MODULE 20
L’ÉDUCATION POUR L’AUTONOMISATION * QUELQUES RÉFLEXIONS

Objet du module 20

Ce module a pour objet de fournir une perspective concernant l’impact de l’éducation sur la réalisation des droits ESC et de suggérer des moyens de créer des programmes éducatifs pour l’avancement de ces droits.

Ce module

  • examine le rôle joué par l’éducation, qui dégrade la dignité humaine autant qu’elle l’améliore;
  • pose les bases d’une méthode pédagogique avec une approche axée sur les droits;
  • suggère certains moyens créatifs pour organiser un programme d’éducation sur les droits humains.

Introduction

L’ampleur qu’ont pris les droits humains a contribué au développement de nombreuses mesu­res visant à diffuser la notion et les principes des droits humains.  L’une d’entre elles a été entreprise par les Nations Unies, qui ont désigné la période 1995-2004 comme Décennie pour l'éducation aux droits de l'homme.  Certains gouvernements ont pour leur part créé des plans d’action nationaux et des groupes locaux privés ont organisé des programmes éducatifs.  Par ailleurs, des organismes et groupes voués à des secteurs et questions spécifiques—droits de l’enfant, de la femme et syndicats, par exemple—organisent régulièrement des programmes éducatifs.  Ces initiatives ont contribué à faire connaître les droits humains et à promouvoir la notion et la légitimité du langage des droits.  Elles ont en outre suscité la création d’une mul­titude de méthodes d’étude et d’enseignement utilisées dans le cadre de programmes éduca­tifs sur les droits humains.  Certaines de ces méthodes sont fondées sur le principe que l’éducation sur les droits humains doit viser l’autonomisation des particuliers et des groupes. [1]

Ce module s’intéresse tout particulièrement aux besoins des activistes afin d’examiner de manière critique la notion d’éducation, et plus spécifiquement celle de droit humain à l’éducation. Au bout du compte, les droits ESC seront promus par ceux qui ne peuvent en jouir, et les activistes doivent être conscients qu’à travers les programmes d’éducation ils ne font que faciliter le processus d’autonomisation. Ce module fournit quelques idées qui peu­vent être utiles à une réflexion sur l’éducation comme moyen d’autonomisation.

L’éducation sur les droits humains

L’éducation sur les droits humains est un processus permettant d’acquérir des connaissances, aptitudes et valeurs afin de savoir, faire valoir et revendiquer ses droits en vertu des normes internationales sur le droit humain.  Cette définition implique que les droits humains sont des outils permettant s’autonomiser.  Par conséquent, de par sa nature même, l’éducation sur les droits humains doit être une intervention positive dans la vie des populations.  Comme nous l’avons déjà mentionné, certains efforts ont été entrepris pour fonder cette éducation sur les principes de participation et d’autonomisation. [2]  Il s’avère toutefois que les programmes mis en place par les gouvernements et les organismes internationaux sont le plus souvent fondés sur l’hypothèse que la diffusion de l’information sur les normes des droits humains est une fin en elle-même; l’éducation sur les droits humains devient alors la panacée pour tous les problèmes de cet ordre qui se posent dans différentes sociétés.  La diffusion généralisée des informations sur les droits humains constitue, bien sûr, un résultat positif à cette approche.  Toutefois, l’éducation sur les droits humains, dans ce type de contexte, sert souvent d’excuse pour éviter certains facteurs structurels sous-jacents qui sont au cœur de ces problèmes.

Ce qui manque souvent dans l’éducation sur les droits humains est un débat sur la pratique même de l’éducation.  Ce domaine relativement nouveau est né de l’ampleur qu’ont pris les droits de l’homme ces dernières décennies.  Etant donné qu’ils sont devenus une véritable profession de foi, peu de débats ont eu lieu sur la signification de l’éducation elle-même.

