MODULE 16
LE DROIT À L’ÉDUCATION

Objet du module 16

Ce module a pour objet de rendre compte de l’étendue du droit à l’éducation.

Le module

  • détaille les normes internationales relatives au droit de l’éducation;
  • discute le contenu du droit à l’éducation et des obligations de l’État à son égard; et
  • identifie les outils et techniques qui peuvent servir à propager le droit.

Le contexte contemporain

C’est l’un des plus grands fléaux dont est victime l’humanité à la fin du XXème siècle.  Il a laissé des centaines de millions d’adultes désavantagés, vulnérables et appauvris.  Chaque année, il revendique des millions de nouvelles victimes tirées des rangs des citoyens les plus vulnérables au monde: ses enfants.  C’est une destruction humaine à vaste échelle.  La plupart des victimes sont pauvres.  L’énorme majorité sont des jeu­nes filles et des femmes.  Le fléau en question n’est pas une maladie, mais l’illettrisme des masses provoqué par l’exclusion et l’inégalité des chances.
Le manque d’action se paiera au prix fort.  L’éducation primaire universelle est im­pérative pour relever le plus grand défi lancé à l’humanité à la fin du XXème siècle, qui a pour nom l’éradication de la pauvreté.  C’est aussi une exigence fondamentale de justice sociale.  Nous vivons à une époque où l’éducation devient un facteur ma­jeur de determination de notre niveau de vie.  Les pays et les individus qui n’ont pas accès au savoir et à la connaissance transmis par l’éducation seront de plus en plus à la traîne . . .
Certains objecteront que l’éducation primaire universelle est un but peu réaliste et hors de prix.  En fait, la réalisation de l’éducation primaire universelle, en dix ans, ne coûterait, pour tous les pays en voie de développement, que 6 à 8 milliards de dollars par an au en plus des dépenses actuelles.  Ce qui représente à peu près quatre jours de dépenses militaires mondiales; sept jours de spéculation ordinaire sur les marchés in­ternationaux; moins de la moitié de ce que les parents Nord Américains dépensent en jouets pour leurs enfants chaque année et moins que ce que les Européens dépensent annuellement en jeux informatiques ou en eau minérale.
Aussi cruciale que soit l’aide internationale, elle compterait peu en l’absence d’une action nationale.  Les pays en voie de développement eux-mêmes doivent faire beau­coup plus.  Parmi eux, l’Inde et le Pakistan ont 40 millions d’enfants non-scolarisés—plus du tiers du total mondial.  L’absence d’éducation est l’une des principales choses qui conduisent à la pauvreté dans les deux pays.  Cependant leurs gouvernements dépensent plus pour l’armement et pour créer un nouvel équilibre de terreur nucléaire que pour l’éducation primaire.  Il est triste que leur ex­emple soit largement suivi.
Le monde ne peut pas se permettre de tolérer la pauvreté, l’injustice et le gaspil­lage associés à la violation massive du droit à l’éducation. [1]

L’éducation comme droit humain

Dans toutes les sociétés et à travers l’histoire humaine, l’éducation a été considérée à la fois comme une fin en soi et comme un moyen de croissance bénéfique à l’individu comme à la so­ciété.  Sa reconnaissance en tant que droit humain vient de ce que l’éducation est indispensable à la préservation et l’amélioration de la dignité inhérente de la personne.  (Voir le module 1 pour plus de discussions sur ce point.)

Différents instruments légaux, na­tionaux, régionaux et internationaux reconnaissent le droit à l’éducation.

Normes internationales

La Déclaration universelle des droits de l’homme affirme, « Toute personne a droit à l’édu­cation ».  De plus, elle stipule que cette éducation devra être gratuite, au moins aux niveaux primaires et fondamentaux.  L’éducation élémentaire devra être obligatoire.  L’éducation supérieure devra être également accessible à tous sur le mérite, et l’éducation technique et professionnelle devra être rendue généralement disponible.

La DUDH stipule aussi que l’éducation devra être orientée vers le plein développement de la personnalité humaine et conforter le respect des droits humains.  Enfin, elle reconnaît que les parents ont un droit prioritaire à choisir le genre d’éducation qui sera donnée à leurs enfants.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels: Les articles 13 et 14 du PIDESC donnent des formulations détaillées du droit à l’éducation.  L’article 13 contient une déclaration générale selon laquelle chacun a le droit à l’éducation et que l’éducation devrait contribuer au plein développement de la personne humaine.  De plus, il stipule précisément:

         L’enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous.

         L’enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l’enseignement secon­daire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité.

