MODULE 5
LES ENFANTS ET LES DROITS ES

Objet du module 5

Ce module a pour objet d'offrir une vue d'ensemble de la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE) et de ses dispositions relatives aux droits ESC.

Sont traités dans ce module:

  • les principes généraux servant de cadre de base pour la CDE;
  • les dispositions spécifiques relatives aux droits ESC;
  • les mesures de mise en œuvre; et
  • les mécanismes de suivi de l'exécution de la CDE.


La convention relative aux droits de l'enfant

En 1959, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté la Déclaration des droits de l'enfant,1 le premier instrument international majeur exclusivement dédié aux droits de l'enfant. Elle proclamait le principe selon lequel " l'intérêt supérieur de l'enfant " devait guider les actions de ceux ayant une incidence sur eux. La Déclaration put alors servir de base morale et légale pour développer un traité faisant lieu d'engagement sur les droits de l'enfant.

Les Nations Unies proclamèrent 1979 l'Année de l'enfant pour marquer le vingtième anniversaire de la Déclaration des droits de l'enfant. La même année, la Commission des droits de l'homme de l'ONU commença à rédiger un traité sur le sujet. Pourtant, la décision de commencer le processus de rédaction de la Convention n'était pas évident. Parmi les objections formulées, il était prétendu que les enfants étaient couverts comme les adultes par les mêmes traités existants sur les droits de l'homme, et que des dispositions spéciales de ces traités se rapportaient en particulier aux enfants. Parfois par implication, comme dans certains articles ayant trait au droit à l'éducation, d'autres fois par une formulation indiquant clairement que l'enfant ou la famille est le sujet de la disposition. Par exemple, le PIDESC reconnaît le droit de quiconque à une éducation. Il prescrit, entre autres, que l'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible à tous gratuitement (art. 13). Les formulations sur le droit à la santé indiquent également que les gouvernements doivent prendre des mesures pour réduire la mortalité infantile et subvenir au développement de l'enfant en pleine santé physique (art. 12).

Le Pacte soulève également la question du travail des mineurs:

Les enfants et adolescents doivent être protégés contre l'exploitation économique et sociale. Le fait de les employer à des travaux de nature à compromettre leur moralité ou leur santé, à mettre leur vie en danger ou à nuire à leur développement normal doit être sanctionné par la loi. Les États doivent aussi fixer des limites d'âge au-dessous desquelles l'emploi salarié de la main-d'œuvre enfantine sera interdit et sanctionné par la loi.2

La Charte sociale européenne comporte des normes similaires, quoique plus détaillées (art.7). Des réglementations plus concrètes liées à l'emploi des enfants sont codifiées dans les conventions de l'OIT, en particulier par les conventions 138 et 182.

La discrimination contre les filles est en effet un aspect de la CEDAW. Une des obligations y étant exprimée est la prise de mesures pour la réduction du nombre de filles qui abandonnent l'école.3 Le CEDAW contient également des dispositions visant à protéger la femme dans sa situation de mère pendant et après la grossesse. L'éducation familiale doit, selon la Convention, montrer clairement " la responsabilité commune de l'homme et de la femme dans le soin d'élever leurs enfants et d'assurer leur développement, étant entendu que l'intérêt des enfants est la condition primordiale dans tous les cas. " 4

La décision au sein des Nations Unies d'aller de l'avant avec le projet de traité sur les droits de l'enfant en dépit de ce qui est mentionné plus haut et des autres standards existants fut en partie motivée en réponse à des pressions. De puissants groupes de pression-comme ce fut le cas pour les droits de la femme-ont alors revendiqué le besoin de normes plus précises, indiquant que certains aspects important des droits de l'enfant n'étaient en fait pas couverts par les traités existant. Les ONG ont notamment insisté sur le fait qu'il était devenu de plus en plus évident avec le temps que les intérêts des enfants ne coïncidaient pas toujours, ni nécessairement, avec ceux de leurs tuteurs, et que ce point pourrait être plus clairement défini dans un texte compréhensif centré sur les droits de l'enfant.

En 1989, l'Assemblée générale des Nations Unies adopta ainsi la Convention relatives aux droits de l'enfant (CDE). Ce texte, qui émergea après un processus de rédaction s'étant étalé sur une décennie, est la seule liste détaillée de normes de droits de l'homme uniquement relative aux enfants. Il comprend des dispositions liées à l'enfant provenant d'autres traités de droits de l'homme, tels que celles mentionnés plus haut, ainsi que des aspects originaux tels que la survie, la protection et le développement des enfants, de même que des dispositions pour d'autres droits, y compris le droit à la participation. La CDE prend en compte la situation des enfants de groupes minoritaires et autochtones, et traite des enfants menacés par l'abus de drogue et la négligence.

Un aspect important de la CDE est qu'elle définit certains principes généraux qui, ensemble, forment une approche des droits de l'enfant pour guider les programmes nationaux de mise en application. La CDE implique également dans ses efforts de suivi de l'exécution certains organes de l'ONU et des ONG.

La Convention relative aux droits de l'enfant-principes généraux

La Convention relative aux droits de l'enfant trouve ses racines dans certaines valeurs de base sur le traitement des enfants, leur protection et leur participation dans la société. Ces idées sont exprimées dans certains des premiers articles du texte. Le choix de ces articles comme " principes généraux " fut déterminé par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU lors de sa première session en septembre, octobre 1991, lorsqu'il se mit d'accord sur des directives pour l'écriture et la structure des rapports initiaux par les gouvernements. Ceci fut le contexte de la décision importante consistant à porter un accent particulier sur les articles 2, 3, 6 et 12. 5

Ces articles furent mis sous une rubrique spéciale dans les directives précédant les normes sur les droits civils, les aspects familiaux, la santé, l'éducation et les autres dispositions plus importantes. Il fut indiqué clairement que le comité voulait que les gouvernements émettent également des rapports sur l'application de ces principes sur la réalisation d'autres articles de la CDE. Ainsi, la Convention devint plus qu'une simple liste d'obligations; elle offrit un message compréhensif.

L'intérêt supérieur de l'enfant

Un aspect majeur de la philosophie derrière la CDE est l'égalité des enfants; en tant qu'êtres humains ils possèdent les mêmes valeurs inhérentes que les grandes personnes. L'affirmation du droit de jouer souligne le fait que l'enfance a une valeur en elle-même et que ces années-là ne sont pas uniquement une période de formation à la vie adulte. L'idée que les enfants ont la même valeur peut sembler être un truisme, mais c'est en fait une pensée radicale-qui n'est absolument pas respectée aujourd'hui.

