Objet du module 23
Ce module a pour
objet daider les activistes
des droits ESC à comprendre les caractéristiques
des commissions nationales des droits
de lhomme et leur rôle dans
la réalisation de ces droits.
Les commissions
des droits de lhomme
Une commission des
droits de lhomme est une entité
parrainée et financée par lÉtat,
établie par une loi ou par la constitution;
son objectif est de protéger et de
favoriser ces droits. Ce faisant,
elle peut exercer un certain nombre
de fonctions, entre autres le suivi
des violations des droits humains,
la résolution des litiges par ladjudication
ou la médiation, léducation
sur les droits humains, la documentation
et les recherches, et conseiller les
gouvernements sur les questions relatives
aux droits humains et à létablissement
des normes qui sy rapportent.
Des commissions des
droits de lhomme au niveau national
et local ont surgi dans plusieurs
parties du monde. Dans dautres,
des médiateurs ont été investis de
compétences sur ces droits.
Les commissions des
droits de lhomme suscitèrent
un intérêt lorsque les Nations Unies
commencèrent à promouvoir activement
ce concept. En 1991, le Centre des
droits de lhomme de lONU
à Genève organisa une consultation
sur ces institutions nationales.
Cette réunion aboutit notamment à
ladoption de Principes concernant
le statut et le fonctionnement des
institutions nationales pour la protection
et la promotion des droits de lhomme
(Principes de Paris).
[1]
Les Principes de Paris
soulignent que ces commissions fonctionnent
indépendamment des gouvernements et
disposent des ressources et de linfrastructure
nécessaires pour agir efficacement.
Ils attirent également lattention
sur leur flexibilité et stipulent
que leurs membres doivent venir de
différents secteurs de la société.
Certaines ONG signalent
que les commissions des droits
de lhomme ne peuvent en aucun
cas remplacer et ne doivent en aucune
manière diminuer les structures juridiques
mises en place par un système judiciaire
indépendant et impartial. [2]
Comme pour toute institution,
y compris le système judiciaire, lefficacité
dune commission des droits de
lhomme dépend dans une large
mesure des personnes qui en font partie
et de la qualité de son personnel.
Pour quelle puisse devenir véritablement
efficace, il est impératif quelle
sache interpréter son mandat de manière
créative et quelle aborde ses
travaux de manière dynamique. Son
impact dépend également de son interaction
avec les ONG locales des droits humains
et de ses tentatives pour influencer
leur travail.
Dans de très rares
cas seulement, les organisations nationales
établies par les gouvernements sont
effectivement vouées aux droits humains.
Elles ont le plus souvent été
créées suite à la pression internationale
ou parce quun gouvernement souhaitait
améliorer son image. Elles ont parfois
été créées pour dessaisir les tribunaux
des affaires relatives à ces droits.
Par conséquent, les groupes des droits
humains les jugent avec un grand degré
de scepticisme.
Malgré le contexte
dans lequel elles ont été établies,
les commissions des droits de lhomme
ont une portée potentielle qui va
bien au-delà de celle de la plupart
des ONG. Du fait de leur structure
légale, parfois constitutionnelle,
elles peuvent agir avec des secteurs
gouvernementaux et autres, dune
manière dont les ONG ne peuvent agir.
Pour des raisons similaires, elles
jouissent dun profil public
que nont pas beaucoup de groupes
de droits humains et peuvent donc
accéder plus facilement et plus pleinement
aux médias.
Les commissions
des droits de lhomme et les
droits ESC
En 1998, le CDESC adopta
une Observation générale qui traitait
spécifiquement du rôle joué par les
commissions des droits de lhomme
dans la protection des droits ESC.
[3] Le comité observa
que, selon larticle 2(1) du
Pacte, chaque État partie doit prendre
des mesures pour arriver progressivement
à la pleine réalisation des droits
du Pacte par tous les moyens appropriés.
Lun de ces moyens, qui permet
de prendre des mesures importantes,
est le travail effectué par les institutions
nationales de promotion et de protection
des droits humains.
Le comité remarqua
que les institutions nationales ont
un rôle potentiellement crucial à
jouer pour promouvoir et assurer lindivisibilité
et linterdépendance de tous
les droits humains. Il était par
conséquent primordial de consacrer
une attention totale aux droits ESC
dans toutes les activités pertinentes
de ces institutions. Le comité dressa
la liste des activités que pouvaient
mener les institutions nationales
dans le cadre de ces droits:
Favoriser
des programmes dinformation
destinés à améliorer la prise de conscience
et la compréhension des droits ESC
par la population en général et par
des groupes particuliers, notamment
la fonction publique, le système judiciaire,
le secteur privé et le mouvement
ouvrier.