         L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité.

         L’éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n’ont pas reçu d’instruction primaire ou qui ne l’ont pas reçue jusqu’à son terme.

         Il faut poursuivre activement le développement d’un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant.

         Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être pre­scrites ou approuvées par l’Etat en matière d’éducation, et de faire assurer l’éducation re­ligieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions.

L’article 14 demande à chaque État partie qui n’a pas été capable de mettre en place une édu­cation primaire obligatoire et gratuite d’entreprendre « dans un délai de deux ans, un plan détaillé des mesures nécessaires pour réaliser progressivement, dans un nombre raisonnable d’années fixé par ce plan, la pleine application du principe de l’enseignement primaire obli­gatoire et gratuit pour tous ».

Convention relative aux droits de l’enfant (CDE): Les articles 28 et 29 du CDE parlent du droit à l’éducation de l’enfant.  L’article 28 est sem­blable aux dispositions contenues dans le PIDESC.  De plus, il statue que la discipline à l’école devrait être appliquée d’une manière compatible avec la dignité humaine d’un enfant.

L’article 29 stipule que l’éducation de l’enfant sera orientée vers le développement de la per­sonnalité de l’enfant, de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la me­sure de leurs potentialités.

Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le d’enseignement (UNESCO):  La convention de l’UNESCO stipule que les États parties doivent entreprendre de formuler, développer et appliquer une politique nationale qui tendra à promouvoir l’égalité des chances et de traitement et, en particulier, de rendre l’éducation primaire gratuite et obligatoire.  De plus, elle reconnaît le droit des parents à choisir librement les établissements où leurs enfants seront éduqués et de pourvoir à l’éducation religieuse et morale de leurs enfants en con­formité avec leurs convictions personnelles.
 
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes:

L’article 10 du CEDAW contient aussi certaines dispositions qui parlent du droit à l’éducation.  Il prévoit, par exemple, l’accès égal aux conseils d’orientation professionnelle et aux études à tous les niveaux de l’éducation; l’accès aux mêmes programmes scolaires et aux mêmes examens; l’élimination des stéréotypes concernant le rôle des hommes et des femmes; et les mêmes chances de pouvoir bénéficier des bourses universitaires.

Éducation élémentaire: droit ou privilège?

« La notion que l’éducation primaire est un droit fondamental n’est pas acceptée par tous, du moins pas sans réserve. Certains perçoivent même l’universalisation de l’éducation comme une menace pour les chances de leurs propres enfants. De leur point de vue, le rôle du système scolaire est de servir de « filtre », qui retient les meilleurs et les plus brillants pour les aider à réaliser leur potentiel. Si trop d’enfants montent à bord, les chances de ceux qui jouissent d’habitude du privilège des facilités d’une bonne scolarité seront menacées.

Bien sûr, ces sentiments sont rarement exprimés ouvertement. A la place, la tendance est de rationaliser les inégalités du système scolaire de différentes façons. Un procédé habituel est de blâmer les victimes. Des parents sans fortune, par exemple, sont rendus responsables de ne pas envoyer leurs enfants à l’école, oubliant toutes les difficultés auxquelles ils doivent faire face. Ci-dessous, d’autres exemples véridiques de déclarations de cette sorte, entendus dans la classe moyenne au cours de nos recherches:

‘Tant d’écoles, comment peut-on parler d’un manque d’écoles?’

‘Absence d’esprit d’initiative—si paresseux, ils ne tirent pas profit des chances qui leur sont offertes.’

‘Pourquoi le gouvernement prendrait-il la responsabilité de l’éducation des enfants?’

‘On travaille. On paie des impôts. On a bien droit à quelque chose en retour.’

‘Si un homme peut se payer des cigarettes, si un homme peut s’acheter de l’alcool, alors à mon avis, il devrait être capable de payer pour l’éducation de son enfant.’

‘Gaspillage. Ils ont besoin de savoir lire, ça suffit. Juste assez pour prendre le bus.’

‘Le gouvernement a réduit le financement des études supérieures pour promouvoir l’éducation primaire—pourtant il est connu que beaucoup de ces gens ne peuvent pas apprendre.’

