Objet du module
22
Le présent module a
pour objet de fournir des idées sur
les possibilités de recours aux systèmes
juridiques internes afin de promouvoir
la mise en oeuvre des droits ESC.
Le module;
-
traite
de lapplication, au niveau
national, du droit international
sur les droits humains;
-
tente
de faire comprendre pourquoi il
est important que les droits ESC
restent justiciables; et
-
décrit
plusieurs démarches par lesquelles
il est possible de garantir la mise
en oeuvre des droits ESC au
niveau national.
Le module est suivi
dune analyse de lexpérience
de la Cour suprême indienne en matière
de procédures visant à assurer la
justiciabilité des droits ESC.
Garanties constitutionnelles
et législatives nationales
La plupart des États
intègrent dans leurs systèmes constitutionnels
et législatifs des clauses, dispositions
ou articles qui sinspirent des
normes des droits humains. Il nest
pas rare quils soient aussi
insérés dans une « déclaration
des droits » détaillée inscrite
dans la Constitution (donc non-susceptible
dabrogation) et qui constitue
un fondement sur lequel les tribunaux
peuvent sappuyer pour annuler
toute législation ou mesure réglementaire
en contradiction avec les principes
quils énoncent. Cependant,
la pratique ne suit pas un schéma
uniforme. Les systèmes constitutionnels
comportent, en général, deux paramètres
qui conditionnent lefficacité
de la protection nationale des droits
humains. Le premier touche au contenu
des droits reconnus et le second à
leur statut.
La législation nationale
ou les dispositions de la constitution
qui garantissent les droits humains
reflètent, en règle générale, les
priorités ou les valeurs considérées
comme précieuses dans le système concerné
et elles ne traduisent pas nécessairement
le contenu des garanties des droits
humains internationaux. Dans certains
pays, un grand nombre de droits, aussi
bien les droits civils et politiques
que les droits ESC, peuvent être protégés
par la constitution. Cependant,
dautres pays ne reconnaissent
que quelques droits civils et, lorsque
tel est le cas, ils sont tout juste
prévus par des dispositions légales
ordinaires.
Le schéma de lapplication
des droits humains au sein de différents
systèmes varie considérablement,
non seulement en termes de niveau
auquel lesdits droits sont placés
dans lordonnancement constitutionnel,
mais encore en termes de possibilités
de recours. Dans certains pays, lindividu
peut directement invoquer une disposition
relative aux droits humains afin
de déclencher une action devant les
juridictions pour faire éventuellement
appliquer les textes ou introduire
un recours. Toutefois, dans dautres
pays, les dispositions relatives
aux droits humains peuvent prendre
la forme de « principes directeurs »
qui auront pour finalité de guider
les décideurs gouvernementaux et non
de donner naissance à des droits individuels
applicables. Ces principes directeurs
ne peuvent généralement pas être
invoqués devant les tribunaux sauf,
peut-être, pour aider à interpréter
une autre législation.
Sil nest
pas rare que la constitution de ces
pays reconnaisse, dans une certaine
mesure, les droits économiques sociaux
et culturels, il est en revanche peu
fréquent quils soient soumis
aux mêmes mécanismes de contrôle ou
dapplication que les droits
civils et politiques. En règle générale,
ils sont souvent considérés
comme des droits « non-justiciables »
ou « à orientation politique »
donc non-susceptibles de faire lobjet
dune quelconque forme dapplication
par la voie judiciaire. Cette démarche
tend à donner une trop grande importance
aux différences caractéristiques qui
existent entre ces deux catégories
de droits et ignore la nature diversifiée
de « droits » qui consacrent
diverses prérogatives. Cest
la raison pour laquelle la tendance
a été, au cours des dernières années,
daccepter la possibilité dune
mise en oeuvre judiciaire de ces droits,
mais en les reléguant dans des domaines
qui ne nient pas toute liberté de
manuvre aux décideurs gouvernementaux.
Application, au niveau
interne, du droit international sur
les droits humains
Selon lidée qui
prévalait traditionnellement, cest
la nature de lordonnancement
juridique dun Etat qui détermine
lapplication, au niveau interne,
dun traité international sur
les droits humains. Lorsquun
Etat ratifie un traité de droits humains,
ces dispositions ne sont pas automatiquement
intégrées comme partie intégrante
de la législation nationale. Lintégration
ou la non-intégration de ces textes
dépend de la nature du système juridique.
Dans le système qualifié de « moniste »,
lorsquun Etat ratifie un traité
international, les dispositions du
traité deviennent automatiquement
partie intégrante de la législation
nationale. Il en résulte que la législation
internationale devient applicable.
Le monisme repose sur la notion selon
laquelle le droit international et
le droit interne se confondraient.
LArgentine applique la doctrine
moniste.
Dautres États
appliquent un système qualifié de
« dualiste ». Les « dualistes »
considèrent que le droit international
et le droit interne sont deux systèmes
distincts. Il faut, par conséquent,
que la législation internationale
soit incorporée sous forme de
texte de loi avant dêtre applicable
au niveau national.
Il est donc important,
dans le cadre de la définition des
stratégies susceptibles de garantir
lapplication et la justiciabilité
interne des droits économiques, sociaux
et culturels, de prendre en considération
la nature du système juridique du
pays concerné. Il convient, toutefois,
de noter que les traités internationaux
des droits humains ont établi certains
principes qui régissent leur application
au niveau national, et cela quelle
que soit la nature du système juridique
en vigueur.
Sensibilisation,
mobilisation de la communauté-et
actions en justice
La nature technique et complexe
du processus judiciaire en fait
une sorte de chasse gardée
pour les avocats et autres juristes,
tandis que les plaideurs assistent
souvent en simples spectateurs
au déroulement de la
" scène " juridique.
C'est en particulier le cas
des parties qui appartiennent
à la catégorie
des simples citoyens, généralement
pauvres et analphabètes
et méfiants ou mal à
l'aise lorsqu'ils sont confrontés
à des représentants
ou des institutions de l'Etat.
Toutefois, les actions en justice
relatives aux droits ESC peuvent
être un formidable outil
de démystification du
processus judiciaire, en sensibilisant
et en mobilisant les individus,
groupes ou communautés
concernés autour des
questions qui les préoccupent,
en définissant et en
formulant lesdites questions.
Etant donné que ces recours
relatifs aux droits ESC intéressent
souvent de larges sections de
la population, l'action en justice
peut aussi devenir un point
de ralliement pour le lancement
d'une action collective, de
telle sorte, que même
en cas de verdict défavorable,
le consensus déjà
réalisé et l'énergie
déjà mobilisée
puissent être canalisés
vers d'autres formes d'expression
populaire.
Pour être efficace, l'action
en justice doit être initiée
dans le cadre d'une stratégie
élargie de sensibilisation
aux droits humains et d'action
communautaire mise en uvre
par l'intermédiaire des
réseaux locaux existants
ou, lorsque ces réseaux
n'existent pas, par la contribution
à la création
de liens très forts,
entre membres et par le biais
de leurs préoccupations
ou intérêts communs.