L’éducation n’est pas un processus neutre

L’éducation fait partie intégrante de la préparation à des formes particulières de la vie sociale et de leur légitimation. [3]  Elle fait partie du processus social.

Il est important de commencer par une étude de la méthode pédagogique comme forme de « politique culturelle ».  Prenons le cas de l’alphabétisation, souvent considéré comme facteur impératif pour qu’une personne puisse vivre normalement dans la société.  L’alphabétisation, associée à de multiples aptitudes et connaissances, est souvent réduite à l’aptitude à lire et écrire dans la langue officielle du pays.  Cette conception de l’alphabétisation s’est dévelop­pée au cours des deux derniers siècles, de concert avec la formation de l’État nation, de l’industrialisation et de la scolarisation.  Ce processus a détruit la notion pluraliste qu’une personne peut avoir d’autres connaissances et aptitudes, même si elle ne sait pas lire et écrire.  Par ailleurs, l’alphabétisation, la scolarisation et l’éducation sont devenues liées à l’idée de la responsabilité individuelle et du bien-être économique; les analphabètes sont considérés comme les « fléaux d’une société ». [4]

Au lieu de nier, d’affaiblir ou de déformer les aptitudes humaines, une méthode pédagogique peut au contraire contribuer à les diversifier.  En encourageant le développement des compé­tences et aptitudes, elle peut élargir le sens de l’expression « être humain ».  C’est pourquoi l’éducation peut et doit être un processus conduisant à l’autonomisation, un processus per­mettant à ceux qui ont été mis en marge économiquement, socialement, politiquement et culturellement de faire valoir leur statut de membres à part entière d’une communauté.

L’intervention dans les questions ESC—Une question de perception

Lorsqu’ils abordent les questions relatives aux droits ESC, les activistes doivent savoir que leur mode d’intervention sera déterminé par la manière dont ils perçoivent les problèmes ESC et les personnes affectées.  Le tableau suivant illustre comment la perception détermine le type d’intervention qui sera choisi pour aborder des problèmes sociaux et économiques. [5]

CINQ RÉPONSES À LA PAUVRETÉ

CAUSE IDENTIFIÉE

(perception)

 

INTERVENTION

Circonstances hors du con-trôle de la population (désastre naturel et mal­chance)

Soulager la souffrance immédiate par une assistance et des dons charitables

Manque d’éducation et de motivation de la popula­tion; pauvreté des ressour­ces

Augmenter la production en dispensant un enseignement pro­fessionnel, en créant des activités productrices de revenus, de l’épargne et un système de crédit

Mauvais fonctionnement ou absence de dispense des services de santé, scolaires et agricoles

Améliorer les programmes actuels et fournir des services sup­plémentaires, notamment soins de santé, conseils juridiques et création de comités civiques pour renforcer la diffusion des services

Exploitation et inégalité

Maîtriser l’exploitation et les inégalités par la mobilisation (partis politiques, mouvements, programmes de prise de cons­cience)

Problèmes structurels (structures inéquitables)

Eriger de nouvelles structures économiques, politiques, juridi­ques et éducatives par des programmes de mobilisation et de prise de conscience, ainsi que de nouvelles formes d’éducation.

Il est clair, d’après le tableau ci-dessus, que le type d’intervention choisi dans le cadre des problèmes ESC déterminera également la nature de la méthode pédagogique.  Par exemple, une intervention sous forme d’assistance et de dons charitables peut conduire souvent à une méthode pédagogique en cascade.  De même, des activités productrices de revenus et la dis­pense de services peuvent mener à un enseignement technique ou périscolaire.

D’un autre côté, une approche axée sur les droits exige une méthode pédagogique qui encourage la participation pour définir la question et les mesures à prendre.

Quelques éléments d’une méthode pédagogique dans une approche axée sur les droits

La population est la source d’enseignement la plus riche

Au cours de leur vie, les populations recueillent une vaste somme de connaissances et d’expériences.  La méthode pédagogique donne de meilleurs résultats  et est plus approfondie lorsqu’elle part de ce principe.  Le contenu de l’éducation doit être fondé sur ce qui préoc­cupe les populations à ce moment là et s’appliquer à la vie réelle.

