MODULE 9
OBLIGATIONS DES ÉTATS ET DES ACTEURS NON-ÉTATIQUES

Objet du Module 9

Ce module a pour objet de donner une vue d’ensemble sur la nature et l’étendue des obligations des États et des acteurs non-étatiques pour la promotion et protection des droits ESC.

Ce module

  • examine les obligations génériques de l’État de respecter, protéger et satisfaire les droits humains;
  • considère les obligation de conduite et de résultat;
  • analyse les obligations de l’État sous l’article 2(1) du PIDESC;
  • propose une série de points servant à examiner dans quelle mesure un État a bien rempli ses obligations par rapport aux droits ESC; et
  • discute de la responsabilité des parties privées.

Le concept d’obligation

Le PIDESC et les traités qui s’y rapportent apportent à l’individu et à la communauté une gamme de garanties relatives aux droits ESC.  Chacun de ces droits correspond à une obliga­tion de l’État.  Il est essentiel d’examiner la nature et l’étendue des obligations de l’État selon des normes internationales et nationales des droits humains afin de comprendre précisément ce que nous pouvons et ce que nous devrions attendre des États, et comment cela se traduit dans la garantie optimale de nos droits.

Prenons par exemple le droit à la nourriture.  Dans la région du Kalahandi, dans l’État de l’Orissa en Inde, il y a eu à plusieurs reprises, une année sur deux, des victimes de la famine parmi les familles de paysans sans terre.  Est-ce que ces victimes de la faim ont quelque chose à voir avec les droits humains?  La première réaction pourrait nous amener à faire réfé­rence au droit à la nourriture, et à dire que ces morts ont été causées par le manque d’accès à la nourriture et par conséquent qu’elles sont liées à la non mise en œuvre du droit à la nour­riture.  Alors, à qui la faute?  Est-ce la faute du manque de pluie ou du propriétaire terrien qui n’a pas employé les paysans?  Sinon, devrions-nous rejeter la faute sur les voisins qui n’ont pas porté secours à ces familles en détresse?

Les droits humains, comme tous les autres droits, sont basés sur la réciprocité.  Les deux parties consistent en un requérant d’un droit et une entité à laquelle il incombe de s’occuper de cette revendication.  Il est important d’identifier les bénéficiaires d’un droit et les obliga­tions corrélatives à cette entité qui répondraient à cette revendication.

Que penser du cas du Kalahandi?  La pluie ne peut avoir d’obligations.  Qui doit alors assurer le droit à la nourriture?  Des responsabilités morales sont peut-être à donner aux propriétaires terriens et aux voisins dans le village.  Cependant, les responsabilités morales ne sont pas suffisantes lorsqu’il s’agit des droits humains.

Les droits humains universels doivent être garantis par la loi, chose qui peut être accomplie seulement par les États.  C’est l’essence même des droits humains: ne pas établir d’éthique humaine, mais imposer des obligations aux États pour certaines normes minimums de conduite vis-à-vis des personnes vulnérables—et de tout le monde.

Comment donc pouvons-nous répondre à la question de savoir si les victimes de la faim dans le Kalahandi étaient liées à une violation du droit à la nourriture?  Il nous faut considérer les obligations de l’État en vertu du droit à la nourriture.  Les droits humains sont violés si les obligations de l’État corrélatives le sont aussi.  Quelles étaient les obligations qui incom­baient aux autorités compétentes indiennes dans la situation du Kalahandi?  Nous ne pouvons pas éviter une telle analyse si nous voulons rendre un jugement sur le droit à la nourriture, ou sur n’importe quel autre droit humain.  Il faut donc examiner les obligations de l’État en fonction des droits humains.

Les obligations génériques: respecter, protéger, satisfaire

Considérons n’importe quel droit humain—le droit à l’éducation, le droit d’avoir un procès juste ou le droit de ne pas être victime de la torture.  Les noms mêmes de ces droits identi­fient la norme que chacun reconnaît: avoir accès à l’éducation, avoir un procès juste, ne pas avoir à souffrir de la torture.  La norme reconnue par les droits humains décrit une certaine qualité de vie.  Une telle qualité de vie peut être appelée « sa norme des droits humains ».  En admettant cette norme, le droit humain reconnaît tout d’abord l’idée que tout le monde de­vrait jouir de cette norme à tout moment et que l’État a l’obligation de s’efforcer à garantir cette jouissance.  Qu’est-ce que cela veut dire?

Tout d’abord, les États ne doivent pas détruire cette norme.  Les autorités de l’État ne doivent pas empêcher les gens de s’éduquer, ne doivent pas tolérer de procès injustes, ne doivent pas torturer.  Une obligation de ce type est appelée une obligation de respecter la norme des droits humains ou en bref, « l’obligation de respecter ».  De telles obligations sont quelque­fois appelées obligations négatives, puisqu’elles dictent aux États ce qu’ils ne doivent pas faire: torturer les gens, détruire les opportunités d’éducation, mener des procès injustes.

Les obligations positives, d’un autre côté, obligent les États à ne pas être passifs, mais plutôt à agir.  Par rapport aux personnes qui profitent des normes de droits humains, les États doi­vent empêcher les tiers de détruire cette qualité de vie.  Les États doivent garantir qu’on n’empêche pas les enfants d’aller à l’école (par leur parents, par exemple).  Les États ont l’obligation d’empêcher que les juges soient corrompus par des tiers, pour favoriser un pro­cès injuste.  Les États doivent empêcher que des pères et des maris torturent leurs filles et leurs femmes.  Une obligation de cette nature, c’est une obligation qui protège les normes de droits humains, en bref c’est « l’obligation de protéger ».

 

Instaurer l'obligation de protéger
Jugement de la cour suprême indienne dans
l'affaire " bonded labour " (servitude pour dettes)

Une organisation indienne non-gouvernementale, le Bonded Labour Liberation Front, a écrit à la Cour suprême pour qu'elle intervienne au sujet des conditions inhumaines et intolérables des ouvriers qui travaillaient dans une carrière près de Delhi. La Cour a considéré la lettre comme une plainte puisque la constitution indienne autorise la Cour suprême à émettre des directives, des ordres et des assignations pour la mise en œuvre des droits fondamentaux accordés par la constitution indienne.

