MODULE 2
UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE SUR LES DROITS ESC

Objet du module 2

Ce module a pour objct d'offrir une vue d'ensemble de l'histoire de la lutte pour la reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels

Ce module traite de:

  • l'importance des luttes historiques liées aux questions économiques, sociales et culturelles (ESC);
  • l'établissement de l'Organisation internationale du travail;
  • la reconnaissance des droits ESC plus larges au cours de la période suivant la deuxième guerre mondiale;
  • les obligations légales assumées par les États selon le droit international relatif aux droits de l'homme;
  • les principes fondamentaux des droits de l'homme; et
  • l'importance de la prise en compte du contexte contemporain.


Introduction

Faim et famine, pauvreté, travail risqué, souvent au péril de sa vie, mauvaise santé et illettrisme ont harcelé l'humanité à travers l'histoire. Pour la plupart, ces réalités ont été acceptées comme inévitablement liés à la vie. Cependant, lorsqu'il est apparu clairement que des personnes ou institutions spécifiques étaient responsables de conditions particulières, le peuple a souvent résisté ou s'est révolté. Souvent, la cible de la rébellion fut un propriétaire terrien ou un gouvernant local. Avec la montée de l'État nation, les institutions ou personnes exerçant le pouvoir sont progressivement devenues la principale cause du problème ou ont échoué dans leur responsabilité de le résoudre-devenant ainsi la cible du mécontentement populaire.

Les troubles et les révoltes provoqués par la pauvreté et les souffrances associées, qu'ils soient contre un propriétaire terrien, un seigneur local, un roi ou autre dirigeant, n'ont pas été enregistrés pour la plupart, et ont été par conséquent perdus pour les générations suivantes. Parfois, la résistance a été si forte ou si prolongée qu'elle est entrée dans les annales historiques. Même lorsque la résistance ou la rébellion se produisait à grande échelle, elle était souvent étouffée. À l'occasion, elle était suivie, dans une plus ou moins grande mesure, d'un allègement de la situation d'oppression.

Lorsque les populations étaient essentiellement rurales, la résistance provenait principalement des paysans. La révolution ratée des paysans de Tonghak en Corée en 1894, par exemple, démarra en réponse à l'exploitation par un magistrat local. " Les paysans occupèrent le bureau du comté, saisirent les armes, distribuèrent aux pauvres le riz illégalement recueilli comme impôt, puis détruirent un nouveau réservoir construit par leur propre travail forcé. " 1 L'histoire est remplie de récits de paysans résistant aux taxes qui leur sont imposées. En Chine, par exemple, au cours des siècles les paysans ont résisté aux taxes qu'ils jugeaient injustes ou qui étaient devenues particulièrement onéreuses lorsque les récoltes étaient maigres. 2

Le pain fut une question centrale lors de la Révolution française, une rébellion qui réussit dans la mesure où une monarchie despotique fut renversée et une première déclaration des droits humains ébauchée. La Révolution mexicaine au début du vingtième siècle, quant à elle, se concentra sur des questions de terre pour les paysans.

Au cours des siècles, les plus mauvais traitements ont été subis par ceux qui étaient assujettis à l'esclavage. Où qu'ils aient vécu, les esclaves, en plus d'être privés de leur liberté, ont souffert de la faim; de conditions de vie misérables; d'une mauvaise santé résultant d'une mauvaise nutrition, de surmenage et d'un manque de soins médicaux; de peu d'accès à une éducation formelle; et de travail dur et incessant. Les esclaves essayaient fréquemment de s'échapper ou de résister ou de se rebeller contre leur condition de quelque autre façon. Cependant, en raison des inégalités de pouvoir entre l'esclave et le maître, les révoltes d'esclaves se terminaient généralement par la capture ou la mort. 3 La seule rébellion importante d'esclaves qui ait réussi se produisit à Saint Domingue (aujourd'hui Haïti) à la fin du dix-huitième siècle. 4

Les conditions scandaleuses subies par les esclaves finirent par peser sur la conscience d'un grand nombre de gens vers la moitié du dix-neuvième siècle. L'Acte général de la Conférence de Bruxelles de 1890 figure parmi les premiers efforts internationaux pour traiter une question de droits humains. 5

Une urbanisation accrue et l'avènement de la révolution industrielle au dix-huitième siècle, entraînèrent un changement au niveau des problèmes économiques et sociaux rencontrés par une large part de la population, en en faisant des questions de bas salaires, de conditions de travail dangereuses dans les usines, les filatures et les mines-tant pour les adultes que pour les enfants-et de mauvaise santé résultant d'une malnutrition persistante, de mauvaises installations sanitaires et de la pollution urbaine. Au fil des décennies, ces situations devinrent de plus en plus médiatisées et décriées, tant dans les journaux que dans la littérature. Les dirigeant syndicaux commencèrent à s'exprimer publiquement au sujet des droits des travailleurs. Au cours des années 1830, le porte-parole syndical William Cobbett, par exemple,

de notre travail dûment et honnêtement accompli; le droit, au cas où nous tomberions dans la détresse, que nos besoins soient suffisamment soulagés à partir du produit de la terre, que notre détresse provienne de la maladie, de la décrépitude, de la vieillesse ou de l'incapacité à trouver un travail. " Il soutint que la société devait venir en aide aux exploités, pas nécessairement par esprit de charité, mais parce que tous les individus avaient le droit de recevoir un tel secours. 6