Dialogue avec un autochtone

Voici un dialogue avec un autochtone indien. Lakshmi et Saraswati sont respectivement les déesses hindoues de la richesse et de la connaissance. Sawkar est le propriétaire qui prête de l'argent ou le commerçant.

Question: Savez-vous qui sont Lakshmi et Saraswati?
Autochtone: Oui.

Question: Qui est Lakshmi?
Autochtone: Riz, vêtements, hutte.
Question: Et Saraswati?
Autochtone: Le savoir de Sawkar.

Question: Si vous ne pouviez n'en avoir qu'une, laquelle choisiriez-vous?
Autochtone: Saraswati.

Question: Pourquoi?
Autochtone: Si tout le monde a le savoir, personne ne trompe les autres. Alors seulement nous aurons la vraie égalité.6

La participation

La méthode pédagogique ne doit pas être considérée comme la simple transmission des connaissances de l’activiste des droits humains à ceux qui en ont besoin.  L’activiste n’est pas celui ou celle qui possède toutes les informations capitales et les populations ne sont pas des « coquilles vides » à emplir de connaissances.  L’activiste fournit un cadre dans lequel des participants actifs, créatifs, capables de penser, examinent un problème et trouvent des solu­tions.  Il ou elle soulève les questions du pourquoi, comment et qui?  Les participants sont actifs, ils décrivent, analysent, suggèrent, prévoient et décident.

Le processus du dialogue

Une méthode pédagogique participative doit être un dialogue, et non un discours.  Le proces­sus de participation implique un processus interactif qui fait réfléchir les populations à leur situation, les amène à mieux la comprendre, à y réagir et à la transformer.  Le dialogue impli­que également la pratique de l’égalité tout en respectant les différences.

La foi dans les êtres humains

Le processus du dialogue « exige une foi intense dans les êtres humains, dans leur aptitude à faire et refaire, à créer et recréer, la foi que la vocation à être totalement humain est le droit inné de tous les peuples, et non le privilège d’une élite ».7  Le respect de la personne doit être un élément essentiel de l’éducation sur les droits humains, dans la mesure où celle-ci met l’accent sur la dignité intrinsèque des êtres humains.  Le manque de confiance dans les autres conduit à l’abandon du dialogue et à l’utilisation de slogans, de monologues et d’ordres.8

L’histoire vraie suivante illustre combien il est important d’écouter les gens tout en les aidant à réagir à des situations problématiques.

Les habitants d’un village d’Ouganda avaient de nombreux problèmes de santé (vers de toutes sortes, paludisme, absence de clinique) et de scolarité, car ils n’avaient qu’une école très pauvre, dont les instituteurs étaient pratiquement toujours absents.  Au cours d’une réunion, les villageois insistèrent pour faire construire en priorité un terrain de football.  J’étais atterré, mais l’animateur social encouragea judicieusement le groupe à aller de l’avant.  Ils construisirent leur terrain de football, commencèrent à jouer, rassemblèrent une équipe et organisèrent des matches avec d’autres villages.  Ce terrain de football fut un tournant dans leur vie.  Ils y gagnèrent une confiance en eux, une structure qui leur permit de communiquer et le sentiment qu’ils étaient capa­bles de changer une situation.  Ils entreprirent par la suite nombre d’autres projets « plus importants », mais étaient-ils vraiment plus importants?  Leur besoin intuitif de posséder quelque chose qui les unirait en tant que communauté, leur conviction de pouvoir atteindre leurs propres objectifs n’étaient-ils pas bien plus importants que mon point de vue extérieur sur la clinique qui leur était nécessaire? Pour moi aussi, cette anecdote fut un tournant qui m’apprit comment travailler avec les communau­tés.9