Le groupe ou la collectivité
concerné doivent considérer
que leur présence régulière
aux procès est un facteur
important de la lutte pour la
justice. Les questions soulevées
dans cette affaire et les points
saillants des audiences devront
être expliqués
le plus simplement possible,
en utilisant le langage approprié.
La communauté en général
sera également tenue
informée, par ses représentants
ou par d'autres canaux informels.
Cette démarche a fait
preuve de son efficacité
dans les activités du
Social and Economic Rights Action
Center (SERAC) du Nigeria. Le
SERAC plaide pour la réinstallation
de la totalité des 300
000 personnes qui avaient été
expulsées de force de
leurs habitations en 1990, lors
de la démolition de Maroko,
le plus important bidonville
du Nigeria, démolition
décidée par le
gouvernement militaire. Plus
de 97 % des familles expulsées
n'avaient été
ni compensés ni relogés.
Les actions initiées
par le SERAC devant les tribunaux
visent à donner une plus
grande légitimité
aux exigences de cette communauté
et à les regrouper. C'est
ainsi que, par exemple, dans
l'affaire Farouk Atanda v. État
de Lagos et quatre autres, le
SERAC demandait à la
cour de juger si les logements
fournis, à titre de moyens
de réinsertion, à
moins de 3% des familles expulsées
de Maroko sont suffisants et
habitables au regard des normes
des droits humains applicables.
Pour la communauté, cette
affaire et toutes les autres
à peu près similaires
sont devenues une grande source
de motivation pour la poursuite
de la lutte. Cette motivation
s'exprime, en partie, par leur
présence régulière
et en très grand nombre,
aux procès-un signal
fort à l'attention des
autorités judiciaires.
|
Principes régissant
lapplication interne des traités
internationaux relatifs aux droits
hu Principes régissant lapplication
interne des traités internationaux
relatifs aux droits humains dans
tous les systèmes juridiques
Le principe fondamental
qui régit lapplication, au niveau
national, des traités internationaux
relatifs aux droits humains repose
sur le postulat selon lequel « Les
États (lorsquils deviennent
parties à un traité international)
sont réputés se soumettre à un ordonnancement
juridique dans lequel ils assument,
pour le bien commun, diverses obligations
non pas par rapport à dautres
États, mais vis-à-vis de tous les
individus placés sous leur juridiction ».
[1]
Dans son Observation générale
9, le CDESC établit sans la moindre
ambiguïté que
la principale obligation qui ressort du Pacte
est que les Etats parties doivent
mettre en uvre les droits reconnus
par ce texte. En exigeant des gouvernements
quils y veillent en usant de
« tous les moyens appropriés
», le Pacte adopte une approche
adaptée et souple qui permet de tenir
compte des particularités des systèmes
juridiques et administratifs de chaque
État, ainsi que dautres considérations
majeures. Cependant, cette souplesse
va de pair avec lobligation,
pour chaque État partie de mettre
en oeuvre tous les moyens à sa disposition
afin dassurer le respect des
droits consacrés par le Pacte.
Il convient, à ce sujet, de tenir
compte des exigences fondamentales
de la législation internationale relative
aux droits humains. Il en résulte
que les normes définies par le Pacte
doivent être reconnues, par les voies
appropriées, par lordonnancement
juridique national, que tout individu
ou groupe lésé doit disposer de voies
de réparation ou de recours appropriées
et que les moyens nécessaires pour
rendre les pouvoirs publics soient
comptables de leurs actes doivent
être mis en place (italiques ajoutés).
Pour renforcer cette
idée, le CDESC mentionne également
ce qui suit dans son Observation générale
9:
Bien
que les modalités précises par lesquelles
les droits garantis par le Pacte sont
insérés dans les législations nationales
soient du ressort de chaque Etat partie,
les moyens à mettre en uvre
doivent être appropriés en ce sens
quils doivent produire des résultats
qui attestent que lEtat partie
sest pleinement acquitté de
ses obligations. En outre, les moyens
choisis sont aussi susceptibles de
contrôle dans le cadre de la vérification,
par le Comité, du respect, par lÉtat
partie, de ses obligations en vertu
du Pacte.
Pourquoi il est
essentiel que les droits demeurent
justiciables
Est réputée justiciable
toute matière quil est possible
dinsérer dans lordonnancement
juridique avec la possibilité quelle
puisse être invoquée par un individu
ou un groupe en tant que motif daction,
devant les juridictions, et donner
éventuellement lieu à des mesures
exécutoires ou à une possibilité
de recours. La question de savoir
si les droits ESC sont justiciables
est, traditionnellement, lune
des moins bien comprises et des plus
débattues dans les documents relatifs
aux droits ESC. La plupart des tribunaux
du monde rechignent généralement à
statuer sur les droits ESC. Ils préfèrent
dordinaire sappuyer sur
les décideurs et les politiciens,
craignant de « marcher sur les
plates-bandes » de ces responsables
qui sont, à leur avis, tout désignés
pour trancher ce genre daffaires.
Ils refusent dexplorer le domaine
juridique des droits ESC, un domaine
très pauvre en termes de références
jurisprudentielles.
Or, le respect des
droits humains dépend essentiellement
du comportement de lÉtat au
niveau national. « Il ne faut
pas perdre de vue que seule une protection
efficace au niveau interne peut garantir
le respect des droits reconnus internationalement ».
[2] Cette protection
interne ne peut être assurée
en dehors du système judiciaire, qui
est lultime garant des droits.
Par conséquent, lun des principaux
défis qui interpellent les militants
de cette cause consiste à veiller
à ce que les traités relatifs aux
droits humains soient validés par
les juridictions nationales. À cet
égard, « le défi quil convient
de relever, en cette fin de siècle,
est celui de linsertion, dans
le droit interne, des droits universels,
seul moyen dassurer leur mise
en uvre au niveau interne ».
[3] Pour une réelle protection
des droits ESC, il convient de mettre
en place les mécanismes nécessaires
ou de les adapter afin que les obligations
souscrites par les États puissent
être remplies.
En définitive, cest
à lÉtat quil incombe dassurer
la protection judiciaire des droits
ESC consacrés par les traités internationaux.
Il importe peu, au regard du droit international,
que cette obligation soit prise en
charge par des voies administratives,
judiciaires ou législatives . . .
Néanmoins, en cas de non-application
totale ou partielle, il revient au
système judiciaire de mettre en marche
le mécanisme susceptible de garantir
lapplication du droit, à la
fois parce que, aux termes de la loi
interne, le pouvoir judiciaire est
lultime garant des droits des
individus et parce que cest
le pouvoir judiciaire qui a la charge
dincorporer les normes internationales
dans lordonnancement juridique
national. [4]
Par ailleurs, il est
désormais largement établi que les
droits ESC sont justiciables, à linstar
des droits civils et politiques. [5] Les
États parties aux traités internationaux
relatifs aux droits humains et qui
reconnaissent les droits ESC ont adopté
des obligations spécifiques et exécutoires
qui émanent principalement du PIDESC
et des Observations générales adoptées
par son organe dexécution.