Examiner
les lois et actes administratifs,
projets de loi et autres propositions,
pour assurer quils sont conformes
aux impératifs du PIDESC.
Fournir
des conseils techniques ou mener des
enquêtes sur les droits ESC, y compris
à la demande des pouvoirs publics
et/ou autres organes appropriés.
Identifier
des points de référence au niveau
national permettant de mesurer le
degré de réalisation des obligations
du Pacte.
Entreprendre
des recherches et enquêtes pour observer
dans quelle mesure des droits ESC
sont réalisés dans un État, dans des
régions spécifiques ou au niveau de
communautés particulièrement
vulnérables.
Effectuer le suivi du respect des droits spécifiques
reconnus dans le Pacte et présenter
des rapports aux pouvoirs publics
et à la société civile.
Examiner
les plaintes alléguant des infractions
aux normes sur les droits ESC au sein
dun État.
À cette liste fournie
par le CDESC peuvent sajouter
les travaux suivants:
Effectuer
le suivi des politiques et des budgets
du gouvernement afin dassurer
quils respectent les droits
ESC.
Rédiger
des « observations » sur
ces droits afin de mieux les faire
comprendre.
Préparer
des rapports sous légide du
PIDESC lorsque lÉtat est partie
du Pacte.
Organiser
des campagnes conjointement avec les
commissions des droits de lhomme
dautres pays, sur des thèmes
dintérêt commun.
De nombreuses commissions
des droits de lhomme nont
pas reçu le mandat explicite de couvrir
les droits ESC. Dans ce cas, elles
interpréteront leur mandat de manière
créative. Certains droits, notamment
le droit à la non-discrimination,
font partie des deux Pactes. Les
concepts d« égalité »
et de « protection de la loi à
niveau égal » doivent être interprétés
comme englobant les droits ESC.
[4] Certains
droits civils et politiques, dont
le droit à la vie, le droit au respect
de la vie privée et le droit de circuler
librement, ont des implications socio-économiques.
La Cour suprême indienne a interprété
de manière créative le droit à la
vie de sa Constitution afin quil
comprenne certains droits ESC. Voici
deux exemples de commissions des
droits de lhomme, ainsi quun
bref texte sur leurs approches des
droits ESC.
La commission sud-africaine
des droits humains
La commission sud-africaine
des droits humains est lune
des rares qui dispose explicitement
du mandat dagir en ce qui concerne
les droits ESC. En vertu du mandat
constitutionnel, elle doit chaque
année:
Demander
aux organes pertinents de lÉtat
de lui fournir des informations sur
les mesures quils ont prises
pour appliquer la Charte des droits
en ce qui concerne le logement, les
soins de santé, lalimentation,
leau, la sécurité sociale, léducation
et lenvironnement. [5]
La commission sud-africaine
des droits humains collabore avec
des universités et des ONG, et elle
a organisé conjointement avec elles
un certain nombre dateliers
et de réunions pour exercer ce mandat.
Au cours de ces sessions, elle a examiné
avec ses partenaires un certain nombre
de questions, notamment les organes
de lÉtat à cibler pour obtenir
des informations, le type dinformations
à demander, les critères dévaluation
des informations reçues, le rôle de
la société civile dans ce processus,
et les procédures de rapports à remettre
au Parlement.
La commission sud-africaine
propose dengager une équipe
de consultants qui étudieront et évalueront
les informations quelle reçoit
des organes de lÉtat. Elle
envisage de préparer un rapport spécial
sur les droits économiques et sociaux,
quelle adressera au président
et au Parlement.
Il est possible de
tirer au moins deux leçons de cette
initiative. Premièrement, la commission
sud-africaine veut examiner les moyens
de concrétiser un domaine négligé des
droits humainsles droits sociaux
et économiques. Deuxièmement, le
processus par lequel elle a engagé
la société civile et recruté des membres
externes pour laider à examiner
les nombreux documents quelle
devrait recevoir est admirable.
La commission a par
ailleurs lancé un projet pilote.
Conjointement avec la Commission sud-africaine
sur légalité de genre et la
Coalition des ONG nationales sud-africaines
(SANGOGO), elle a organisé dans tout
le pays des audiences sur la pauvreté.
Ces « Poverty Hearings »
ont abouti à un rapport intitulé Poverty
and Human Rights (La pauvreté
et les droits humains). Ce rapport
identifie les principaux obstacles
à laccès aux droits ESC. Le
Forum sur la pauvreté nationalegroupe
formé du gouvernement et de
la société civile établi après laudienceélabore
à lheure actuelle un Programme
daction national pour éliminer
la pauvreté.