Faciliter l’esprit critique

En aidant les marginaux à se développer en tant qu’êtres humains, il est crucial de faciliter non seulement l’action, mais aussi la réflexion critique sur les conséquences de cette action.  Cette démarche est un élément essentiel de la méthode pédagogique.  Elle contribue à l’apprentissage, mais surtout à ce que Paulo Freire appelle « l’acte de connaître ».  Savoir ce n’est pas seulement parler de la réalité, c’est aussi saisir les contradictions de la réalité, y compris les intérêts du pouvoir.10

La prise de conscience est le processus de transformation d’une compréhension fragmentée de la réalité en compréhension critique.  Le développement de la pensée critique fait partie de ce processus.  Comme l’explique Paulo Freire:

S’il n’y a que la conscience, notre lecture est naïve, mais la conscience alliée à la prise de conscience nous rend progressivement plus critiques.

C’est la raison pour laquelle les communautés analphabètes, souffrant de l’injustice, attribuent au destin, au sort ou à Dieu la faim qui les détruit.  Ce n’est que dans la lutte pour leur survie qu’elles commencent à surmonter leur perception naïve, tenant de la sorcellerie, du phénomène.  La prise de conscience change la perception des faits car elle permet de les comprendre d’une manière critique.

Une personne qui a atteint le stade de la prise de conscience est capable de percevoir clairement la faim comme phénomène qui, allant au-delà du fait de ne pas manger, est une manifestation de la réalité politique, économique et sociale d’une profonde injus­tice.  Si cette personne croit en Dieu et prie, sa prière demandera certainement la force de lutter contre la privation de sa dignité.  La personne qui a atteint le stade de la prise de conscience et qui croit également en Dieu le voit comme une présence dans l’histoire, mais cette présence ne crée pas l’Histoire à la place des hommes et des femmes qui agissent.

La personne qui a pris conscience est capable de relier faits et problèmes et de com­prendre la corrélation entre faim et production de nourriture, production de nourriture et réforme agraire, réforme agraire et réactions contre cette dernière, faim et politique économique, faim et violence, faim en tant que violence, faim et vote conscient pour des politiciens et des partis progressistes, faim et vote contre des politiciens et des partis réactionnaires dont les discours peuvent paraître progressistes.

Cette personne comprend différemment l’histoire et le rôle qu’elle y joue.  Refusant de végéter, elle bouge et se mobilise pour changer le monde.  Elle sait qu’il est possi­ble de le changer, mais qu’il convient pour ce faire de mobiliser ceux qui sont domi­nés.  Elle sait très bien que la victoire sur la misère et la faim est une lutte politique pour la transformation profonde des structures de la société.11

De ce qui précède, il est évident que l’éducation sur les droits humains a principalement trait à la prise de conscience.  L’éducation sur les droits humains est un projet créatif qui permet l’autonomisation.  Son objet n’est pas de transférer mécaniquement des textes des pactes ou de conventions.  Il convient également de ne pas oublier que le langage utilisé pour faciliter l’apprentissage est susceptible de refléter des préjugés cachés et qu’il peut même devenir un moyen de contrôle et de domination.  On le voit surtout dans les programmes éducatifs desti­nés aux indigènes ou aux autochtones, rédigés dans la langue d’État officielle.  En tentant d’assurer l’alphabétisation des peuples indigènes dans la langue d’État officielle, on peut sa­per leur langue et leur culture locales.  La langue n’est pas neutre, et ceux qui dirigent les programmes éducatifs doivent tenir compte de cela.

L’éducation sur les droits humains et l’activisme pour les droits ESC

Un programme créatif d’éducation sur les droits humains qui conduit à l’autonomisation in­tègre l’éducation dans tous les aspects de l’activisme pour les droits ESC—identification des questions ESC pertinentes, suivi de la mesure dans laquelle ces droits sont respectés, mobili­sation et organisation pour assurer leur jouissance.  Les activistes des droits ESC décompose­ront leur intervention en plusieurs étapes, en intégrant dans chacun l’éducation sur les droits humains.  Cet activisme devrait faire naître des interactions incessantes entre les communau­tés en question.  Les phases de l’intervention ne sont pas séparées, elles se complètent.