Les enfants-particulièrement les très jeunes-sont vulnérables et ont besoin d'un soutien spécial pour être capables de jouir pleinement de leurs droits. Comment peut-on accorder aux enfants la même valeur et, à la fois, la protection nécessaire? Une partie de la réponse repose dans le principe de " l'intérêt supérieur de l'enfant ", formulé dans l'article 3(1):

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

À chaque fois que des décisions officielles devant affecter les enfants sont prises, les intérêts de ces derniers doivent être considérés comme importants. Les intérêts des parents ou de l'État ne doivent pas être la considération essentielle. Ceci est en effet un des messages principaux de la CDE.

Les opinions de l'enfant

Ce premier principe, par sa nature-même, accorde de l'importance à un autre principe, sur le respect des opinions de l'enfant. Afin de savoir ce qui est réellement dans l'intérêt de l'enfant, la simple logique est de l'écouter. Ce principe est formulé dans l'article 12(1):

Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

Ceci a été nommé par certains commentateurs l'élément de " participation " de la CDE. Il s'agit pour l'enfant d'avoir le droit d'être entendu et que ses idées soient prises au sérieux. Les rapports des États parties sur ce point ont été vagues sur cet article; certains ont déclaré que les enfants de douze ans, par exemple, ont le droit de rejeter une adoption ou de changer de nom ou de nationalité. Peu ont montré une approche compréhensive vis-à-vis de ce principe, concernant aussi la vie scolaire et en famille-et dans la politique.

Le droit à la survie et au développement

Le principe le plus directement lié aux droits économiques et sociaux des enfants est formulé dans l'article sur le droit à la vie. L'article 6(2) va plus loin que d'accorder simplement aux enfants le droit de ne pas être tués. Il comprend le droit à la survie et au développement:

Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l'enfant.

Le mot " survie " est inhabituel dans les traités sur les droits de l'homme; il est emprunté à la terminologie utilisée dans les discussions sur le développement. L'objet était d'introduire un aspect dynamique au droit à la vie comprenant notamment le besoin de décisions préventives, telles que l'immunisation.

Le terme " développement " se rapporte à l'individu enfant et doit être interprété dans un sens large. Il ajoute une dimension qualitative à l'article. Non seulement la santé physique est voulue, mais aussi le développement mental, émotionnel, cognitif, social et culturel.

L'article 6 peut être considéré comme la plate-forme de tous les autres articles de la CDE traitant des droits ESC des enfants. La mention " dans toute la mesure possible " qu'il com-

Reconnaître le droit de décision des enfants

Les parents d'Ameena, une jeune Musulmane de 13 ans, l'avaient vendue pour une modeste somme d'argent à un cheik d'Arabie Saoudite. Ils ont d'autres enfants, dont plusieurs filles. Le père est tisserand. La famille est pauvre. Ils s'étaient arrangés pour déguiser la " vente " en mariage, bien qu'Ameena fût trop jeune, même selon la loi musulmane, pour donner son consentement à l'union. Le sort d'Ameena n'aurait jamais été rendu public sans l'intervention d'une hôtesse de l'air attentive, Ms. Ahluwalia. Ayant remarqué la petite fille à l'air égaré parmi les passagers de l'avion, elle s'arrangea pour donner l'alarme avant le décollage. La police intervint, le cheik fut arrêté, et Ameena envoyée dans un foyer pour enfants en difficulté de New Delhi. Le foyer est installé dans le complexe qui abrite la fameuse prison centrale de Delhi, Tihar Central Jail. La ressemblance ne s'arrête pas là, puisqu'il sert également de prison, malgré son statut légal de " foyer ".

Une plainte officielle fut déposée contre le cheik et contre les parents d'Ameena. L'instruction dura plusieurs mois, pendant lesquels Ameena vécut dans l'univers carcéral du foyer. Tandis que ses parents faisaient, à grand frais, le voyage d'Andhra Pradesh pour assister à l'audience, le cheik se réfugia à l'Ambassade d'Arabie Saoudite de New Delhi, et s'arrangea pour quitter le pays. Entre temps, les relations entre Ameena et ses parents s'étaient naturellement dégradée, tandis qu'une certaine amitié s'était installée entre elle et Ms. Ahluwalia, qui venait régulièrement lui rendre visite. Ms. Ahluwalia exprima le souhait d'adopter Ameena, ou tout au moins d'en assurer temporairement la garde, jusqu'à ce que l'affaire soit jugée. Ses requêtes furent rejetées par l'État comme par les tribunaux.

En conclusion d'un procès civil intenté par Ms. Ahluwalia et par plusieurs organisations de défense des droits de la femme, la Cour de justice de Delhi ordonna qu'Ameena soit rendue à ses parents, et renvoyée chez elle. Pour empêcher qu'elle soit à nouveau vendue, la Cour donna l'instruction au gouvernement de l'État de faire en sorte qu'Ameena reçoive une éducation gratuite, et d'entreprendre des visites de contrôle régulières. L'État devait également assurer dans une certaine mesure la sécurité financière de la famille. Ameena retourna chez elle avec ses parents avant même que leur procès criminel ait eu lieu.

Dans toute cette affaire, Ameena ne fut jamais considérée comme une personne à part entière, disposant de la capacité de décider elle-même de son sort. Son père donna pour elle son consentement à l'union, Ms. Ahluwalia mit en route la procédure judiciaire, l'État la plaça dans le foyer pour enfants en difficulté, le tribunal la renvoya à ses parents, et, au bout du compte, ses parents réussirent à faire pression sur elle pour qu'elle atténue la sévérité de son témoignage contre eux.

Quels étaient les souhaits d'Ameena ? Nous ne le savons pas vraiment, parce que personne ne lui a posé la question. Tandis que la loi et ses parents la pensaient vraisemblablement en âge d'être mariée et d'avoir des relations sexuelles, on ne lui accorda jamais même un minimum de contrôle sur sa destinée. Peut-être ne souhaitait-elle rien d'autre que de ne pas être séparée de ses frères et sœurs, et de profiter en paix de ce qui lui restait d'enfance.