La cour nomma deux avocats pour se rendre à la carrière, s'assurer que les ouvriers travaillaient bien de leur plein gré, et enquêter sur leurs conditions de travail. Ces deux avocats ont soumis à la cour un rapport dans lequel ils confirmaient les allégations faites par l'organisation non-gouvernementale sur les conditions de vie intolérables des ouvriers. Le rapport a aussi révélé l'identité de quelques ouvriers que l'on forçait à travailler et qui n'étaient pas libres de chercher un autre emploi ailleurs ou de quitter la carrière.

Quand la pétition fut entendue, l'état concerné s'y est opposé en disant que même si les allégations dans la lettre étaient vraies, cela ne pouvait donner lieu à une assignation, puisqu'on ne pouvait pas dire qu'un droit fondamental avait été transgressé. La cour considéra que l'article 21, qui traite de l'un des droits fondamentaux inclus dans la Constitution, garantit le " droit de vivre " et y compris celui de vivre " avec dignité et sans être exploité ". La cour stipula que la plainte des ouvriers, d'après laquelle ils étaient asservis et vivaient dans la misère, était une preuve qu'un droit fondamental avait été violé. La cour affirma aussi que d'après l'article 256 de la Constitution, le pouvoir exécutif de chaque état devrait être exercé pour garantir que les lois émises par le parlement étaient bien en conformité avec d'autres lois. Dans ce cas-ci, le gouvernement devait donc garantir que les locataires ou entrepreneurs à qui il louait à bail ses mines pour l'exploitation de la carrière, respectaient les lois de protection sociale et du travail en vigueur pour le bénéfice des ouvriers; c'était une obligation constitutionnelle.1

Une question importante se rattache aux obligations positives.  Est-ce que les États sont tou­jours en mesure d’agir conformément à ces droits?  Est-ce qu’ils peuvent toujours empêcher les parents d’envoyer leurs enfants au travail au lieu de les envoyer à l’école?  Est-ce qu’ils peuvent toujours empêcher la corruption des juges ou la torture des femmes et des enfants?  Apparemment, non.  Cependant, les États peuvent punir les actes des tiers ou prendre d’autres précautions pour protéger les droits humains en question.  Par conséquent, nous avons besoin d’examiner quelques principes pour déterminer, dans une situation donnée, ce que l’on doit raisonnablement attendre de l’État en termes de protection.

Une autre obligation positive qui incombe aux États, est « l’obligation de satisfaire » les normes de droits humains.  Cette obligation exige de la part de l’État de prendre des mesures appropriées pour assurer que les normes de droits humains sont bien réalisées.  Les États doi­vent apporter des solutions lorsqu’il y a des procès corrompus.  Les États doivent garantir l’accès à l’éducation (publique ou privée).  Les États doivent intervenir dans des situations de torture pour y mettre un terme.  Cela ne signifie pas que les États doivent nécessairement accomplir ces services eux-mêmes.  L’accès à l’éducation n’est pas la seule responsabilité des écoles publiques.  Cependant, les États doivent rendre les ressources disponibles si né­cessaire, et ils doivent apporter des garanties légales pour ces groupes qui, autrement, sont privés d’un procès juste, d’éducation ou d’autres normes de base reconnus par les droits hu­mains.  Ainsi donc, les États doivent finalement être le dernier recours (en ce qui concerne les normes de droits humains) et maintenir une infrastructure correspondante.

Les principales caractéristiques des obligations des États pourraient être résumés ainsi: les États doivent respecter, protéger et satisfaire les normes de droits humains s’y rattachantOn appelle ces obligations: « obligations génériques ».

Obligations génériques

Exemple—le droit à une nourriture suffisante

Aspect du droit

Obligation de respecter

Obligation de protéger

Obligation de satisfaire

Accessibilité

Ne pas réduire l’accès actuel à la nourriture.

Ne pas laisser les au­tres empiéter sur cette jouissance (par exem­ple, les promo-teurs de terrains de golf).

Mettre en application des programmes pour garantir un plus large accès à la nourriture.

Contenu nutritionnel

Ne pas réduire les niveaux nutritionnels actuels.

Interdire la conta-mination du contenu nu­tritionnel et de la qualité de la nourri-ture (par exemple, les engrais toxiques).

Prendre des mesures pour accroître la quantité et améliorer la qualité de l’apport nutritionnel.

La non-discrimination

Un des aspects fondamentaux des obligations des États est celui de la non-discrimination.  Le principe de non-discrimination dans la mise en œuvre des droits humains met l’accent sur le fait que tout le monde a le droit de jouir des droits, quelle que soit sa couleur, son sexe, sa religion, son ethnie, ses origines sociales, sa nationalité, ses opinions politiques ou autres croyances, sa propriété, son lieu de naissance ou autre statut.  Le principe de non-discrimina­tion interdit de faire des distinctions, des exclusions, des restrictions et des limitations quand l’État remplit les obligations qui ne sont pas basés sur la nature de son obligation.

Les États sont obligés :

§         d’éliminer la discrimination en abolissant sans délai toutes les lois et règlements discri­minatoires;

§         d’éliminer la discrimination en s’abstenant de se livrer à des pratiques discriminatoi­res dans la mise en œuvre des lois, règlements et programmes.

Le concept de « réalisation progressive » (voir plus bas) ne s’applique pas aux clauses de non-discrimination et d’égalité.  L’obligation consiste à les garantir immédiatement et non progressivement.  Le principe de non-discrimination pour les femmes est particulièrement bien mis en évidence dans l’article 3 du PIDESC concernant la garantie de l’égalité des femmes et des hommes dans la jouissance de leurs droits.  Cette obligation comprend les me­sures anti-discriminatoires pour supprimer les circonstances qui contribuent à la discrimina­tion.