Garantir la justiciabilité des
droits ESC
Le présent chapitre
traite de certaines stratégies susceptibles
dêtre adoptées pour garantir
la justiciabilité des droits
ESC.7
Recours aux tribunaux
pour faire appliquer directement les
droits ESC
Lorsque les obligations
dun État sont clairement établies,
les droits sont directement exécutoires
par le biais de demandes individuelles
ou collectives. Pour faire appliquer
un droit, il est important didentifier
le manquement qui a abouti à sa non-exécution.
Les stratégies à mettre en uvre
pour assurer le respect dun
droit comportent deux étapes; la première
Recours
aux tribunaux pour une application
directe des droits ESC
Affaire Mariela Viceconte (Argentine)
L'affaire Mariela Viceconte
touche au droit à la
santé.6
Elle a été
initiée par des groupes
argentins qui souhaitaient que
l'État fabrique un vaccin
contre la fièvre virale
hémorragique argentine,
qui menace la vie de 3,5 millions
de personnes vivant dans la
zone endémique, notamment
dans la pampa argentine humide.
Cette affection, dont le diagnostic
est difficile à établir
rapidement, touche une population
qui n'a pas facilement accès
aux services médicaux
préventifs. Un vaccin,
le Candid 1, s'est révélé
efficace à environ 95
% et a reçu l'onction
de l'OMS. Il s'agit d'un "
vaccin orphelin ", sa production
n'étant pas rentable
pour les laboratoires commerciaux.
Quelque 200 000 doses ont été
fournies par l'Institut Salk,
des Etats-Unis, dans le cadre
d'un programme expérimental;
140 000 doses ont été
administrées, de 1991
à 1995, aux habitants
de la zone endémique.
L'État n'a pas été
en mesure d'organiser une campagne
massive de vaccination en raison
de l'insuffisance des doses
disponibles.
Une requête d'amparo
(recours constitutionnel par
lequel un individu peut obtenir
réparation) fut introduite
pour protéger le droit
à la santé des
personnes vivant dans les régions
affectées. La requête
fut rejetée en première
instance. Cependant, en 1998,
cette décision fut inversée
en appel. En effet, la juridiction
d'appel a décidé
que l'État avait l'obligation
de fabriquer le vaccin. Elle
a également fixé
un délai dans lequel
cette obligation devait être
exécutée. Cette
décision de la juridiction
d'appel était fondée
sur la Déclaration américaine
des droits et devoirs de l'homme,
la DUDH et l'article 12 du PIDESC.
Tous ces instruments sont incorporés
dans la législation interne
de l'Argentine et sont considérés
comme parties intégrantes
de sa Constitution.
Outre le fait qu'elle a permis
de garantir la fabrication du
vaccin, cette affaire est également
importante en ce qu'elle soulève
d'autres questions;
- Elle réaffirme le
processus judiciaire en tant
que méthode permettant
à des citoyens ordinaires
de contester les décisions
des pouvoirs publics qui relèvent
des politiques environnementales
et sanitaires. Elle reconnaît
le droit des citoyens d'exiger
un vaccin pour 3,5 millions
de personnes qui vivent dans
une zone affectée.
Elle renforce le rôle
de la requête collective
d'amparo comme moyen de faire
participer les citoyens à
la gestion et au contrôle
des affaires publiques.
- L'application directe, par
une juridiction interne, des
normes internationales sur
le droit à la santé
offre une plus grande marge
de manuvre aux militants
en matière de lutte
pour le respect des droits
ESC.
- La décision prise
le tribunal de rendre deux
ministres personnellement
responsables de la fabrication
du vaccin dans des délais
spécifiques démontre
que les obligations qui émanent
des droits ESC sont de nature
juridique et impliquent des
responsabilités juridiques.
- Le jugement affirme également
le rôle de l'État
en tant que garant du droit
à la santé lorsque
certains services se révèlent
non-rentables ou inadaptés
au secteur privé. Vu
sous cet angle, le jugement
cherche à établir
un équilibre entre
l'État et le marché,
seul moyen d'assurer le respect
des droits humains.
- Réagissant au constat
selon lequel un droit garanti
par la constitution a été
violé, les juges ont
posé une limite au
pouvoir discrétionnaire
de l'Exécutif en lui
demandant de respecter les
engagements qu'il a souscrits
en vertu de la Constitution.
- En définitive, le
jugement définit le
rôle du judiciaire en
cas de manquement des autorités
qui n'auraient pas pris une
décision qui relève
de leur mission. Dans le cas
d'espèce, la cour n'a
pas hésité à
assumer son rôle de
garante des droits fondamentaux,
même si ces derniers
intègrent des droits
économiques et sociaux.
|
consiste à établir
que le manquement de lÉtat est
la cause de la non-exécution du droit
consiste à établir que le manquement
de lÉtat est la cause de la
non-exécution du droit concerné alors
que la seconde consiste à assurer
que lÉtat suit la démarche appropriée,
cette démarche appropriée devant faire
lobjet de la définition la plus
précise possible.
Garantir la justiciabilité en
demandant des informations publiques
qui permettent de faire le point sur
la mise en oeuvre des droits ESC
Une autre méthode consiste
à demander des informations sur létat
lapplication des politiques
mises en oeuvre ou envisagées. LÉtat
est dans lobligation de fournir
les informations publiques demandées
et de les rendre accessibles. Les
États parties au PIDESC sont tenus
de contrôler et de collecter les informations
et de préparer un plan daction
pour la mise en uvre progressive
des droits reconnus par le Pacte.8
Par ailleurs, dans bon nombre de cas
laccès aux informations relatives
à létat dapplication des
droits ESC est essentiel en vue de
la mise en uvre dune procédure
contre lÉtat pour manquement
à ses obligations.
Stratégie visant
à soumettre lEtat, en ce qui
concerne les droits ESC, à des obligations
émanant des droits civils et politiques
Les
droits des enfants souffrant
d'hypoacousie en Argentine
Divers articles de presse ont
fait mention de l'insuffisance,
due à des raisons économiques,
des casques à écouteurs
pour les enfants atteints d'hypoacousie
(malentendants). Les enquêtes
faites à ce sujet ont
révélé
que l'État n'avait ni
programme ni plan pour prendre
en charge ce problème.
La politique officielle est
handicapée par l'absence
d'informations sur le nombre
de ces enfants, le type d'infirmité
dont ils souffrent et les causes
principales de cette maladie.
Ce qui avait été,
à l'origine, considéré
comme un simple problème
d'accès à un service
de santé s'est révélé
progressivement comme un problème
lié à un déficit
d'information sur la composition
d'un groupe vulnérable
par rapport au droit à
la santé. Le Centro de
Estudios Legales y Sociales
(CELS) ainsi que des ONG représentant
ces enfants et leurs familles
analysent la possibilité
d'initier une procédure
juridique et d'organiser une
campagne pour demander à
l'État de diffuser des
informations sur le problème,
une étape nécessaire
sur la voie de la création
d'un programme adéquat
de prise en charge médicale.
|
En règle générale,
les droits civils et politiques ne
sont pas perçus comme nécessitant
une action positive de lÉtat.
Toutefois, si lÉtat se
contente de ne pas agir, une
considérable partie de la population
risque dêtre privée de la plupart
de ses droits civils et politiques.