La perception de la scolarité en tant que filtre a une grande influence sur la planification éducative. Cela sert par exemple à expliquer pourquoi des ressources considérables ont été dépensées pour développer des établissements de niveau international d’enseignement supérieur (comme les Instituts de Gestion et les Instituts de Technologie) tandis que des milliers d’écoles primaires fonctionnaient sans tableau noir ni eau potable. Les méthodes d’enseignement et les programmes scolaires portent aussi le sceau de cette façon de considérer l’éducation comme une foire d’empoigne ».6

Les instruments régionaux

Le droit à l’éducation est reconnu et garanti par plusieurs instruments régionaux des droits humains.  Sont compris la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (art.17) et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant; [2] la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme (art.12) et le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador) [3] (art. 13); la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant [4] (arts. 14 et 15); et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales [5] (arts. 13 et 14).

Constitutions nationales

Les constitutions de plusieurs pays comprennent des dispositions sur le droit à l’éducation.  Par exemple, l’article 56 de la Constitution du Salvador garantit le droit à l’éducation, et rend obligatoire d’offrir aux citoyens une éducation de base et spécialisée gratuite.  De même, la Constitution de l’Afrique du Sud sauvegarde le droit de ses citoyens à une éducation offi­cielle de base, que l’État, par des mesures raisonnables, doit progressivement mettre à leur disposition et rendre accessible. 

Les Sud-Africains ont aussi un droit constitutionnel à être instruits dans la langue de leur choix dans des établissements d’enseignement public, pour tenir compte de l’équité, de la faisibilité et du besoin de corriger les résultats des lois et des pratiques de discrimination ra­ciale du passé.  De plus, la Constitution sud-africaine donne le droit d’ouvrir et d’entretenir des institutions privées qui ne pratiquent pas de discrimination raciale, sont agréées par l’État, et respectent des normes comparables à celles des écoles publiques (chap. 2, art. 29)

Contenu du droit à l’éducation et les obligations de l’État.

Les normes légales du droit à l’éducation comprennent deux larges composantes: l’extension à tous de l’accessibilité à une éducation basée sur l’égalité et la non-discrimination, ainsi que la liberté de choisir le genre (public ou privé) et le contenu (religieux et moral) de l’enseignement.  Ces deux aspects représentent l’esprit et l’essence cardinale du droit à l’éducation.

La nature exigeante des obligations contenues dans l’assurance du droit à l’éducation est re­flétée par le nombre et la variété de réserves, déclarations et objections à propos de l’article qui y a trait dans la Convention relative aux droits de l’enfant.  Quoi qu’il en soit, on peut glaner au moins quatre composants de ce droit à l’éducation des dispositions légales sur le droit à l’éducation:

         La jouissance égale et l’accès égal aux chances d’éducation et aux facilités offertes

         L’éducation primaire, gratuite et obligatoire

         Un enseignement secondaire généralement disponible et accessible, et un enseignement supérieur également accessible

         La liberté de choix du type d’enseignement, et la liberté d’ouvrir des établissements privés

Le CDESC, dans son Observation générale 13 (voir le texte entier à la page 332), identifie quatre éléments dans les obligations de l’État en ce qui concerne le droit à l’éducation: (1) les dotations, (2) l’accessibilité, (3) l’acceptabilité et (4) l’adaptabilité.

Dotations

Le devoir d’offrir un enseignement primaire gratuit et obligatoire est incontestablement un préalable à la réalisation du droit à l’éducation.  Le CDESC dans son Observation générale 11 sur l’article 14 du PIDESC (voir le texte entier à la page 329) considère que les États par­ties ont une obligation nette et sans équivoque de dresser un plan d’action pour assurer un enseignement primaire gratuit et obligatoire.  Le Comité a statué que l’absence de chances d’éducation pour les enfants renforçait souvent leur chances d’être victimes de diverses vio­lations d’autres droits humains.

Selon le Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation, « Fréquemment—mais par erreur—on fait l’amalgame entre l’obligation qu’a l’État d’assurer la gratuité de l’enseignement primaire et la fourniture par l’État de cet enseignement. L’obligation faite à l’État d’assurer la gratuité du cycle primaire se traduit dans bon nombre de pays par l’octroi de subventions à toutes sortes d’écoles primaries ».7  Elle a aussi mentionné que:

La première obligation de l’État est de faire en sorte que tous les enfants puissent fréquenter l’école primaire, ce qui nécessite un investissement considérable. Si l’État n’est pas le seul investisseur, le droit international relatif aux droits de l’homme l’oblige à être l’investisseur de dernier recours afin qu’il y ait des écoles primaires pour tous les enfants d’âge scolaire.  Si la capacité d’absorption des écoles primaires est inférieure au nombre d’enfants en âge de les fréquenter, les dispositions législatives sur l’éducation obligatoire resteront lettre morte et l’accès à l’éducation demeurera un besoin ou un souhait et non un droit.9

La prestation d’un enseignement secondaire et supérieur est aussi considérée comme un élé­ment important du droit à l’éducation.  L’exigence de  « l’introduction progressive de l’éducation gratuite » ne signifie pas que l’État peut se délier de ses obligations.