Le CDESC s’est conformé à la pratique selon laquelle la discrimination n’est pas limitée aux motifs spécifiés dans le Pacte mais comprend aussi la discrimination basée sur l’âge, l’état de santé ou l’invalidité.2  La clause de non-discrimination du Pacte inclut les pratiques discrimi­natoires des pouvoirs publics ainsi que des individus.

Obligation de conduite et obligation de résultat

Si l’on reprend l’exemple de famine dans le Kala­handi, quelle est l’obligation que l’État n’a pas rempli dans ce cas?  On pourrait répondre aisé­ment: en vertu du droit à la nourriture, les autorités indien­nes étaient obligées d’empêcher faim et malnutri­tion dans le Kalahandi, et comme elles y ont failli, l’Inde a violé le droit à la nourriture.  Tou­tefois, il est non seule­ment facile de donner cette réponse, mais de plus, c’est faux.  Aucun État dans le monde ne peut être contraint à accomplir quoi que ce soit (comme l’éradication de la fa­mine ou de la malnutrition) qu’il ne peut pas être en mesure de réaliser, quelles qu’en soient les raisons.  Pour parvenir à un procès juste et savoir si, dans ce cas, l’Inde a violé le droit à la nourri­ture, on doit déterminer si les gouver­nements fé­déraux et des États étaient en mesure d’empêcher la faim et la malnutrition dans cette situation. 

Une obligation qui dit « l’État doit aboutir au résultat X » est parfois ap­pelée une « obligation de résultat »; c’est-à-dire, l’obligation d’arriver à un résultat précis par la mise en œuvre ac­tive de politiques et de programmes.  On ne peut pas nécessairement re­jeter sur l’État en question la responsabilité de n’avoir pas obtenu de résultat X, et par consé­quent, en conclure qu’il s’agit d’une violation des droits humains.  En fait, certaines obligations de résultat peu­vent être de simples déclarations des programmes qui peuvent être politiquement importants pour les droits humains, mais qui ne contribuent pas à déterminer s’il s’agit d’une violation.

Ce qui nous aimerions vraiment, ce serait des obligations de cette nature: « l’État doit mettre en œuvre telle mesure » ou « l’État doit s’abstenir d’agir ».  On appelle ces obligations « code de conduite ».  Le code de conduite signifie qu’un État doit entreprendre une mesure spécifique (action ou abstention).  Par exemple, la mise en œuvre d’une loi qui interdit le tra­vail forcé est une action.  L’action ou la conduite doivent plutôt être spécifiques.  Si l’action est aussi indéterminée que « parvenir au résultat X », le code de conduite est une simple obli­gation de résultat.

Une analyse de la situation dans le Kalahandi commencerait, évidemment, par l’observation qu’un certain obligation du gouvernement indien selon le droit à la nourriture (à savoir, l’accès à la nourriture pour les indigents du Kalahandi) n’a pas été rempli.  Pour entreprendre une analyse des droits humains, cependant, nous devons considérer les obligations de conduite aussi précisément que possible.  Pour aboutir à un verdict sur les droits humains, il nous faut découvrir les actions spécifiques qui n’ont pas été prises par les autorités gouver­nementales, bien que ces actes fussent obligatoires d’après ce droit.  On aurait pu raisonna­blement s’attendre à ce que ces mesures aient été prises, et ce manquement a causé—ou n’a pas empêché—toutes ces morts de faim.  Est-ce qu’il existait des programmes de distribution de nourriture en cas de situations d’urgence?  Si la réponse est négative, alors pourquoi?  Si la réponse est positive, alors pourquoi ces victimes n’en ont-elles pas bénéficié?  Mais d’abord, pourquoi donc ces victimes étaient-elles si vulnérables?  Pourquoi n’avaient-elles pas un plus large accès à la terre et à l’eau?  Est-ce que le programme sur la réforme agraire avait été mis en œuvre?  Est-ce qu’il existait des programmes d’alimentation?  Se pourrait-il que les autorités locales conspiraient avec les propriétaires terriens afin de garder les paysans sans terre à l’écart des maigres ressources en eau qui subsistaient?  On doit trouver des preu­ves et tôt ou tard juger cette situation—comme avec n’importe quelles autres violations de droits humains?

Les concepts d’obligation de conduite et d’obligation de résultat constituent un outil efficace pour suivir la mise en œuvre des droits ESC. (Voir le module 19 pour plus de détails sur le suivi.)

L’obligation des États selon l’article 2(1) du PIDESC

L’obligation des États parties au PIDESC est contenue dans l’article 2(1).

Chacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans écono­mique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer pro­gressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives.

À première vue, cette obligation semble plutôt faible.  Mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que ce n’est pas le cas.  En fait, cette obligation est si forte qu’aucune disposition supplémentaire n’est nécessaire.

Beaucoup d’éléments contenus dans cette obligation ont besoin d’une explication.  Qu’est-ce qu’on entend par « le plein exercice» des droits?  Quel est le rôle joué par la disposition du « maximum de ses ressources disponibles »?  Que signifie « assurer progressivement »?  Quelles obligations internationales sont sous-entendues par cet article? 

La pleine réalisation des droits

Quel rôle doit jouer l’État pour s’assurer que les bénéficiaires font valoir leurs droits?  Que doivent faire les États pour permettre à une personne vulnérable de les contraindre à remplir leurs obligations?  La réponse est que l’État doit fournir à ces personnes vulnérables des ou­tils qu’elles puissent utiliser pour obliger un État à remplir ses obligations génériques.  Cette activité est appelée « exécution ».