Le Comité des droits de lhomme,
établi en vertu du PIDCP, a reconnu
lobligation positive qui pèse
sur les États. En ce qui concerne
le droit à la vie, garanti par larticle
6 du PIDCP, le comité a noté quil
a souvent fait lobjet
dune interprétation trop restrictive.
Larti-cle 6(1) stipule:
Le
droit à la vie est inhérent à la personne
humaine. Ce droit doit être protégé
par la loi. Nul ne peut être arbitrairement
privé de la vie.
Le Comité des droits
de lhomme affirme quil
nest pas possible de bien comprendre
la notion du « droit inhérent à la
vie » lorsquelle est interprétée
de manière restrictive et sa protection
requiert que les Etats adoptent des
mesures opportunes. A ce sujet, le
comité a observé quil serait
souhaitable que les États parties
prennent toutes les mesures envisageables
pour réduire la mortalité infantile
et augmenter lespérance de vie,
notamment en adoptant des mesures
ayant pour finalité déliminer
la malnutrition et les épidémies.9
Dans le droit fil de cette large interprétation
du droit à la vie, le comité a demandé
des informations sur les initiatives
prises pour réduire la mortalité infantile
et maternelle et augmenter lespérance
de vie.10
Pour sa part, la Commission
européenne sur les droits de lhomme
estime que la première phrase de larticle
2(1) de la Convention européenne des
droits de lhomme (CEDH)11
fait non seulement obligation à lÉtat
de sabstenir dôter intentionnellement
la vie, mais encore de prendre les
mesures appropriées pour la protéger.12
Lidée a été avancée
que « ce texte peut faire
lobjet dune large interprétation
afin dexiger de lÉtat
quil prenne des mesures positives
pour assurer la fourniture adéquate
de services médicaux, la mise à disposition
de nourriture et de logements, la
création dun environnement
professionnel et de bâtiments dhabitation
sains ».13 La Commission
européenne a précisé, à cet égard,
que lobligation de prendre « des
mesures » pour garantir le respect
du droit à la vie implique non seulement
la création dun système efficace
de prévention de la criminalité (système
pénal), mais aussi la création
dun système dhôpitaux
publics et de services de santé, cest
à dire dun système de services
médicaux et sociaux minimums.14
Une large interprétation
du droit à la vie fait nécessairement
intervenir les droits ESC, notamment
le droit de jouir de la meilleure
santé physique et mentale (art. 12,
PIDESC) et le droit à un niveau de
vie adéquat, qui intègre lapplication
de normes pour le logement et lalimentation
(art. 11).
Dans laffaire
Airey,15 la Cour
européenne des droits de lhomme
sest penchée sur la question
des obstacles matériels qui entravent
lexercice des libertés garanties
par la CEDH, et sur la démarcation,
généralement floue, entre les deux
catégories traditionnelles de droits.
Mme Johanna Airey navait pas
été en mesure de trouver un avocat
pour la défendre dans la procédure
de divorce, portée devant la Cour
suprême dIrlande, qui lopposait
à son mari. En Irlande, en effet,
seule la Cour suprême est habilitée
à connaître des procédures de divorce,
si bien que, du fait du statut élevé
de cette juridiction et des procédures
mises en oeuvre, les parties doivent
nécessairement être assistées par
des conseils, spécialistes dont la
demanderesse navait pas les
moyens de rémunérer les services.16 Mme Airey a invoqué, entre
autres dispositions, la violation
à larticle 6(1) de la CEDH,
qui prévoit le droit daccès
effectif aux tribunaux. Au cur
du litige se trouvent les obligations
précises que cette disposition de
la convention imposait à lIrlande,
en ce qui concerne le droit daccès
aux tribunaux.
La Cour européenne
avait maintenu que si Mme Airey navait
pas pu trouver un avocat pour assurer
sa défense dans la procédure de divorce,
cest parce quelle navait
pas les moyens de faire face aux frais
dhonoraires généralement demandés
pour ce genre daffaire. Par
conséquent, lÉtat navait
pas garanti son droit daccès
effectif à la justice et avait, de
ce fait, violé larticle 6(1)
de la CEDH.
Définir, pour les
droits ESC, des obligations basées
sur le principe de non-discrimination
Le principe de la non-discrimination,
si essentiel à la législation internationale
sur les droits humains, constitue
un instrument très utile pour solliciter
lintervention des tribunaux
afin dassurer la mise en uvre
des droits ESC. Larticle 2(2)
du PIDESC pose le principe de lobligation,
pour les États, de garantir lexercice
des droits énoncés par le Pacte, sans
discrimination. Le PIDCP comporte
une obligation similaire.
Par ailleurs, larticle
26 du PIDCP reconnaît le droit, pour
tout individu, de faire interdire,
par lÉtat et au moyen de la
loi, toute discrimination fondée sur
la race, la couleur, le sexe, la langue,
la religion, lopinion politique
ou autre, lorigine ethnique
ou sociale, la situation économique,
la naissance ou toute autre situation
sociale. Lobligation, pour
lEtat, dinterdire la discrimination
ne fait référence à aucun droit en
particulier et, par conséquent, elle
sapplique à tous les droits,
y compris aux droits ESC. De même,
dans le système inter-américain, larticle
24 de la Convention américaine crée
un droit distinct à légalité
et à la protection contre la discrimination.
Dans laffaire
Zwaan-de Vries contre les Pays-Bas,
le Comité des droits de lhomme
estime que larticle 26 du PIDCP
pourrait servir de moyen pour garantir
la justiciabilité des droits ESC.
Dans le cas despèce, le comité
estime que si larticle 26 rend
nécessaire ladoption dune
législation qui interdit la discrimination,
il reste muet sur les questions que
la loi doit prendre en charge. Ainsi,
il nexige pas, par exemple,
dun Etat quil promulgue
une loi portant création de la sécurité
sociale. Toutefois, lorsque ce genre
de législation est adopté dans le
cadre de lexercice du pouvoir
souverain dun Etat, il faut
alors quelle soit conforme à
larticle 26 du Pacte.17
Définir, en matière
de droits ESC, des obligations basées
sur lindivisibilité des droits
Les droits ESC ne doivent
pas être remis en cause au
cours du processus visant à assurer
le respect des obligations qui émanent
des traités sur les droits politiques
et civils. Ce principe a été
établi dans laffaire James
et consorts contre le Royaume-Uni,18
jugée par la Cour européenne des droits
de lhomme, en 1986. Dans le
cas despèce, le demandeur avait
acquis un important complexe immobilier
comprenant quelque 2.000 maisons et
lavait converti en lun
des plus beaux quartiers résidentiels
de Londres. La loi de 1967 autorisait
les locataires qui occupaient ces
maisons avant laménagement de
ce patrimoine immobilier à sen
porter acquéreurs par une procédure
de vente forcée, selon certaines conditions
et à un prix donné que le vendeur
ne pouvait refuser. Le promoteur
avait alors contesté la loi auprès
de la Cour européenne des droits de
lhomme, invoquant, entre autres,
une violation de larticle 1
du Protocole N° 1. Cette disposition
garantit le droit à la propriété et
autorise les États à ne réglementer
la gestion des biens immobiliers que
dans lintérêt général. La Cour
européenne a tranché en estimant que:
Lobjectif
de la Loi de 1967, tel que stipulé
que dans le Livre blanc de 1966, était
de remédier à linjustice dont
les locataires occupants étaient réputés
être les victimes du fait du système
des baux à long terme. Cette loi
avait été promulguée pour réformer
la loi existante, considérée comme
« préjudiciable aux locataires »
et pour donner effet à un concept
qualifié de « droit moral »
des locataires occupants dacheter
leur logement. La suppression des
situations considérées comme des injustices
sociales constitue un exemple des
fonctions quun parlement démocratique
peut assumer. Plus précisément, les
sociétés modernes considèrent que
le logement de leurs populations est
une priorité sociale dont la réglementation
ne peut relever exclusivement du jeu
des forces du marché. La marge dappréciation
est suffisamment importante pour permettre
la promulgation dune législation
visant à assurer une meilleure justice
sociale dans le domaine des logements,
même lorsque cette législation simmisce
dans les relations contractuelles
conclues entre des privés et ne confère
aucun bénéfice direct à lÉtat
ou à la communauté dans son ensemble.
