University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Cameroun, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.40 (1999).



COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels


Cameroun

1. Le Comité a examiné le rapport initial du Cameroun (E/1990/5/Add.16) à ses 41ème, 42ème et 43ème séances, les 23 et 24 novembre 1999, et a adopté, à sa 54ème séance, tenue le 2 décembre 1999, les observations finales suivantes.


A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Cameroun, malgré le retard avec lequel celui­ci a été présenté, ainsi que les réponses par écrit souvent franches apportées à la liste des points à traiter qui lui a été soumise par le Comité (E/C.12/Q/CAMER/1). Il regrette toutefois qu'en dépit de tous ses efforts, la délégation n'ait pu répondre de façon pleinement satisfaisante aux questions du Comité. Il est dommage qu'une délégation d'experts n'ait pu être dépêchée de la capitale pour participer aux séances étant donné que cela aurait permis un dialogue plus approfondi et plus constructif avec le Comité.

3. Le Comité note que le manque d'informations concrètes et précises aussi bien dans le rapport écrit que dans les réponses fournies par le Gouvernement de l'État partie ainsi que l'absence de document de base ne lui ont pas permis de procéder à une évaluation efficace de la situation réelle pour ce qui est de l'exercice par les Camerounais des droits de l'homme énoncés dans le Pacte.

4. Le Comité note que la délégation a promis que des renseignements plus précis sur divers indicateurs économiques, sociaux et culturels figureraient dans le deuxième rapport périodique du Cameroun.


B. Aspects positifs

5. Le Comité considère comme un fait nouveau positif la création, en 1997, du Ministère de la condition féminine, chargé spécialement de promouvoir l'égalité des sexes et de mettre fin à toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes dans tous les domaines au sein de la société camerounaise.

6. Le Comité prend note avec satisfaction de l'augmentation du taux de croissance du produit intérieur brut de l'État partie, qui a atteint 5 % en 1998, et de la baisse du taux d'inflation, qui est tombé à 1,6 % en glissement annuel en juin 1998, contre 9,6 % un an auparavant. Ces tendances positives concourent à un environnement propice à un exercice plus effectif des droits énoncés dans le Pacte.

7. Le Comité se félicite de la hausse récente de 30 % des salaires des fonctionnaires et du renflouement de la Caisse nationale de prévoyance sociale du Cameroun devant permettre d'assurer le versement de leurs prestations aux bénéficiaires de pensions.


C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

8. Le Comité note qu'en raison du remboursement de la dette extérieure du Cameroun, qui absorbe environ les deux tiers des recettes d'exportation du pays, le Gouvernement camerounais n'est pas toujours en mesure d'allouer des ressources suffisantes au secteur social.

9. Le Comité prend note de la persistance de certaines traditions, coutumes et pratiques culturelles au Cameroun, qui continuent à empêcher les femmes d'exercer pleinement les droits énoncés dans le Pacte.

10. Le Comité constate que le programme de réforme économique du Gouvernement pour 1998/99, mis en place pour appliquer le programme d'ajustement structurel approuvé par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Caisse française de développement, même s'il a permis un accroissement du taux de croissance réel du PIB, a eu un impact négatif sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels en induisant un accroissement de la pauvreté et du chômage, une aggravation des inégalités dans la répartition du revenu et un effondrement des services sociaux.


D. Principaux sujets de préoccupation

11. Le Comité s'interroge sur la place exacte qu'occupe le Pacte dans le système juridique camerounais. Il regrette que la délégation n'ait pas été en mesure de clarifier la position du Pacte dans le droit camerounais ni de citer des cas précis dans lesquels le Pacte a été invoqué devant les tribunaux nationaux.

12. Le Comité est préoccupé par le manque de transparence et le degré d'indépendance du Comité national des droits de l'homme et des libertés, dont les conclusions ne sont ni publiées ni rendues publiques.

