Objet du module
8
- Ce module a pour
objet de clarifier le processus de
définition du contenu des droits ESC.
- Ce module
- donne
une définition du « contenu essentiel »
et du « contenu essentiel minimum
» des droits;
- examine le débat
actuel sur le contenu essentiel et
le contenu essentiel minimum; et
- illustre
avec lexemple dune ONGle
Programme vénézuélien pour les droits
humains, léducation et laction
(Provea)la manière dont cette
organisation sy est prise pour
définir le contenu essentiel du droit
à la santé. Il montre aussi comment
cette définition concorde avec lensemble
de son travail sur les droits ESC
et comment elle a contribué à
lapprofondir.
Pourquoi définir les
droits?
Du point
de vue historique, la formulation vague
et imprécise des droits ESC reste lun
des obstacles fondamentaux à lapprofondissement
de leur contenu et à lélaboration
dun cadre pour laction qui
permettrait leur progressive réalisation.
La conséquence de ce relatif manque
dattention à légard des
droits ESC au cours de ces dernières
décennies (à lexception notable
des droits du travail) est que le contenu
et le sens de la majorité des droits
ESC demeurent relativement mal définis.
Ce manque de clarté
du contenu est souvent exploité pour
ne pas reconnaître cet ensemble de droits
comme des droits proprement dits. Mais
ce qui nest pas reconnu ou admis
dans de telles situations, cest
quune plus grande précision au
niveau du contenu de divers droits civils
et politiques a été apportée au cours
des décennies et souvent des siècles,
à la suite de nombreuses discussions
publiques, débats législatifs et décisions
de justice. Plus récemment, par exemple,
les garanties apportées par larticle
7 du Pacte international relatif au
droits civils et politiques (PIDCP),
ont généré dinterminables débats
sur ce qui oppose la « torture »
à « peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ». Le
résultat de ces diverses discussions
a permis dapporter une plus grande
clarté sur ce que constitue exactement
cette atroce violation appelée torture.
Les activistes
qui uvrent pour faire avancer
les droits ESC peuvent donc se retrouver
impliqués dans cette tentative qui
consiste à définir le contenu de ces
droits. Parce que le contenu dérive
du droit lui-même, la composante essentielle
pour comprendre et définir le contenu
des droits est létude des normes
et des documents internationaux, des
constitutions nationales, ainsi que
les interprétations et les analyses
de ces documents.1
Le Comité des droits économiques, sociaux
et culturels (CDESC), par exemple, a
promulgué un certain nombre de Observations
générales très importantes relatives
aux droits spécifiques, essentiels pour
les activistes dans cette tâche. (Voir
le module 3 pour plus de détails sur
les Observations générales.) Quand
ils représentent un client ou quils
mènent une enquête, les activistes et
les organisations doivent souvent entreprendre
une étude ou une compilation des documents
existants, tels que les Observations
générales, et rechercher les thèmes
qui sy rattachent pour parvenir
à mieux élaborer et à mieux comprendre
les normes spécifiques, pour pouvoir
discuter de lapplication de ces
normes à un cas particulier. Leurs
arguments, à leur tour, peuvent servir
de référence à un tribunal qui doit
prendre une décision demandant des paramètres
et des dimensions plus précis du droit
spécifique. Cela peut être un processus
difficile, complexe et long, mais il
est essentiel à une compréhension plus
précise et à une meilleure protection
des droits ESC sur le plan national
et international.
Contenu essentiel et
contenu essentiel minimum
Le CDESC, responsable
de la surveillance et du suivi de la
mise en application du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels (PIDESC), a dû faire face
au même dilemme. En tenant compte des
rapports rédigés par les États parties
sur leur mise en uvre des garanties
dans le PIDESC, comment allait faire
le comité pour déterminer si un État
était bien en conformité avec ces garanties?
En abordant cette question, le comité
a établi une distinction conceptuelle
que les activistes devraient connaître,
même sils ne sen servent
pas actuellement dans leur travail.
Daprès
le 25ème principe de Limburg,
les États parties du Pacte doivent « garantir
le respect des droits minimums de survie
pour tous », quelles que soient
les ressources disponibles.2
Cependant, cette obligation est inefficace
dans la mesure où il nexiste aucune
norme qui constitue ce degré minimum
dobservance. Le comité a conçu
un outil pour déterminer une « approche
du seuil minimum », grâce auquel
certaines normes minimums devraient
être appliquées par tous les États,
quelle que soit leur situation économique.