Finalement, le CDESC a statué qu’un État partie ne peut pas échapper à l’obligation sans équivoque d’adopter un plan d’action sous prétexte qu’il manque des ressources nécessaires.

Accessibilité

Le seconde obligation de l’État a trait à l’accessibilité.  Au minimum, les gouvernements sont obligés d’assurer la jouissance du droit à l’éducation par la garantie d’accès à tous aux étab­lissements d’enseignement existants sur la base de l’égalité et de la non-discrimination.10

Assurer le droit à l’éducation
Le rôle central de l’État

Quels sont les facteurs qui permettent à certains pays d’obtenir de meilleurs résultats dans l’exercice du droit à l’éducation primaire universelle? Une étude récente de l’UNICEF qui couvre neuf pays, ainsi que l’État du Kerala, a identifié six grands thèmes.

L’engagement politique. Dans tous les cas, les gouvernements ont fait de l’instauration de l’éducation primaire une priorité politique de première importance.

L’engagement financier: L’engagement politique trouvait son reflet dans les moyens financièrs alloués à l’éducation de base pendant la période de transformation. Dans la période 1950-57, le Costa Rica a doublé la part des dépenses publiques allouées à l’éducation de base. Cuba a augmenté la part du PIB allouée à l’éducation de trois pour cent pendant la décennie jusqu’au milieu des années 70. Le Zimbabwe a atteint la même progression dans la période 1980-1988.

Le rôle central du secteur public. Les pays qui ont accompli une rapide transformation de l’éducation de base l’ont fait grâce au secteur public plutôt que par l’intervention du privé. Il n’y avait pas d’initiative privée au niveau du primaire à Cuba après la Révolution. Malgré la forte implentation de l’idéologie de marché en Corée du Sud, le secteur privé était absent du domaine de l’éducation primaire. Plus de 90 pour cent des écoliers du primaire fréquentaient des écoles publiques au Costa Rica au milieu des années 60.

L’équité dans le financement public. Pendant les périodes où un progrès décisif pour une éducation primaire universelle a été enregistré, les ressources investies dans l’éducation furent concentrées sur ce secteur. Dans le milieu des années 80, le rapport de dépense publique par élève du primaire sur dépense pour chaque étudiant d’université a été de 1/7 à Cuba, comparé à la moyenne de 1/33 en Afrique sub-saharienne. Jusqu’à ce que la Corée du Sud ait mis en place une éducation primaire universelle, elle allouait plus de 60 pour cent des dépenses publiques à l’enseignement primaire, permettant au secteur privé de jouer un rôle plus significatif dans l’enseignement secondaire, et récupérant une large part des dépenses engagées dans l’enseignement supérieur par des charges perçues sur le dos des étudiants.

Réduire le coût de l’éducation pour les ménages. L’augmentation de la dépense publique a servi dans chaque cas à réduire le coût de l’éducation pour les ménages. Un enseignement primaire gratuit fut introduit au Sri Lanka juste après l’indépendance. De même, Cuba a instauré l’éducation gratuite comme droit des citoyens. Des dispositions identiques furent prises au Botswana et au Zimbabwe.

L’intégration des réformes de l’éducation dans de plus larges stratégies de développement humain. Les réformes de l’éducation ont été appuyées par des stratégies élargies qui diminuent la pauvreté. Au Zimbabwe, à Cuba, au Botswana et au Costa Rica, par exemple, les réformes du secteur de la santé ont porté sur l’amélioration de la santé et la nutrition de l’enfant, augmentant ainsi la capacité des ménages pauvres à bénéficier des réformes de l’éducation.8

L’obligation positive de l’État d’assurer un accès égal aux établissements d’enseignement  s’étend à l’accès tant physique que constructif.   Dans le cas des personnes âgées, par exem­ple, le Plan international d’action de Vienne sur le vieillissement demande à un accès phy­sique facilité aux établissements et un accès constructif à l’éducation pour dépasser les im­ages stéréotypées de vieillards souffrants de handicaps et/ou privés d’autonomie.11  De même, comme il est stipulé dans l’article 10 du CEDAW, les gouvernements sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées destinées à « L’élimination de toute conception stéréotypée des rôles de l’homme et de la femme à tous les niveaux et dans toutes les formes d’enseignement en encourageant l’éducation mixte et d’autres types d’éducation qui aideront à réaliser cet objectif et, en particulier, en révisant les livres et programmes scolaires et en adaptant les méthodes pédagogiques».  Avec cette disposition, les femmes et les filles ont aussi un droit à un accès égal à une éducation spécifique (incluant des conseils de planning familial) et aux programmes de sport.  Les travailleurs migrants et les membres de leurs fa­milles officiellement admis dans les pays d’accueil ont aussi la garantie d’accès constructif à l’éducation comme il est prévu aux articles 14 et 15 de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant, à tel point que les pays d’accueil doivent tenter, lor­sque possible, d’enseigner dans la langue maternelle des travailleurs migrants.13