13. Le Comité note avec une profonde préoccupation que le Gouvernement camerounais n'a pas encore entrepris la réforme nécessaire pour abroger les lois qui maintiennent le statut juridique inégal des femmes, en particulier les dispositions du Code civil et du Code de commerce relatives notamment au droit de posséder des biens et les lois relatives au crédit et à la faillite, qui limitent l'accès des femmes aux moyens de production et les maintiennent dans un état d'infériorité. Ces lois discriminatoires constituent une violation flagrante des dispositions du Pacte concernant la non­discrimination et sont incompatibles avec la Constitution, récemment modifiée, du Cameroun, qui consacre l'égalité de droits de tous les citoyens camerounais.

14. Le Comité déplore le peu de progrès accomplis par le Gouvernement dans sa lutte contre le maintien de pratiques qui empêchent les femmes et les filles d'exercer les droits qui leur sont reconnus dans le Pacte. Il s'agit notamment de la polygamie et des mariages précoces et forcés des filles ainsi que des lois discriminatoires en matière de succession qui interdisent aux femmes d'hériter de la terre.

15. Le Comité déplore l'insuffisance des mesures prises par le Gouvernement pour combattre, en particulier par le biais de programmes éducatifs, la pratique persistante des mutilations génitales féminines, dont sont généralement victimes les jeunes femmes et les fillettes dans les provinces de l'extrême nord et du sud­ouest du Cameroun.

16. Le Comité regrette qu'aucune mesure n'ait été prise pour éliminer la violence intrafamiliale contre les femmes, pratique considérée encore comme culturellement acceptable par certains groupes de la société.

17. Le Comité regrette que le Gouvernement n'ait rien fait pour protéger les droits des ouvriers des plantations dans les zones rurales en leur assurant des conditions de travail justes. Il a pris note avec une profonde préoccupation de la réponse donnée par la délégation selon laquelle ces ouvriers sont libres de négocier leurs conditions d'emploi, alors que le Gouvernement est tenu en vertu du Pacte de veiller à ce que tous les travailleurs jouissent de conditions d'emploi favorables, ce qui comprend un salaire équitable, la sécurité sur le lieu de travail et une limitation raisonnable de la durée du travail.

18. Le Comité juge préoccupant que le Gouvernement n'ait pas encore adopté de législation interdisant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail qui, selon certaines sources, est répandu au Cameroun.

19. Le Comité regrette que le salaire minimum fixé par le Gouvernement ne soit pas suffisant pour permettre à un travailleur de vivre au­dessus du seuil de pauvreté, et encore moins de lui procurer une existence décente pour lui et sa famille.

20. Le Comité regrette qu'aucun renseignement précis n'ait été fourni dans les réponses écrites de l'État partie et par la délégation elle­même au sujet des raisons pour lesquelles l'Union nationale des enseignants du supérieur n'est plus reconnue depuis 1991.

21. Le Comité est profondément préoccupé par l'augmentation de la pauvreté et du chômage au Cameroun, en particulier parmi les groupes les plus vulnérables tels que les groupes minoritaires et les personnes âgées et dans la population rurale. Le Comité est particulièrement alarmé par les chiffres relatifs à la pauvreté au Cameroun, qui montrent que 55 % de la population vivaient au­dessous du seuil de pauvreté en 1998 et que 40 % de la population rurale vivent dans la pauvreté contre 15 % de la population urbaine. À ce propos, le Comité est préoccupé par l'insuffisance des prestations de sécurité sociale versées au titre de l'entretien des enfants aux parents célibataires et aux familles à faible revenu.

22. Le Comité regrette que des secteurs importants de la société n'aient pas accès à de l'eau potable, en particulier dans les zones rurales où 27 % seulement de la population bénéficient d'un accès à de l'eau salubre (avec une relative facilité) contre 47 % pour la population urbaine.