Robert Louis Stevenson explique pourquoi il a quitté l'Angleterre en 1879

" Au cours des dernières années, et à travers la Grande Bretagne, l'humanité travailleuse a subi une série de défaites prolongées et dévastatrices. J'avais vaguement entendu parler de ces revers ; de rues entières de maisons désertées du côté du Tyne, aux portes de caves brisées et retirées pour servir de bois à brûler; d'hommes sans abris traînant aux coins des rues de Glasgow avec leurs caisses ; d'usines fermées, de grèves inutiles et de filles affamées. Mais je n'avais jamais éprouvé ni ne m'étais réellement représenté ces détresses. Un revers du marché peut être une calamité aussi désastreuse que la retraite française de Moscou, mais cela se prête difficilement à un traitement percutant, et fait piètre figure dans les journaux du matin. Nous pouvons nous débattre autant que nous le voulons, nous ne sommes pas nés économistes. L'individu est plus émouvant que la masse. C'est par les accidents spectaculaires, et par l'appel à l'œil charnel, que pour l'essentiel nous saisissons la signification des tragédies. Par conséquent, ce ne fut que lorsque je me suis trouvé impliqué dans la déroute, que j'ai commencé à prendre conscience de la brutalité de la bataille. Nous étions un groupe de rejetés; les ivrognes, les incompétents, les faibles, les prodigues, tous ceux qui avaient été incapables de se prévaloir contre les circonstances d'un pays, nous étions désormais en train de fuir pitoyablement vers un autre ; et bien qu'un ou deux puisse encore réussir, tous avaient déjà échoué. Nous étions une cargaison de ratés, les hommes brisés d'Angleterre. "7

L'émergence des idéaux socialistes

L'exploitation du travail pendant les décennies de la révolution industrielle créa les conditions matérielles pour l'émergence des idéaux socialistes. Les premières réactions aux horreurs des débuts de l'industrialisation se manifestèrent par la destruction physique des machines par les travailleurs. Une autre réponse est reflétée dans les écrits de Saint-Simon (1760-1825), Charles Fourier (1772-1837), et Robert Owen (1771-1858). Ils discutèrent tous des fléaux du capitalisme et proposèrent des alternatives pour atténuer les effets négatifs de l'industrialisation. Ils défendaient la création de communautés qui vivraient selon des règles et principes socialistes et offriraient une alternative au capitalisme.

La réponse des victimes de l'exploitation n'a pas toujours été passive. Par exemple, en 1796, en France, il fut tenté de renverser le gouvernement et d'établir une société basée sur les idéaux socialistes. Ceci fut appelé la Conspiration des Egaux, François-Noël Babeuf l'avait planifiée, et avait aussi monté une société secrète appelée la Société des Égaux.

Le travail de Karl Marx fit la synthèse de ces courants de doctrine socialiste divers et fertiles. Marx lui-même développa sa théorie sur les fondations et idées fournies par les autres philosophes de son époque, en particulier, celles d'Immanuel Kant et de Georg W. F. Hegel. Il se concentra sur l'importance de l'être humain (en contraste à Dieu) comme agent de l'histoire. Ses idées furent regroupées dans le Manifeste communiste qui fut publié conjointement par Marx et Friedrich Engels, mais qui était principalement le travail de Marx. " C'est une esquisse des dynamiques historiques qui ont mené au triomphe de la civilisation bourgeoise, une célébration des accomplissements de cette civilisation, une dénonciation cinglante de ses cruautés et vices, et un appel à l'action de la part du prolétariat pour accélérer le processus historique . . . "8

Lorsque le Manifeste communiste fut publié en 1848, la classe ouvrière était en révolte dans presque tous les pays d'Europe. Ces soulèvements avaient entre autres objectifs de renverser les gouvernements autocratiques, d'établir la démocratie et, dans des pays tels que l'Italie et l'Allemagne, d'unifier des nations. La classe ouvrière était une force sociale majeure derrière ces révolutions, inspirées par les idées du socialisme. Bien que ces révolutions aient échoué pour la plupart, elles mirent effectivement un terme aux politiques traditionnelles basées sur la religion et la hiérarchie.

En dépit des revers subis par les classes laborieuses et de l'antagonisme généré par ces révoltes au sein des classes possédantes, les idéaux socialistes avaient commencé à exercer une influence majeure en Europe. Pays après pays, des mesures d'aide sociale furent introduites. Plusieurs pays adoptèrent des lois pour les usines, mirent en place des fonds de compensation pour les ouvriers, et des assurances vieillesse, santé et chômage pour les travailleurs. De plus en plus, les secteurs de la banque et de la communication furent sujets à des réglementations. Le logement et la santé furent ramenés sous le contrôle de l'État.
L'histoire du vingtième siècle ne peut être écrite sans prendre en compte les effets directs et indirects de la Révolution russe sur les premières décennies du siècle. Il est désormais généralement reconnu que " les vraies révolutions faites au nom du communisme se sont essoufflées . . . La tragédie de la Révolution d'octobre était précisément qu'elle ne pouvait que produire cette sorte de communisme impitoyable, brutal et autoritaire ".9 Cependant, la Révolution russe joua un rôle substantiel dans l'émancipation des colonies et fut déterminante pour le développement de la social-démocratie dans le monde.

Le mouvement des femmes

Le mouvement des femmes est un phénomène mondial. Les femmes ont dû se battre à chaque époque pour réclamer leur place dans l'histoire. Au dix-septième siècle, alors que l'Europe des Lumières exigeait l'égalité, elle ignorait la subordination des femmes. La plus flagrante omission fut la Révolution française qui, en dépit de la participation active de milliers de femmes, ignora leurs préoccupations spécifiques. C'est à une révolutionnaire française, Olympe de Gouges, qu'il fut laissé la tâche de proclamer les " Droits de la femme et du citoyen féminin " pour faire contrepoint à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la Révolution française.