Nigeria: une étude de cas

Des frais imposés d’une façon arbitraire et discriminatoire peuvent avoir pour résultat un déni d’accès égal à l’éducation et par-là constituer une violation des obligations de l’État. Par exemple, dans une action collective intentée par le National Association of Nigerian Students (NANS),12 le Social and Economic Rights Action Center (SERAC), une organisation nigérienne non-gouvernementale, demande à la cour de déterminer si l’augmentation arbitraire des frais appliquée aux établissements de l’enseignement supérieur à un taux de plus de 1 000 pour cent était compatible avec le droit à l’éducation. L’action en justice est fondée sur les motifs que la politique entraverait l’accès à l’éducation supérieure; que cela constitue une violation des principes d’égalité et de non-discrimination étant donnée son application sélective à des écoles situées pour la plupart dans le Nigeria du Sud; et que la politique est injustifiée, vu le déclin rapide, tant quantitatif que qualitatif, de l’enseignement supérieur.

Le droit à l’éducation a été confirmé pour les handicapés.  Le Règlement 6 des Règles stan­dards sur l’égalisation des opportunités pour les personnes handicapées stipule que « Les Etats devraient reconnaître le principe selon lequel il faut offrir aux enfants, aux jeunes et aux adultes handicapés des chances égales en matière d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, dans un cadre integer ».14  À cet effet, le CDESC demande aux États parties de « faire en sorte que les enseignants soient formés à l’éducation des enfants souffrant d’un handicap dans les établissements d’enseignement ordinaire et qu’ils disposent du matériel et de l’aide nécessaires pour permettre aux personnes souffrant d’un handicap d’atteindre le même niveau d’éducation que les autres élèves ».15  De la même façon, les enfants qui ont des handicaps physiques ou mentaux sont garantis du droit à la formation  « en vue de la ré­alisation la plus complète possible de leur insertion sociale, de leur développement individuel et . . . de leur développement culturel et moral » à l’article 13 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.16

Acceptabilité

Selon le Rapporteur spécial « L’État est tenu de veiller à ce que toutes les écoles se confor­ment aux critères minimaux qu’il a établis et de s’assurer que l’enseignement est acceptable tant par les parents que par les enfants ».17

Cet élément concerne le droit de choisir le type d’éducation reçue, et le droit d’établir, d’entretenir, de diriger et de contrôler des établissements d’enseignement privé.  Toutefois il ne demande pas à l’État de procurer les mêmes avantages annexes aux élèves de l’école privée que ceux dont les élèves de l’école publique peuvent jouir, comme la gratuité des transports en bus, la gratuité des manuels scolaires ou des repas pris à l’école.18  Elèves et parents ont un droit à ne pas avoir à subir d’endoctrinement, et pareillement, l’étude obliga­toire de matières incompatibles avec les croyances religieuses ou autres de l’élève peut violer le droit à l’éducation.19

Le droit de fonder des établissements d’éducation privés a été lié à la liberté d’expression.  Dans le procès exemplaire de Archbishop Anthony O. Okogie et al. v. The Attorney General of Lagos, par exemple, la Cour d’appel nigérienne a soutenu que le gouvernement, en em­pêchant l’ouverture d’institutions privées, limitait la liberté d’expression et le droit des par­ents et des tuteurs  « d’élever leurs enfants et leurs pupilles et de les éduquer dans ce qu’ils pensaient être les meilleurs établissements, et dans les meilleures traditions et attitudes qu’ils pensaient pouvoir offrir à leurs enfants et pupilles pour leur éducation ».20

Bien que la liberté de choisir et d’établir des institutions privées puisse s’appliquer à toute personne, les avantages qu’en retirent les minorités culturelles, raciales, religieuses et lin­guistiques sont particulièrement significatifs.  À ce propos, l’article 5(1)(c) de la Convention de l’UNESCO de 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement reconnaît « aux membres des minorités nationales le droit d’exercer des ac­tivités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d’écoles et, selon la politique de chaque Etat en matière d’éducation, l’emploi ou l’enseignement de leur propre langue ».  Pour sa part, l’article 13 la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales stip­ule que les « personnes appartenant à une minorité nationale le droit de créer et ge gérer leurs propres établissements privés d’enseignment de formation ».21  L’article 14 du même texte garantit aux minorités le droit d’apprendre leur propre langue.

