MODULE 3
INTRODUCTION AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Objet du module 3

Ce module a pour objet d'offrir une introduction et une vue d'ensemble du principal traité international sur les droits économiques, sociaux et culturels (ESC), à savoir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

Ce module

  • résume les six parties du PIDESC;
  • fait référence aux normes relatives au Pacte et aux documents l'interprétant; et
  • détaille le principal mécanisme de supervision existant pour le Pacte-le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC).


Introduction

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) 1 fut adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1966. Il entra en vigueur en 1978 et fait partie avec son " frère ", le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de la Charte internationale des droits de l'homme. (Voir à la fin de ce module pour le texte intégral du PIDESC).

Le PIDESC se compose de trente et un articles divisés en 6 parties: le préambule et les parties I à V. La partie I, qui est identique à celle du PIDCP et ne comporte que l'article 1, proclame le droit de tous les peuples à l'autodétermination, y compris le droit de libre accès à leur développement ESC et de disposer librement de leurs richesses et ressources. Bien que l'inclusion d'un droit des " peuples " puisse poser problème 2 (en particulier là où la définition-même du terme " peuple " reste controversée), cela pourrait bien offrir le contexte nécessaire dans lequel l'exercice des droits prévus par le Pacte doit s'inscrire. 3

La partie cruciale du Pacte se trouve en partie III, articles 6 à 15, où sont exposés les droits à protéger. Ceux-ci comprennent, de façon générale, le droit de travailler (art. 6), le droit à des conditions de travail justes (art. 7), le droit de s'affilier aux syndicats et de former des syndicats (art. 8), le droit à la sécurité sociale (art. 9), le droit à la protection de la famille (art. 10), le droit à un niveau de vie suffisant, comprenant le droit d'accès à la nourriture, au vêtement et au logement (art. 11), le droit à la santé (art. 12), le droit à l'éducation (art. 13) et le droit à la culture (art. 15).

La protection accordée aux droits économiques dans le Pacte est étendue mais reste plutôt générale. L'article 7, par exemple, prévoit un droit à une rémunération égale pour un travail de valeur égale (au lieu de se limiter au plus restrictif à travail égal, rémunération égale), et reconnaît un éventail plus large d'autres droits tels que le droit à des conditions de travail saines et sans risque et le droit à un nombre d'heures de travail maximum raisonnable. De même, l'article 8 prévoit non seulement le droit d'être syndiqué et de former des syndicats, mais également le droit au libre fonctionnement des syndicats et le droit de grève. (Voir le module 10 pour plus de détails sur ces questions).

Aucune des formulations adoptées n'aborde cependant les questions avec autant de détail que les instruments juridiques de l'OIT (Organisation internationale du travail) dans ce domaine. À ce propos, on peut considérer que c'est plutôt pour les droits sociaux et culturels, où les normes existantes sont moins bien développées, que le Pacte est des plus utiles. La reconnaissance accordée aux droits d'accès à l'alimentation, au logement, à la santé et la vie culturelle, par exemple, ne trouvent aucune promulgation comparable ailleurs.

Bien qu'il faille reconnaître l'étendue impressionnante du Pacte, elle pèche réellement en revanche par la formulation excessivement générale de ses termes et conditions. Par exemple, là où la Charte sociale européenne (CSE) possède trois articles traitant du droit à la sécurité sociale 4, le Pacte se contente de déclarations des plus succinctes. De même, le texte du Pacte ne s'étend pas sur les droits à l'alimentation et au logement, qui sont pourtant des concepts réellement complexes et mal définis. Le degré de détail à inclure dans les dispositions du Pacte a été l'objet de nombreux débats au cours de son élaboration. Bien qu'il ait été observé qu'une formulation plus générale risquait d'ouvrir la porte à différentes interprétations divergentes et sujettes à conflit, elle fut souvent privilégiée afin d'éviter de rétrécir le champ d'application des articles et d'empêcher tout conflit avec les normes établies par les agences spécialisées (en particulier l'OIT). La généralité et l'étendue des termes du Pacte pourraient bien contribuer à sa longévité en offrant la possibilité d'une interprétation dynamique de ses dispositions. Cela pèse néanmoins lourdement sur l'organe de supervision dont le rôle essentiel devient inévitablement celui de définir et de développer le contenu des normes. Bien que les rédacteurs aient de toute évidence envisagé un processus continu de détermination des normes (en particulier sous l'égide de l'OIT), 5 le fait que cela doive se produire après ratification ouvre grand la porte à des conflits sur l'interprétation qui pourraient bien finir par miner l'intégrité du Pacte lui-même.

