University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Uruguay, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.62 (1996).


COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Treizième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité des droits
de l'enfant : Uruguay



1. Le Comité a examiné le rapport initial de l'Uruguay (CRC/C/3/Add.37) à ses 325ème, 326ème et 327ème séances (voir CRC/C/SR.325 à 327), tenues les 30 septembre et 1er octobre 1996, et a adopté à sa 343ème séance, le 11 octobre 1996, les observations finales ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité remercie l'Etat partie pour les réponses qu'il a apportées par écrit à la liste des questions et pour avoir engagé avec le Comité un dialogue ouvert sur l'application de la Convention, par l'intermédiaire d'une délégation impliquée dans l'élaboration des politiques relatives aux droits de l'enfant. Il note toutefois que le rapport n'a pas été établi conformément à ses directives sur l'établissement des rapports initiaux, qu'il y est principalement question du cadre juridique existant et qu'il ne contient pas suffisamment d'informations sur les autres mesures prises pour faire dûment respecter les droits énoncés dans la Convention.


B. Aspects positifs

3. Le Comité prend note avec satisfaction de ce que l'Etat partie a déclaré à propos de l'article 38 de la Convention, à savoir que, selon la loi uruguayenne, les enfants de moins de 18 ans ne peuvent participer aux hostilités en cas de conflit armé.

4. Il prend note en l'appréciant du renforcement des institutions démocratiques en Uruguay, y compris les garanties telles que l'habeas corpus et l'amparo (procédure de recours ouverte à tout citoyen en cas de violation de ses droits), dans le cadre du processus de démocratisation du pays.

5. Il note avec satisfaction que les mesures importantes prises dans le domaine social se sont traduites par de bons indicateurs dans les secteurs de la santé et de l'éducation.


C. Principaux sujets de préoccupation

6. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des mesures adoptées pour harmoniser la législation nationale avec les principes et les dispositions de la Convention, alors que les traités internationaux que l'Uruguay a ratifiés sont considérés comme ayant la même importance que les lois ordinaires. Il juge préoccupant par ailleurs que de nouvelles lois n'aient pas été promulguées dans des domaines sur lesquels porte la Convention, notamment l'adoption à l'étranger, l'interdiction de la traite des enfants et de la torture. Il est préoccupé aussi par le fait que le Code de l'enfance adopté en 1934, qui contient un certain nombre de dispositions incompatibles avec la Convention, n'a pas encore été révisé. Il regrette aussi qu'un certain nombre de dispositions juridiques incompatibles avec la Convention soient toujours en vigueur, notamment celles qui concernent l'administration de la justice des mineurs, l'âge minimum de l'accès à l'emploi et l'âge minimum du mariage.

7. Le Comité reconnaît que les autorités ont fait des efforts pour rassembler des données mais il constate avec préoccupation qu'il n'a pas adopté suffisamment de mesures pour recueillir des données détaillées sur la situation de tous les enfants, en particulier ceux qui appartiennent aux groupes les plus défavorisés, notamment les enfants de race noire, les enfants handicapés, les enfants des rues, les enfants placés dans des institutions, y compris les institutions pénales, les enfants maltraités et victimes de sévices et les enfants appartenant à des groupes économiquement défavorisés, ce qui constitue un obstacle important à la mise en oeuvre pleine et entière des dispositions de la Convention.

8. Il est préoccupé également par l'insuffisance des mesures adoptées pour assurer une coordination efficace entre les différents services gouvernementaux ayant compétence dans les domaines sur lesquels porte la Convention, ainsi qu'entre les autorités centrales et les autorités locales.

9. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des fonds budgétaires alloués aux dépenses sociales, en faveur notamment des enfants appartenant aux groupes les plus défavorisés. Il est préoccupé aussi par la tendance à la perpétuation de la pauvreté parmi les groupes d'enfants marginalisés, près de 40 % des enfants de moins de cinq ans vivant dans 20 % des ménages les plus pauvres et 4 % des enfants de ce groupe d'âge souffrant de malnutrition aiguë, tandis que les écarts socio-économiques persistent en ce qui concerne l'accès à l'éducation et aux services de santé.

10. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des mesures prises pour intégrer dans la législation et dans la pratique les principes généraux de la Convention, à savoir la non-discrimination, l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses opinions.