Le problème de la langue d’instruction est un domaine qui a suscité des controverses.  La Cour européene des droits de l’homme a affirmé le droit des États à déterminer les langues officielles du pays qui sont donc les langues d’instruction dans les écoles publiques, mais elle a rejeté qu’il y ait un droit à l’éducation dans la langue de son choix.22

Un autre élément d’acceptabilité important se rapporte au fait que le climat de l’école doit être favorable aux enfants.  Conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant, « il est impératif que l’éducation respecte le droit de l’enfant à être curieux, à poser des questions et recevoir des réponses, de discuter et de ne pas être d’accord, de faire des ex­périences et de commettre des erreurs, de connaître et de ne pas connaître, d’être créatif et spontané ».23

Adaptabilité

Normalement, ce qu’un enfant apprend à l’école devrait dépendre de ses futurs besoins en tant d’adulte.  Quoi qu’il en soit, la Convention relative aux droits de l’enfant exige que soit privilégié ce qui répond au mieux à ses intérêts.  Le système éducatif doit donc rester adapt­able, prenant en compte les intérêts de l’enfant.

Interventions innovantes pour assurer le droit à l’éducation
Le programme Busti au Pakistan

Le programme Busti (une communauté), qui est le fruit d’une collaboration entre une ONG basée à Karachi et l’UNICEF, a pour but d’offrir une éducation de base aux enfants qui ne peuvent pas être admis dans les écoles officielles. La tranche d’âge va de cinq à dix ans; les trois-quarts des élèves sont des filles. L’initiative a réussi à renverser la tendance normale de « genre » en partie en prodigant l’enseignement à la maison. Il s’est créé plus de 200 écoles à la maison, enregistrant plus de 6 000 élèves, pour un coût unitaire de six dollars, bien plus bas que le coût moyen en école publique élémentaire. Cette approche a été adoptée après que des discussions avait révélé que les trajets jusqu’à l’école ne facilitaient pas du tout l’éducation des filles.

Pour enseigner, on recrute des femmes sur place qui, à tour de rôle, établissent des écoles chez elles. Les parents paient l’enseignant jusqu’à un dollar par mois, moins qu’ils auraient payé dans le système d’État. Il n’y a pas d’exigences d’uniformes pour les enfants et les emplois du temps scolaires sont flexibles. Alors qu’on critique l’échec à faire émerger des méthodes d’enseignement qui dépassent le « par cœur », l’initiative de la communauté Busti démontre ce qui peut être accompli quand la prestation d’éducation est adaptée aux besoins de la communauté.24

Les défis, les chances et les stratégies

Mesurer la performance de l’État dans sa mise en œuvre du droit à l’éducation est une lourde tâche en l’absence de critères, de points de référence et de méthodologie généralement re­connus pour évaluer l’adéquation et l’efficacité des mesures prises en vue de sa réalisation.  Développer le noyau de compé­tence pour mesurer la mise en pratique est assurément cru­cial pour suivre ce que l’on a désigné comme « la dimension vari­able ou changeante » des obligations des États parties.  Comme l’explique Paul Hunt, « À cause de la réalisa­tion progressive et des mises à disposi­tion graduelles de res­sources, le contenu précis d’au moins quel-ques obligations de l’État semble varier d’un État à l’autre—et au cours du temps dans le même État. »25  Des techniques et des processus de suivi efficaces peuvent aussi être utiles pour définir le contenu essentiel du droit à l’éducation. 

L’application par chaque État partie du droit à l’éducation peut se mesurer avec des indi­cateurs qualitatifs et quantitatifs.  Entre autres, des indicateurs quantitatifs fournissent des données tangibles sur les budgets, les taux d’alphabétisme, les taux d’inscriptions et les temps de trajet, les pourcentages d’abandon et de redoublements répartis par genre, classe sociale, âge, lieux géographiques (par exemple, par État et région, zones urbaine vis-à-vis zone rurale), religion et ethnie.  Par contre, les indicateurs qualitatifs apprécient des aspects non-tangibles comme l’interaction dans les classes, le contenu des manuels et les pro­grammes pédagogiques.  Estimer les aspects qualitatifs de l’éducation est beaucoup plus complexe qu’évaluer la position quantitative de l’éducation.  Une telle complexité est dérivée de la toile de relations invoquées dans le droit à l’éducation (par exemple, la relation État/parents/enfant; la relation État/minorités; la relation entre l’État et les personnes qui n’ont traditionnellement pas de droits civiques; et la relation de l’église et de l’État).