L'une des failles du Pacte, en particulier lorsqu'on le compare à la Charte sociale européenne, tient au fait qu'elle n'identifie pas spécifiquement les groupes susceptibles de pouvoir bénéficier d'une protection spéciale. La seule mention spécifique sur ce point concerne la situation des femmes et des enfants (art. 3 et 10). Idéalement, on aurait pu espérer y trouver une référence à la situation des étrangers, des travailleurs migrants, des personnes âgées et des personnes ayant un handicap physique ou mental. Il serait erroné, cependant, de supposer que le Pacte n'offre aucune protection à cet égard. Les droits auxquels elle fait référence sont les droits de " tous "; la seule limite ratione personae se trouve à l'article 2(3), qui permet aux " pays en voie de développement " de déterminer eux-mêmes les limites dans lesquelles ils pourraient garantir des droits économiques aux non-ressortissants. De même, l'article 2(2) interdit toute discrimination " fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " [italiques ajoutés par l'auteur]. Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CDESC; voir ci-dessous), le terme " autre situation " comprend la vieillesse et les handicaps. On pourrait aussi dire qu'il peut être interprété pour éviter d'autres discriminations en raison de la nationalité, de l'âge, de l'état de santé ou de l'orientation sexuelle.

Autres instruments et normes

Comme dans tout traité sur les droits de l'homme, on trouve inévitablement un certain nombre de chevauchements entre le Pacte et les autres instruments juridiques sur les droits de l'homme. Bon nombre de droits ESC sont reconnus par les instruments telles la Convention relative aux droits de l'enfant (art. 34 à 31), la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 5), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (art. 1), et certains des instruments de l'OIT. 6 De même, au niveau régional, on trouve une reconnaissance des droits ESC dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et, plus en détail, dans la Charte sociale européenne. Les instruments de ce type tendent cependant à être limités dans leur utilisation en raison des restrictions liées aux droits qui y sont reconnus, aux groupes auxquels ils s'adressent ou encore à une application territoriale donnée. Ils sont néanmoins importants dans la mesure où leur rôle consiste essentiellement à compléter les garanties prévues par le Pacte dans certains domaines fondamentaux.

Globalement, on peut aisément supposer qu'il devrait y avoir des échanges entre ces différents instruments. Une décision prise par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CEDR) en matière de discrimination dans le contexte du travail sera susceptible, par exemple, d'intéresser le CDESC dans son travail sur cette question. De même, le travail du CDESC sur les droits des personnes handicapées aura une influence aux yeux d'autres comités lorsqu'ils seront confrontés à ce problème. Le texte de chaque instrument peut cependant varier, et l'étendue de la protection offerte par chacun peut donc ne pas être tout à fait la même. Le PIDCP, par exemple, permet de déroger au droit de s'affilier aux syndicats ou de former des syndicats, tandis que le PIDESC ne le permet pas. Cela signifie, bien entendu, que pour les États parties des deux instruments, la dérogation ne serait pas permise, alors que pour les États parties de la seule PIDCP, cette dérogation resterait possible.