Par conséquent, lobjectif poursuivi
par la réforme de la législation sur
les baux est, dans son principe, légitime.
Recours au concept
de la non-régression dans la jouissance
des droits ESC
La notion de mise en
oeuvre progressive préconisée à larticle
2 du PIDESC semble impliquer, premièrement,
que les droits ESC ne peuvent être
mis en uvre que progressivement
et, deuxièmement, que lapplication
progressive des droits doit impliquer
lamélioration du niveau de mise
en uvre de chaque droit. (Voir
le module 9 pour un examen plus approfondi
de cette question.) Il est possible
dinférer de lobligation,
pour lÉtat, dexécuter
progressivement les droits dESC,
que lon peut identifier des
obligations spécifiques susceptibles,
en cas de manquement, de faire lobjet
dun examen judiciaire. A ce
sujet, lÉtat a pour obligation
minimale de veiller au respect du
principe de la non-régression dans
le cadre de la jouissance des droitsen
dautres termes, interdiction
dadopter des politiques, mesures
et lois qui portent préjudice aux
droits ESC dont jouit présentement
la population.19
En ce qui concerne
le principe de la non-régression,
le CDESC déclare; « En outre,
toute mesure délibérément régressive
dans ce domaine doit être examinée
avec la plus grande attention et être
pleinement justifiée au regard de
tous les droits prévus par le Pacte
et dans le contexte dune exploitation
optimum des ressources disponibles
».20
La législation
argentine et le principe de
la non-régression
Les arguments conceptuels et
juridiques suivants servent
de fondement à la législation
argentine pour l'examen des
requêtes introduites afin
de faire appliquer l'obligation
de la non-régression.
- Le principe du caractère
raisonnable de la réglementation
des droits est consacré
par l'article 28 de la Constitution
nationale. Cet article stipule
que " les principes,
garanties et droits reconnus
dans les articles précédents
ne peuvent pas être
modifiés au moyen de
lois ". Il a pour objectif
de contrôler le fonds
ou le contenu de la régulation
des lois. Par conséquent,
conformément à
la conception traditionnelle
du caractère raisonnable,
les pouvoirs législatif
et exécutif sont tenus
responsables selon des critères
rationnels. Par exemple, l'essence
du droit ne doit pas être
modifiée par leurs
actes.
- L'obligation de non-régression
est semblable au principe
du caractère raisonnable.
Aucune réglementation
proposée par le pouvoir
législatif ou le pouvoir
exécutif ne peut restreindre
ou empêcher la jouissance
d'un droit. Par conséquent,
parmi les options disponibles,
il est en principe interdit
aux pouvoirs politiques d'adopter
des réglementations
déraisonnables. Par
ailleurs, ils ne peuvent adopter
de réglementations
qui impliquent un recul en
matière de jouissance
des droits ESC en vigueur.
L'interdiction de la régression
est une nouvelle catégorie
du concept du caractère
raisonnable de la loi que
les tribunaux doivent analyser.
|
Le principe de la non-régression
est lune des obligations manifestement
exécutoires au plan judiciaire. Il
constitue un outil précieux pour le
renforcement de la justiciabilité des
droits ESC.21
Droit à la protection
judiciaire et garantie du respect
de la légalité pour protéger les droits
ESC
Le droit à la protection
judiciaire est lun des droits
essentiels garantis par les traités
sur les droits humains et qui pourrait
servir dinstrument efficace
pour garantir la justiciabilité des
droits ESC. Il ne fait aucun doute
que la disposition relative au respect
de la légalité pourrait, sans aucun
doute, constituer un moyen supplémentaire
de protection de ces droits. Il convient
de noter que, dans le système interaméricain,
les catégories de droits protégées
par la disposition relative au respect
de la légalité sont énoncées à larticle
8 de la Convention américaine, qui
stipule que la garantie du respect
de la légalité est applicable dans
toutes les procédures initiées pour
« la détermination des droits
et obligations de nature civile, professionnelle,
fiscale ou autre (dun individu)
».
Dans les instruments
européen, américain et africain, lon
relève lexistence de trois volets
majeurs en ce qui concerne les garanties
qui touchent au respect de la légalité:
1.
Un contrôle juridictionnel satisfaisant des
décisions administratives
2.
Un délai raisonnable
3.
Légalité des moyens (garanties procédurales
égales)
1. Contrôle juridictionnel
satisfaisant des décisions administratives
Bon nombre des décisions
qui influent sur les droits et obligations
des individus sont prises par lexécutif
ou ses organes. Dans son Observation
générale 9, le CDESC mentionne; « Il
serait, dans lensemble, souhaitable
que les procédures administratives
de cette nature soient susceptibles
de faire lobjet dun recours
judiciaire ultime ». Conformément
aux garanties quil offre en
ce qui concerne le droit daccès
à la justice et à la garantie du respect
de la légalité, larticle 6
de la Convention européenne requiert
que lEtat garantisse le droit
de faire appel dune décision
administrative devant une juridiction
qui offre les garanties prévues par
larticle 6(1). Il en est de
même pour la Convention américaine,
la Charte africaine et le PIDCP.
La jurisprudence de
la Cour européenne des droits de lhomme
exige que les États parties garantissent
le droit de faire appel des décisions
administratives devant un tribunal
qui offre les garanties prévues par
larticle 6 de la CEDH. En ce
qui concerne la portée du contrôle
juridictionnel qui relève du tribunal,
les décisions de la Cour européenne
des droits de lhomme indiquent
toutes que les juridictions chargées
dexaminer une décision administrative
doivent jouir dune large compétence
(sur la loi et les faits). Il sensuit
que lindividu a la possibilité
de faire examiner le fonds de sa requête
par un juge, dans le respect des garanties
dindépendance et dimpartialité
appropriées.