Le défaut de reconnaître la capacité des enfants à prendre des décisions a des conséquences dramatiques pour certaines catégories d'enfants, comme les enfants des rues, qui s'habituent très tôt à prendre leurs propres décisions et à profiter d'une certaine liberté. Le fait de traiter tous les enfants, sans égard à leur âge et à leur situation, comme incapables de réflexion indépendante semble constituer une menace direct à leurs droits en tant qu'individus.6

 

porte laisse supposer la reconnaissance des ressources qu'exige son application et de l'impos-sibilité de certaines mesures dans les pays les plus pauvres. Cependant, la formulation indique aussi que la priorité doit être donnée à l'application de cette exigence dans tous les pays.

La plus grande partie du débat sur le droit à la vie des enfants s'est concentrée sur la question de l'avortement. La référence faite à l'enfant à naître dans le préambule de la CDE a créé quelque confusion: " l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance ". Il est compréhensible que le groupe de pression anti-avortement ait trouvé un soutien dans cette formulation, mais le préambule ne fait pas partie des obligations formelles du traité. En fait, lorsqu'un article contre l'avortement fut proposé lors du processus de rédaction, il fut rejeté.

Cependant, plusieurs autres aspects de la protection et du développement de l'enfant à naître peuvent être discutés sur la base de la CDE. Le Comité des droits de l'enfant a porté l'accent sur l'importance des services de santé en direction des femmes enceintes. Les enfants nés de mères souffrant de malnutrition ou malades, démarreront mal dans la vie. Il est important d'encourager les femmes enceintes à éviter la consommation d'alcool et autres drogues, de même que celle de la cigarette. Lorsqu'il s'agit de s'attaquer à ces problèmes, il n'importe sans doute guère que l'action soit basée sur un droit à la protection de l'enfant à naître ou sur celui du nouveau-né d'entrer dans la vie en pleine santé.

La psychologie moderne de l'enfant a indiqué clairement à quel point les premiers jours, semaines et mois sont importants pour le développement futur de ce dernier. Ceci doit être également considéré lorsqu'il s'agit de s'efforcer sérieusement à appliquer l'article 6. Il est absolument essentiel que l'enfant, dès le début, dispose de la possibilité d'établir un rapport avec sa mère et/ou un autre adulte, et de communiquer pleinement avec ce(s) dernier(s). Tous les parents connaissent-ils ces détails fondamentaux? Leur est-ils laissé une chance d'être avec leurs enfants? Des sondages récents dans plusieurs pays industrialisés indiquent que l'éducation des parents n'est pas satisfaisante et que le temps à consacrer aux enfants est une denrée rare. Les crèches, services de garderie et écoles ordinaires sont d'autres environnements sociaux critiques pour les enfants où il peut être possible de développer leur personnalité.

Non-discrimination

Le quatrième principe général de la CDE, tel qu'identifié par le Comité des droits de l'enfant, est que tous les enfants doivent jouir de leurs droits et qu'aucun ne doit souffrir de discrimination. L'obligation d'offrir les mêmes opportunités à tous les enfants est exprimée dans l'article 2, dont le premier paragraphe indique:

Les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation (italique ajouté).

Le message traite de l'égalité des droits. Il doit être donné aux filles les mêmes opportunités qu'aux garçons. Les enfants de réfugiés et ceux de groupes minoritaires ou autochtones doivent bénéficier des mêmes droits que les autres. Il doit être également possible pour les enfants handicapés comme pour les autres de mener une vie décente.

Les droits de l'enfant et les droits ESC

Dans l'ensemble, il apparaît que la CDE a contribué à une discussion renouvelée et plus positive sur les droits ESC en général. Par sa nature-même, la Convention apporte un soutien à l'opinion selon laquelle tous les droits sont indivisibles, interdépendants et étroitement liés. Ceci, d'autant plus amplifié par l'approche holistique prise par le Comité de l'ONU lors de son travail de suivi. La plupart des articles de la CDE comportent des éléments de protection, de participation et de développement; ils sont affiliés aux deux pactes.

Étant donné l'approche holistique de la CDE, il n'est pas évident de distinguer les articles majeurs devant être jugés comme appartenant à la catégorie des droits ESC. Cependant, ceux que le Comité de l'ONU a regroupé sous la rubrique " Santé et aide sociale de base " sont sans nul doute pertinents dans ce contexte. Il en est de même pour les dispositions se trouvant sous le titre: " Éducation, loisirs et activités culturelles ". D'autres articles intéressants dans cette lignée sont certains de ceux appartenant à la section intitulée " Mesures spéciales de protection ", se rapportant à des groupes vulnérables d'enfants ou à des enfants en situation à risque. Certains d'entre eux visent à protéger les enfants contre diverses formes d'exploitation, y compris les travaux dangereux.

Les filles face à l'éducation

Aujourd'hui, 125 millions d'enfants d'âge scolaire ne vont pas à l'école. La plupart sont des filles.

150 millions d'enfants commencent l'école primaire, mais l'abandonnent avant d'avoir terminé leur quatrième année. La grande majorité d'entre eux n'ont même pas appris à lire.

Dans une grande partie du monde en voie de développement, l'éducation offerte aux enfants est d'une qualité alarmante . . . En Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud, l'" école " est un bâtiment qui tombe en ruine, sans toit, sans accès à l'eau courante, et souvent sans toilettes. Des millions d'enfants y reçoivent leur instruction de la part d'enseignants mal formés à leur métier, dans des classes sans tableaux, sans craie, sans chaises et sans pupitres.

Les deux tiers des enfants non scolarisés sont des filles. Ainsi, la prochaine génération d'adultes illettrés, comme la présente, sera avant tout composée de femmes. Les systèmes d'éducation des pays en développement sont bâtis autour d'un apartheid sexiste qui distribue les chances non en fonction de droits hérités, mais en fonction des chromosomes.

Le fait de refuser une éducation à ces millions d'enfants n'est pas seulement une tragédie en soi. Cela représente aussi un véritable motif d'accusation des gouvernements. Il y a un demi-siècle, l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme établissait l'éducation comme l'un des droits fondamentaux de la personne. Cette position fut renforcée par la Convention sur les droits de l'enfant. Signée par tous les gouvernements du monde, sauf deux, ces documents exposent en détail et avec fermeté l'obligation légale des gouvernements d'assurer le droit des enfants à l'éducation.7

 

Une analyse complète des droits sociaux de la CDE doit également traiter de certains articles placés sous la rubrique " Environnement familial et protection de remplacement".

Santé et aide sociale de base

Toutes les dispositions de la CDE liées à la santé et à l'aide sociale peuvent être déduites du principe du droit de l'enfant à survivre et à se développer. L'accent sur le développement est capital dans l'article sur les enfants handicapés. Ils doivent " mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité " (art. 23).