Dans son Observation générale 1, Obligation de faire rapport, paragraphe 6, le CDESC ob­serve que « Peut-être sera-t-il utile pour cela que les Etats définissent certains critères ou certains buts, à la lumière desquels ils apprécieront les résultats obtenus. Par exemple, il est généralement admis qu’il importe de s’assigner des buts précis en ce qui concerne la lutte contre la mortalité infantile, la généralisation de la vaccination des enfants, la consommation de calories par personne, le nombre d’individus par membre du personnel de santé, etc. Dans beaucoup de ces domaines, les critères mondiaux sont d’un intérêt limité, alors que des critères nationaux ou plus particularisés peuvent fournir une indication extrêmement pré­cieuse sur les progrès accomplish », Paul Hunt suggère un processus de trois étapes pour iden­tifier et utiliser les repères de niveau nationaux pour mesurer les résultats des États sur le droit à l’éducation: le premier, sélection des indicateurs clés; le deuxième, définition des niveaux de référence nationaux; et le troisième, le suivi des indicateurs par rapport à ces points de référence.26  Ces étapes méritent une étude complémentaire, une adaptation et une expérimentation. (Voir le module 19 pour une discussion complémentaire sur les indicateurs et les points de référence.)

L’importance ou le rôle de l’analyse du budget en tant qu’outil de travail pour le travail sur les droits humains va au-delà de la compilation des données numériques ou statistiques.  Elle implique l’interprétation et l’utilisation de l’information essentielle sur l’allocation des res­sources, en vue d’analyser ou d’évaluer les politiques et les priorités officielles.  Quand on considère les dépenses en matière d’éducation, on peut faire référence au pourcentage du budget national alloué à l’éducation opposé à la dépense réelle per capita et globalement au niveau de la nation, de la région et de l’État, aussi bien que par rapport aux autres secteurs de l’économie.27  Une allocation budgétaire accrue ne se traduit pas toujours par une jouissance accrue du droit à l’éducation.  Par exemple, au Nicaragua, bien que l’allocation budgétaire la plus large octroyée par le gouvernement central fut destinée au Ministère de l’Education en 1991 et 1992, la qualité de l’éducation dispensée resta en dessous des normes, avec des niveaux accrus d’analphabétisme et la très grande majorité des enseignants du primaire se réclamant d’une éducation non-officielle.28  L’analyse budgétaire peut fournir un cadre im­portant pour prendre en compte les réclamations des États parties du manque de ressources pour justifier la non application, aussi bien que pour faire le suivi de la réalisation progres­sive de certains aspects du droit, aussi bien que pour favoriser mobilisation et la collaboration inter-sectorielle sur le droit à l’éducation. (Voir le module 19 sur l’analyse budgétaire.)

Reste le besoin de vulgarisation plus grande du droit à l’éducation.  Les niveaux d’ignorance de l’existence et de la nature de cet important droit humain dépassent de loin, et sont un fac­teur qui détermine clairement, les taux d’analphabétisme alarmants chez les populations les plus pauvres du monde.  Au niveau local, les activités communautaires d’éducation et de prise de conscience qui visent à toucher les parents, les femmes et les enfants d’âge scolaire devraient servir à nourrir l’idée que l’éducation est un droit humain fondamental.

Des organisations de militants peuvent appuyer ce droit par la recherche, orientée vers l’action, de l’identification des obstacles légaux, institutionnels ou structurels à la mise en œuvre du droit à l’éducation, et à l’examen de solutions pratiques. Des conseils juridiques et des arrêts ayant un large impact peuvent aussi être des des facteurs décisifs dans l’engagement de recours en justice, aussi bien que pour éperonner des réformes politique ou légale importantes qui puissent conduire à la réalisation du droit à l’éducation.

Auteur: L’auteur de ce module est Felix Morka.

NOTES


1 .  Kevin Watkins, Education Now: Break the Cycle of Poverty (Oxford: Oxfam International, 1999), 1-7.