Laffaire Obermeier
contre État autrichien,
également jugée par la Cour européenne,
est intéressante en ce sens que cest
le droit au travail qui était invoqué
dans ce cas despèce. Le demandeur,
qui travaillait pour un démembrement
de ladministration, avait été
licencié suite à une décision motivée
par des raisons « socialement justifiées
». Quoiquil fut possible de
faire appel de cette décision devant
le Tribunal administratif autrichien,
la Cour européenne a jugé que ce recours
restreint était constitutif dune
violation de larticle 6 de la
CEDH.22
2. Délai raisonnable
La garantie dun
délai raisonnable est un autre aspect
du principe du respect de la légalité
reconnu par tous les traités internationaux
sur les droits humains.
Dans le système européen,
le caractère raisonnable de la durée
des procédures pénales ou autres
dépend des circonstances particulières
de chaque affaire. Aucune limite
absolue na été fixée en
la matière. A ce niveau, les facteurs
pris en considération sont; la complexité
de laffaire, la conduite du
demandeur ainsi que celle des autorités
administratives et judiciaires compétentes.
Aucun de ces facteurs nest déterminant,
il convient de les examiner chacun
séparément, puis den évaluer
leffet cumulatif.23
Dans laffaire
Deumeland,24 le demandeur,
en sa qualité dayant droit légal,
poursuivait une procédure qui avait
été initiée par sa mère dans le but
de recevoir une pension complémentaire
de veuvage, son mari ayant été
tué des suites dun accident
du travail. Au bout de onze ans et
après être passé devant plusieurs
juridictions, il avait vu sa demande
rejetée. Laffaire fut alors
portée devant la Commission européenne
des droits de lhomme, la requête
étant assortie dune plainte
contre lÉtat allemand pour violation
de larticle 6(1). Le demandeur
faisait valoir que son affaire navait
pas été tranchée dans un délai
raisonnable.
La Commission européenne
a jugé que larticle 6(1) sappliquait
à cette affaire. La seconde étape
a ensuite consisté à déterminer si
le principe du respect de la légalité
avait été violé, compte tenu de la
longueur de la procédure. Après examen
de tout le processus de laffaire
en appel, la Cour européenne a jugé
que:
Quelle
quait pu être le montant
de la pension demandée, un tel délai
est anormal, compte tenu des circonstances,
en particulier au regard de la diligence
toute particulière dont il convient
de faire montre dans les affaires
touchant à la sécurité sociale des
individus. Il est vrai que la période
en question se répartit en six phases
distinctes, qui correspondent à six
séries de procédures et que M. Deumeland
est le principal responsable des lenteurs
de la procédure. Néanmoins, certains
des retards sont attribuables aux
tribunaux compétents. Dun point
de vue général et cumulatif, laffaire
du demandeur na pas été
entendue dans un délai raisonnable,
comme stipulé à larticle 6(1).
Par conséquent, il convient de reconnaître
lexistence dune infraction
dans le cas despèce.25
Ainsi, outre quelle
a pris en considération les facteurs
susvisés (la complexité de laffaire
et la conduite du demandeur), la Cour
européenne a également introduit un
élément supplémentaire; lobjet
de laffaire. Elle a, en effet,
tenu compte de « limportance
des enjeux pour le demandeur ».
Une diligence particulière est exigée
dans le traitement des affaires qui
touchent à la situation professionnelle,26
à létat civil,27
à la santé mentale28
et au droit à la propriétée29
dun demandeur. Une diligence
particulière est également exigée
lorsque le retard rend inutile la
poursuite de la procédure, par exemple
lorsque que le demandeur risque de
décéder. En ce qui concerne cette
dernière possibilité, dans laffaire
X contre lEtat français,
une « diligence exceptionnelle »
était requise dans le cadre dune
poursuite civile initiée contre lÉtat
par un hémophile, qui faisait valoir
quune transfusion sanguine effectuée
dans des conditions de négligence
avait causé sa contamination par le
VIH, le demandeur risquant de décéder.30
Il ne fait aucun doute
que la prise en considération du caractère
raisonnable du temps pris pour vider
une affaire peut avoir un impact positif
lorsque des droits économiques et
sociaux sont en jeu (sécurité sociale,
droits du travail, droit à la santé).
Le recours
aux normes internationales comme
outils d'interprétation
Affaires jugées en Inde
Dans une affaire relative aux
droits des femmes travailleuses
à la protection contre
le harcèlement sexuel
dans le milieu professionnel,
la Cour suprême indienne
avait convenu que, en l'absence
de lois nationales garantissant
le droit à la protection
contre cette forme de harcèlement,
elle tiendrait compte des normes
internationales pour donner
des directives afin de veiller
au respect de l'égalité
des genres, égalité
qui intègre la protection
contre le harcèlement
sexuel.
La cour s'était fondée
sur des articles spécifiques
de la CEDAW et sur l'engagement
souscrit par le gouvernement
indien au cours de la Quatrième
conférence mondiale sur
les femmes à Pékin.
Elle avait affirmé qu'elle
n'avait " aucune hésitation
à se fonder sur ces articles
aux fins d'interpréter
la nature et la partie contestée
de la garantie de l'égalité
des genres dans notre Constitution
". A son avis, il convenait
d'interpréter les dispositions
de la Constitution sur les droits
fondamentaux en élargissant
leur portée afin d'y
inclure les dispositions des
conventions internationales
pour promouvoir la garantie
constitutionnelle. Il est intéressant
de constater que la cour considéra
cette démarche comme
relevant de l'obligation, qui
lui incombe, de faire respecter
les garanties constitutionnelles
et de l'obligation du pouvoir
exécutif de les protéger.34
Dans une autre affaire, la
Cour suprême a eu recours
à la CEDAW pour interpréter
l'application de la Loi sur
les indemnités de maternité.
Selon la haute Cour, cette loi
ne s'appliquait pas aux travailleuses
occasionnelles employées
par la Municipal Corporation
of Delhi (MCD). Annulant le
jugement de cette juridiction,
la Cour suprême avait
statué que les principes
contenus dans la CEDAW "
devaient être sous-entendus
dans le contrat de service entre
la MCD et les femmes employées
(travailleuses occasionnelles)
et, par conséquent, ces
employées avaient immédiatement
droit à toutes les prestations
accordées par la Loi
sur les Indemnités de
maternité ". Elle
avait jugé que "
le refus des prestations accordées
par la Loi sous forme d'indemnités
de maternité aux travailleuses
occasionnelles ou journalières
ne trous aucune justification
".35
|
La CEDH impose également
lobligation, pour les États
parties, « dorganiser leurs
systèmes juridiques afin de permettre
aux tribunaux de respecter les dispositions
de larticle 6(1) ».31
Il sensuit, par conséquent,
quun État peut être tenu
responsable non seulement des retards
enregistrés dans lexamen dune
affaire particulière dans le cadre
dun système dadministration
de la justice généralement diligent,
mais aussi du défaut de mise à disposition
des ressources supplémentaires nécessaires
au traitement des affaires en suspens
ainsi que des insuffisances structurelles
de son système judiciaire à lorigine
de ces retards.32
3. Egalité des
moyens (garanties procédurales égales)
Le dernier aspect du
principe du respect de la légalité
est celui de « légalité
des moyens », qui influe nécessairement
sur la décision finale dun procès
et, par conséquent, sur la protection
des droits ESC reconnus.