Voici les stades suggérés:

1.      L’implication des populations concernées

Cette phase est importante pour créer un lien durable entre les populations concernées et l’activiste, elle permet aussi a des leaders populaires d’émerger.  L’éducation sur les droits humains à ce stade aide les communautés à découvrir et utiliser de manière créative et cons­tructive tout leur potentiel de travail en équipe.  Cette situation fait intervenir des program­mes éducatifs qui aident les membres de la communauté à réfléchir sur leurs leaders et à ac­quérir les connaissances et aptitudes nécessaires.  Il va sans dire que ce processus continu est renforcé par une réflexion constante.

2.      Apprendre à observer leur réalité

Cette phase est importante pour aider les populations ou communautés affectées à identifier leurs besoins et problèmes.  L’activiste aidera par exemple les membres d’une communauté à mener leurs propres recherches.  À  titre d’exemple, un groupe travaillant dans les États du nord-est de l’Inde aida les populations locales à mener une enquête sur le fonctionnement du système public de distribution ou sur les magasins qui fournissaient du riz et autres produits alimentaires subventionnés.  À  partir de cette enquête, la communauté put isoler les change­ments qui s’avéraient nécessaires pour assurer un meilleur fonctionnement des magasins.  Elle identifia également les mesures à prendre à différents niveaux.  Pour mener l’enquête, elle dut avoir recours à l’assistance des activistes extérieurs.12  Cependant, une fois que ces types d’aptitudes sont développés, elles sont mises à contribution pour effectuer un suivi permanent de la jouissance des droits ESC. 

3.      Comprendre la réalité plus large

Cette phase permet aux populations ou communautés affectées de comprendre la corrélation entre leurs problèmes et les systèmes plus étendus (« macro systèmes »).  Il est important d’assurer que la communauté comprenne la complexité du problème et établisse sa stratégie en conséquence.  On peut, par exemple, aider les populations à comprendre le rapport entre les bas prix auxquels on leur achète leurs produits et la globalisation.  Cette phase est impor­tante pour examiner les politiques sociales et économiques, notamment le budget national, du point de vue de la jouissance des droits ESC.

4.      Etablir des objectifs—planification et mise en place des actions

Au cours de cette phase, on aide les populations ou commu­nautés affectées à élaborer une stratégie appropriée pour as­surer la jouissance de leurs droits ESC.  La stratégie impli­que, par exemple, une mobilisation pour faire appliquer de nouvelles lois ou politiques, des recours en justice, l’utilisation d’autres institutions nationales, la demande d’intervention des Nations Unies ou d’organismes régionaux des droits humains, ou le recours aux institutions financiè­res multilatérales.

Il ne faut pas oublier que les populations ou les membres d’une communauté concernés doi­vent participer à tous les stades, que ce soit pour identifier une stratégie, la mettre en place ou apprendre des mesures prises.

L’éducation aux droits humains comme une entre­prise créative

Il nous faut enfin réitérer que l’éducation aux droits humains doit être un processus créatif.  Les activistes des droits ESC apprendront grâce aux groupes (tels que groupes de femmes, groupes de formation des adultes) qui se consacrent au processus éducatif créatif.