Outre les autres traités, les sources utiles d'interprétation du Pacte comprennent les résolutions de l'Assemblée générale, les décisions de justice et les documents produits par les organes spécialisés. Il existe trois documents particulièrement intéressants qui ont eu une grande influence sur l'interprétation du Pacte. Les deux premiers ont été produits lors de réunions d'experts aux Pays-Bas; ce sont les Principes de Limburg concernant l'application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels7 et les Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et culturels.8 Dans les Principes de Limburg, un groupe d'experts a cherché à expliquer les obligations fondamentales assumées par les États vis-à-vis du Pacte et à construire sur ces bases. Ces Principes ont depuis été avalisés, tant explicitement qu'implicitement, dans le travail du CDESC comme dans celui d'autres organes. Les Directives de Maastricht sont de même nature mais plus spécifiquement axées sur la question de l'identification des violations des droits ESC. Le troisième document, à savoir les Régles pour l'égalisation des chances des handicaps, a été abondamment utilisé par le comité dans son Observation générale sur les droits des personnes handicapées. Ces Règles n'ont pas été incorporées dans leur intégralité mais ont servi de base au comité dans son interprétation des dispositions du Pacte dans ce domaine.

Le système de supervision

Le système de supervision conçu pour le PIDESC diffère de celui utilisé pour le PIDCP en raison, principalement, du fait qu'il ne possède pas l'équivalent du Protocole facultatif se rapportant au PIDCP habilité à recevoir des communications des individus. Au cours de l'élaboration du Pacte, il a été considéré que, compte tenu du caractère progressif de l'application des droits, il serait impossible de traiter les requêtes individuelles. Il ne serait pas envisageable de parler de violations dans un contexte dans lequel on ne considèrerait que les programmes législatifs et administratifs.9 En conséquence, il ne restait au PIDESC comme moyen de supervision qu'un système d'enregistrement de rapports, devant être géré non pas par un comité d'experts comme le Comité des droits de l'homme, mais par le Conseil économique et social (ECOSOC), l'un des organes politiques des Nations Unies.

Conformément aux articles 16 et 17 du Pacte, il est demandé aux États de présenter des rapports, selon une périodicité à définir par ECOSOC, sur les " mesures qu'ils auront adoptées " et les " progrès accomplis " dans l'application des droits prévus par le Pacte. Les rapports doivent être adressés au Secrétaire général des Nations Unies, qui doit les transmettre à ECOSOC " pour examen ". ECOSOC peut, à son tour, les transmettre à la Commission des droits de l'homme " aux fins d'étude et de recommandations d'ordre général ou pour information " (art. 19), et inviter les agences spécialisées des Nations Unies (auxquelles sera envoyé un exemplaire des extraits concernés des rapports des États) à lui faire un rapport sur les progrès réalisés quant au respect des droits énoncés dans les dispositions (art. 18). Enfin, ECOSOC peut " de temps en temps " soumettre des rapports et des recommandations " de caractère général " à l'Assemblée générale (art. 21) et porter à l'attention des autres organes et agences spécialisées des Nations Unies toute question " qui peut aider ces organismes à se prononcer . . . sur l'opportunité de mesures internationales propres à contribuer à la mise en œuvre effective et progressive du présent Pacte " (art. 22).

Le système envisagé en Partie IV du Pacte n'identifie pas nettement l'organe auquel revient la responsabilité principale de la supervision (ECOSOC ou la Commission des droits de l'homme), pas plus qu'il ne donne d'indications précises sur le contenu des rapports que les États parties doivent soumettre ou sur la nature de l'examen auquel les organes des Nations Unies mentionnés doivent procéder. En revanche, il y est clairement précisé qu'aucun organe n'est habilité à interpréter le Pacte de façon à contraindre les États parties, et que ces États sont uniquement obligés de soumettre des rapports à intervalles périodiques. Toute autre participation au processus de supervision est totalement volontaire. En lisant entre les lignes, on peut penser que ce qui a été envisagé c'est un système dans lequel ECOSOC ferait fonction d'outil de transmission des demandes d'assistance internationale, tant économique que technique. Il n'était pas prévu qu'ECOSOC " évaluerait " les rapports des États ou leur performance en matière de mise en œuvre des obligations prévues par le Pacte. Et ce n'est effectivement pas la tournure que finit par prendre le système de supervision.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies

Suite à l'entrée en vigueur du Pacte, il fut immédiatement clair qu'ECOSOC ne pourrait à lui seul assumer les tâches qu'impliquait la mise en œuvre du Pacte. Après quelques débats, il fut décidé que cette responsabilité incomberait à un Groupe de travail créé spécialement à cet effet.10 Malheureusement, ce Groupe de travail (rebaptisé par la suite " Groupe de travail par séance d'experts gouvernementaux ") n'est jamais parvenu à s'entendre sur la tâche qui lui revenait. Son travail fut miné par un désaccord politique, en particulier sur la participation des agences spécialisées, et il se contenta d'examiner très superficiellement les rapports d'État. L'expérience fut suffisamment insatisfaisante pour qu'ECOSOC décide en 1985 de créer un autre organe composé d'experts indépendants (et non plus gouvernementaux), dont le rôle consisterait à l'aider à " examiner " les rapports d'État.11 Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) ainsi créé fait depuis fonction de principal organe de supervision du Pacte.

Le CDESC est composé de dix-huit experts, présents à titre indépendant et choisis dans le souci d'une distribution géographique équitable.12 Il se réunit officiellement à Genève chaque année pour une session unique de trois semaines, mais organise souvent des sessions supplémentaires. En mai 1998, le comité avait dix-huit sessions à son actif. Contrairement à d'autres comités des droits de l'homme créés en relation avec d'autres traités, le comité n'est techniquement qu'un organe des Nations Unies. Créé par ECOSOC, sa fonction consiste uniquement à aider celui-ci à examiner les rapports des États. Bien que, dans son fonctionnement, il soit assez semblable aux autres instruments relatifs aux droits de l'homme, il n'est pas assujetti aux contraintes d'un instrument constitutionnel détaillé et a pu, de ce fait, développer assez rapidement et avec souplesse ses propres méthodes de travail. Aussi peut-il maintenant se glorifier d'avoir les procédures de présentation de rapports les plus avancées du système des Nations Unies en matière de droits de l'homme.

Dans le cadre de la procédure d'enregistrement actuelle, il est demandé aux États de soumettre tous les cinq ans un rapport sur la mise en œuvre des articles du Pacte sur leur territoire.13 Pour assister les États dans cette tâche, le CDESC a adopté une compliation des directives exposant les questions que les États concernés doivent traiter.14 Une fois soumis, les rapports sont considérés en premier lieu par un Groupe de travail pré-session (composé de cinq des membres du comité), qui établit une liste de questions précises en rapport avec les informations complémentaires à demander. Lorsque le comité vient à considérer le rapport en session plénière, un représentant de l'État concerné est invité à assister à la réunion du comité et à en faire une présentation. Avant de commencer sa présentation, le représentant doit répondre aux questions rédigées par le groupe de travail de séance préalable. Puis, les membres du comité posent des questions complémentaires auxquelles le représentant s'efforcera de répondre. À la fin de ce processus appelé de façon quelque peu inexacte " dialogue constructif ", le comité rédigera un ensemble d'" Observations finales " dans lequel figureront ses principaux sujets de préoccupation ainsi que toutes ses éventuelles suggestions et recommandations.15 Bon nombre des aspects de ce processus méritent un commentaire complémentaire.