Dans le système européen,
la commission a défendu ce principe
dans les affaires pénales et autres,
en notant que « tout individu
partie à ces procédures doit bénéficier
dune opportunité raisonnable
de présenter son affaire devant le
tribunal, dans des conditions qui
ne le placent pas en position dinfériorité
manifeste vis-à-vis de son adversaire ».33
Recours
des tribunaux à la jurisprudence
Affaire du travail forcé
En Inde, au Pakistan et au
Népal, les groupes concernés
par la question du travail forcé
pour dettes ont effectivement
saisi les tribunaux pour combattre
cet abus et les tribunaux ont
tenu compte de leurs jugements
respectifs.
Une décision initiale
de la Cour suprême indienne,
prise dans une affaire concernant
un cas de travail forcé
avait été invoquée
par des groupes de travailleurs
employés au Pakistan,
au Népal et au Bangladesh
pour combattre cet abus. La
Cour suprême avait soutenu
que l'article 21, qui traite
du " droit à la
vie ", l'un des droits
fondamentaux garantis par la
Constitution indienne, prévoit
le droit de vivre dans "
le respect de la dignité
humaine et à l'abri de
l'exploitation ".36
Invoquant la jurisprudence
de cette affaire jugée
en Inde, les groupes des droits
humains pakistanais ont fait
appel aux pouvoirs que la Constitution
reconnaît à leurs
juridictions supérieures
pour dénoncer le problème
du travail forcé pour
dettes. En 1998, un arrêt
historique de la Cour suprême
du Pakistan avait interdit cette
forme de travail. Par la suite,
le gouvernement avait fait promulguer
une loi pour abolir cette pratique.
Au Népal, l'Informal
Sector Service Centre, un groupe
des droits humains, avait lancé
une campagne visant à
éliminer le travail forcé
pour dettes dans ce pays. En
1992, il avait publié
un rapport détaillé
sur cette pratique au Népal
et, se fondant sur les conclusions
de ce rapport, le Centre avait
demandé à la Cour
suprême du pays d'ordonner
au gouvernement de faire promulguer
une loi abolissant cette pratique.
La Cour avait accédé
à la requête et,
en 1993, le gouvernement avait
fait adopter une loi portant
abolition du travail forcé
pour dettes. Sur la foi d'un
rapport faisant le point sur
l'application de la loi, le
Centre avait, de nouveau, saisi
la Cour suprême en 1998,
cette fois-ci pour veiller à
ce que le gouvernement mette
effectivement en oeuvre cette
loi.
|
Interprétation des
garanties constitutionnelles et juridiques
nationales au moyen des normes internationales
Parfois, la portée
des garanties constitutionnelles
et des législations internes nest
pas clairement établie et, par conséquent,
elles ne peuvent à elles-seules offrir
une protection adéquate contre les
violations des droits ESC. Il est
possible, dans ce cas, délargir
la protection, au niveau interne,
de ces droits en interprétant les
garanties constitutionnelles au moyen
de normes internationales plus développées.
Parfois, la portée
des garanties constitutionnelles
et des législations internes nest
pas clairement établie et, par conséquent,
elles ne peuvent à elles-seules offrir
une protection adéquate contre les
violations des droits ESC. Il est
possible, dans ce cas, délargir
la protection, au niveau interne,
de ces droits en interprétant les
garanties constitutionnelles au moyen
de normes internationales plus développées.
Recours à la jurisprudence
des tribunaux dautres pays
Les tribunaux dun
pays peuvent se référer aux décisions
prises par les juridictions dautres
pays lorsquils sont appelés
à statuer sur une affaire qui soulève
des questions inédites. Naturellement,
cela est encore plus valable lorsque
les pays sont soumis à des systèmes
ou des structures juridiques similaires
et lorsque leurs liens historiques
ou géographiques favorisent ces références.
Bon nombre de tribunaux du Commonwealth,
par exemple, citent abondamment les
évolutions de leurs jurisprudences
respectives. Les évolutions de la
jurisprudence et de la pratique de
la Cour suprême indienne et, plus
récemment, de la Cour constitutionnelle
sud-africaine, ont, à cet égard, une
influence particulière. En oeuvrant
en faveur dune plus large reconnaissance
du principe de la justiciabilité des
droits ESC, les groupes doivent également
veiller à se tenir informés des décisions
des tribunaux dautres pays susceptibles
de constituer des références jurisprudentielles
pour leurs propres tribunaux.
Au-delà des recours
Les recours en justice
ne constituent quune stratégie
pour assurer lapplication, au
plan interne, du droit international
sur les droits humains. Il importe
que les avocats chargés de représenter
les intérêts des groupes défavorisés
évaluent les risques et avantages
liés à la poursuite de la procédure.
En tout état de cause, laction
en justice doit faire partie du processus
de sensibilisation et de mobilisation,
elle ne doit pas constituer une fin
en elle-même.
Les militants qui luttent
pour la promotion des droits ESC doivent
également prendre en considération
les problèmes qui entravent laccès
des pauvres et des démunis à la loi
et au système juridique. Pour les
pauvres, la loi apparaît souvent comme
un outil doppression. Elle
est traditionnellement une source
dinfluence au service des riches
et des puissants, qui maintiennent
généralement les pauvres dans une
relation de dépendance en abusant
du processus judiciaire. Cependant,
dans de nombreuses parties du monde,
les groupes réussissent à utiliser
la loi pour défendre les pauvres contre
ces abus et pour veiller à ce que
les démunis et les défavorisés jouissent
de leurs droits. Pour que la loi
puisse servir de ressource, il faut
que les pauvres et les défavorisés
se mobilisent, quils regroupent
leurs exigences, acquièrent des connaissances
sur les lois et procédures pertinents,
développent leurs aptitudes à exprimer
leurs préoccupations dans les forums
locaux, nationaux, régionaux et internationaux.
Recours
des défavorisés
à la loi 37
Expérience de la SEWA,
Inde
L'Association des femmes travailleuses
indépendantes (SEWA)
est un syndicat qui regroupe
des femmes travailleuses indépendantes.
La SEWA reconnaît que
tout en organisant les femmes
pour qu'elles se regroupent
en syndicats et coopératives,
il importe que chaque membre
ait des connaissances de base
sur la finalité de la
loi, la manière dont
la législation est formulée,
les individus qui en bénéficient
et pourquoi, ainsi que sur les
moyens d'accès à
la propriété foncière.
Organisateurs et membres s'informent
sur de nombreux aspects pratiques
du système juridique.
Les actions judiciaires introduites
par la SEWA ont pour but essentiel
de protéger les droits
des femmes démunies qui
travaillent à leur compte.
Les actions en justice se limitaient
initialement aux affaires relevant
du droit du travail. Toutefois,
la prise de conscience plus
aiguë du fait que les actions
en justice peuvent promouvoir
les intérêts des
coopératives et régler
d'autres questions connexes
concernant les femmes a amené
la SEWA à saisir plus
souvent les tribunaux. Les actions
en justice ont favorisé
la formation et la recherche
juridiques et, partant, une
plus grande diffusion des connaissances
juridiques. Ces connaissances
ont ensuite été
utilisées pour sensibiliser
le gouvernement et exercer des
pressions sur le système
juridique afin de l'amener à
formuler et à appliquer
des politiques et une législation
pour les travailleuses du secteur
informel.