De nombreuses femmes étaient engagées dans les mouvements pour l'abolition de l'esclavage. En effet, les réussites et l'enthousiasme du mouvement anti-esclavagiste s'ajoutèrent à l'énergie qui s'était accumulée internationalement pour réclamer davantage de droits pour les femmes. Alors que, pendant les premières années, les principales revendications du mouvement des femmes portaient sur les droits civils et politiques, les questions liées au travail-particulièrement les conditions de la femme dans les usines de la révolution industrielle-étaient, elles aussi, des préoccupations majeures.10 Les femmes de différents pays faisaient campagne, sous des formes diverses, pour l'amélioration des conditions de vie des femmes. Tandis qu'elles menaient une lutte pour leur propre égalité, les femmes ont très largement contribué à mettre un terme à l'esclavage, à l'exploitation économique de la classe laborieuse, et au colonialisme.

Création de l'Organisation internationale du travail

Au dix-neuvième siècle, un grand nombre de pays passèrent des lois de réforme sur les heures et conditions de travail. Cependant, les menaces permanents de troubles et leur réalité dans le monde du travail, forcèrent les industriels et les gouvernements à penser à des mesures supplémentaires. Entre 1890 et 1905, de nombreuses réunions furent tenues au cours desquelles gouvernements et industriels considérèrent la possibilité de standardiser la législation internationale du travail. Finalement, en 1905 et 1906, les deux premières conventions internationales du travail furent adoptées.11

Les initiatives pour définir et adopter des conventions supplémentaires furent interrompues par la Première Guerre mondiale. Afin de maintenir une force de production de guerre et une " unité " sur le front domestique pendant la guerre, les gouvernements firent diverses promesses liées aux droits économiques et sociaux pour après la fin des hostilités. Au cours de ces mêmes années, plusieurs conférences internationales de travailleurs développèrent une liste de revendications élémentaires liées aux conditions de travail et autres problèmes. La menace posée par la Révolution russe avait créé une pression considérable sur les gouvernements pour les amener à répondre aux exigences des travailleurs. En conséquence, lors de la Conférence pour la paix de Paris, les gouvernements établirent une Commission sur la législation internationale du travail, dont l'une des propositions fut la création de l'Organisation internationale du travail (OIT).12 Cette proposition fut adoptée dans sa forme finale dans le cadre du Traité de Versailles à la conclusion de la guerre.

L'OIT se basait sur les convictions suivantes, énoncées dans le préambule à sa Constitution:

• une paix durable ne peut être établie que si elle est basée sur la justice sociale;
• il est urgent d'améliorer les conditions de travail d'un grand nombre de gens, car l'injustice, les épreuves et privations produisent de tels troubles que la paix et l'harmonie du monde en seraient menacées; et
• l'incapacité d'une nation à adopter des conditions de travail humaines faisait obstacle à l'amélioration de ces mêmes conditions pour les autres nations.13

Entre 1919 et 1933, l'OIT rédigea et soumit aux gouvernements pour ratification quarante conventions concernant une grande variété de questions liées au travail.14

En 1929, suite au crash de la Bourse aux États-Unis, la Grande dépression commença. Des millions de personnes se trouvèrent au chômage et les manifestations de travailleurs sans emploi devinrent un fait de tous les jours. Aux États-Unis,

des manifestations plus consciemment politiques commencèrent également. Au début des années 30, les travailleurs et travailleuses sans emploi de New York, Détroit, Cleveland, Philadelphie, Los Angeles, Chicago, Seattle, Boston et Milwaukee marchèrent sous des bannières communistes portant des slogans tels que " Travail ou salaires " et " Lutte-Ne meurs pas de faim ".15

La dépression se répandit rapidement au reste du monde, entraînant le licenciement, pays après pays, d'un grand nombre de travailleurs. L'accroissement des souffrances créa un élan pour la poursuite de discussions sur les droits, particulièrement les droits économiques et sociaux.

La dépression fit bien sûr des ravages en Allemagne, devenant l'une des causes contribuant à la montée au pouvoir d'Adolf Hitler. L'oppression subie par les Juifs, les Gitans, les homosexuels et autres groupes dans l'Allemagne nazie et les pays occupés d'Europe, impliquait la perte de toute une variété de droits-non seulement la perte de libertés, mais aussi la perte de travail, d'opportunités d'éducation et d'expression culturelle. Dans les camps de concentration, des millions de prisonniers souffrirent de la détérioration de leur santé, d'un hébergement insalubre et, finalement, de la privation du droit à la vie.

Alors que le monde sortait juste de la dépression et que la deuxième guerre mondiale se déroulait en Europe, le président américain Franklin D. Roosevelt délivra au Congrès son fameux discours des quatre libertés:

Dans les jours à venir, que nous cherchons à rendre sûrs, nous entrevoyons un monde fondé sur quatre libertés essentielles. La première de ces libertés, c'est la liberté de parole et d'expression-partout dans le monde. La deuxième, c'est la liberté pour chacun d'honorer Dieu comme il l'entend-partout dans le monde. La troisième consiste à être libéré du besoin-ce qui, sur le plan mondial, suppose des accords économiques susceptibles d'assurer à chaque nation une vie saine en temps de paix pour ses habitants-partout dans le monde. La quatrième consiste à être libéré de la peur-ce qui, sur le plan mondial, signifie une réduction des armements si poussée et si vaste, à l'échelle planétaire, qu'aucune nation ne se trouve en mesure de commettre un acte d'agression physique contre un voisin-nulle part dans le monde.16

Faits nouveaux de l'après-guerre

Immédiatement après la deuxième guerre mondiale, l'une des principales préoccupations était de développer une nouvelle organisation internationale qui soit plus forte-l'Organisation des Nations Unies-dans laquelle les principes des droits humains joueraient un rôle principal. Les raisons pour ceci étaient nombreuses. Une d'entre elles était l'engouement qui s'était développé au cours des décennies précédentes pour l'institution d'un ordre international qui protègerait l'ensemble des droits-civils et politiques, de même que ceux qui s'attacheraient aux souffrances généralisées que les travailleurs et les chômeurs avaient subies durant la dépression. De plus, la guerre s'était déclarée en raison des actions des régimes Nazi et fascistes en Europe. Les chefs de gouvernement croyaient que la création de mécanismes effectifs pour garantir les droits humains aideraient à empêcher le développement de tels régimes à l'avenir.