L'une des critiques persistantes des systèmes d'enregistrement en général tient au fait qu'ils reposent sur la coopération des États en ce qui concerne, non seulement la soumission des rapports mais également la participation desdits États au dialogue constructif. La réticence de certains États à coopérer à cet égard a posé quelques problèmes vis-à-vis du PIDESC. Par exemple, en mai 1996, il manquait encore 97 rapports de 88 États parties, et 17 États parties n'avaient soumis aucun rapport en dix ans. Le comité s'est attelé à ce problème entre autre en programmant l'étude de la situation des États n'ayant pas soumis de rapport.16 Cette démarche s'est révélée concluante dans la mesure où les États ont souvent répondu en soumettant un rapport à la session suivante,17 mais cela est contraire à la culture du dialogue constructif, et l'on peut supposer que cela dépasse les compétences du comité qui consistent rappelons-le à examiner " les rapports d'État ".

Conscients des limites liées au fait de ne pouvoir se reposer que sur les informations fournies par les États parties eux-mêmes, le CDESC a fait un pas considéré jusque-là comme sans précédent, en invitant officiellement " tous les organes et individus concernés à lui soumettre une documentation pertinente et appropriée ".18 En ce qui concerne les agences spécialisées des Nations Unies, cela n'a rien de surprenant puisque leur participation au processus de supervision était déjà prévue par les termes du Pacte. Mais en réalité, à l'exception de l'OIT, la participation des agences spécialisées s'est révélée globalement faible. Le sens majeur de la décision du comité était donc de légitimer officiellement la participation des organisations non gouvernementales (ONG). Bien que celles-ci ne soient pas habilitées à participer au dialogue du comité avec les États parties, elles peuvent soumettre au comité, à tout moment par écrit, des informations susceptibles de l'éclairer sur le respect des droits dans les États dont les rapports sont considérés, et intervenir oralement au début de chaque session.19 C'est largement grâce à ce type d'informations que le comité a pu progresser dans son travail sur le droit au logement, mais l'absence d'une participation à grande échelle des ONG laisse supposer que, dans d'autres domaines, son travail n'a pu évoluer aussi rapidement.

Un exemple à noter dans lequel les informations des ONG se sont révélées significatives est celui des Philippines. Lors de la dixième session du comité, certaines ONG ont attiré l'attention de ce dernier sur plusieurs points (liés en grande partie à l'éviction brutale de leur domicile d'un nombre important de familles) qui, selon les termes du comité, étaient suffisants " pour justifier la crainte de l'existence de violations et de mesures futures qui constitueraient des violations supplémentaires des obligations contenues dans la Convention."20 En se fondant sur ces informations, le comité a demandé au gouvernement de répondre aux questions soulevées, ce qu'il fit l'année suivante. Après examen du rapport, le comité estima que, dans l'éventualité où il serait mis en œuvre sans que des sites appropriés pour les reloger soient mis à la disposition des familles, le plan d'éviction brutale de 200 000 familles serait incompatible avec les garanties offertes dans le cadre du Pacte.21 Il a donc demandé que le gouvernement des Philippines s'assure " qu'il n'y ait d'explusion forcée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, après examen de toutes les solutions possibles et dans le respect parfait des droits de tous les intéressés ", et qu'un moratoire soit étendu à toute éviction forcée, sommaire et illégale. 22

Ce cas est intéressant à plus d'un titre. Premièrement, l'intégralité du processus a été lancée à partir des informations fournies par les ONG et non de l'examen du rapport d'État par le comité. Ce n'est que plus tard que l'on s'est aperçu que les Philippines devaient soumettre un rapport sur les articles 10 à 12. Le comité semble avoir affirmé sa compétence à demander des rapports ad hoc sur les situations faisant l'objet d'une sérieuse préoccupation. Deuxièmement, comme il l'a fait à d'autres occasions, le comité a déclaré que l'État manquait potentiellement à ses obligations par rapport au Pacte. Quoique ce type de conclusion ne soit pas nécessairement déplacé dans le contexte d'une procédure d'enregistrement, elle suggère que le comité évolue de plus en plus vers ce que l'on pourrait appeler une " fonction quasi judiciaire " plutôt que de se contenter des fonctions de facilitation ou de conseil initialement envisagées.23 Troisièmement, le cas est intéressant dans la mesure où il suggère que le comité s'attelle non seulement à mener une action curative mais tentera également d'éviter des violations futures au Pacte en intervenant avant l'événement.