Certaines techniques simples peuvent aider à susciter la réflexion et contribuent à apprendre et à s’autonomiser.  En voici quelques exemples:

         Discussion sur la respiration

Dans le cadre d’un programme éducatif, les participants, qui venaient d’une région rurale, furent invités à dire à quels moments ils respiraient librement et à quels moments ils res­piraient mal.  C’était pour la plupart d’entre eux la première fois qu’ils réfléchissaient à leur respiration.  Leurs réponses ont fait ressortir des éléments intéressants.  Ils respiraient librement lorsqu’ils étaient heureux, lorsqu’ils jouaient, lorsqu’ils prenaient part à un pro­cessus créatif ou lorsqu’ils étaient avec des amis.  Ils respiraient mal quand ils étaient à court d’argent, quand leurs enfants étaient malades, et autres cas difficiles semblables.  Il fut mentionné que les populations pauvres, du fait de leurs occupations, tendent à respirer plus souvent de l’air pollué—c’est ainsi que la situation des ouvriers et autres groupes dé­favorisés ressortit de la discussion sur la respiration.  Il fut également signalé que les femmes respirent toujours mal, car elles doivent faire face à nombre de restrictions et veiller à leurs familles.  Le groupe fit remarquer que dans leur communauté les hommes ordonnent normalement aux femmes de ne pas respirer lorsqu’ils veulent les faire taire ou les empêcher d’exprimer leur avis.  Par conséquent, le facteur du genre ressortit égale­ment de la discussion.13

Cet exercice simple peut s’appliquer à la plupart des aspects des droits ESC.

         Comprendre les distinctions de castes à travers l’étude de la topographie des villages

Dans le cadre d’un autre programme éducatif, la topographie des ressources en eau d’un village fut effectuée pour faciliter la discussion sur les distinctions de castes qui existaient dans la région.  Les participants furent invités à examiner la politique de contrôle des res­sources en eau du village.  La discussion mena à l’analyse des notions de pureté et de pollution, du hunch (haute caste) et du neech (basse caste).  Les animateurs fournirent des informations sur les différentes castes de la région, ainsi qu’une perspective historique sur le système des castes.14

·        Le recours aux histoires et aux fables

Un groupe de femmes travaillant sur la santé des femmes a recours à la fable suivante pour faciliter la discussion avec les villageoises pauvres sur l’injustice qu’elles subissent souvent.  Les personnage, Sœur Oie et Oncle Renard, sont des animaux:

Sœur Oie vexe Oncle Renard, qui est riche et puissant.  On la traîne au poste de po­lice, où l’Inspecteur Renard dépose plusieurs plaintes contre elle, plaintes qu’elle comprend à peine.  Elle est convoquée au tribunal et, malgré tous les ar­guments qu’elle avance pour prouver son innocence, le Magistrat Renard la dé­clare coupable.  En colère contre cette injustice, elle décide de faire appel.  N’ayant que peu d’argent, elle met tous ses biens en gage chez l’Usurier Renard, qui lui prête volontiers une somme à un taux exorbitant.  Le Juge Renard du tri­bunal supérieur l’accuse de tendances et actions antisociales et déclare que les gens comme elle sont une menace pour la structure même de la société.  Elle est condamnée à deux ans de prison ferme.

La fable est lue aux participantes comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, différentes personnes jouant les rôles des protagonistes.  Une affiche illustrant les diverses scènes est placée bien en vue.

L’histoire peut paraître simpliste, mais elle touche une corde sensible chez ces femmes pau­vres rurales, qui racontent alors des épisodes similaires de leurs vies.  Elles analysent la fable et concluent que les pauvres ne réalisent souvent pas ce à quoi ils se mesurent jusqu’à ce qu’ils confrontent le système.  Quand une victime seule comme Sœur Oie de­mande naïvement justice, on l’accable et elle perd.  Sœur Oie a commis l’erreur de se battre seule.  Si elle avait eu le soutien d’autres dans son cas, le résultat aurait probable­ment été différent.15

·        Exercices de simulation

L’exercice de simulation suivant peut servir à lancer une discussion sur la question de l’accès aux ressources—sujet important dans le cadre des droits ESC.  Cet exercice peut être effectué avec vingt personnes.  Il est nécessaire d’avoir une grande feuille de papier blanc et vingt-quatre crayons de différentes couleurs.