Ces idées sont clairement exprimées dans le préambule à la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) de 1948 qui indique que " la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité " et que " la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ".

La Charte des Nations Unies

L'impact immédiat de ce souci émergeant pour les droits humains fut l'inclusion dans la Charte des Nations Unies, qui fut rédigée et adoptée à la Conférence de San Francisco en 1945, de références à la promotion et à la protection des droits de l'homme. L'article 1 de la charte stipule, plus particulièrement, que l'un des objectifs des Nations Unies est de

Réaliser la coopération internationale . . . en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

Les obligations assumées dans la poursuite de ce but sont énoncées dans les articles 55 et 56 de la Charte. Ces articles indiquent que les États doivent agir conjointement et séparément en coopération avec les Nations Unies pour promouvoir

le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

Aussi importantes soient-elles, ces dispositions ne représentaient clairement qu'une première étape, très timide, vers l'institution d'un système universel de protection des droits humains. Aucune indication ne fut précisée dans la Charte quant au contenu des ces " droits de l'homme et libertés fondamentales " ni quant au type d'actions requises pour leur protection et leur promotion. Ces dispositions avaient, et continuent effectivement à avoir, une valeur largement symbolique. Elles signalaient simplement que les droits humains formeraient une arène continue pour l'action de la part des Nations Unies. La tâche d'énoncer la substance de ces droits de l'homme et de créer des mécanismes pour les protéger serait prise en charge par divers organes de l'Organisation (et organisations régionales) au cours des années suivantes.

La Déclaration universelle des droits de l'homme

La première initiative majeure prise par les Nations Unies après sa formation fut la création de la Commission des droits de l'homme. La Commission elle-même était chargée de rédiger une Charte internationale des droits de l'homme, supposée former la clé de voûte du nouvel ordre " constitutionnel ". Lorsque cette tâche lui fut assignée, la Commission décida que ses efforts devraient se concentrer avant tout sur la rédaction d'une déclaration des droits de l'homme qui serait suivie plus tard par celle d'un traité ou " convention " et d'un document traçant les méthodes de mise en application. La Commission rédigea relativement rapidement ce qui devint la Déclaration universelle des droits de l'homme, et ce document fut finalement adopté par l'Assemblée générale du 10 décembre 1948.

La Déclaration universelle comprend parmi ses clauses une variété relativement exhaustive de droits, parmi lesquels non seulement les droits " classiques ", civils et politiques, mais aussi un certain nombre de droits économiques, sociaux et culturels (ESC). Dans les articles 22 à 27, par exemple, elle déclare entre autres, que tout le monde a droit à la sécurité sociale, au travail, au repos et aux loisirs, droit à un niveau de vie suffisant, à l'éducation et à la libre participation à la vie culturelle de la communauté. Ces articles présentent essentiellement l'ensemble des préoccupations amenées depuis lors dans le rayon d'action des droits humains.

Alors que l'inclusion dans la Déclaration universelle d'un certain nombre de droits ESC était sans nul doute radicale, la Déclaration n'était clairement pas prévue pour être un instrument auquel les États seraient formellement lies au niveau législatif. Elle était plutôt considérée par la Commission comme un " idéal commun à atteindre " auquel les États aspireraient (pour employer la phrase utilisée dans le préambule), et pour cette raison, fut adoptée simplement par un vote majoritaire à l'Assemblée générale.17 De nos jours, le statut juridique de la Déclaration n'est pas tout à fait clair. Certains ont prétendu que la Déclaration reflétait dans son ensemble des normes de droit coutumier international, ce qui semble plutôt optimiste. Cependant, même si seulement certains de ses éléments reflètent pour l'instant le droit coutumier, elle demeure un instrument important, ne serait-ce que pour le cadre général qu'elle offre aux activités liées aux droits humains.

La Charte internationale des droits de l'homme

Selon son intention originale, après avoir établi la Déclaration universelle, la Commission des droits de l'homme commença à rédiger un traité international des droits de l'homme. Ce projet s'avéra plus difficile que prévu. Lorsque le moment vint pour la Commission de commencer à délibérer sur ce sujet, les relations entre l'Est et l'Ouest avaient commencé à se détériorer. Au cours des quelques décennies suivantes, la plupart des organes des Nations Unies se trouvèrent handicapés par les tractations politiques entre les États socialistes d'un côté et le bloc de l'Ouest, de l'autre. Et la Commission des droits de l'homme ne faisait pas exception. La dispute entre ces deux blocs politiques vis-à-vis des droits humains se manifestait par des différences sur la priorité de certaines catégories de droits humains et leur méthode de mise en application. Les États socialistes défendaient la cause des droits ESC, qu'ils associaient aux buts d'une société socialiste. Ils croyaient aussi que la mise en œuvre de droits devait être effectuée par des organes politiques, plutôt que judiciaires, à la différence de l'Ouest. Les États occidentaux insistaient sur la priorité des droits civils et politiques, qu'ils considéraient comme faisant partie intégrante des fondements de la liberté et de la démocratie. Ils soutenaient aussi fermement la création d'un comité ou d'une cour des droits de l'homme qui superviserait leur mise en application.

Le résultat de cette polarisation de la guerre froide fut effectivement d'empêcher l'adoption d'un seul traité recouvrant tout. Le traité proposé fut divisé en deux parties-l'une traitant des droits civils et politiques, l'autre des droits économiques, sociaux et culturels-et chaque partie fut rédigée en un traité distinct. La dispute prolongea également considérablement le processus de rédaction, qui continua jusqu'en 1966. Finalement, l'adoption du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) en 1966, conclut le travail des Nations Unies sur ce qui est appelé la Charte internationale des droits de l'homme.