Dans le cas du Kalahandi, le droit à l’alimentation est réalisé non pas grâce à un changement de temps qui épargne les récoltes, et qui donc apporte aux paysans tenaillés par la faim un travail et un salaire à la dernière minute, ni grâce à la distribution de colis de nourriture par des organisations humanitaires.  Le droit à la nourriture est mis en œuvre par les victimes et les groupes qui leur viennent en aide, par exemple, s’ils obtiennent un recours pour le dys­fonctionnement d’un magasin de rationnement qui aurait dû garantir l’approvisionnement en riz ou s’ils s’engagent dans un programme d’alimentation.  L’existence de magasins de ra­tionnement, de subventions alimentaires ou de transferts en cas de besoin, et les moyens pour les bénéficiaires d’aborder le dysfonctionnement de tels programmes font partie intégrante de la mise en œuvre par l’État en vertu du droit à la nourriture.  Les États doivent s’efforcer de garantir qu’il n’y a pas de lacune dans les programmes pour qu’ils puissent remplir leurs obligations génériques, protéger ou satisfaire, ce qui comprend aussi l’obligation de garantir que les victimes trouvent un recours efficace.  Ceci constituerait alors une situation de « pleine exécution ».  Par ailleurs, les États doivent être sûrs que ces programmes et les solu­tions apportées à leurs dysfonctionnements seront connus et accessibles à tous.  La connais­sance est peut-être l’outil le plus important de tous.  Sur la base de la mise en oeuvre com­plète, on peut espérer qu’une situation de pleine réalisation (par exemple, du droit à la nour­riture) sera un jour réalité.

Nous devrions aussi remarquer qu’il ne faut pas confondre la nature des mesures à prendre avec une forme particulière de gouvernement.  Le CDESC dans son Observation générale 3 a clarifié cette question ainsi:

. . . les États parties s’engagent « à agir . . . par tous les moyens appropriés, y com­pris en particulier l’adoption de mesures législatives » n’exige ni n’empêche qu’une forme particulière de gouvernement ou de système économique serve de véhicule aux mesures en question, à la seule condition qu’elle soit démocratique et que tous les droits de l’homme soient respectés. Ainsi, du point de vue des systèmes politiques ou économiques, le Pacte est neutre et l’on ne saurait valablement dire que ses principes reposent exclusivement sur la nécessité ou sur l’opportunité d’un système socialiste ou capitaliste, d’une économie mixte, planifiée ou libérale, ou d’une quelque autre conception. A cet égard, le Comité réaffirme que l’exercice des droits reconnus dans le Pacte est susceptible d’être assuré dans le cadre de systèmes économiques ou poli­tiques très divers . . .

La disposition du « maximum de ses ressources disponibles »

Personne ne peut être contraint à faire ce qui est au-delà de sa capacité; une obligation in­combe uniquement à un État s’il possède les ressources et l’infrastructure pour le remplir.  Qu’une obligation positive soit obligatoire peut par conséquent dépendre des ressources dis­ponibles.  Les États essaient assez souvent de se défendre des allégations de violer une obli­gation positive en revendiquant que cette obligation ne leur était pas opposable à cause d’un manque de ressources.

Un jugement portant sur de telles revendications exige une analyse des ressources disponi­bles.  La disponibilité des ressources est liée aux ressources de la société et pas seulement aux ressources dans le budget en cours.  Il est vrai que pour la majorité des États, le pouvoir exécutif est lié au budget rendu transparent par la législature.  De même, il est vrai que la lé­gislature, autant que l’exécutif, fait partie de l’État (séparation des pouvoirs) et par consé­quent doit observer les obligations des droits humains et la disposition concernant le maxi­mum des ressources disponibles.  Si une législature refuse à un gouvernement le budget né­cessaire pour remplir ses obligations, bien que ces ressources soient disponibles dans la société, ceci doit être considéré comme une violation des droits humains par la législature.

Qu’est-ce que cela veut dire dans une situation concrète?  Comment pouvons-nous détermi­ner si les États utilisent bien le maximum de ressources disponibles?  En fait, il faut faire une analyse au cas par cas.

Il est souvent aisé de remarquer les situations où le maximum de ressources disponibles n’a pas été exploité pour faire valoir les droits humains.  Si des États revendiquent que certaines obligations ne sont pas opposables à cause d’une pénurie de ressources, le fardeau de la preuve devrait peser sur l’État qui fait de telles revendications.

Le CDESC a reconnu l’importance des ressources pour satisfaire les normes de droits hu­mains, mais il ne considère pas que la disponibilité des ressources est une clause de sauve­garde.  Par exemple, il a affirmé que « dans les cas où un nombre significatif de personnes vit dans la pauvreté et souffre de faim, c’est à l’État de montrer que subvenir aux besoins de ces personnes était au-delà de son contrôle ».3

Le CDESC a analysé le concept des obligations essentielles minimum pour réfuter l’argument selon lequel la pénurie de ressources entrave la satisfaction des obligations.  Le comité a observé que chaque État a une obligation essentielle minimum de satisfaire les ni­veaux essentiels minimums de chacun des droits dans le Pacte.  Dans l’Observation générale 3, il a clarifié qu’un État partie

dans lequel, par exemple, nombreuses sont les personnes qui manquent de l’essentiel, qu’il s’agisse de nourriture, de soins de santé primaires, de logement ou d’enseigne­ment, est un État qui, à première vue, néglige les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte . . . Pour qu’un État partie puisse invoquer le manque de ressources lors­qu’il ne s’acquitte même pas de ses obligations fondamentales minimum, il doit dé­montrer qu’aucun effort n’a été épargné pour utiliser toutes les ressources qui sont à sa disposition en vue de remplir, à titre prioritaire, ces obligations minimum.

Le CDESC a démontré que même si « les ressources disponibles sont insuffisantes, l’obliga­tion demeure, pour un État partie, de s’efforcer d’assurer la jouissance la plus large possible des droits pertinents dans les circonstances qui lui sont propres ».4  Par ailleurs, le comité a affirmé que, « même en temps de grave pénurie de ressources . . . les éléments vulnérables de la société peuvent et doivent être protégés grâce à la mise en oeuvre de programmes spécifi­ques relativement peu coûteux ».5

La réalisation progressive des droits

On admet normalement que, parce qu’on exige des ressources pour faire valoir les droits ESC, on ne peut pas les mettre en œuvre immédiatement.  Cependant, le CDESC a affirmé:

Néanmoins, le fait que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit une démarche qui s’inscrit dans le temps, autrement dit progres­sive, ne saurait être interprété d’une manière qui priverait l’obligation en question de tout contenu effectif. D’une part, cette clause permet de sauvegarder la souplesse né­cessaire, compte tenu des réalités du monde et des difficultés que rencontre tout pays qui s’efforce d’assurer le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels; d’autre part, elle doit être interprétée à la lumière de l’objectif global, et à vrai dire de la raison d’être du Pacte, qui est de fixer aux États parties des obligations claires en ce qui concerne le plein exercice des droits en question. Ainsi, cette clause impose l’obligation d’œuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible pour attein­dre cet objectif.6

Le CDESC a exprimé clairement que « réalisation progressive » n’est pas une clause de sau­vegarde.  Il a aussi conclu que « réalisation progressive » comprend non seulement des amé­liorations continuelles, mais aussi l’obligation de prévenir les régressions.  Le comité a af­firmé que « toute mesure délibérément régressive dans ce domaine doit impérativement être examinée avec le plus grand soin, et pleinement justifiée par référence à la totalité des droits sur lesquels porte le Pacte, et ce en faisant usage de toutes les ressources disponibles ».7

Les obligations internationales

L’article 2(1) du PIDESC mentionne explicitement « l’assistance et la coopération interna­tionales ».  Cela soulève la question des obligations internationales pour les droits humains.  Dans le contexte actuel de globalisation où le rôle de l’État est de plus en plus réduit, les obligations internationales prennent encore plus d’importance.  Quelques États nations ont de plus en plus de difficultés à remplir leurs obligations de protéger et de faire valoir les normes de droits ESC.  Une des raisons est le fait que cer­tains des tiers les plus importants (comme les affai­res ou la finance transna­tionales) agissent en dehors du cadre réglementaire des économies nationales.  La communauté des États n’est, jusqu’ici, pas par­venue à réguler l’économie mondiale avec le sys­tème juridique de protection des droits ESC.  La ré­glementation actuelle mise en place par les traités inter­nationaux et le développement des institutions est large­ment adaptée aux intérêts de ces mêmes tiers qu’il faudrait réglementer.

Le CDESC dans ses Observations générales a étudié quel­ques aspects de l’assistance et de la coopération internatio­nales sous l’article 2(1).  Il a clarifié que « en vertu des Arti­cles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, des principes confirmés du droit international et des dis­positions du Pacte lui-même, la coopération internationale pour le développe­ment et, partant, pour l’exercice des droits économiques, so­ciaux et culturels est une obligation qui incombe à tous les États. Elle incombe tout particulièrement aux États qui sont en mesure d’aider les autres États à cet égard ».8

Si l’on considère le respect des droits humains dans le contexte de programmes de dévelop­pement, le comité a affirmé qu’il y avait deux principes généraux.

Tout d’abord, les deux groupes de droits sont indivisibles et interdépendants. Tout ef­fort visant à promouvoir l’un doit tenir pleinement compte de l’autre . . . Dans un sens négatif, ce principe signifie que les organismes internationaux doivent éviter soigneu­sement d’appuyer des projets qui supposent, par exemple, le recours au travail forcé . . . ou entraînent des expulsions ou déplacements massifs, sans mesures appropriées de protection et d’indemnisation9. . . Le deuxième principe général est que les acti­vités de coopération pour le développement ne contribuent pas automatiquement à promouvoir le respect des droits économiques, sociaux et culturels. Un grand nombre d’activités entreprises au nom du “développement” se sont révélées par la suite mal conçues ou même néfastes du point de vue des droits de l’homme. Pour que ces pro­blèmes se posent moins souvent, il faudrait, dans la mesure du possible et selon les besoins, examiner en détail et soigneusement toute la série des questions faisant l’ob­jet du Pacte.10

Conclusions sur les obligations des États

En résumé: Quelles sont les étapes impliquées dans l’application d’une perspective basée sur les droits pour déterminer la non-jouissance des droits ESC?  Puisque les violations des droits humains sont définies comme des infractions aux obligations de l’État, notre analyse sur les droits humains doit identifier et comprendre quelles obligations sont impliquées.

La suite est une suggestion de démarches pour appliquer une approche de droits humains pour examiner la violation des droits ESC.

§         La première étape est de considérer la norme de droits humains spécifique.  Si ce stan­dard est absent ou sévèrement menacé, cela peut déclencher une enquête sur les obligations de l’État concerné.  Au Kalahandi, la preuve de la faim a été faite, c’est-à-dire l’absence d’accès à la nourriture.

§         La seconde étape consiste à se demander pourquoi ces gens souffrent de la faim.  Quel a été le rôle des autorités dans tout ceci?  Y a t-il eu une faute directement res­ponsable de la mort des paysans?

§         Dans cette troisième étape, nous essayons de déterminer si les obligations en question sont destinées à être respectées, protégées ou satisfaites.  Est-ce que la police a chassé ces gens de leur terre (obligation de respecter)?  Est-ce que les propriétaires terriens les ont privés de leurs terres, eau ou récolte?  Est-ce que les pouvoirs publics auraient pu les en empêcher (obligation de protéger)?  Est-ce que les systèmes de distribution publics ou les programmes d’alimentation existent aussi pour les groupes vulnéra­bles?  Si tel est le cas, pourquoi ces gens tenaillés par la faim n’y ont-ils pas accédé?  N’étaient-ils pas accessibles (obligation de satisfaire)?

§         Dans la quatrième étape, si nous suspectons une infraction des obligations de protéger ou satisfaire, nous devons vérifier les obligations pour voir si cette obligation incom­bait au Kalahandi.  Par exemple, nous devrions examiner la raison pour laquelle il n’y avait pas de système de distribution public.  Etait-ce à cause d’une pénurie de res­sources?  Etait-ce justifié ou non?

S’il n’y avait pas assez d’argent disponible pour venir en aide aux victimes du Kala­handi, peut-être y en avait-il assez pour aider les autres paysans de la région dans une situation similaire.  Nous devrions examiner si la discrimination existe.  Par exemple, est-ce que les victimes du Kalahandi sont des dalits (intouchables) ou des tribus?