Le point essentiel en ce qui concerne la non-discrimination est également développé dans l'article clé sur la santé: les gouvernements doivent s'efforcer de garantir qu'aucun enfant ne soit privé de l'accès à des services de santé (art. 24). L'article déclare ensuite que les gouvernements doivent prendre des mesures appropriées pour réduire la mortalité chez les nouveaux-nés et les enfants; pour développer un système de santé généraliste pour enfants; combattre la maladie et la malnutrition par l'apport, entre autres, d'aliments nutritifs et d'eau propre; garantir la santé des mères avant et après la naissance; assurer une prise de conscience généralisée sur la santé et la nutrition de l'enfant, y compris par la diffusion d'informations sur les avantages de l'allaitement au sein, de l'hygiène et de la salubrité de l'environnement et sur la prévention des accidents; et développer des conseils à l'endroit des parents et pour le planning familial (Voir le module 14 sur le droit à la santé).

Les orphelins du sida

On classifie comme " orphelins du sida " les enfants de moins de quinze ans dont soit la mère, soit les deux parents sont morts du sida. Les victimes du sida sont souvent contaminées entre vingt et trente ans, et succombent entre trente et quarante ans, laissant leurs enfants orphelins. On estime qu'en l'an 2000, le nombre total d'orphelins du sida devrait atteindre 13 millions. La grande majorité d'entre eux vivent en Afrique. Avant le début de l'épidémie, les orphelins représentaient environ 2% des enfants dans l'ensemble des pays développés. En 1997, ce chiffre était passé à 7% dans de nombreux pays d'Afrique-et jusqu'à 11% dans certains pays.

Au début, les orphelins du sida sont parfois invités à vivre avec des parents plus ou moins éloignés, mais ils sont en général abandonnés plus tard, lorsque leur nouvelle famille trouve la charge trop lourde. Il ne leur reste alors, dans la majorité des cas, qu'à se débrouiller tous seuls. Ils grandissent dans la rue, mendiant, vendant de la drogue, ou faisant des petits boulots ici et là. Ils sont plus susceptibles que les autres orphelins de souffrir de malnutrition, de maladie, de sévices ou d'exploitation sexuelle. En un mot, les orphelins du sida sont stigmatisés. Isolés du reste de la société, ils ont rarement accès au système éducatif ou aux services sociaux de base.

De plus, le même article prend position contre la circoncision féminine. La formulation demande que les gouvernements " prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d'abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants " (art. 24[3]). (Voir le module 17 sur les droits culturels et le module 4, " Culture et droits de la femme: l'excision ", p. 88).

La CDE soulève aussi la question des avantages de la sécurité sociale. Les États parties doivent reconnaître le droit de l'enfant dans ce contexte et prendre les mesures nécessaires (art. 26). Les enfants de parents qui travaillent ont le droit de bénéficier de services de garderie (art. 18[3]). Le droit au développement sert également de point de départ pour l'article sur un niveau de vie raisonnable: " Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social " (art. 27[1]). Ils doivent, en cas de besoin, procurer une assistance matérielle, particulièrement en ce qui concerne l'alimentation, l'habillement et le logement (art. 27[3]).

Pour des raisons évidentes, certaines réserves sont exprimées dans ces articles vis-à-vis des ressources. Les soins spéciaux pour les enfants handicapés sont dispensés " dans la mesure des ressources disponibles ", et les États doivent prendre des mesures pour le niveau de vie de l'enfant " dans la mesure de leurs moyens ".

La coopération internationale est mentionnée tant vis-à-vis des droits des enfants handicapés que des dispositions de l'article clé sur la santé. Ce dernier introduit également le concept de mise en œuvre progressive:

Les États parties s'engagent à favoriser et à encourager la coopération internationale en vue d'assurer progressivement la pleine réalisation du droit reconnu dans le présent article. À cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement (art. 24[4]).

Éducation, loisirs et activités culturelles

Les dispositions de la CDE sur l'éducation, les loisirs et la culture sont aussi liées au principe du droit au développement. L'aspect de la non-discrimination est accentué dans l'article clé sur le droit à l'éducation. L'enseignement primaire doit être obligatoire, gratuit et accessible à tous. De plus, l'enseignement secondaire doit être disponible et accessible à chaque enfant; une assistance financière doit être offerte en cas de besoin. L'enseignement supérieur doit être accessible à chacun en fonction de ses capacités (art. 28).

Le même article requiert des gouvernements qu'ils prennent des mesures pour réduire les taux d'abandon scolaire. C'est un aspect sur lequel le Comité des droits de l'enfant a insisté dans ses discussions avec les États parties. En particulier, il fut notamment demandé ce qui était entrepris pour garantir une fréquentation scolaire des filles comparable à celle des garçons. Dans certains pays les enfants des minorités sont aussi désavantagés dans ce sens. Les coûts réels d'un enfant à l'école pour une famille peuvent être prohibitifs. Un autre facteur important dans ce contexte est la disponibilité de l'éducation dans la langue de l'enfant.

L'école ne consiste pas seulement à apprendre des faits et chiffres. La CDE exprime des vues concernant tant l'esprit scolaire que les valeurs à enseigner. Les méthodes pédagogiques doivent être orientées vers l'enfant. La discipline scolaire doit être exercée " d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention " (art. 28[2]). Le Comité de l'ONU signifie ainsi que les sanctions corporelles ne doivent pas êtres autorisées dans les écoles.

Réduire les taux d'échec scolaire

" En Inde, après des débuts modestes dans cinq villages, la Fondation M. Venkatarangaiya (MVF) offre désormais à plus de 80 000 enfants répartis dans 500 villages de l'État d'Andhra Pradesh la chance d'aller à l'école.

" Dans cette région où le travail des enfants atteint des taux élevés et où la participation des filles à l'école est exceptionnellement faible, la priorité absolue était de faire entrer à l'école primaire les enfants dont les familles étaient les plus susceptibles de les mettre au travail. Par la suite, la fondation élabora un nouveau programme pour les enfants de 9 à 14 ans qui n'étaient jamais allés à l'école parce qu'ils travaillaient, et qui étaient maintenant trop grands pour commencer leur scolarité au début. Ce " programme de relais ", qui pour l'instant fonctionne surtout dans des écoles de village, prépare les enfants aux écoles gouvernementales.