La principale différence entre les deux pactes tels qu'ils furent adoptés, en dehors de la différence évidente de sujet, est que le PIDCP envisage spécifiquement la création d'un Comité des droits de l'homme composé d'experts indépendants chargés de la responsabilité de superviser la mise en application par, entre autres moyens, un système de pétitions.18 Le PIDESC, en revanche, devait être mise en application par le Conseil économique et social-un organe politique des Nations Unies-qui devait superviser une procédure de rapports.19 Comme nous allons le voir plus bas, ce dernier arrangement s'est avéré être une entrave au développement du PIDESC, qui ne fut surmontée qu'à la création du Comité des droits économiques, sociaux et culturels en 1986.

Autres traités sur les droits humains

L'adoption de la Charte internationale des droits de l'homme ne mit pas fin au travail des Nations Unies dans la détermination de standards pour les droits de l'homme. En effet, en 1966 l'ONU avait déjà adopté deux autres instruments utiles. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide rédigée en 1948, et entrée en application en 1951,20 et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée en 1965.21 Au cours des quelques décennies suivantes, divers organes des Nations Unies continuèrent le processus de rédaction des traités internationaux de droits humains menant à l'adoption, entre autres, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) en 1979,22 la Convention contre la torture en 1984,23 et la Convention relative aux droits de l'enfant (CRC) en 1989.24 Chacun de ces traités complète et améliore la garantie fondamentale énoncée dans les deux pactes et traite une catégorie spécifique de problèmes ou de personnes. À l'exception de la Convention contre la torture, toutes comprennent plusieurs dispositions visant spécifiquement des droits ESC. (Voir les modules 4 et 5 pour une discussion plus approfondie des CEDAW et CDE.)

En dehors des instruments universels rédigés par les Nations Unies, un certain nombre d'instruments pour les droits humains ont été rédigés par des agences spécialisées de l'ONU, telles que l'OIT, l'UNESCO et d'autres. De plus, des organisations régionales, qui forment le principal centre d'intérêt du travail des droits humains dans certaines régions du monde, ont développé leurs propres standards. En fait le premier instrument regional de protection des droits de l'homme, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme25, a même été adopté avant la declaration universelle. Les trois instruments régionaux les plus connus qui ont été rédigés sont la Convention européenne des droits de l'homme26, la Convention américaine relative aux droits de l'homme,27 et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.28 En dehors de la Charte africaine, ces derniers ne traitent pas réellement des droits ESC. Dans le contexte européen, il existe un autre instrument-la Charte sociale européenne29-qui traite de tels droits. Aux Amériques, le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits ESC30 offre un système de pétitions en rapport avec un certain nombre de droits, mais il lui reste encore à être adopté. (Voir la section X pour plus d'informations sur les traités régionaux et les mécanismes d'application.)

Les constitutions nationales

Le développement de normes relatives aux droits humains a également eu un impact sur les constitutions nationales. La plupart des États post-coloniaux qui sont apparus dans les années 1950 et 1960 ont intégré des éléments de la Déclaration universelle des droits de l'homme dans leurs constitutions. Cependant, dans la plupart des cas, les droits civils et politiques étaient intégrés en tant que droits fondamentaux, tandis que les droits économiques et sociaux étaient classifiés comme questions relevant de la politique de l'État.

Cet écart se resserre petit à petit, certains pays intégrant les deux séries de droits au sein même des dispositions sur les droits fondamentaux de leurs constitutions. La constitution de 1987 des Philippines comprend dans l'article 13 une disposition sur la justice sociale et les droits de l'homme. Dans sa définition de la justice sociale, l'article 13 se concentre sur les doits économiques et sociaux: une protection totale est accordée au travail; la distribution juste de toutes les terres agricoles doit être promue; les droits des fermiers et pêcheurs doivent être respectés; et un programme de réforme pour les terrains urbains et de logement doit être établi, ainsi qu'un système de protection de la santé. La constitution philippine reconnaît plus particulièrement le rôle d'organisations populaires indépendantes dans l'habilitation des personnes à poursuivre et à protéger leurs intérêts et aspirations légitimes et collectifs par des moyens pacifiques et légaux.

La constitution la plus remarquable pour son intégration des droits ESC est celle adoptée par l'Afrique du Sud en 1996. Le chapitre 3 de la constitution sud-africaine garantit des droits fondamentaux à tous les citoyens. Ces droits fondamentaux, en plus des droits civils et politiques traditionnels, comprennent plusieurs droits ESC:

• Le droit à un " environnement qui n'est pas nuisible à leur santé ou bien-être " (chapitre 3, sec. 24);
• Le droit à l'accès à un logement adéquat (chapitre 2, sec. 26);
• Le droit à l'accès à des services de santé, à suffisamment de nourriture et d'eau et à la sécurité sociale (chapitre 2, sec. 27);
• Le droit à une éducation élémentaire (chapitre 2, sec. 29); et
• Le droit " d'utiliser la langue et de participer à la vie culturelle de leur choix " (chapitre 2, sec.30).

L'assurance de la reconnaissance des droits ESC dans les constitutions nationales fait partie de la lutte pour faire avancer ces droits. La constitution sud-africaine est un signe encourageant de ce qui est possible.

Cependant, l'histoire de l'émergence des droits humains montre que la reconnaissance légale d'un droit n'est qu'une première étape. Divers obstacles, particulièrement liés à des coutumes, pratiques ou cultures locales et/ou nationales peuvent continuer à entraver la jouissance et la protection totales d'un droit qui a été légalement protégé. Les interdictions légales contre la discrimination raciale aux États-Unis, par exemple, n'ont pas réussi à éliminer ce problème dans la pratique. Dans la plupart des pays, les femmes n'ont pas été effectivement en mesure de jouir de droits spécifiques (par exemple d'un salaire égal à travail égal) reconnus aux niveaux national et international. Il est par conséquent essentiel pour les militants de connaître non seulement les statuts constitutionnels et légaux internationaux et nationaux des droits humains, mais aussi de comprendre dans quelle mesure ces droits-particulièrement ceux de groupes vulnérables tels que les femmes et les enfants-sont protégés dans la pratique.