La Commission nationale
des droits humains dInde
La Commission nationale
des droits humains dInde (NHRC) [6] a le pouvoir denquêter
sur les plaintes de violations ou
de complicité de violation des droits
humains, soit de son propre chef,
soit à la suite de plaintes présentées
par des victimes ou des personnes
agissant en leur nom.
[7] Lexpression
droits humains a été définie
comme signifiant « les droits
relatifs à la vie, la liberté, légalité
et la dignité de la personne, garantis
par la Constitution ou incarnés dans
les Pactes internationaux, et qui
sont exécutoires par les tribunaux
indiens ». [8] Lexpression
« Pactes internationaux »
inclut le PIDESC. Par conséquent,
les droits ESC exécutoires par les
tribunaux indiens peuvent également entrer
dans les attributions de la NHRC.
[9] Outre le pouvoir
de mener des enquêtes, la commission
peut également étudier les « traités
et autres instruments internationaux
sur les droits humains et faire des
recommandations pour leur application
concrète ». [10]
Depuis sa création
en 1993, la NHRC a adopté une démarche
dynamique dans le domaine des droits
ESC. Elle a rejeté largument
selon lequel la pauvreté était la
principale cause, et par conséquent,
la justification, de la prostitution
et du travail des enfants. Constatant
que la violence, le système des castes,
les faiblesses communales et sociétales
jouent un rôle majeur dans la fréquence
de ces abus, elle a demandé la scolarité
gratuite et obligatoire pour tous
les enfants jusquà lâge
de quatorze ans. [11] Ces
deux questions figurent toujours à
son agenda et elle continue à pousser
le gouvernement à trouver des solutions.
Ses efforts persistants ont amené
le gouvernement à modifier ses règles
de service afin dinterdire lemploi
denfants par des fonctionnaires.
Elle sattache
également au problème de la contamination
de leau potable par larsenic
ou le fluorure dans le Bengale Ouest
et Andhra Pradesh, ainsi quà
celui de la mortalité dune foule
denfants à Orissa, due à la
malnutrition. [12] Dans
ce dernier cas, elle a ordonné le
versement de Rs. 6 52 000 pour dédommager
125 familles tribales dont les enfants
étaient morts.
[13] Plus récemment,
elle se vit confier par la Cour suprême
le « problème grave et persistant
de la servitude pour dettes », [14] le contrôle du fonctionnement
de trois hôpitaux psychiatriques dans
les États de Uttar Pradesh, Madhya
Pradesh et Bihar, et le cas de décès
dinanition à Orissa.
Elle sattache également à résoudre
le problème répandu et aux conséquences
désastreuses de lanémie maternelle.
Lexamen des rapports
annuels de la NHRC depuis 1994 révèle
que plus de la moitié des plaintes
dont elle a pris connaissance sont
liées à la violence dans les centres
de détention et aux excès auxquels
se livre la police. Bien que les
plaintes relatives aux droits ESC
soient moins nombreuses, elles soulignent
néanmoins le rôle positif de la commission
en tant que forum faisant appliquer
ces droits. Malgré son énorme volume
de travail, [15] elle
voit chaque jour plus le bien-fondé
de son intervention dans ce domaine.
Elle est convaincue qu: « il
y a une relation directe entre la
promotion adéquate et la croissance
des droits civils et politiques et
le progrès des droits économiques,
sociaux et culturels ». [16]
Etant donné que la
NHRC ne peut que recommander au gouvernement
les mesures correctives à prendrequelles
prennent la forme de dédommagements
temporaires ou définitifs des victimes
ou lengagement de procédures
disciplinaires et pénales contre les
fonctionnaires corrompus [17] on a souvent douté
de son efficacité. Toutefois, dans
tous les cas sauf un, le gouvernement
central et les administrations dÉtat
ont obéi à ses directives. Dans le
seul cas de refus, elle alla à la
Haute cour,
[18] qui réprimanda ladministration
en question et fit appliquer le dédommagement
recommandé. À un autre échelon, la
commission semble être capable
dinfluencer les décisions politiques
en engageant par des rappels constants
les administrations à appliquer les
directives constitutionnelles sur
différentes questions, notamment les
droits ESC.
[19]
Auteur: Lauteur de ce module est Mario Gomez.
Les informations sur la Commission
nationale des droits humains dInde
ont été fournies par S. Muralidhar.
NOTES
1.