Il est fréquent qu'au cours d'un processus de dialogue constructif, des questions surgissent auxquelles le représentant d'État ne peut répondre immédiatement devant le CDESC de façon satisfaisante. Dans ce cas, il est généralement demandé aux États de fournir une information complémentaire à temps pour la session suivante du comité. Dans les situations d'urgence, le comité peut demander que l'information soit produite à une date antérieure, dans un nombre de mois spécifié.24 À réception de l'information complémentaire, le comité se contentera généralement d'exprimer sa satisfaction d'avoir reçu l'information requise mais, à l'occasion, il exposera les questions qui restent l'objet de préoccupation du comité dans le cadre de ses Observation finales. 25

Cela dit, récemment le comité a considérablement progressé dans son approche aux situations graves et urgentes. Dans les cas du Panama et de la République dominicaine, le comité a considéré que les informations produites par les États parties en question ne permettaient pas de dissiper tout à fait sa préoccupation quant aux allégations de violations des droits de logement. Il leur a donc demandé d'accepter qu'une mission composée de deux des membres du comité procède à une visite dans chacun des deux États principalement pour recueillir des informations. Après un premier refus, les deux États finirent par accepter la proposition et une mission fut envoyée au Panama au début de l'année 1995 et en République dominicaine en 1997. Bien que les rapports de mission fussent en soi confidentiels, le comité a adopté une série d'observations suite à chacune de ces visites.26 Bien qu'elle ne soit pas inconnue dans le contexte des pratiques des Nations Unies, cette procédure constitue cependant un progrès significatif dans le travail du comité et pourrait lui permettre à terme d'attribuer un rôle bien plus constructif au processus d'enregistrement.

D'un point de vue théorique, l'un des principaux inconvénients du système d'enregistrement en tant que système de supervision est son incapacité à répondre aux éventuelles plaintes individuelles en relation avec l'exercice des droits dans des États particuliers. Dans une certaine mesure, ces plaintes pourraient être défendues par les ONG concernées qui participent au travail du comité mais, jusqu'à ce jour, ce type d'action tend à se limiter au domaine des droits au logement. L'absence d'une procédure formelle pour traiter les plaintes a deux inconvénients majeurs: non seulement elle prive les individus de l'opportunité de chercher un exutoire international, mais elle limite également la capacité du comité à approfondir sa compréhension du contenu des droits prévus par le Pacte.

Sur ce dernier point, le CDESC a essayé de remédier à l'absence d'une jurisprudence en produisant des " Observation générales " dans le cadre desquels il tente d'exposer sa compréhension des aspects du Pacte tant du point de vue des droits positifs que de la procédure juridique. En juin 2000, le comité avait treize de ces commentaires généraux à son actif, dont sept avaient trait au droit positif, à savoir le droit au logement (et les évictions forcées), à la nourriture, à l'éducation et aux droits des personnes handicapées, ainsi qu'aux droits des personnes âgées.27 Tout cela contribue en quelque sorte à mettre en lumière la compréhension qu'a le comité des droits et obligations prévus par le Pacte et, bien entendu, la perception qu'il a des difficultés que rencontrent les États pour les appliquer. Ce dernier point en particulier a été développé dans un récent Commentaire général dans lequel le comité exprimait sa grande préoccupation face aux conséquences néfastes que les sanctions imposées par l'ONU semblaient avoir sur le bien-être des groupes vulnérables dans les États visés. Il a réitéré l'importance des normes définies par le PIDESC et demandé aux organes concernés par la mise en œuvre de veiller à prendre en compte les droits ESC des populations concernées.