11. Il est particulièrement préoccupé à cet égard par la discrimination qui persiste à l'égard des enfants illégitimes, en ce qui concerne notamment la jouissance des droits civils. La procédure suivie pour leur donner un nom est stigmatisante et les empêche de retrouver leurs origines; en outre, les enfants nés d'un parent mineur ne peuvent être reconnus par celui-ci.

12. Le Comité est préoccupé par le taux élevé de grossesses précoces qui a des effets négatifs sur la santé des mères et des bébés et sur la possibilité pour les mères d'exercer leur droit à l'éducation, les grossesses précoces rendant la fréquentation scolaire difficile et étant à l'origine d'un nombre important d'abandons scolaires.

13. Le Comité est vivement préoccupé par l'augmentation de la violence familiale et par l'insuffisance des mesures prises pour prévenir et combattre ce phénomène et favoriser la réinsertion des enfants qui en sont victimes.

14. Il est préoccupé de constater que la notion d'"enfants en situation irrégulière" soit si répandue dans le pays car cela favorise la stigmatisation et, souvent, le placement en institution et la privation de liberté des enfants, en raison de leur situation économique et sociale défavorisée. Il regrette que les dispositions et les principes de la Convention concernant l'administration de la justice des mineurs aient été insuffisamment pris en compte, tant dans la législation que dans la pratique. Insuffisamment de mesures ont été prises notamment pour garantir, entre autres, que la privation de liberté ne soit prononcée qu'en dernier ressort, que les enfants privés de liberté soient traités avec humanité et d'une manière qui tienne compte des besoins de leur âge, que leurs droits à maintenir le contact avec leur famille et à ce que leur cause soit entendue équitablement soient garantis conformément à l'article 40 de la Convention. Le Comité est en outre préoccupé par le nombre élevé d'enfants placés en institution et par l'insuffisance des mesures prises pour trouver des solutions de remplacement valables au traitement en institution et promouvoir la réinsertion sociale des intéressés.

15. Le Comité note avec préoccupation que le travail des enfants demeure un problème en Uruguay et que les mesures prises pour l'empêcher sont insuffisantes. Il constate aussi avec inquiétude que l'âge minimum de l'emploi dans la législation uruguayenne est inférieur à l'âge minimum fixé dans les conventions internationales, alors que l'Uruguay a ratifié la Convention No 138 de l'OIT.

16. Il est préoccupé par l'insuffisance des mesures prises pour faire largement connaître les principes et les dispositions de la Convention aux adultes comme aux enfants, conformément à l'article 42 de la Convention. Par ailleurs, insuffisamment d'attention a été accordée, afin de faire changer les attitudes, à la formation des professionnels qui travaillent avec et pour des enfants, y compris les enseignants, les personnels de santé, les travailleurs sociaux, les juristes, les fonctionnaires et les chefs de la police, le personnel des établissements dans lesquels des enfants sont détenus et les fonctionnaires des administrations centrales et locales.


D. Suggestions et recommandations

17. Le Comité recommande que, dans le cadre de la réforme juridique que l'Uruguay a entreprise dans le domaine des droits de l'enfant, des mesures soient prises pour que la législation nationale soit pleinement compatible avec les dispositions et les principes de la Convention, y compris ceux qui ont trait à la non-discrimination, à l'intérêt supérieur de l'enfant, à la participation de l'enfant et au respect de ses opinions. Cette réforme devrait tout particulièrement tenir compte des préoccupations exprimées par le Comité lors de sa discussion avec l'Etat partie, notamment dans les domaines dans lesquels la législation nationale n'est pas conforme à la Convention.

18. Il recommande aussi que d'autres mesures soient prises pour que soient systématiquement recueillies des données quantitatives et qualitatives, classées par catégorie, suivant l'âge, le sexe, la couleur, l'origine rurale ou urbaine et l'origine sociale notamment, pour tous les domaines sur lesquels porte la Convention et tous les groupes d'enfants, en particulier les plus défavorisés. A cet égard, il suggère de poursuivre la coopération avec l'UNICEF en vue d'évaluer les progrès accomplis, d'identifier les difficultés et de définir des priorités pour l'action future.

19. Le Comité suggère que des mesures soient prises pour garantir une coordination efficace entre les institutions existantes qui s'occupent de la protection et de la promotion des droits de l'enfant aux niveaux central et local et que le Gouvernement continue d'envisager la création d'un organisme de contr_le indépendant (Ombudsman) ayant compétence dans le domaine des droits de l'enfant.