23. Le Comité s'inquiète du manque de protection des droits des Pygmées baka, en particulier de leur droit à un niveau de vie suffisant, y compris une nourriture suffisante, dont la jouissance a été compromise par l'épuisement des ressources naturelles de la forêt tropicale humide, dont ils dépendent pour leur subsistance et par l'appropriation forcée de leurs terres par le Gouvernement.

24. Le Comité est préoccupé par la fréquence apparemment élevée des expulsions forcées dans les zones rurales du Cameroun, problème dont l'État partie n'a pas fait mention dans ses réponses écrites.

25. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des politiques et programmes de planification de la famille au Cameroun, qui n'ont pas permis de réduire la mortalité infantile et maternelle. Il est également préoccupé par le grand nombre d'avortements clandestins, qui est en partie responsable du taux élevé de mortalité maternelle au Cameroun.

26. Le Comité note avec regret, comme l'indique l'État partie dans ses réponses écrites, que les installations médicales mises à la disposition de toutes les couches de la population restent insuffisantes et inégalement réparties. Il regrette également que, dans ses réponses, le Cameroun n'ait pas clarifié la situation du pays en ce qui concerne la fourniture de services de santé.

27. Le Comité note avec une profonde préoccupation qu'au Cameroun il n'existe pas de loi établissant la gratuité de l'enseignement primaire. Il déplore que les parents soient tenus de contribuer à son financement par le biais des frais de scolarité obligatoires perçus par les écoles primaires, ce qui, compte tenu du niveau élevé de pauvreté, restreint considérablement l'accès à l'enseignement primaire, en particulier dans le cas des filles.

28. Le Comité est vivement préoccupé par l'insuffisance des salaires des enseignants et le manque d'infrastructures, de locaux et de services scolaires, en particulier dans les zones rurales. Il déplore également les inégalités dans la répartition des ressources consacrées à l'éducation entre les dix provinces du Cameroun.

29. Le Comité est préoccupé par la persistance d'un taux élevé d'analphabétisme au Cameroun. Il prend également note avec une vive préoccupation de la préférence culturelle donnée en matière d'éducation aux enfants de sexe masculin. Cela se reflète dans le taux d'analphabétisme plus élevé chez les femmes (49,9 %) que chez les hommes (30 %).

30. Le Comité regrette que la délégation n'ait pas été en mesure d'indiquer avec précision dans quelle proportion les différentes catégories de la population font des études supérieures.


E. Suggestions et recommandations


31. Le Comité demande instamment à l'État partie de prendre toutes les mesures voulues, y compris d'adopter une législation appropriée, pour faire en sorte que tous les Camerounais, y compris les plus vulnérables, jouissent des droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte.

32. Le Comité demande à l'État partie de prendre des mesures plus actives et positives pour s'attaquer à l'inégalité des sexes et à la discrimination à l'égard des femmes au Cameroun, de droit et de fait. Il prie en particulier l'État partie d'abroger toutes les dispositions du Code civil et du Code de commerce qui sont discriminatoires à l'égard des femmes.

33. Le Comité engage le Gouvernement à interdire les pratiques coutumières qui portent atteinte aux droits des femmes et à prendre des mesures actives pour lutter par tous les moyens contre ces pratiques et ces croyances, y compris par l'intermédiaire de programmes d'éducation. Le Gouvernement devrait concentrer plus particulièrement son action sur l'élimination de la pratique de la polygamie, des mariages forcés et des mutilations génitales féminines ainsi que des préjugés amenant à donner la préférence aux garçons en matière d'éducation. L'État partie est invité à indiquer dans son deuxième rapport périodique quels progrès auront été réalisés dans ce domaine.

34. Le Comité demande à l'État partie d'adopter des lois et mesures spécifiques pour interdire le harcèlement sexuel et la violence domestique sur le lieu de travail, afin de renforcer la protection des femmes.

35. Le Comité invite instamment l'État partie à prendre des mesures efficaces pour protéger les droits des ouvriers des plantations des zones rurales afin qu'ils jouissent de conditions de travail justes et favorables.