" La plupart des enfants inscrits dans les écoles MVF étaient soit déjà au travail dans les champs de coton, soit destinés à y suivre leurs frères et sœurs. Cette situation est due au fait que, pour survivre les saisons de disette, les familles sont contraintes à s'endetter auprès des cotonniers. Les prêts consentis sont assortis de taux d'intérêts prohibitifs, créant un système d'endettement à perpétuité des familles, et assurant aux fermiers une source inépuisable de main d'œuvre enfantine.

" Comment expliquer le succès de MVF? Offrir aux familles une chance d'envoyer leurs enfants à l'école n'était qu'un des éléments du programme. Cet effort s'est accompagné d'une vaste campagne de mobilisation politique particulièrement dirigée vers les cotonniers, ainsi que les parents. Plus de 1500 enseignants se sont associés à un Forum des enseignants contre le travail des enfants, et ont circulé de village en village pour parler d'éducation aux parents d'enfants non scolarisés. Ces enseignants ont aussi participé à la formation d'un grand nombre d'auxiliaires d'enseignement, la plupart issus des villages concernés. On a établi dans chaque village des associations de parents d'élèves, et les parents ont été mis à contribution pour élaborer le programme d'étude et mettre au point l'horaire des cours. "8

L'éducation doit avoir pour but de développer la personnalité et les talents de l'enfant de même que ses capacités mentales et physiques à leur plus fort potentiel. Cela doit le préparer à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone. Le respect des droits de l'homme et du milieu naturel sont également spécifiquement mentionnés (art. 29).

Un autre article (art. 31) recouvre le droit de l'enfant au repos et aux loisirs, et de se livrer au jeu. Que son droit de participer pleinement à la vie culturelle et artistique doit être favorisé. Les gouvernements doivent encourager " l'organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d'activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité ". Il est également spécifié dans l'article 28(3) que la coopération internationale peut être souhaitable.

Protection contre l'exploitation

Toutes les dispositions de la CDE se rapportent à tous les enfants. Prenons par exemple les droits des enfants réfugiés; ceux-ci ne sont pas limités aux aspects soulevés dans l'article 22, bien que ce dernier traite plus particulièrement des droits de tels enfants. L'intention est que toutes les autres dispositions doivent être également disponibles pour les enfants réfugiés. Certains des articles traitant de la protection spéciale des enfants se trouvant dans des circonstances particulièrement difficiles ont été regroupés par le Comité sous la rubrique " Mesures de protection spéciales ". Certains d'entre eux clairement liés aux droits ESC. L'article 30 traite du droit de l'enfant appartenant à un groupe minoritaire ou à un peuple autochtone, de jouir de sa propre culture.

L'exploitation, sous diverses formes, est interdite dans cinq articles différents. L'un traite de l'exploitation économique et de la protection de l'enfant contre le travail " comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ". Il fait référence aux dispositions d'autres instruments internationaux telles les conventions correspondantes de l'OIT. Il requiert de la part des États qu'ils établissent des règles quant à l'âge minimum de l'emploi; une réglementation pour les heures et conditions de travail; et des inspections avec la possibilité de sanctions pour faire respecter ces standards (art. 32).

Cet article fut discuté en détail lors d'une " Discussion générale " organisée par le Comité des droits de l'enfant en octobre 1993. Des représentants de groupes non-gouvernementaux d'Amérique latine ont suggéré alors qu'il existait un conflit entre cet article de protection et le " droit de l'enfant au travail ". Ils prétendaient que certains enfants devaient travailler pour leur propre survie ou celle de leur famille, qu'une limite d'âge pourrait rendre leur travail illégal et les empêcher de s'organiser pour leur protection.

C'est le revers de l'approche holistique. Si d'importantes dispositions de la CDE ne sont pas mise en place, certaines règles prévues pour venir en aide à l'enfant peuvent avoir un effet répressif. La conclusion du Comité, cependant, fut de ne pas douter de la validité de l'article, mais d'insister pour que les enfants ne se retrouvent pas face à de telles situations négatives. Cette approche en elle-même a des répercussions sur les politiques économiques, également au niveau " macro ".

En fait, l'article 32 permet de fixer des âges minimums différents selon la nature du travail; les travaux plus faciles étant possibles à des âges plus jeunes. Le point essentiel est qu'il doit y avoir une politique consciente dans ce domaine et celui de la santé et que les possibilités d'éducation des enfants ne soient pas sapées. C'est également l'approche des conventions de l'OIT correspondantes.

Un autre type d'exploitation doit être effectivement combattu: des mesures nécessaires doivent être prises pour la protection des enfants contre l'utilisation de stupéfiants. Une action préventive doit être également entreprise contre l'utilisation des enfants pour la production et le trafic de telles substances (art. 33).

Les enfants doivent être protégés de toutes les formes d'exploitation et de violence sexuelles. Des mesures nationales, bilatérales et multilatérales doivent être prises contre la prostitution et la pornographie exploitant des enfants (art. 34). De même, des mesures nationales, bilatérales et multilatérales doivent être prises pour empêcher l'enlèvement, la vente ou le " trafic " d'enfants (art. 35). Enfin, un dernier article demande, en général, que les gouvernements protègent l'enfant contre toutes les autres formes d'exploitation " préjudiciables à tout aspect de son bien-être " (art. 36).

Il n'est pas fait référence à une mise en œuvre progressive ou à des problèmes de ressources dans ces articles. En conclusion, ces derniers doivent être appliqués sans délai. Les dimensions internationales mentionnées dans certains d'entre eux se réfèrent au besoin de coopération pour faire face aux activités criminelles transnationales.