Les plaintes concernant les droits ESC

Comme cela a été mentionné plus haut, l'un des principaux points faibles du PIDESC en tant qu'instrument juridique sur les droits de l'homme est qu'il ne possède pas l'équivalent d'un système de prise en considération des plaintes individuelles ou de groupe. Bien que le CDESC ait récemment rédigé un projet de protocole facultatif pour permettre la prise en compte de requêtes individuelles, il est peu probable qu'il soit adopté par les États dans un avenir proche. La situation actuelle a cependant ses avantages. Premièrement, les individus et groupes ont l'opportunité de soumettre des informations au CDESC alléguant des violations des droits prévus par le Pacte, et cela, à l'occasion, peut inciter le comité à solliciter une réponse particulière auprès des États. Dans une certaine mesure, le système fonctionne donc de façon " quasi judiciaire " puisqu'il apporte au moins un exutoire potentiel aux plaignants.

Deuxièmement, il est clair qu'il existe un chevauchement entre le PIDESC, d'un côté, et le PIDCP de l'autre, si un État est signataire du Protocole facultatif de ce dernier, les plaintes concernant les droits ESC peuvent être soumises au Comité des droits de l'homme. Dans la pratique, les exemples les plus parlants sont liés à l'article 26 du PIDCP relatif à l'égalité devant la loi. Dans plusieurs cas, le Comité des droits de l'homme a accepté de s'interroger sur la légitimité de la législation discriminatoire des Pays-Bas en matière de sécurité sociale au vu de cette disposition, indépendamment du fait que le droit à la " sécurité sociale " est prévu par le PIDESC, et non par le PIDCP.28 Parmi les autres chevauchements potentiellement féconds, on trouve le droit de s'affilier aux syndicates et d'en former de nouveaux et le droit des membres de minorités ethniques, culturelles et linguistiques à participer à la vie culturelle de leur communauté (art. 27). Une situation semblable prévaut pour la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), laquelle a, dans le passé, conduit le système de pétition du CEDR à considérer certains droits ESC. Parmi les cas concernés on trouve les affaires Yilmaz-Dogan29 et L.K. contre Les Pays-Bas.30

Author: L'auteur de ce module est Matthew Craven.

NOTES


1. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966, AG res. 2200A (XXI), 21 UN GAOR Supp. (No. 16) à 49, Arts. 16-25, ONU Doc. A/6316 (1966), 993 UNTS 3, entrée en vigueur le 3 janvier 1976 (ci-après cité comme PIDESC).

2. P. Sieghart, The Lawful Rights of Mankind (Oxford: Oxford University Press, 1986), 164. Sieghart définit les droits de l'homme comme étant " précisément les droits que l'individu peut invoquer contre les revendications de ceux qui exercent un pouvoir sur lui, pouvoir qu'ils imposent bien trop souvent au nom du peuple. "

3. Sur ce type d'approche contextuelle, voir Theo van Boven, " The Relations between People's Rights and Human Rights in the African Charter ", Human Rights Law Journal 7 (1986): 183-94.

4. Charte sociale europeenne, (ETS No. 35) 529 UNTS 89, entrée en vigueur le 26 février 1965. La Charte sociale européenne prévoit le droit à la sécurité sociale (art. 12), le droit à l'aide sociale et médicale (art. 13) et le droit de bénéficier des services sociaux (art. 14).

5. PIDESC, article 8(3). Ceci est indiqué, en particulier, par l'inclusion d'article 8(3) qui se rapporte à la OIT Convention No. 87.

6. Voir, par exemple, Organisation internationale du travail, Convention concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical (OIT No. 87), 68 UNTS 17, entré en vigueur le 4 juillet 1950.

7. Les principes de Limburg concernant la mise en place du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. UN ESCOR, Commission des droits de l'homme, 43ème Sess., Point 8 de l'ordre du jour, ONU Doc. E/CN.4 /1987 /17, Annexe (1987).

8. " The Maastricht Guidelines on Violations of Economic, Social and Cultural Rights ", Human Rights Quarterly, Vol. 20, no. 3, The John Hopkins University Press, Baltimore, August 1998, 691-701.