Cette approche apparaît clairement dans
lObservation générale 3 du comité
(voir pp. 183-86). En adoptant
cette approche, le comité a cru pouvoir
éviter le problème posé par la mesure
des progrès par rapport aux ressources
disponibles, par la spéculation sur
lexistence dautres règles
ou par la preuve de la responsabilité
de lÉtat. Dans les cas où un
nombre non négligeable de personnes
vit dans la pauvreté et souffre de faim,
cest à lÉtat de montrer
que son échec à venir en aide à ces
personnes est au-delà de son contrôle.3
Le « contenu
essentiel » dun droit humain
fait référence à lensemble de
garanties qui constituent ce droit.
Le contenu essentiel dun droit
ESC a à la fois des caractéristiques
« universelles » et « uniques ».
Les caractéristiques universelles sont
celles qui sappliquent à tous
les droits. La non-discrimination en
fait partie. Par ailleurs, certaines
composantes du contenu essentiel de
chaque droit ESC concernent uniquement
le droit spécifique. Par exemple, laccès
à « limmunisation contre
les maladies épidémiques et endémiques »
est un élément clé du contenu essentiel
du droit à la santé, mais il nest
pas applicable aux autres droits.4
Le « contenu
essentiel minimum » dun droit
est la limite de base impondérable qui
doit être garantie pour tout le monde
dans tous les contextes. Cest
le seuil minimum sous lequel aucun
gouvernement ne devrait agir, même en
contextes défavorables. Certains éléments
du contenu essentiel peuvent être restreints
dans des circonstances particulières,
mais le contenu essentiel minimum définit
un niveau élémentaire permettant à tous
les gouvernements dagir.
Il est utile de
rappeler que les concepts de contenu
essentiel et de contenu essentiel minimum
ne concernent pas uniquement les droits
ESC. On peut trouver dans le droit
à la liberté en cas de détention arbitraire
un exemple de contenu essentiel minimum
dans le domaine des droits civils et
politiques. Une composante du contenu
essentiel de ce droit concerne le mandat
darrêt qui doit être obtenu par
lÉtat et présenté à lindividu
en question. Un autre élément du contenu
essentiel concerne le cas où un individu
est détenu, il ne peut pas le rester
pendant une période indéfinie. En cas
détat durgence où les garanties
constitutionnelles sont suspendues,
un individu peut être détenu sans mandat
darrêt. Cependant, même dans
cette situation, il ne peut pas être
emprisonné indéfiniment. Puisque le
besoin dun mandat darrêt
peut être suspendu, on ne considèrerait
pas que cet élément fait partie du contenu
essentiel minimum du droit à la liberté
en cas de détention arbitraire. Mais
comme un individu ne peut pas être détenu
indéfiniment, même lors dun état
durgence, cette garantie serait
un élément du contenu essentiel minimum.
Tableau
définissant les droits et obligations
Exemplele droit
à la santé
Concept
|
Définition
|
Exemple
|
Contenu
essentiel dun droit
|
Les attributs individuels spéci-fiques qui
composent un droit.
|
Dans le domaine de la santé, le droit à limmunisation
con-tre des maladies épidémiques
ou endémiques évitables.
|
Obligation
de lÉtat
|
Les responsabilités de lÉtat de respecter,
protéger, pro-mouvoir et satisfaire
les droits.
|
LÉtat
doit élaborer des politiques
et des programmes pour remplir
ses obligations. Dans le cas
du droit à la santé, il sagit
des politiques et programmes de
promotion, prévention, traitement
et réhabilitation.
|
Obligation
de conduite
|
Obligation dentreprendre des mesures
spécifiques (actions ou abstentions).
|
Par exemple, développer les campagnes dimmunisation.
|
Obligation
de résultat
|
Obligation daboutir à un résultat particulier.
|
Réduire la mortalité due aux maladies épidémiques
et endé-miques.
|
L'expérience
de Provea dans la définition
du contenu minimum du droit à
la santé
Provea est une ONG vénézuélienne
qui depuis 1992 promeut le droit
à la santé, son
domaine principal, dans le contexte
plus large des droits ESC où
ses efforts participent à
leur promotion. Pour améliorer
sa capacité de promouvoir
et d'éduquer, ainsi que
sa politique et ses plaidoiries,
Provea a décidé
d'entreprendre un projet de recherche
systématique sur le droit
à la santé.
La première étape
a consisté à faire
des recherches bibliographiques
approfondies sur le droit à
la santé. La majorité
des sources traitait des aspects
spécifiques du droit ou
en parlait d'une manière
générale ou introductive.
Trouvant qu'il n'y avait pas assez
de documents définissant
le droit à la santé,
Provea a tenté de dessiner
un cadre général
conceptuel pour protéger
le droit à la santé.
Elle voulait développer
une perspective internationale
tout en tenant compte des réalités
législatives et politiques
du Vénézuéla.
Dans ce but, les instruments internationaux
et les dispositions nationales
pour protéger ce droit
ont été étudiés.
Plus de quarante organisations
et personnalités, du Vénézuéla
et du reste du monde, ont participé
à cette étude.