Les enfants et la servitude pour dettes

À 12 ans, Madiga était le plus instruit de la demi-douzaine de garçons qui s'occupaient du bétail près d'un petit village à 20 km de la ville d'Hyderabad, en Inde. Pendant quatre ans, Madiga était allé tous les jours à l'école primaire du village. Il y a un an et demi, ses parents ont mis fin à ses études pour l'envoyer travailler pour Mr. Reddy, le propriétaire de la laiterie. Les parents de Madiga avaient emprunté deux mille roupies (50 dollars US) à Mr. Reddy pour payer le mariage de leur fils aîné. Alors, à titre de garantie et pour payer les intérêts de la dette, Madiga travaille pour Mr. Reddy. En échange de son travail, il reçoit un pot de riz (16 kg) et vingt roupies par mois (0,50 dollars US). S'il le pouvait, dit-il, il retournerait à l'école… mais il ne peut pas quitter Mr. Reddy avant que ses parents n'aient remboursé le prêt. Et comme ses parents sont travailleurs agricoles, il serait étonnant qu'ils parviennent jamais à mettre de côté de quoi rembourser Mr. Reddy.9

Mesures de mise en œuvre

Mesures générales de mise en œuvre

Le degré de mise en application de la CDE est dans une large mesure une question de volonté politique. Lors de la rédaction des directives pour l'établissement des rapports, le Comité a choisi de porter fortement l'accent sur les mesures générales, y compris celles de nature politique, pour concrétiser les principes et dispositions de la Convention. Ce dernier a proposé une approche de réforme compréhensive selon l'esprit de la CDE, et notamment l'établissement de procédures devant encourager un examen constant de ce qui est réellement fait dans ce domaine.

L'article 4 présente ici un intérêt particulier, décrivant des obligations de conduite plutôt que de résultat; l'accent se porte sur les efforts que l'État partie doit faire pour favoriser la mise en œuvre de la CDE. Il en est de même pour les deux autres articles des mesures générales de mise en œuvre-ceux liés à la large diffusion auprès du public de la CDE et des rapports des États (art. 42 et 44[6]).

Mesures législatives, administratives et autres

Une État partie doit examiner sa législation et garantir que ses lois sont en accord avec la CDE. Ce processus d'harmonisation légale est également pertinent pour nombre de droits généralement décrits comme économiques, sociaux et culturels. Des lois sont nécessaires pour la protection des enfants contre l'exploitation, par exemple, sur le marché officiel ou non de l'emploi. De plus, il est normal qu'une législation entre en vigueur pour garantir l'enseignement obligatoire. Aussi, dans les domaines de la santé et de l'aide sociale, la plupart des pays ont développé des normes légales pour établir certains principes et garantir la non-discrimination.

Les " mesures administratives et autres " pourraient inclure une variété de mesures destinées à rendre la mise en application effective. Déjà, les directives pour l'établissement des rapports indiquent que des mécanismes doivent exister au niveau national et local pour coordonner les politiques et suivre la mise en application de la CDE. Certains pays ont désormais un médiateur, une commission spéciale ou institution similaire remplissant ce rôle pour les droits de l'enfant; le but dans la plupart des cas étant de garantir l'existence d'un système de suivi indépendant.

D'autres mécanismes peuvent être créés pour le suivi des droits de l'enfant, y compris l'établissement de procédures de réception des plaintes. Des commissions nationales ont été établies avec des ONG dans un certain nombre de pays. Le processus de décision politique, lui-même, est bien sûr crucial. Quelles sont les procédures existantes pour garantir que les questions de droits des enfants sont prises au sérieux tant au niveau des assemblées parlementaire que locales? Il doit se présenter des opportunités pour que les enfants eux-mêmes et leurs représentants puissent être entendus. Un des objectifs principaux des procédures conçues en fonction de la CDE est d'encourager une discussion publique libre sur les droits de l'enfant.

Les enfants soldats

D'après les estimations, il y aurait environ 300.000 enfants soldats de par le monde. Chaque année ce nombre s'accroît avec le recrutement d'enfants pour le combat actif. Le développement d'armes plus légères, l'AK-47 par exemple, a permis d'armer même des garçons âgés de huit ans. On les recrute parce qu'ils font des soldats moins exigeants que les adultes et plus faciles à manipuler. Ils sont moins coûteux, puisqu'ils mangent moins. Les soldats les plus jeunes qu'on a enregistrés ont environ sept ans, alors que l'article 38 de la Convention sur les droits de l'enfant préconise qu'il ne faudrait pas recruter des enfants âgés de moins de quinze ans pour participer au combat actif.

Tandis que certains enfants s'enrôlent de leur plein gré, plusieurs sont recrutés par la force. Les enfants qui vivent seuls dans une région de combat, sans contact avec l'école ou la famille, courent le plus grand risque d'être recrutés. Pendant la dernière décennie au moins 2 millions d'enfants (soldats et civils confondus) ont péri dans les guerres; entre 4 et 5 millions ont été estropiés. À peu près 10 millions d'enfants souffrent des séquelles psychiques provoquées par les conflits armés. Ils ont assisté à des morts violentes et ont vécu la terreur devant la possibilité d'être tués eux-mêmes.

Les enfants vont mal quand ils participent à la guerre. Ils courent des risques inconsidérés, il se font souvent tirer dessus et sont tués, estropiés, torturés voire violés. Ils se voient privés de leurs droits les plus fondamentaux, ceux de la survie et de l'épanouissement. La toxicomanie et les maladies vénériennes telles que le VIH et le SIDA sévissent parmi eux.

Les enfants soldats sont privés de leur enfance. Ils sont souvent les victimes de troubles affectifs avec des symptômes divers: angoisse, apathie, cauchemars, dépression, difficultés de concentration, hyperactivité et perte d'appétit. Ces enfants en portent les cicatrices toute leur vie. La rééducation des enfants soldats s'avère extrêmement difficile. Sans cette rééducation et une réinsertion dans la communauté locale, les enfants soldats n'arriveront plus à se réadapter aux normes sociales existantes.

Un autre aspect soulevé par le Comité dans ce contexte est l'importance du recueil de faits valides et pertinents sur la situation des enfants. C'est grâce à des données précises que la discussion relative sur les remèdes peut être mieux informée et dirigée. L'augmentation de la capacité des bureaux nationaux de statistiques peut par conséquent représenter une contribution essentielle à la mise en application de la CDE.

Un moyen important pour la réalisation effective de la CDE est l'éducation et la formation des personnels travaillant avec les enfants-enseignants des crèches et autres établissements, psychologues des enfants, pédiatres et autres personnels de santé, policiers, travailleurs sociaux et autres. Une compréhension approfondie de l'idée des droits de l'enfant chez ces professionnels peut avoir une importance considérable.

Ressources

Dans l'esprit du respect du principe selon lequel tous les droits de l'homme sont indivisibles, interdépendants et étroitement liés, les rédacteurs de la CDE ont souhaité éviter la distinction entre les deux séries de droits définies par les deux Pactes. Il n'y a dans le texte qu'une référence directe à l'expression " droits économiques, sociaux et culturels " (art. 4, deuxième phrase).