2. Charte Africaine du côté droit et le bien-être de l’enfant, OAU Doc. CAB/LEG/24.9/49 (1990) (pas encore en vigueur).  Voir en particulier article 20 (« Parties d’États. selon leurs moyens et le national conditionne les toutes les mesures appropriées . . . pour aider des parents et d’autre per­sonnes responsables de l’enfant et en cas de besoin fournir des programmes matériels d’aide et de support en particulier en ce qui concerne . . . éducation . . .  »).

3. Protocole supplémentaire à la Convention américaine sur des droits de l’homme dans la zone éco­nomiques, sociales et culturelles des droites, (Protocole du San Salvador), OASTS NO. 69 (1988) (signé le 17 novembre 1988) réimprimé dans 28 ILM 156 (1989), corrections à 28 ILM 573 (1989).

4.  Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant, STE No. 093, adopté 24 novembre 1977, entré en vigueur le 1 mai 1983.

5.  Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, STE No. 157, entré en vigueur le 1 février 1998, réimprimé dans 34 ILM 351 (1995).

 6.  Public Report on Basic Education in India (New Delhi: Oxford University Press, 1999), 3.

 7. Commission des droits de l’homme, Rapport préliminaire de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, Mme Katarina Tomasevski, ONU Doc. E/CN.4/1999/49 (13 janvier 1999).

 8.  Watkins, op. cit., 198-99.

 9. Ibid., paras. 51-52.

10. L’égalité en droit interdit toute forme de discrimination, alors que l’égalité de fait peut impliquer la nécessité de fournir des traitements différents afin de pouvoir atteindre un résultat qui soit un équilibre entre les différentes situations.  Minority Schools in Albania, Advisory Opinion, P.C.I.J., Series A/B-No.64 (1935).

11.  Rapport de l’Assemblée mondiale sur le vieillissement, Plan d’action international de Vienne sur le vieillissement, Vienne, 26 juillet-6 août 1982, recommandations 48 et 50 (ONU Publication, Sales No. E82.I. 16).

12. Duru Amarachukwu, et al. v. Minister for Education, et al., Federal High Court of Nigeria, Suit No. FHC\L\CS\94897, filed  25 août 1997.

13. Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant, art. 14, STE No. 093, adopté 24 novembre 1977, entrée en vigueur le 1 mai 1983.

14.  Règles pour l’égalisation des chances des handicapés, annexé à 48/96 du 20 décembre 1993, règle 6, ONU Doc. A/RÉS/48/96 (1993).

15.  CDESC, Observation générale 5, Personnes souffrant d’un handicap (1994), ONU Doc. E/C.12/1994/13.

16.  Charte africaine, art. 13, voir note 2, au-dessus.

17.  Voir note 7, ci-dessus.

18.  Voir, par exemple, Blom, Lindgren et al.  and Hjord et al. v. Sweden, Communication No. 191/1985, paras. 10.2–10.3; Communications Nos. 298 and 299/1988, paras. 10.2–10.4.

19.  Voir, par exemple, Hartikan v. Finland, Communication No. 40/1978, para. 10.4, dans laquelle le comité de l’ONU pour les droits de l’homme a établi que la participation des enfants aux cours d’éthique et d’histoire de la religion ne pouvaient être obligatoire.  Voir aussi Asbjørn Eide, Cata­rina Krause and Allan Rosas, éds., Economic, Social, and Cultural Rights: A Textbook.  (Dor­drecht: Martinus Nijhoff Publishers, 1995), 206.

20Archbishop Anthony O. Okogie et al. v. The Attorney General of Lagos State, 2 NCLR 337 (1981).

21.  Convention cadre, art. 13.  Voir note 5, ci-dessus.

22.  Le cas linguistique belge no. 2 (1968), Series A, No. 6; 1 EHRR 252.

23.   Thomas Hammarberg, « A School for Children with Rights », dans Innocenti Lectures, (UNICEF, Centre international de développement de l’enfant, Florence, 1997).

24.  Watkins, op. cit., 217.

25.  CDESC, Obligations des États, indicateurs et critère: le droit à l’éducation, Document d’information présenté par M. Paul Hunt, ONU Doc. E/C.12/1998/11/à 3 (16 juillet 1998).

26.  Ibid., 6.

27.  Kate Halvorsen, « Notes on the Realization of the Human Right to Education », Human Rights Quar­terly 12 (1990): 358-61. 

28.  Pour une discussion plus détaillée sur la conformité du droit à l’éducation au Nicaragua avec les subventions budgétaires, cf. Baard-Anders Andreassen and Theresa Swinehart, éds., Human Rights in Developing Countries Yearbook 1991 (Oslo: Nordic Human Rights Publica­tions, 1991), 281.


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