20. Il recommande à l'Etat partie de prendre toutes les mesures qui s'imposent, à la lumière des articles 2, 3 et 4 de la Convention, dans toutes les limites des ressources disponibles, pour garantir que des fonds budgétaires suffisants seront alloués au financement de services pour enfants, en particulier dans les domaines de l'éducation et de la santé, et d'accorder une attention particulière à la protection des enfants appartenant à des groupes vulnérables et marginalisés. A cet égard, le Comité suggère que l'impact de ces décisions sur les enfants soit évalué en permanence.

21. Il suggère à l'Etat partie d'adopter des mesures pour aider de manière appropriée les familles à élever leurs enfants en vue notamment de prévenir la violence et les sévices au sein du foyer, l'abandon des enfants et leur placement en institution, et afin de promouvoir la recherche dans ces domaines.

22. A propos du nombre élevé de grossesses précoces en Uruguay, le Comité recommande que des mesures soient adoptées pour qu'à l'école les jeunes bénéficient de cours d'éducation familiale et de services appropriés et pour que des programmes de santé soient mis en oeuvre dans le pays.

23. Il suggère également que le placement en institution soit remplacé par des formules appropriées donnant la priorité à l'intérêt supérieur de l'enfant et ayant pour but de promouvoir son développement harmonieux et de le préparer à une participation responsable à la vie de la société. Pour les cas où le placement d'un enfant dans une institution serait nécessaire, des mesures devraient être adoptées prévoyant la révision périodique du traitement auquel l'enfant est soumis et de tous les autres aspects de son placement.

24. Le Comité recommande la création d'un système d'administration de la justice pour mineurs tenant compte des principes et dispositions de la Convention, en particulier de ses articles 37, 39 et 40, ainsi que d'autres normes des Nations Unies concernant cette question, telles que l'Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. A cet égard, le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager de solliciter l'aide du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et de la Division de la prévention du crime et de la justice pénale (ONU).

25. Il recommande l'adoption de mesures législatives et de mesures préventives en ce qui concerne la question du travail des enfants, portant en particulier sur le relèvement de l'âge minimum d'accès à l'emploi, conformément à la Convention et à la Convention No 138 de l'OIT, et de faire comprendre combien l'éducation et la formation professionnelle sont importantes pour les enfants, pour ce qui est de l'acquisition du savoir-faire et des connaissances nécessaires. Il suggère au Gouvernement uruguayen d'envisager de solliciter à nouveau l'aide technique de l'OIT à cet égard.

26. Conformément à l'article 42 de la Convention, le Comité recommande que des programmes de formation soient mis sur pied dans le domaine des droits de l'enfant à l'intention des professionnels qui travaillent pour ou avec des enfants, y compris les enseignants, les personnels de santé, les travailleurs sociaux, les juristes, les fonctionnaires et les chefs de la police, le personnel des établissements dans lesquels des enfants sont détenus et les fonctionnaires des administrations centrales et locales. Des mesures devraient être prises en outre pour que les droits de l'enfant soient incorporés dans les programmes scolaires à tous les niveaux. Le Comité est d'avis que des campagnes d'information sur les droits de l'enfant seraient un bon moyen d'appeler l'attention sur les enfants dans la société uruguayenne et de transformer les attitudes négatives à leur égard. Ces campagnes devraient viser à éliminer les attitudes discriminatoires à l'égard des enfants, en particulier ceux qui appartiennent à des groupes vulnérables et marginalisés, et à accroître le respect pour leurs droits fondamentaux. A cet égard, le Comité souligne l'importance des principes généraux de la Convention, à savoir la prise en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant, sa participation et le respect de ses opinions, le respect du principe de non-discrimination et du droit à la vie, à la survie et au développement dans toute la mesure du possible, principes qui devraient guider et inspirer tous les programmes de formation et d'information dans ce domaine.

27. Le Comité recommande que, conformément au paragraphe 6 de l'article 44 de la Convention, l'Etat partie assure à son rapport une large diffusion, ainsi qu'aux comptes rendus analytiques de séance et aux observations finales adoptées par le Comité, et envisage d'organiser un débat parlementaire sur l'application de la Convention.



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