Une réserve générale sur la conditionnalité des ressources aurait pu affaiblir les disposition de la CDE qui n'étaient pas prévues pour être assujetties à la disponibilité des ressources, telles que celles liées aux droits civils et à la non-discrimination (les articles correspondants sont inconditionnels dans les autres traités de droits de l'homme). Une distinction fut par conséquent indiquée dans cet article particulier, suivant la ligne de démarcation entre les deux Pactes. La formulation ne fut pas ajustée aux faits que les droits ESC ne sont pas les seuls nécessitant des ressources substantielles pour leur mise en application et qu'il existe certains aspects de ces droits qui sont moins coûteux. Dans ce contexte, la signification exacte des " droits économiques, sociaux et culturels " demeure pour le moins confuse. Une des interprétations consiste à n'inclure dans cette catégorie que les articles de la CDE dans lesquels les limites sur les ressources sont clairement exprimées, par exemple en rapport aux enfants handicapés et au droit à un niveau de vie adéquat (arts. 23 et 27).

Que signifie exactement " ressources disponibles "? En grande partie, bien sûr, ceci désigne les ressources financières à portée de main. Cependant, il existe d'autres types de ressources, liées par exemple au savoir des personnels ou aux capacités d'organisation. Les traditions, la culture et la maturité politique sont d'autres facteurs importants liés à la capacité d'une société à s'attaquer à ses problèmes. Des valeurs telles que la tolérance, le respect mutuel et un esprit de solidarité peuvent également être considérées comme des ressources.

De plus, les ressources ne doivent pas être jugées statiques. Entres autres pour les larges perspectives qu'elle offre, la dimension dynamique est intéressante au niveau politique-pour la mobilisation des ressources.10 Bien que les autorités politiques soient directement responsables de la mise en application de la CDE, les ressources de l'ensemble de la société ont leur importance, y compris celles de ladite société civile. Ceci doit représenter pour les gouvernements une incitation à ouvrir et encourager les initiatives et le travail des groupes non-gouvernementaux.

La question de la privatisation des services publics appartient à cette discussion. Un des arguments en faveur de ce genre d'action est précisément une plus grande mobilisation des ressources, les activités privées étant jugées plus rentables. La CDE ne prend pas position, par exemple, pour indiquer si les cliniques et écoles doivent être aux mains du privé ou du public. Ce qui compte, cependant, c'est que les droits de l'enfant soient respectés, et à cet égard le gouvernement sera toujours responsable.

Une autre controverse politique a affecté la discussion autour du type de ressources disponibles pour les services liées à l'enfance: Dans quelle mesure les budgets peuvent-ils être réduits ou non lors d'une période de récession ou de crise économique? Des programmes d'ajustement structurel ont été appliqués dans la plupart des pays au cours des dernières années; c'était une nécessité économique. Comment ces politiques sont-elles liées aux droits de l'enfant?

Une politique économique responsable-et orientée vers l'avenir-va naturellement dans le sens de l'intérêt des enfants. Pour eux, il est souhaitable qu'un espace soit créé pour les investissements nécessaires et que les dettes étrangères soient réduites. Ceci ne doit pas être controversé. Le problème est lié à des priorités actuelles, à la façon dont les réductions et les économies sont réalisées aujourd'hui. L'UNICEF et d'autres ont discuté de réformes structurelles à visage humain, dans le but de créer des garanties contre les réductions ayant de graves répercussions sociales.11 La déclaration adoptée au Sommet mondial pour les enfants aux Nations Unies en septembre 1990 a appelé à " des ajustements structurels susceptibles de favoriser la croissance économique mondiale, en particulier dans les pays en développement, tout en garantissant le bien-être des secteurs les plus vulnérables de la société, notamment les enfants ".12

Un échange international d'idées dans cette sphère est essentiel et semble en effet se développer. L'accent porté par le PNUD et d'autres sur le " développement humain " a contribué à une plus grande conscience de l'importance économique de l'investissement dans l'homme. Les exemples souvent cités lors de cette discussion sont les dispositions clés pour l'enseignement primaire des enfants et l'accès aux services de santé de base. Le Sommet mondial a insisté sur le principe de la " demande prioritaire " pour les enfants.

Une telle détermination des priorités correspond bien à la formulation de l'article 4 qui ordonne aux gouvernements de prendre des meures d'application " dans la limite des ressources dont ils disposent ". La phrase n'est pas une clause échappatoire pour les pays ayant moins de ressources; elle demande à tous les États parties de donner la priorité, dans le cadre de leurs moyens, à la mise en application de la CDE.

Ceci a des implications intéressantes. L'une étant que les pays ayant plus de ressources doivent offrir des services en direction des enfants sur un niveau absolu plus élevé que ce qui est possible pour les pays pauvres. La CDE ne doit pas être seulement considérée comme une liste d'exigences minimales. Les pays les plus riches doivent exiger davantage d'eux-mêmes; ils doivent également contribuer " dans la limite maximale " de leurs ressources. Ceci rend la CDE plus pertinente pour les sociétés les plus riches.

D'un autre côté, les pays pauvres doivent au moins faire tout leur possible pour remplir le minimum essentiel des obligations. Ils doivent entreprendre tous les efforts possibles à l'aide de leurs ressources limitées pour atteindre ces exigences minimales en priorité. Le suivi et la conception de stratégies et programmes sont des obligations, quel que soit le point de départ.

Il existe une différence très nette entre l'article 4 de la CDE et l'article 2 du PIDESC: ce dernier permet une réalisation progressive des droits (à l'exception de l'aspect de la non-discrimination). Cette possibilité d'approche graduelle n'est pas du tout incluse dans l'article 4 de la CDE et, en fait, y est limitée à quelques articles bien spécifiques. La disposition clé sur le droit à l'éducation parle " d'assurer l'exercice de ce droit progressivement " (art. 28[1]). Un traitement similaire est appliqué à l'article principal sur la santé, qui reconnaît le droit de l'enfant à jouir " du meilleur état de santé possible " (art. 24[1]).

Coopération internationale

Les tous derniers mots de l'article 4 soulèvent la question de la coopération internationale: Les États parties " prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources dont ils disposent et, s'il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale " (italique ajouté). Sur la base de cette référence, il semble que ce qui est voulu, tout au moins en partie, est l'assistance au développement.