Le fardeau de la preuve du manque de fond pèse sur l’État indien.  Cependant, notre analyse devrait néanmoins apporter une compréhension claire de la situation générale sur la disponibilité des fonds et de l’infrastructure.  Y avait-il des défauts d’infrastructures dans la mise en place de programmes destinés à satisfaire l’accès à la nourriture qui n’auraient pas pu être prêts en un temps raisonnable?

§         Si la réponse est négative, nous devons identifier, dans la cinquième étape qui, au ser­vice de l’État, a échoué à mettre en œuvre les programmes et systèmes actuels, en fonction des obligations de l’État.

Ainsi, nous pouvons reconnaître une violation d’une obligation en vertu du droit à la nourri­ture, grâce à suffisamment de preuves.  Nous devrions être capables d’identifier l’autorité ou la personne responsable.  Une telle analyse des obligations est nécessaire avant de tirer des conclusions sur l’étendue de la jouissance ou de la non-jouissance des droits ESC.

 

Note d'avertissement de la part des activistes

Ces dernières années, un certain nombre d'activistes a montré qu'il y avait un défaut potentiel dans la traditionnelle orientation philosophique des droits ESC: les états sont détenteurs d'obligations et les individus sont les bénéficiaires des droits. Ils ont mis en évidence qu'il est essentiel de reconnaître qu'il y a une relation dialectique entre les obligations placés au niveau des états et les revendications avancées par ceux qui sentent que leurs droits ont été violés. Ceux qui revendiquent les droits ne sont pas simplement des " bénéficiaires " des droits prédéfinis. Ils jouent un rôle clé dans la définition du contenu des droits. Il est important de reconnaître que les requérants ont dû souvent livrer bataille pour gagner la reconnaissance de droits spécifiques, et ils ont souvent dû se démener pour introduire les procédures qui peuvent faire valoir leurs droits. Cette bataille reste un point central dans les plaidoyers en faveur des droits ESC.

 

Les obligations des acteurs non-étatiques

Une orientation trop centrée sur l’État ne peut pas tenir compte du contexte variable, sur le plan à la fois national et international, où les acteurs non-étatiques, comme les corporations, les groupes intégristes et les groupes armés, ont de plus en plus d’impact sur la jouissance des droits ESC.  L’histoire de la loi des droits humains nous apprend que les droits humains étaient faits pour protéger l’individu contre une utilisation excessive du pouvoir de l’État.  Les conventions et les traités clés disent clairement que seuls les États ont les obligations des droits humains.  Le PIDESC, par exemple, affirme, « chaque État affilié au Pacte actuel en­treprend des mesures . . . ».  La loi internationale sur les droits humains n’oblige donc pas les acteurs privés (que ce soit des corporations ou autres) à agir de telle ou telle manière, et donc, ils ne peuvent pas être amenés à rendre compte de leurs actions en vertu de la loi sur les droits humains.  Alors, comment les activistes peuvent-ils faire valoir l’impact négatif sur les droits ESC des activités d’acteurs privés?

Il est important de rappeler que les obligations des acteurs non-gouvernementaux d’après la loi nationale peuvent différer lorsqu’ils dépendent de la loi internationale.  La section 8 de la constitution sud-africaine, par exemple, situe des obligations des droits humains spécifiques sur les individus.  Il faut étudier les possibilités existantes d’après la loi nationale pour obli­ger les acteurs non-gouvernementaux à s’expliquer.

 

Il y a aussi des exceptions à la règle générale selon laquelle la loi internationale des droits humains n’est pas applicable aux acteurs du secteur privé:

 
Les actions du secteur privé et les droits humains nationaux et internationaux
L'exemple du Canada

Au Canada (et ailleurs), les propriétaires qui " exigent un revenu minimum " pour écarter les ménages à faible revenu est la cause principale des sans-abri, surtout parmi les familles pauvres avec des enfants à charge. Le Centre for Equality Rights in Accommodation (CERA), ainsi que d'autres groupes et organisations, ont contesté ces mesures qu'ils considéraient comme une forme de discrimination selon la législation nationale des droits humains. Les propriétaires et les banques ont versé presque un million de dollars pour défendre le " droit des entreprises " de refuser les pauvres considérés comme " des clients à risque ".

En même temps qu'elles ont lancé ce défi national, les ONG canadiennes ont porté cette question devant le CDESC. Le comité a identifié la discrimination basée sur le revenu pour obtenir un logement comme un problème sérieux au Canada, ce qui exige une meilleure protection des droits au logement. Scott Leckie du Centre on Housing Rights and Evictions a été convoqué devant le tribunal national des droits humains pour témoigner en tant qu'expert et l'informer sur ses responsabilités dans l'interprétation de la législation canadienne des droits humains conformément au Pacte et aux directives du CDESC.

Le tribunal s'est prononcé en faveur des requérants. La décision, sujet largement médiatisé à travers tout le Canada, a établi que les propriétaires violaient la législation nationale des droits humains lorsqu'ils font de la discrimination contre les pauvres. Cela a été vécu comme une victoire cruciale pour les pauvres, en partie parce qu'ils tenaient pour responsables les propriétaires d'entreprises, des banques et d'autres acteurs du secteur privé, des pratiques discriminatoires qui génèrent des sans-abri. (Les propriétaires, par la suite ont fait appel.)

La contestation de la discrimination contre les indigents qu'exercent les acteurs du secteur privé continuera à être une partie importante de la lutte pour les droits ESC dans les années à venir dans un certain nombre de pays.

1.      Alors que les corporations sont généralement considérées comme des acteurs non-étati­ques, celles qui appartiennent à l’État sont considérées comme partie intégrante de l’État.  Leurs employés et elles-mêmes se trouvent soumises aux mêmes obligations de droits humains que l’État.  Le critère pour déterminer quand une société fait partie de l’État dé­pend de la juridiction en question.