9. Voir ONU Doc. A/2929, en UN GAOR, C.3, 10ème Sess. (1955), Annexes (Point 28 de l'ordre du jour, Partie II), paragraphe 41.

10. CES Déc. 1978/10, ONU Doc. S/DÉC/1978/10 (3 mai 1978).

11. CES Déc. 1985/17, ONU Doc. S/DÉC/1985/17 (28 mai 1985).

12. Ibid. Sec. b.

13. CES Rés. 1988/4, ONU Doc. S/RÉS/1988/4 (24 mai 1988).

14. CDESC, Rapport de la 5ème session. ESCOR, 1991, Supp. No. 3 (ONU Doc. E/1991/23), Annexe IV.

15. Voir CDESC, Rapport de la 8ème et 9ème sessions. ESCOR, 1994, Supp. No. 3 (ONU Doc. E/1994/23), paragraphes 32-34.

16. CDESC, Rapport de la 7ème session. ESCOR, 1993, Supp. No. 2 (ONU Doc. E/1993/22), paragraphe 245.

17. Par exemple, la Belgique, le Surinam et le Kenya.

18. CDESC, Rapport de la 6ème session. ESCOR, 1991, Supp. No. 3 (ONU Doc. E/1992/23), paragraphe 386.

19. Règles de procédure, Règle 69.3; voir également ONU Doc. E/1994/23 à paragraphe 354 (1994).

20. CDESC, Rapport de la 8ème et 9ème sessions. ESCOR, 1994, Supp. No. 3 (ONU Doc. E/1994/23), paragraphe 374.

21. ONU Doc. E/C.12/1995/7, paragraphe 16.

22. Ibid., paragraphe 31.

23. Voir généralement Matthew C. R. Craven, The International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights: A Perspective on Its Development (Oxford: Clarendon Press, 1995).

24. CDESC, Rapport de la 7ème session. ESCOR, 1993, Supp. No. 2 (ONU Doc. E/1993/22), paragraphe 251.

25. Par exemple, Observations sur l'information supplémentaire du Zaïre. CDESC, Rapport de la 6ème session. ESCOR, 1991, Supp. No. 3 (ONU Doc. E/1992/23), paragraphe 328(c).

26. Voir Rapport de la mission d'assistance technique vers le Panama, ONU Doc. E/C.12/1995/8 (1995); Rapport de la mission d'assistance technique vers la République dominicaine, ONU Doc. E/C.12/1997/9 (1997).

27. CDESC, Observation générale 1, Rapports des États parties (1989), ONU Doc. E/1989/22, Annexe III; Observation générale 2, Mesures internationales d'assistance technique (art. 22 du Pacte) (1990), ONU Doc.E/1990/23, Annexe III; Observation générale 3, La nature des obligations des États parties (art. 2[1], du Pacte) (1990), suffisant (art. 11[1] du Pacte) (1992), ONU Doc. E/1992/23, Annexe III; Observation générale 5, Personnes souffrant d'un handicap (1994), ONU Doc. E/C.12/1994/13; Observation générale 6, Droits économiques, sociaux et culturels des personnes âgées (1995), ONU Doc. E/C.12/1995/16, Rev. 1; Observation générale 8, Relation entre les sanctions économiques et le respect des droits économiques, sociaux et culturels (1997), ONU Doc. E/C.12/1997/8.

28. Voir par exemple, S. W. Broeks v. The Netherlands, Communication No. 172/1984 (9 avril 1987), ONU Doc. Supp. No. 40.

29. Yilmaz-Dogan v. The Netherlands, Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, Communication No. 1/1984, ONU Doc. A/43/18 Annexe IV (1988).

30. L. K. v. The Netherlands, Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, Communication No. 4/1991, ONU Doc. A/48 /18 à 131 (1993).

 


Droits résérves