harmoniser, dans la pratique, sa législation en matière de liberté syndicale et de conventions collectives avec ses obligations internationales en la matière.

198. Le Comité recommande également que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer à tous le droit à l'enseignement primaire gratuit. Il recommande en outre que le gouvernement prenne des mesures pour améliorer la qualité de l'enseignement secondaire et la situation matérielle du personnel enseignant.

199. Le Comité recommande que l'enseignement des droits de l'homme soit dispensé à tous les niveaux d'enseignement, particulièrement au niveau primaire, ainsi que dans la formation des agents de police, des membres des forces de sécurité et des forces armées, des magistrats et des juges.

200. Le Comité estime, de même, que le Gouvernement colombien devrait :

a) Améliorer la formation des « mères communautaires » et régulariser leur situation sur le plan de l'emploi en les considérant comme des employées salariées à toutes fins utiles;

b) Lutter contre la non-affectation des crédits destinés aux dépenses sociales dans le budget général de l'Etat et veiller à ce que ces crédits soient utilisés aux fins prévues;

c) Intensifier la construction de logements, notamment de logements sociaux pour les secteurs les plus pauvres, en zone urbaine comme en zone rurale, et allouer des ressources propres à assurer l'approvisionnement en eau potable et des services d'assainissement à toute la population.

201. Le Comité estime qu'il serait souhaitable d'améliorer les systèmes de statistiques sociales sur la base d'indicateurs pertinents, afin que le gouvernement et toutes les institutions concernées puissent évaluer objectivement les problèmes et les progrès accomplis en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

202. Le Comité recommande que la Colombie fasse le meilleur usage de l'assistance technique mise à sa disposition par le Centre pour les droits de l'homme, en coopération avec des organismes des Nations Unies et des institutions spécialisées compétentes, dans le but de garantir à tous la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et de les protéger.



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