La SEWA perçoit la culture
juridique comme un processus
continu de lutte, que cette
lutte ait lieu au sein d'un
syndicat, d'une coopérative
ou d'un groupe de femmes rassemblées
pour résoudre un problème
commun. L'apprentissage juridique
n'est pas seulement une technique
qui sert à diffuser des
informations, elle doit aussi
conduire à l'action et
à l'amélioration
de la situation de l'individu.
De même, l'action en justice
ne doit pas être considérée
comme une fin en soi. Elle ne
permet peut-être pas de
tout obtenir, mais elle peut
servir de moyen d'intervention
stratégique. Lorsqu'elle
est soutenue par une action
de la communauté, elle
devient alors une arme efficace
qui renforce le pouvoir de négociation
des travailleurs.
|
Auteur: Lauteur de ce module est Julieta Rossi.
NOTES
1. . Cour interaméricaine des droits de lhomme,
Avis consultatif OC-2/82, « Effet
des Réserves émises sur lentrée
en vigueur de la Convention américaine
sur des droits de lhomme (art.
74 et 75) », Séries A, No. 2, paragraphe
29.
2. . Martin Abregú, « La aplicacíon del derecho
internacional de los derechos humanos
por los tribunales locales; Una introducción »,
dans La aplicacíon de los tratados
sobre derechos humanos por los tribunales
locales (Cels: Del Puerto, 1997),
5. Thomas Buergenthal
et Douglas Cassell, « The Future
of the Inter-American Human Rights
System », dans El futuro del
sistema interamericano de protección
de los derechos humanos (San José,
1998), 5.
3.
. Abregú, op. cit., 5.
4. . Juan Méndez, « El derecho a la verdad
frente a las graves violaciones a
los derechos humanos », dans
La aplicacíon de los tratados sobre
derechos humanos por los tribunales
locales, op. cit., 532.
5. . À cet égard, lObservation générale 9
du CDESC précise: « . . . plusieurs
principes découlent de lobligation
de donner effet au Pacte et doivent,
de ce fait, être respectés. Premièrement,
lÉtat partie doit choisir le
moyen dapplication susceptible
de lui permettre de sacquitter
de ses obligations en vertu du Pacte ».
(para. 7)
6.
Cour dappel (Cámara Nacional)
pour la juridiction fédérale administrative-contentieuse,
Quatrième chambre, Mariela C. Viceconte
contre Ministère de la santé et de
laction sociale, 2 juin
1998. LA LEY, Suplemento de Derecho
Constitucional, 5 novembre 1998,
jugement no. 98,096.
7. Les stratégies
élaborées continuent de refléter la
caractérisation faite par Victor Abramovich,
Estrategias de litigio en derechos
económicos, sociales y culturales,
ainsi que par Victor Abramovich et
Christian Courtis, « Hacia la
exigibilidad de los derechos económicos,
sociales y culturales; Estándares
internacionales y criterios de aplicación
ante los tribunales locales »,
dans La aplicacíon de los tratados
sobre derechos humanos por los tribunales
locales (Cels: Del Puerto, 1997).
8. CDESC, Observation
générale 1, paragraphes 3 et 4.
9. CDESC, Observation
générale 6. Voir également lObservation
générale 14 sur le droit à la vie
et les armes nucléaires
11.
Larticle 2(1) de la Convention
européenne pour la protection des
droits de lhomme et des libertés
fondamentales stipule que: « Le
droit de toute personne à la vie est
protégé par la loi. La mort ne peut
être infligée intentionnellement à
quiconque, sauf en exécution dune
sentence capitale prononcée par un
tribunal au cas où le délit est puni
de cette peine par la loi ».
12.
X contre R.U., No. 7154/75,
14 DR 31 dans 32 (1978).
13.
D. J. Harris, M. OBoyle et C.
Warbrick, Law of the European Convention
on Human Rights (Londres: Butterworths,
1995), 40.
14.
António Conseiçao Tavares contre
État français, Requête no. 16593/90,
Cour européenne (12 septembre 1991).
15.
Affaire Airey du 9 octobre
1979 (publiée par la Cour européenne
des droits de lhomme, série
A, No. 32).
16.
Le caractère complexe de ladministration
des preuves dans cette affaire et
les pratiques traditionnelles de la
Cour suprême irlandaise, ont rendu
extrêmement improbable la possibilité,
pour la demanderesse, daller
au bout de sa procédure de divorce
sans lassistance dun avocat,
même si la législation irlandaise
nexcluait pas expressément la
possibilité de se représenter soi-même.
À cette époque, lIrlande navait
pas encore de système dassistance
juridique gratuite pour les affaires
familiales.
17.
Affaire Zwaan-de Vries, Communication
182/1984, para. 12(4).
18.
Affaire James et al. contre Royaume-Uni,
21 février 1986 (publications de la
Cour européenne des droits de lhomme,
Série A, No. 98).
19.
Abramovich et Courtis, 335, note 7
ci-dessus.
20.
Observation générale 3, para. 9.
21.
Abramovich et Courtis, 335, note 7
ci-dessus.
22.
Affaire Obermeier contre État autrichien,
Série A 179, para. 70 (1990), citée
par Harris, OBoyle et Warbrick,
op. cit., 193.
23.
Harris, OBoyle et Warbrick,
op. cit., 223.
24.
Affaire Deumeland, citée dans
Harris, OBoyle et Warbrick,
op. cit., 470-498.
25.
Affaire Deumeland, citée dans
Harris, OBoyle et Warbrick,
op. cit., 486.
26.
Affaire Buchholz contre État de
la RFA, para. 52 (1982) et Obermeier
contre État de la RFA, Série A
179, para. 72 (1990).
27.
Affaire Bock contre État de la
RFA, Série A 150, para. 48 (1989).
29.
Affaires Poiss contre État autrichien,
Série A 117, para. 60 (1987) et Hentrich
contre État français, Série A
296-A, para. 61 (1994).
30.
Affaire X contre État français,
Série A 234-C (1992).
31.
Affaire Zimmerman et Steiner contre
État helvétique, Série A 66, para.
29 (1990), citée par Harris, OBoyle
et Warbrick, op. cit., 227.
32.
Voir Harris, OBoyle
et Warbrick, op. cit., 227.
33.
Affaires Kaufman contre Royaume
de Belgique, No. 5362/72, 42 CD
145 (1972) et Bendenoun contre
État français, Série A 284, para.
52.
34.
Vishaka et al. v. State of Rajasthan,
6 SCC (1997).
35.
Affaire rapportée dans The Hindu,
9 mars 2000.
36.
Affaire Bandhua Mukti Morcha
v. Union of India et al. Extrait
de ICJ Review, no. 36 (juin
1986).
37.
Meena Patel, « Paralegals and
Labor Organising in India; The Self-Employed
Womens Association », in
Legal Literacy; A Tool for Womens
Empowerment, éd. Margaret Schuler
et Sakuntala Kadirgamar-Rajasingham
(New York: UNIFEM, 1992), 189-208.
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