Obligations légales assumées par les États selon la législation internationale relative aux droits humains

Les traités sont essentiellement contractuels par nature, et par conséquent les États doivent " consentir à être liés " afin d'être légalement responsables d'en remplir les obligations. Comme l'essentiel de la législation internationale relative aux droits humains a trait à la mise en application de ces traités, le principe général est que seuls les États parties au traité en question sont liés par les obligations relatives aux droits humains correspondantes. Ceci étant dit, il est clair qu'il ne suffit pas pour un État de ne pas ratifier un traité relatif aux droits de l'homme pour qu'il puisse échapper à toute responsabilité quant à ses actions par rapport à la loi internationale. Pour commencer, les États ont clairement une obligation morale à respecter certains droits humains, qu'ils ne peuvent ignorer qu'au risque d'une condamnation universelle. Ceci est en soi renforcé de deux manières différentes. En premier, l'existence d'obligations pour la protection des droits humains est évidente par le fait-même que certains droits humains sont maintenant regardés comme faisant partie intégrante du droit coutumier international. L'interdiction de la torture, par exemple, est une obligation qui incombe aux États, qu'ils aient ou non signé ou ratifié un traité s'y rapportant. Il en est de même pour les génocides et disparitions forcées. Ce qui ne signifie pas pour autant que les traités soient sans importance-en effet, ils procurent des mécanismes d'application indispensables-mais plus simplement que l'obligation de protéger et de promouvoir les droits humains incombe à tous les gouvernements et États, qu'ils aient ou non officiellement ratifié les traités.

La nature obligatoire de la protection et de la promotion des droits humains est renforcée davantage par les termes de la Charte des Nations Unies qui s'applique à tous les États parties (et par conséquent aujourd'hui à la vaste majorité des États dans le monde). Bien que l'expression " droits de l'homme et libertés fondamentales " ne soit pas précisément énoncée, ceci n'excuse pas les États lorsqu'ils donnent libre cours à des pratiques excessives ou en violation des standards élémentaires d'humanité. Par le passé, les actions des Nations Unies contre la Rhodésie du Sud, l'Afrique du Sud et l'Iraq, par exemple, ont été justifiées en référence aux dispositions de droits de l'homme de la Charte. Il est prévu que les Nations Unies continueront à insister pour que leurs membres adhèrent à certains standards élémentaires.

Les principes fondamentaux des droits humains

La dignité inhérente aux êtres humains: Selon la Déclaration universelle, les droits de l'homme découlent de la " dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ". Par conséquent, bien que les droits humains puissent être officialisés par des traités, déclarations et lois, leur origine et justification sont essentiellement antérieures ou en dehors du cadre légal. Les droits humains, en d'autres termes, ne sont pas la création du droit ou des législateurs, et n'existent pas simplement parce que les gouvernements ou les États le décrètent. Ils relèvent plutôt du droit moral dérivé de notre appartenance à la " famille humaine " et représentant un standard par rapport auquel la loi doit être mesurée.

Égalité et non-discrimination: Il résulte de ce premier principe que les droits humains, en vertu de leur nature-même, sont possédés par tous à part égale. Quelle que soit notre situation sociale, économique, culturelle ou politique, et quelles que soient les conditions dans lesquelles nous vivons, nous avons le droit, au moins en principe, aux mêmes droits et libertés élémentaires. L'idéal d'égalité et de non-discrimination est un principe fondamental et sous-jacent des droits humains. Selon l'article 2 de la Déclaration universelle:

Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Indivisibilité et interdépendance des droits humains: Le processus de définition de standards au sein des Nations Unies fut infecté par la lutte idéologique entre l'Est et l'Ouest. La séparation idéologique, qui se concrétisa par la rédaction de deux traités différents, a contribué à la perception durable que les deux catégories de droits étaient nécessairement distinctes et même contradictoires. Au cours des dernières années, cependant, une compréhension plus nuancée des droits humains a gagné une acceptation croissante qui s'attache fermement à l'idée que tous les droits humains sont indivisibles, étroitement liés et interdépendants. Cette idée trouve son expression de plusieurs façons.

Il a fini par être reconnu que donner la priorité aux droits civils et politiques ne peut être justifié dans les cas où les individus vivent dans la pauvreté et la dégradation. Dans de tels cas, les actions entreprises pour promouvoir des standards de santé, d'hygiène et de logement décents sont clairement plus importants pour l'individu concerné que toute revendication de liberté. Deuxièmement, il a été de plus en plus admis que les deux séries de droits étaient intégralement liées. Une bonne éducation est nécessaire pour la complète jouissance de la liberté d'expression, et par-là même, la protection des droits civils et politiques et reste la meilleure façon de contribuer à la création d'une société dans laquelle les droits ESC de la population seront assurés. Finalement, l'idée de l'interdépendance est renforcée dans un sens formel par le fait que la division entre les catégories de droits est en elle-même imparfaite. L'article 27 du PIDCP, par exemple, protège le droit des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques d'avoir " leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue ". De même, l'article 22 de ce traité protège le droit de " constituer des syndicats et d'y adhérer ", un droit reconnu dans les mêmes termes à l'article 8 du PIDESC.

Le contexte contemporain

Des droits sont apparus à la suite de luttes des peuples à diverses époques de l'histoire. Ces luttes ne se produisirent pas dans le vide. Des gains ont été acquis et des défaites essuyées le plus souvent dans un contexte resultant largement de conditions économiques, politiques et sociales spécifiques alors dominantes. Afin d'être efficaces, il est essentiel pour les militants d'aujourd'hui de comprendre les contextes au sein desquels des droits ont historiquement atteint une reconnaissance. Ils doivent aussi comprendre les contextes économiques, politiques et sociaux contemporains au sein desquels ils agissent eux-mêmes.