Principes
concernant le statut et le fonctionnement
des institutions nationales pour la
protection et la promotion des droits
de lhomme (« Principes
de Paris »), ONU Doc. E/CN.4/1992/54,
Annexe (1992).
2.
Amnesty International, « Proposed Standards
for National Human Rights Institutions »,
IOR 40/01/93 (janvier 1993).
3. CDESC, Observation générale 10, Le rôle des
institutions nationales des droits
de lhomme dans la protection
des droits économiques, sociaux et
culturels, ONU Doc. E/C.12/1998/25
(3 décembre 1998).
4.
Voir laffaire Jayasinghe v. Advocate
General au Sri Lanka (1994) 2
Sri LR 74, au cours de laquelle la
« protection égale » de
la Constitution fut étendue à la protection
des moyens de subsistance.
5.
Section 184 (3) de la Constitution sud-africaine
(1996).
6.
La Commission nationale des droits humains (NHRC),
constituée sous la protection de la
Loi sur les droits humains, 1993 (PHRA),
se compose dun Président qui
fut le juge en chef de lInde
et de sept autres membres. La nomination
du Président et des membres est effectuée
sur les recommandations dun
collège formé du Premier ministre,
du Ministre de lintérieur, de
lOrateur de lAssemblée
du peuple, du Vice-président du Conseil
des États et des chefs de lopposition
des deux assemblées.
7.
Section 12 (a), PHRA. Exception importante:
la NHRC ne peut enquêter sur des plaintes
contre les membres des forces armées.
Elle doit demander un rapport du gouvernement
central et lui envoyer ses recommandations
sur ce rapport. Aux termes de la
section 21, les administrations dÉtat
sont censées constituer leurs commissions
respectives des droits humains afin
de remplir des fonctions similaires
sur leurs territoires. Cette disposition
nest toutefois pas obligatoire
et, à lheure actuelle, neuf
seulement des vingt-sept États possèdent
des commissions nationales des droits
humains.
8.
Section 2 (1) (d), PHRA.
9.
Au cours dune décision célèbre rendue
dans laffaire Vishaka et
al. v. State of Rajasthan (1997)
6 SCC 241, tout en établissant des
directives sur le problème du harcèlement
sexuel des femmes au travail, la Cour
suprême souligna que les conventions
et normes internationales devaient être
interprétées dans le cadre des droits
fondamentaux exécutoires en labsence
du droit interne, lorsquil nexiste
pas dincompatibilité entre les
deux.
10. Section 12 (f), PHRA. Elle élargit la portée
du fonctionnement de la NHRC tout
en soulignant limportance et
le caractère exécutoire des droits
ESC.
11. Commission nationale des droits humains, Annual
Report 1994-95 (Rapport
annuel 1994-5), 5.
12. Pour répondre aux critiques affirmant quelle
se dispersait en intervenant dans
différentes questions, la NHRC observa
dans son Annual Report, 1995-96:
« Au cours de sa troisième année
dexistence, la Commission uvra
de plus en plus sur les prémisses
selon lesquelles les droits humains,
quils soient civils ou politiques,
économiques, sociaux et culturels,
étaient . . . universels, indivisibles,
interdépendants et étroitement liés,
et quil était nécessaire que
la Commission en soit vivement consciente
lorsquelle décidait de prendre
ou non connaissance de plaintes ou
de questions particulières »
(6).
13. La NHRC rejeta fermement la défense spécieuse
de ladministration dÉtat
selon laquelle loctroi de compensations
« équivaudrait à dissuader les
populations tribales de changer leurs
pratiques » (Commission nationale
des droits humains, Annual Report,
1995-96, 40).
14. Commission nationale des droits humains, Annual
Report, 1997-98, 4. La
Cour suprême clarifia dans laffaire
Paramjit Kaur v. State of Punjab
(1999) 2 SCC 131 que, pour les affaires
référées par la Cour suprême à la
NHRC, la commission exerçait ses pouvoirs
sui generis, à titre de branche
étendue de la Cour suprême, sans être
entravée par des limites imposées
par la PHRA.
15. En 1997-98, la NHRC examina 27 289 affaires.
Annual Report, 1997-98,
5.
16. Commission nationale des droits humains,
Annual Report, 1997-98,
3.
18. Elle est habilitée à le faire aux termes de
la section 18(2) de la PHRA
19. Le rapport 1997-98 de la NHRC révèle quelle
« na manqué aucune occasion
de . . . demander dans les secteurs
économiques et sociaux des politiques
qui répondent effectivement aux droits
de ceux qui sont les plus vulnérables
dans notre société » (Annual
Report, 1997-98, 3).
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