La coopération est également mentionnée dans d'autres articles, dont celui cité plus haut, se rapportant aux moyens disponibles pour garantir l'exercice du droit à la santé (art. 24[4]). Une formulation similaire est incluse dans l'article 28(3) sur le droit à l'éducation et dans l'article sur les droits des enfants handicapés. Dans l'article 23(4), l'accent est également porté sur l'échange d'informations et de savoir. De plus, il est fait référence aux normes et accords internationaux dans plusieurs des articles, comme celui traitant de la protection contre l'exploitation sexuelle, qui exigent la prise de mesures bilatérales et multilatérales dans un contexte transnational (arts. 34 et 35).

Certaines obligations sont liées aux clauses sur la coopération internationale figurant dans la CDE. Pour les pays donateurs, la question est de savoir quelle priorité-et direction-les programmes se rapportant aux enfants doivent-ils avoir au sein de l'ensemble de la politique d'aide au développement.

Le Sommet mondial a discuté d'autres types de coopération dans l'arène économique. Par exemple:

Un allégement de la dette au profit des enfants, y compris des remises de dettes en échange d'investissements dans des programmes de développement social. La communauté internationale et notamment les créanciers privés sont vivement encouragés à collaborer avec les pays en développement et les institutions intéressées en vue de l'allégement de la dette dans l'intérêt des enfants.13

Suivi et exécution

Les procédures internationales conçues pour le suivi de l'exécution de la CDE ne sont pas très différentes de celles établies pour les autres traités de l'ONU sur les droits de l'homme. (Voir le module 24 pour plus de détails sur les procédures du Comité des droits de l'enfant.)

Cependant, les travaux du Comité des droits de l'enfant ne sont pas l'aspect le plus important des efforts de suivi et d'exécution. Les procédures nationales sont plus cruciales; c'est dans ces dernières que la discussion peut être suffisamment détaillée et bien informée pour encourager de réelles améliorations. En fait, la plupart du travail du Comité vise à encourager un processus national effectif. Un autre effet secondaire voulu est de pousser les organisations internationales à intégrer les principes et dispositions de la CDE dans leurs programmes.

Dans le même esprit, le Comité a essayé de développer sa réflexion sur la façon de mesurer les progrès accomplis et a lancé une discussion interne sur les indicateurs économiques et sociaux. Dans les domaines de la santé et de l'éducation, il a bénéficié des objectifs adoptés lors du Sommet mondial. Les progrès accomplis dans cette direction correspondent à la CDE et reflètent une volonté politique pour le soutien aux droits de l'enfant. Néanmoins, le Comité tâtonne vis-à-vis des problèmes fondamentaux concernant la façon d'aborder une discussion sincère sur les performances gouvernementales en rapport à la CDE. Par exemple, il manque toujours une technique pour évaluer de manière compétente les budgets officiels et leurs subventions consacrées aux enfants.

Dans le même temps, le Comité doit être conscient du fait que la CDE, comme d'autres traités de l'ONU sur droits de l'homme, définit des droits individuels. Bien qu'il n'existe pas de procédure pour les plaintes individuelles se rapportant à cette convention, le Comité ne peut se contenter de tendances globales. La réponse fut de se concentrer plus particulièrement sur des groupes d'enfants particulièrement vulnérables et d'insister sur l'aspect de la non-discrimination. Tout en appréciant un fort taux général de fréquentation scolaire, par exemple, le Comité tend à se concentrer sur ceux qui abandonnent: Qui sont-ils/elles et que peut-il être fait pour protéger leurs droits?

Un facteur important dans le suivi est la nature précise des obligations de l'État partie. De nombreux articles requièrent non seulement que les gouvernements respectent, mais aussi qu'ils protègent un droit, ou qu'ils prennent des mesures concrètes pour sa réalisation; ceci est notamment vrai pour les droits économiques et sociaux. Pour de nombreux aspects de la CDE, il se peut qu'il ne soit pas suffisant de légiférer, que des mesures dynamiques soient nécessaires pour en garantir l'exécution. L'approche du Comité a été de supposer que l'intention était d'atteindre des résultats. Il s'est par conséquent concentré sur la situation concrète des enfants concernés et a demandé si la CDE se trouvait reflétée dans leurs vies quotidiennes.
Auteur: L'auteur de ce module est Thomas Hammarberg.


NOTES


1. Convention relative aux droits de l'enfant, adopté le 20 nov. 1989, AG Rés. 44/25, 44 UN GAOR Supp. (No. 49) à 167, ONU Doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990, réimprimé dans 28 ILM 1448 (1989).

2. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté 16 décembre 1966, AG Rés. 2200A (XXI), 21 UN GAOR Supp. (No. 16) à 49, arts. 16-25, ONU Doc. A/6316 (1966), 993 UNTS 3, entrée en vigueur le 3 janvier 1976.

3. Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, adopté le 18 décembre 1979, AG Rés. 34/180, 34 UN GAOR Supp. (No. 46), à 193, ONU Doc. A/34/46, entrée en vigueur le 3 septembre 1981, réimprimé dans 19 ILM 33 (1980), art. 10(f).

4. CEDAW, article 5(b). Voir S. Goonesekere, " Women's Rights and Children's Rights: The United Nations Conventions as Compatible and Complementary International Treaties ", Innocenti Occasional Papers, 1992.

5. Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les États parties doivent présenter conformément au paragraphe 1(a) de l'article 44 de la Convention relative aux droits de l'enfant, ONU Doc. CRC/C/5 (1991); voir également les actes officiels de l'Assemblée générale, 47ème Sess., Supp. (No. 41), ONU Doc. A/47/41, Annexe III (1992).

6. Cette étude de cas a été fournie par Shomona Khanna, Inde.

7. Kevin Watkins, Education Now: Break the Cycle of Poverty (Oxford: Oxfam International, 1999), 1?3.

8. Ibid., 131.

9. Myron Weiner, The Child and the State in India (Delhi: Oxford University Press, 1991). 19.

10. J. Himes, " Implementing the United Nations Convention on the Rights of the Child: Resource Mobilization and the Obligations of the States Parties ", Innocenti Occasional Papers, 1992.

11. Giovanni Andrea Cornice, Adjustment with a Human Face: Protecting the Vulnerable and Promoting Growth, éds. Richard Jolly et Frances Stewart (Delhi: Oxford University Press, 1987).

12. Déclaration mondiale sur la survie, la protection et le développement des enfants. Sommet mondial pour l'enfance, Point 10 (1990).

13. Plan d'action pour la mise en œuvre de la Déclaration mondiale sur la survie, la protection et le développement des enfants dans les années 1990. Sommet mondial pour l'enfance, Point 31 (1990).


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