Séparez d’abord les participants en trois groupes.  Le premier, appelé « Pomme », com­prend deux personnes, le deuxième, « Mangue », six personnes et le troisième, « Banane », onze personnes.

Puis, donnez la feuille blanche et tous les crayons de couleur au groupe Pomme.  Deman­dez-leur d’utiliser autant de crayons que possible et de faire un dessin en quatre minutes.

Lorsque le groupe Pomme a fini, donnez la même feuille et les crayons inutilisés au groupe Mangue, qui doit dessiner dans l’espace libre et non sur le dessin du groupe pré­cédent.  Il n’a que trois minutes pour terminer son dessin.

Au bout des trois minutes, donnez la feuille et les crayons inutilisés au groupe Banane, qui doit dessiner dans l’espace laissé libre par les deux groupes précédents.  Ce groupe dispose de deux minutes.

Montrez alors le dessin pour que tous le voient.  Analysez le processus en demandant aux participants quelles étaient les ressources à la disposition du groupe et comment elles étaient réparties.  La discussion doit ensuite mener à la disponibilité des ressources et aux conflits qui se produisent à cause de la recherche de ressources naturelles et autres.16

Ce ne sont que quelques exemples qui illustrent le grand nombre de programmes créatifs que peuvent utiliser les activistes dans le cadre de l’éducation sur les droits humains.  Etablir et mettre sur pied une méthode pédagogique créative fait parti du défi que doivent relever ceux qui oeuvrent à l’avancement des droits ESC.

Auteur: L’auteur de ce module est D.J. Ravindran.

NOTES



*     Le terme d’autonomisation a été choisi pour traduire le concept anglophone d’empowerment, qui peut aussi être traduit par renforcement des moyens d’action ou renforcement du pouvoir de la population…


1.  Voir par exemple Richard Pierre Claude, Popular Education for Human Rights: 24 Participatory Exercises for Facilitators and Teachers (Amsterdam et Cambridge: Human Rights Education Associates, 2000).

2.. Ibid.

3.. Roger I. Simon, « Empowerment as a Pedagogy of Possibility », Language Arts 64, no. 4 (Avril 1987).

4. Kathleen Rockhill, « Gender, Language and the Politics of Literacy » dans Cross-Cultural Approaches to Literacy, éd. Brian V. Street (Cambridge: Cambridge University Press, 1993), 156-75.

5.. Adapté d’après Ann Hope, Training for Transformation—A Handbook for Community Workers, (Gweru,  Zimbabwe: Mambo Press, 1994).

 6.  Rahman, Md. A., « Theory and Practice of Participatory Action Research » WEP 10/Wp. 29 (Genève, OIT 1983), cité dans Stan Burkey, People First: A Guide to Self-Reliant Participatory Rural Development (Londres: Zed Books, 1993), 62.

7.Paulo Freire, Pedagogy of the Oppressed (Pédagogie des opprimés), traduit par Myra Bergman Ramos (Londres: Penguin, 1972).

8. Ibid.

9. Hope, op. cit., 71.

10. Paulo Freire, « Dialogue is not a Chaste Event » dans Comments by Paulo Freire on Issues in Participatory Research, compilation de Paul Jurmo (University of Massachusetts, Amherst: Center for International Education, 1985).

11. Paulo Freire, Letters to Cristina—Reflections on My Life and Work (New York: Routledge, 1996).

12. Narration de N.B. Sarojini, SAMA, New Delhi.

13. D’après un atelier organisé par NIRANTAR, A Centre for Women and Education, New Delhi.

14. Windows to the World—Developing a Curriculum for Rural Women (New Delhi, NIRANTAR, 1997).

15. T.K. Sundari Ravindram, « Subverting Patriarchy »: Workshops for Rural Women (Tamil Nadu, Inde: Rural Women’s Social Education Centre, 1997).

16. Cet exercice a été suggéré par N.B. Sarojini, SAMA, New Delhi.


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