36. Le Comité engage l'État partie à adopter les mesures correctives qui s'imposent, notamment une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, pour résoudre le problème aigu de la pauvreté au Cameroun. Il suggère à cet égard à l'État partie de consulter les institutions spécialisées et organes compétents des Nations Unies avant de formuler une telle stratégie.

37. Le Comité demande instamment à l'État partie de revoir sa législation et sa politique en matière d'entretien des enfants afin de garantir le versement de prestations de sécurité sociale suffisantes aux parents célibataires et aux familles à faible revenu.

38. Le Comité recommande à l'État partie de réexaminer ses programmes de réforme économique au regard de leur incidence sur le niveau de vie des groupes vulnérables, en particulier dans les zones rurales, et de s'efforcer d'adapter ces réformes de manière à mieux répondre aux besoins actuels de ces groupes. Il recommande à cet égard que lors des négociations avec les institutions financières internationales, l'État partie prenne en considération l'obligation juridique internationale lui incombant de protéger et de promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels.

39. Le Comité demande instamment à l'État partie de prendre des mesures pour protéger le droit des Pygmées baka à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à l'alimentation, lors de la négociation des contrats relatifs aux grands projets qui ont des effets négatifs sur leur vie.

40. Le Comité demande à l'État partie d'assurer à l'ensemble de la population l'accès à de l'eau salubre.

41. Le Comité invite instamment l'État partie à appliquer des lois et des mesures appropriées pour combattre le problème des expulsions forcées, conformément aux Observations générales Nos 4 et 7 du Comité.

42. Le Comité souhaiterait que l'État partie fournisse, dans son deuxième rapport périodique, des renseignements plus concrets au sujet des services médicaux et des problèmes auxquels se heurtent les groupes vulnérables en matière d'accès aux services médicaux, en particulier dans les zones rurales. Il souhaiterait également avoir davantage d'informations sur l'efficacité de la politique pharmaceutique nationale pour ce qui est de la fourniture de médicaments génériques de haute qualité à tous les groupes de la société.

43. Le Comité recommande au Gouvernement de prendre des mesures pour mettre fin à toute forme de contribution obligatoire des parents aux coûts de l'enseignement primaire. À cet égard, il invite instamment l'État partie à allouer davantage de ressources à l'éducation, notamment en ce qui concerne l'infrastructure et les ressources humaines, en particulier dans les zones rurales. À ce propos, Le Comité appelle l'attention de l'État partie sur son Observation générale No 11.

44. L'État partie est prié de fournir, dans son deuxième rapport périodique, des informations précises et détaillées sur l'exercice par les femmes des droits énoncés dans le Pacte.

45. Le Comité invite instamment l'État partie à revoir ses politiques en matière de santé et, en particulier, à se pencher sur les questions de la mortalité maternelle, des grossesses précoces et du VIH/sida. À ce sujet, il invite aussi instamment le Gouvernement à revoir ses politiques de planification de la famille, en vue de développer l'accès à l'information sur les contraceptifs par l'intermédiaire de programmes d'éducation.

46. Le Comité recommande également au Gouvernement camerounais de faire appel à l'assistance technique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et des institutions spécialisées et organes des Nations Unies compétents pour établir son deuxième rapport périodique.

47. Le Comité demande instamment à l'État partie de prendre les mesures nécessaires pour assurer une large diffusion aux dispositions du Pacte auprès de tous les groupes de la société, en particulier les membres des professions juridiques, de l'appareil judiciaire et de l'administration, ce en intégrant une éducation aux droits de l'homme dans tous les programmes d'enseignement.

48. Le Comité prie l'État partie de prendre des dispositions pour assurer une large diffusion à ses observations finales et de lui soumettre son deuxième rapport périodique d'ici au 30 juin 2001, afin que le Comité puisse être tenu informé des progrès accomplis dans la mise en oeuvre des droits énoncés dans le Pacte et dans l'application des recommandations formulées par le Comité à cet égard.



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