2.    Dans des États comme l’Inde, la Cour suprême a placé les obligations concernant les droits humains sur les acteurs non-étatiques.  Dans un cas, par exemple, où il s’agissait de savoir si les docteurs pouvaient refuser de traiter des patients, la cour a jugé que le droit à la vie voulait dire que chaque docteur, y compris ceux qui ne travaillent pas pour l’État, « avait l’obligation professionnelle procurer ses services pour protéger la vie. »11 De ma­nière encore plus pertinente peut-être, dans une affaire relative à la prévention des mala­dies du travail, un tribunal a décidé qu’il pouvait

. . . donner les directives appropriées à l’employeur, faire en sorte que l’État ou ses actions ou l’employeur privé rendent tout son sens au droit à la vie; empêcher toute pollution du lieu de travail; protéger l’environnement; protéger la santé des ouvriers ou préserver l’accès gratuit à l’eau potable pour la sécurité et la santé des gens.12

3.      Il y a certains traités—comme la Convention sur le génocide et le traité qui régule la nou­velle Cour pénale internationale—qui placent les obligations des droits humains sur les individus.  Lors d’une affaire récente aux États-Unis, un tribunal de grande instance a jugé que tout individu privé violait la loi des droits humains en « participant au com­merce des esclaves ».  Ce jugement (actuellement en appel) a confirmé que la société américaine, Unocal, pourrait être jugée comme une corporation privée ayant violé la loi sur les droits humains par ses pratiques de travail forcé en Birmanie.13  (Voir l’encadré sur la page suivante pour plus de détails sur cette affaire.)

Alors que la règle générale est donc que les acteurs non-étatiques (y compris les sociétés) ne peuvent pas commettre de violations des droits humains, la loi sur les droits humains oblige les États à contrôler la conduite des acteurs non-gouvernementaux, y compris les corpora­tions, pour garantir qu’ils ne commettent pas d’abus au niveau des droits humains.  Cela fait partie de l’obligation de protéger, abordé dans la première partie de ce module.

Dans le contexte des droits civils et politiques, cette obligation, par exemple, exige que l’État établisse une force de police efficace et un système de justice pénale.  Si l’État autorise la violence contre les individus sans impunité, alors il peut avoir violé ses obligations de garan­tir le droit à la vie.  L’État n’est pas tenu responsable des actions des acteurs non-gouverne­mentaux, mais il est responsable de ne pas avoir pris de mesures pour les empêcher de violer les droits des autres.

L’obligation de l’État par rapport aux acteurs non-gouvernementaux a le plus souvent été discuté dans la littérature sur les droits humains sous l’angle de l’échec de l’État à faire des enquêtes et à poursuivre en justice les hommes qui commettent des actes de violence contre les femmes.  Un commentateur légal explique:

Une raison donnée . . . est qu’on ne considère pas les atrocités commises à l’encontre des femmes comme des violations des droits humains, politiquement et légalement, c’est qu’elles n’impliquent pas l’État.  Elles se produisent entre des acteurs non-étati­ques, dans la société civile, de manière inconsciente, inorganisée, non systématique, indirecte et non-programmée.  Elles ne se produisent pas à cause de la politique de l’État . . .

Les abus commis à l’encontre des femmes ne sont pas officiels.  Mais la dissimula­tion, la légitimité et la légalisation des abus existent.  Ils sont commis en toute impu­nité officielle et dans une indifférence légalisée.  Les abus sont systématiques et connus, la désobéissance est officielle et organisée, et la tolérance gouvernementale est une question de politique . . . Il nous faut regarder les lois qui ne sont pas appli­quées; celles qui existent mais qui ne sont jamais utilisées, comme la loi contre la violence physique . . .14

 

Doe contre Unocal Corp.15
Utilisation des droits interne et international

En 1997, une coalition d'avocats des droits humains a établi le droit selon la loi américaine de poursuivre en justice les corporations multinationales pour leur participation à certains types de violations des droits humains dans les pays étrangers. Un juge d'un tribunal de grande instance américain a décidé que les victimes du travail forcé et autres importantes violations de droits humains en Birmanie pouvaient engager des poursuites contre Unocal Corp. pour sa participation aux côtés du gouvernement militaire birman à un projet de construction d'un pipeline de pétrole, qui a contraint les citoyens birmans à travailler et à subir des atrocités.

Cette affaire a été lancée en vertu du U.S. Alien Tort Statute qui autorise les cours fédérales américaines d'entendre les revendications des citoyens des autres pays sur les violations de la loi internationale. Unocal a soutenu que la loi internationale s'appliquait seulement aux gouvernements. Le juge a remarqué, cependant, que Unocal était soupçonnée d'avoir agi sous l'autorité gouvernementale. Il a aussi rejeté la défense d'Unocal en mettant en évidence que le commerce des esclaves était considéré comme une violation de la loi internationale, qu'elle soit engagée par le gouvernement ou les individus.

Le jugement de la cour selon lequel le travail forcé est passible de poursuites en vertu de la loi internationale, qu'il soit pratiqué par un gouvernement ou par un individu, pourrait autoriser les tribunaux aux États-Unis de s'attaquer aux questions relatives, par exemple, aux usines où les ouvriers sont exploités dans les autres pays. Cela offre aussi la possibilité de préserver les moyens de recours pour les victimes lorsque les contrevenants gouvernementaux eux-mêmes sont difficilement attaquables en justice.

Cette analyse est clé dans l’estimation de la manière dont l’État peut violer les obligations des droits politiques et civils—surtout par rapport au droit de vivre—dans le contexte des ac­tivités des acteurs non-étatiques.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a considéré l’étendue de l’obligation de l’État en fonction des actes de violences commis par les acteurs non-gouvernementaux, qui pour­raient inclure les corporations.  Le tribunal a stipulé dans l’affaire Velasquez Rodriguez (qui a une autorité convaincante dans d’autres juridictions):

(L’obligation de garantir l’exercice libre et intégral des droits de la Convention) implique l’obligation des États d’organiser l’appareil gouvernemental et en gé­néral, toutes les structures par lesquelles le pouvoir public est exercé, pour qu’ils soient capables d’assurer juridiquement la libre et pleine jouissance des droits humains.  En conséquence de cette obligation, les États doivent empêcher, en­quêter, et punir toute violation des droits reconnus par la Convention, et de plus, si cela est possible, essayer de rétablir les droits violés et apporter une compensa­tion sous forme de garantie pour les dommages résultant de la violation . . .