Au cours de ce travail, Provea
s'est rendue compte qu'elle devait
définir le contenu essentiel
minimum du droit à la santé,
malgré les difficultés
intrinsèques et la controverse
qui seraient soulevées.
Voici quelques principes de base
de l'activité de Provea:
La définition du
contenu essentiel minimum est
un terrain relativement vierge,
mais il est nécessaire
de parvenir à une définition
objective de chaque droit.
Le contenu essentiel minimum
d'un droit détermine les
conditions minimales dont chaque
individu devrait jouir. S'il n'y
en a pas, alors il n'y a pas de
droit.
La définition du
contenu est un outil précieux
pour permettre sa mise en uvre,
puisqu'il permet de disposer d'une
norme minimum pour évaluer
le respect d'un droit.
Il faut appréhender
la définition des contenus
minimums comme un processus dynamique.5
En supposant le principe
d'universalité, tous les
êtres humains par nature
jouissent de leurs droits. Le
fait que différents ordres
juridiques puissent établir
différents niveaux de protection
ne signifie pas que certains ont
plus de droits que d'autres.6
Dans un monde en perpétuelle
mutation où se multiplient
les cas de figure, on peut identifier
les éléments communs
qui constituent l'aspect essentiel
du droit, quelles que soient les
ressources disponibles ou le contexte
politique, économique,
social ou culturel.
Il faut rechercher la définition
du contenu essentiel minimum en
fonction de la nature du droit;
ses principes et caractéristiques
(non-discrimination, accessibilité,
interdépendance, etc.);
et sa mise en application.
En ce qui concerne la santé,
le point de départ pour
trouver une définition
se trouve dans les normes établies
dans les traités qui mentionnent
la protection du droit. Ces normes
sont un cadre de référence
nécessaire, mais elles
doivent être sans cesse
améliorées.7
La seconde source est une
vue d'ensemble de la santé
du point de vue de la doctrine
internationale, c'est-à-dire,
de ce que représente la
santé pour l'Organisation
mondiale de la santé, entre
autres.
Les dispositions de la
loi nationale sont utiles pour
formuler des demandes au niveau
local, et même si elles
ne peuvent pas être transposées
au-delà de leur territoire,
elles peuvent servir à
la fois de renvoi et de sources
de la loi doctrinaire.
L'utilisation progressive
d'une définition des contenus
basée sur un consensus,
au-delà de la définition
formelle,8
et de leur validation progressive,
contribuera à renforcer
la mise en uvre du droit.
Aboutir à une définition
des contenus universellement applicable
demande l'active participation
des organisations du monde entier,
de manière à apporter
des expériences basées
sur des contextes dans le champ
d'application du droit.
La définition des
obligations minimums devrait compléter
la définition des contenus,
car l'objectif principal est de
garantir le respect du droit pour
l'individu et la communauté,
ayant le droit d'en jouir. L'action
de l'État est une condition
essentielle mais seulement complémentaire
pour faire réaliser le
droit.
À partir de ces éléments
et en prenant l'article 12 du
PIDESC comme point de départ,
un premier effort a été
fourni pour définir les
contenus fondamentaux minimums
du droit à la santé.9
Cet effort pour définir
les contenus fondamentaux a renforcé
le travail global de Provea dans
le domaine de la protection des
droits humains. Ce processus a
contribué à:
renforcer son travail
pédagogique, promotionnel
et de sensibilisation sur le contenu
du droit;
développer des stratégies
pour le faire valoir vis-à-vis
des tribunaux et de la législature;
améliorer la méthodologie
de recherche et d'analyse de la
situation de ce droit;
identifier les aspects
de la politique publique qui affecte
clairement la jouissance de ce
droit; et
développer des indicateurs
des droits humains pour analyser
la situation de ce droit.
|
Définition du contenu
essentiel et du contenu essentiel minimumLe
débat
La question
de définir les contenus fondamentaux
et fondamentaux minimums des droits
ESC ne va pas sans débat et controverse.
Certains activistes pensent que se concentrer
sur une telle définition peut entraver
lactivisme; dautres, en
revanche, croient quelle est essentielle
pour plus defficacité.