Les droits humains ont atteint une reconnaissance officielle dans le contexte historique de l'État nation. Les droits civils et politiques ont été longtemps perçus comme un tampon essentiel protégeant l'individu de l'exercice abusif du pouvoir de l'État. La responsabilité de l'État pour la protection des droits économiques et sociaux a été basée sur les suppositions que l'État, par son autorité fiscale, avait des ressources bien supérieures à celles des individus, et que grâce à elles, il avait la possibilité de garantir que tous ceux vivant sous sa coupe jouissent d'un certain niveau de sécurité sociale et économique.

Au cours des deux dernières décennies, des changements énormes sont survenus dans le contexte économique, politique et social au sein duquel les droits humains ont été reconnus par le passé. Ces changements, en retour, ont eu et auront des implications profondes en ce qui concerne les efforts pour la protection et la promotion des droits ESC.

Ils ont été le résultat d'un processus nommé " globalisation ". La globalisation repose sur l'hypothèse que le marché est le meilleur arbitre de l'utilisation efficace des ressources et que l'État est un acteur économique encombrant dont l'intervention sur le marché crée des distorsions génératrices de gaspillage. La conclusion qu'il faut en tirer est que le marché devrait jouir d'une liberté débridée et que le rôle de l'État dans l'économie devrait être minimisé. Les partisans de la globalisation maintiennent que si ces mesures sont menées à bien, les ressources seront utilisées au maximum de leur efficacité et que le plus grand nombre en bénéficiera. L'accent est par conséquent porté sur le rattachement des capitaux nationaux aux capitaux internationaux, selon la logique que grâce à de tels liens les économies faibles peuvent bénéficier de l'apport de capitaux, de technologies et de techniques de gestion. Le terme " globalisation " reflète ces connexions mondiales.

Les principaux acteurs impliqués dans le processus de globalisation sont abordés plus en détail plus loin dans ce manuel (voir par exemple, section IX). Toutefois, certaines des implications de la globalisation devraient être mentionnées ici, puisqu'elles touchent directement à une série de questions liées aux droits ESC qui sont traitées dans les modules suivants.

Venant de la conviction que l'État est inefficace, l'effort est de plus en plus porté sur la privatisation-le transfert des actifs et responsabilités de l'État à des acteurs privés. Les terres de l'État sont vendues à des individus et sociétés privées, les entreprises (services publics), ressources (charbon, pétrole), services (transports) et fonctions (prisons, aide sociale) de l'État sont confiés au secteur privé. Les mécanismes, processus, lois et réglementations qui avaient été établis pour permettre le contrôle démocratique de ces propriétés et fonctions ont été démantelés ou réduits de façon significative, de sorte que certains aspects essentiels de la vie des individus et communautés sont davantage assujettis aux caprices des acteurs privés, sur lesquels ils n'ont plus le contrôle légal qu'ils avaient auparavant.

Divers groupes d'individus et d'institutions ont bénéficié de la globalisation. Ce phénomène a par exemple encouragé un flot d'information plus libre entre les États, et tout le monde, en termes généraux, en a profité. Cependant, la majorité des bénéfices de la tendance à la globalisation sont revenus aux grandes sociétés et banques transnationales qui peuvent plus facilement déplacer capitaux et investissements d'un pays à l'autre pour tirer profit de salaires plus bas et de conditions économiques plus favorables. Un nombre croissant de ces entreprises exerce désormais un pouvoir économique et politique bien plus grand que nombre d'États. Ces derni-ères sont avant tout respon-sables vis-à-vis de leurs actionnaires. Contrairement aux gouvernements élus, elles n'ont pas de responsabilité inhérente vis-à-vis des millions d'individus pour lesquelles leurs décisions d'investir ou de désinvestir ont d'énormes implications. Ces derniers n'ont virtuellement aucun contrôle sur elles.

Globalisation et dépenses sociales, une vue interne du FMI

" Il est probable qu'avec le temps, l'impact de la globalisation sur les recettes fiscals soit grandissant et qu'il devienne manisfeste quantitativement . . . Si la globalisation réduit les recettes fiscals et la capacité des gouvernements à avoir un système de prélèvement progressif et equitable, ceux-ci vont perdre un instrument majeur de promotion de la protection sociale. En tous cas, leur capacité à preserver les niveaux actuels de dépenses socials va être réduite ".31

Les implications de ces changements pour l'activisme des droits ESC sont considérables. Le droit international relatif aux droits humains et la plupart des protections nationales y ayant trait sont dirigées vers l'État; c'est, en général, l'État, et non les acteurs privés, qui est responsable légalement de la protection et de la promotion des droits humains. Dans un tel contexte, que peut faire une communauté lorsque la terre dont elle dépend pour vivre est vendue par l'État à un propriétaire privé? Vers qui les travailleurs peuvent-ils se retourner lorsque la société pour laquelle ils travaillent offre des salaires bien inférieurs à ce qu'il faut pour vivre décemment? Quel est l'avenir des enfants n'ayant pas les moyens de payer les droits d'inscription demandés par les systèmes d'éducation privatisés? Tandis que l'État " s'amenuise ", vers qui l'individu peut-il se retourner pour trouver refuge contre l'impact des actions et décisions d'acteurs privés dont les choix sont peut-être déterminés à des milliers de kilomètres? Comment est-il possible pour un État affaibli d'exercer des pressions sur une entreprise ayant des ressources financières bien plus importantes que ce dernier et pouvant retirer ses investissements sur un coup de tête? Dans les modules suivants, nous poserons directement et indirectement ces questions ainsi que de nombreuses autres soulevées par les changements radicaux entraînés par la globalisation.