Un acte illégal qui viole les droits humains et qui n’est au départ pas attribué di­rectement à l’État (par exemple, s’il s’agit de l’acte d’un individu ou si la per­sonne responsable n’a pas été identifiée) peut conduire à une responsabilité in­ternationale de l’État, non à cause de l’acte même, mais à cause du manque de diligence pour empêcher la violation ou pour y répondre comme l’exige la Convention.

Dans certaines circonstances, il peut être difficile d’examiner les actes qui violent les droits d’un individu.  L’obligation de mener une enquête, tout comme l’obligation d’empêcher, n’est pas violée parce que l’enquête n’apporte pas de résultat satisfaisant.  Néanmoins, elle doit être entreprise de manière sé­rieuse . . . là où les actes des individus sont aidés, dans un sens, par le gouverne­ment, l’État est ainsi rendu responsable sur la scène internationale.16

Plus récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé de l’étendue des obliga­tions de l’État par rapport à la protection du droit de vivre.  L’affaire Osman 1 dans laquelle un professeur s’était attaché de manière maladive à un élève de son école, et qui a fini par tuer le père de l’enfant.  La question débattue devant la cour était de savoir si l’État avait suf­fisamment agi par rapport à ses obligations en vertu du droit de vivre.  La cour décida:

Il est courant que les obligations de l’État . . . s’étendent au-delà de son obligation primaire de préserver le droit de vivre en mettant en place des dispositions efficaces de loi pénale pour dissuader les violations contre les personnes, et de soutenir ces dis­positions à l’aide d’un appareil de répression pour empêcher et sanctionner les infrac­tions de telles dispositions . . .

Lorsqu’il y a une allégation selon laquelle les autorités ont violé leur obligation posi­tive de protéger le droit de vivre dans le contexte de leur obligation mentionné ci-des­sus pour empêcher et supprimer les délits contre l’individu, il doit être établi à sa sa­tisfaction que les autorités étaient alors conscientes ou auraient dû être conscientes, à ce moment là, de l’existence d’un risque réel et immédiat, dû  aux actes criminels d’un tiers, qui mettrait en péril la vie d’un individu identifié ou celle des individus. Il doit aussi être établi qu’elles ont échoué dans la prise de mesures qui auraient pu permettre d’éviter ce risque.17

Bien que cela implique le droit de vivre (un droit civil et politique), sa violation peut se poser dans le contexte des droits ESC.  L’interconnexion des deux n’est jamais plus évidente que par rapport aux activités des corporations.  La privation du droit de vivre par les corporations, par exemple, a lieu quand une personne essaie d’exercer son droit sur des conditions de tra­vail sans danger (PIDESC, art. 7) ou son droit à la santé de l’environnement (PIDESC, art. 12).

L’obligation de l’État de protéger les droits civils et politiques s’applique aussi à ses obliga­tions au niveau des droits ESC.  Le CDESC accepte que la responsabilité de l’État s’étende non seulement aux actions ou aux agents de l’État, mais aussi aux acteurs non-gouverne­mentaux que l’État contrôle ou devrait contrôler.  En 1993, le comité, par exemple, a fait ce commentaire par rapport aux conséquences des fatwas (décrets religieux) sur la liberté créa­tive:

Alors que l’appréciation des fatwas est faite par les autorités religieuses et non par les organisations de l’État, la question de la responsabilité de l’État apparaît clairement dans les circonstances où l’État ne prend aucune mesure pour supprimer les menaces claires aux droits applicables en Iran, en conséquence de sa ratification au Pacte.18

L’application aux actions des acteurs du secteur privé de cet État qui a l’ « obligation de protection » est analysée plus amplement dans le Module 25 sur les corporations.

L’Observation générale 3 du CDESC, La nature des obligations des États parties, suit ce module.

Auteurs: Rolf Künnemann est l’auteur de la première partie de ce module sur les obligations des États.  David Bergman est l’auteur principal de la seconde partie portant sur les acteurs non-gouvernementaux. 

NOTES


 1.   Bandhua Mukti Morcha v. Union of India and others.  Extrait de ICJ Review, 36 (Juin 1986)

2 . Matthew C.R. Craven, The International Covenant on Economic, Social, and Cultural Rights: A Perspective on Its Development (Oxford: Clarendon Press, 1995), 170.

. Ibid.

. CDESC, Observation générale 3, La nature des obligations des états parties (art. 2[1], du Pacte) (5ème Sess., 1990), ONU Doc. E/1991/23 (1991).

. Ibid., para. 11.

. Ibid., para. 9.

. Ibid.

. Ibid., para.14.

. CDESC, Observation générale 2, Mesures internationales d’assistance technique (art. 22 du Pacte) (4ème Sess., 1990), ONU Doc. E/1990/23 (1990).

10. Ibid., para.7

11. Pt Parmanand Katara v. Union of India, 4 Sup.Ct.Cases 286 (1989).

12. Consumer Education & Research Center v. Union of India.  AIR 922 (1995).

13. John Doe I et al. v. Unocal Corporation, Myanmar Oil and Gas Enterprise et al. United States District Court, General Dist.of California, Affaire No. Cv 96-6959-RAP.

14. Catherine Mackinnon, « Torture: A Feminist Perspective on Human Rights », in Human Rights in the Twenty First Century, éds. Kathleen E.Mahoney and Paul Mahoney (Boston: M. Nijhoff, 1993)

15. Dilan Esper, « Doe v. Unocal Case Establishes Rights to Sue Private Corporations for Interna­tional Human Rights Violations »,  International Civil Liberties Report (May 1998): 58-60.

16. Cour interaméricaine des droits de l’homme, 1998, Ser.C, No. 4, 9 Hum.Rts. L.J. 212

17. Osman v. United Kingdom, Case No. 87/1997/871/1083, Reports 1998-VIII, Cour européenne (28 Octobre 1998).

18. CDESC, Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels: Républ­que islamique d’Iran, ONU Doc. E/C.12/1993/7 (1993).


Droits résérves