La difficulté
détablir des normes applicables
universellement fait partie des arguments
de ceux qui contestent le processus
de définition. Le CDESC lui-même a
reconnu la difficulté de définir le
contenu essentiel minimum dun
droit. En ce qui concerne le droit
à la santé, par exemple, il a affirmé
que « comme lidéal de lhomme
est datteindre le niveau de vie
le plus haut possible, on ne peut pas
fixer une limite minimum uniforme sous
laquelle un État donné serait en infraction
par rapport à ses obligations relatives
à la santé ». Cependant, un membre
du comité a aussi dit, « Au contraire,
il est possible de déterminer, en tenant
compte de sa nature progressive, si
la jouissance du droit à la santé a
avancé, reculé ou stagné ».10
Dautre
part, plusieurs auteurs maintiennent
le besoin de définir le contenu essentiel
minimum de chaque droit: pour eux,
cest un moyen didentifier
ce que le droit accorde à ceux qui en
jouissent; et cest aussi une façon
didentifier les obligations spécifiques
quun État assume en reconnaissant
les contenus. Un auteur a dit: « Chaque
droit doit donc générer un droit minimum
absolu, sans lequel on considère quun
État est en infraction par rapport à
ses obligations ».11 Un autre auteur
a défini le contenu essentiel minimum
des droits comme « une limite au-delà
de laquelle les activités qui restreignent
les droits fondamentaux et les libertés
publiques ne peuvent avoir lieu ».12
Certains partisans
pour la définition du contenu essentiel
minimum, débattent pour fixer une norme
universelle pour la jouissance de certains
droitspar exemple, fixer le nombre
de mètres carrés nécessaires pour garantir
un logement suffisant ou fixer le nombre
de calories pour le droit à la nourriture.
Cependant, ceux qui contestent la définition
du contenu essentiel et essentiel minimum
se concentrent sur la difficulté détablir
de telles normes qui soient applicables
partout. Dautres soulignent que
cela pourrait être interprété comme
la volonté de limiter la garantie globale
des droits en établissant un critère
de conformité défini. Ainsi, cela peut
se prêter à un débat selon lequel tout
ce qui ne figure pas dans le contenu
ne fait pas partie du droit.
Certains
activistes maintiennent la nécessité
de définir le contenu essentiel minimum
pour garantir quun tel droit est
justiciable. Létablissement dun
tel cadre assure une base uniforme
qui doit être respectée, même par les
États aux ressources économiques insuffisantes,13
afin de promouvoir lexercice du
droit et de garantir léquité dans
la distribution des ressources disponibles.
Ceux qui
sont contre le processus de définition
du contenu essentiel minimum font remarquer
que souvent on associe le contenu essentiel
minimum à des éléments qui ne peuvent
pas en être retirés et qui exigent une
mise en application immédiate. Plus
important encore, le contenu essentiel
minimum peut aussi être perçu comme
un ensemble déléments dun
droit qui sont justiciables. Le danger
vient des tribunaux qui peuvent saisir
mal à propos la notion de contenu dun
droit ESC qui est justiciable, et laisser
les autres éléments à la politique du
gouvernement.
Se concentrer
sur le contenu essentiel minimum peut
aussi inciter à fermer les yeux sur
la violation des droits ESC dans les
pays riches. En effet dans ces pays,
le problème ne vient habituellement
pas de la faillite à ne pas remplir
les obligations essentielles minimums,
mais plutôt à remplir lobligation
dassurer « le maximum de
ressources disponibles ».
De plus, certains
avocats sopposent à la définition
du contenu essentiel minimum, car cela
peut faire ressortir les composantes
« négatives » ou celles du
droit civil des droits ESC comme minimum.
Par exemple, si on prend le cas du droit
au logement, le contenu essentiel peut
être interprété différemment et souligner
le droit de respecter la procédure dans
les situations dexpulsionainsi,
laccent serait mis sur les problèmes
des droits civils. Par conséquent,
il y a un danger: la définition du contenu
essentiel peut entraver le développement
des aspects essentiels des droits ESC.
Cependant,
malgré tous ces débats, il y a un consensus
général autour duquel le contenu essentiel
représente simplement les éléments clés
du droit. Il est admis que ceux qui
sont concernés par les droits ESC devraient
jouer un rôle dans le développement
dun consensus international sur
les éléments clés des droits.
Auteurs: Ce module est basé sur un document préparé
par Ligia Bolívar et Enrique González.
internationalhommeec
réflexions des activistes sur le travail
au niveau national et local sur les
droits économiques, sociaux et culturels
internationalhomme
4. Provea,
.
la
Déclaration universelle.
. le Rapport final de la
Rapporteur spécial de la Sous-Commission
de la promotion et de la protection
des droits de lhomme, Danilo
Türk, La pleine réalisation des
droits économiques, sociaux et culturels,
ONU ESCOR, Commission des droits de
lhomme, 48ème Sess., Point 8
de lordre du jour, ONU Doc.
E/CN.4/Sub.2/1992/16 (1992).
10.
Juan Averez Vita Note de discussion , dans CDESC: Rapport sur le
9ème session, ONU Doc. E/C.12/1993/19,
p. 63. Vita est un ancien member
des CDESC.
11
Philip
Alston, « Out of Abyss: The Challenges
Confronting the New , Human Rights Quarter. Alston est un ancien président
du CDESC.
12
o á Commission interaméricaine des
droits de lhomme
|