Auteur: Ce module est basé sur un article préparé par Matthew Craven.


NOTES


1. Nancy Abelmann, Echoes of the Past, Epics of Dissent. A South Korean Social Movement (Berkeley: University of California Press, 1996), 27.

2. Michael P. Hanagan, Leslie Page Moch et Wayne Blake, éds. Challenging Authority: The Historical Study of Contentious Politics (Minneapolis: University of Minnesota Press, 1998), 158.

3. Paul Gordon Lauren, The Evolution of International Human Rights: Visions Seen (Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1998), 38?45, 52?53. Adam Hochschild, King Leopold's Ghost (New York: Houghton Mifflin Co., 1998), 160?66. William G. Beasley, The Rise of Modern Japan (St. Martin's Press, 1995), 120ff.

4. CyriI L. R. James, The Black Jacobins: Toussaint L'Ouverture and the San Domingo Revolution (New York: Vintage, 1963).

5. Lauren, op. cit., 43?45.

6. Lauren, op. cit., 53?54.

7. Robert Louis Stevenson, The Amateur Emigrant (Londres: Hogarth Press, 1984), 14.

8. John A. Garraty et Peter Gay, éds., The Columbia History of the World (New York: Harper & Row, 1987), 704.

9. Eric Hobsbawm, Age of Extremes: The Short Twentieth Century 1914?1991 (New Delhi: Vintage, 1996), 498.

10. Carol Riegelman Lubin, Social Justice for Women: The International Labor Organization and Women (Durham: Duke University Press, 1990), 10?15.

11. Hector Bartolomei de la Cruz, Geraldo von Potobsky et Lee Swepston, The International Labor Organization: The International Standard System and Basic Human Rights (Boulder: Westview Press, 1966), 3?4.

12. Lauren, op. cit., 96?97.

13. Bartolomei, op. cit., 5.

14. Lauren, op. cit., 115.

15. Frances Fox Piven et Richard A. Cloward, Poor People's Movements: Why They Succeed. How They Fail (New York: Vintage, 1970), 50.

16. Tel que cité dans Virginia A. Leary, " The Effect of Western Perspectives on International Human Rights ", dans Abdullahi A. An?Na'im et Francis M. Deng, éds., Human Rights in Africa: Cross-Cultural Perspectives (Washington, D.C.: The Brookings Institution, 1990), 19.

17. Le vote fut de 48 contre 0, avec 8 abstentions (Biélorussie, Tchécoslovaquie, Pologne, URSS, Arabie Saoudite, Ukraine, Afrique du Sud et Yougoslavie).

18. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, AG res. 2200A (XXI), 21 UN GAOR Supp. (No. 16) à 52, arts. 28?45, ONU Doc. A/6316 (1966), 999 UNTS 171, entrée en vigueur le 23 mars 1976.

19. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966, GA Rés. 2200A (XXI), 21 UN GAOR Supp. (No. 16) à 49, arts. 16?25, ONU Doc. A/6316 (1966), 993 UNTS 3, entrée en vigueur le 3 janvier 1976.

20. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948, 78 UNTS 277, entrée en vigueur le 12 janvier 1951.

21. Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adopté le 21 décembre 1965, 660 UNTS 195, entrée en vigueur le 4 janvier 1969.

22. Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, adopté le 18 décembre 1979, AG res. 34/180, 34 UN GAOR Supp. (No. 46) à 193, ONU Doc. A/34/46, entrée en vigueur le 3 septembre 1981.

23. Convention contre la torture et tout autre traitement ou punition cruel, inhumain ou dégradant, adopté le 10 décembre 1984, AG Res. 39/46, annexe, 39 UN GAOR Supp. (No. 51) à 197, ONU Doc. A/39/51 (1984), entré en vigueur le 26 juin 1987.

24. Convention relative aux droits de l'enfant, adopté le 20 novembre 1989, AG Res. 44/25, annexe, 44 UN GAOR Supp. (No. 49) à 167, ONU Doc. A/44/49 (1989), éntrée en vigueur le 2 septembre 1990.

25. Déclaration américaine les droits et devoirs de l'homme, signé le 2 mai 1948, OÉA Res. XXX, adopté par la neuvième conférence internationale d'États américains (1948), réimprimée dans les documents de base concernant les droits de l'homme dans le système d'Interaméricain, OÉA/Ser.L.V/II.82 doc.6 rev. 1 à 17 (1992).

26. Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (dite Convention européenne des droits de l'homme), 213 UNTS 222, entré en vigueur 3 septembre 1953, texte revise conformément aux dispositions du Protocole No. 3, entré en vigueur le 21 septembre 1970, du Protocole No. 5, entré en vigueur le 20 décembre 1971, du Protocole No. 8, entré en vigueur le 1er janvier 1990 et du Protocole No. 11, entré en vigueur le 1 novembre 1998.

27. Convention américaine relative aux droits de l'homme, ouvert pour la signature le 22 novembre 1969, OÉA Séries de traité No. 36, 1144 UNTS 123 entrée en vigueur le 18 juillet 1978.

28. Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, adopté le 27 juin 1981, OAU Doc. CAB/LEG/67/3/rev. 5, 21 ILM 58 (1982), entré en vigueur le 21 octobre 1986.

29. Charte sociale européenne (ETS No. 35) 529 UNTS 89, entré en vigueur le 26 février 1965.

30. Protocole supplémentaire à la Convention américaine sur des droits de l'homme dans la zone des droites économiques, socials et culturelles, OÉA No. 69 (1988) de série de Traité, signé le 17 novembre 1988, réimprimé dans les documents de base concernant les droits de l'homme dans le système d'Interamerican, OÉA/Ser.L.V/II.82 doc.6 rev.1 à 67 (1992).

31. Vito Tanzi, " Working Paper of the International Monetary Fund", WP/00/12 (janvier 2000), 5.


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