University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Ukraine U.N. Doc. CRC/C/15/Add.42 (1995).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Dixième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Ukraine



1. Le Comité a examiné le rapport initial de l'Ukraine (CRC/C/8/Add.10/Rev.1) à ses 239ème, 240ème, 241ème et 242ème séances (CRC/C/SR.239 à 242), les 2 et 3 novembre 1995, et a adopté*/ les observations finales ci-après :

A. Introduction

2. Le Comité sait gré au Gouvernement ukrainien d'avoir présenté son rapport initial, de son attitude franche et du dialogue fructueux qui a été engagé. Le Comité juge encourageante la discussion empreinte de franchise et d'esprit de collaboration qui s'est tenue et durant laquelle les représentants de l'Etat partie ont décrit non seulement les orientations de ses politiques et de ses programmes, mais aussi les difficultés qu'il rencontre dans l'application de la Convention.

B. Aspects positifs

3. Le Comité prend note du souci qu'a le Gouvernement ukrainien de la situation des enfants dans l'actuelle période de transition politique.

4. Le Comité accueille avec satisfaction la mise en place de mécanismes responsables de l'action en faveur de l'enfance et de la question des droits de l'enfant, et notamment de la création d'une Commission parlementaire des soins de santé et de la protection sociale, maternelle et infantile dotée de départements et services régionaux, ainsi que de la Commission présidentielle chargée des questions relatives aux femmes, à la maternité et à l'enfance.

5. Le Comité constate avec satisfaction que le gouvernement a entrepris d'importantes réformes en matière législative et qu'il a notamment entamé une révision de la Constitution en vue d'y incorporer les droits de l'enfant, ainsi que de plusieurs textes tels que le Code de la famille et le Code pénal, dans le but de promouvoir et de protéger les droits de l'enfant.

6. Le Comité se félicite aussi de la mise en place par le gouvernement de plusieurs programmes nationaux visant à donner plein effet aux droits de l'enfant dans le pays ainsi que de la création d'un fonds de contributions volontaires en faveur de l'enfance sous les auspices de la Commission parlementaire des soins de santé et de la protection sociale, maternelle et infantile.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

7. Le Comité prend note des difficultés auxquelles se heurte l'Ukraine dans l'actuelle période de transition politique marquée par des changements sociaux et une crise économique profonde. Le Comité constate également qu'il existe des problèmes liés à l'économie de transition et que la situation de nombreux enfants s'est détériorée par suite de la pauvreté qui s'étend et du ch_mage qui augmente. Le Comité reconnaît que l'Etat partie rencontre des difficultés majeures dans les efforts qu'il déploie pour parer aux conséquences négatives de la catastrophe qui s'est produite à la centrale nucléaire de Tchernobyl, en particulier à ses effets sur l'environnement et sur la santé physique et psychologique de la population et notamment des enfants.

D. Principaux sujets de préoccupation

8. Le Comité s'interroge sur la pleine compatibilité de la législation et des mesures et programmes nationaux avec les dispositions et les principes de la Convention, en particulier en ce qui concerne les principes de non-discrimination (art. 2), s'agissant notamment de l'âge minimum du mariage qui est différent pour les filles et les garçons, l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 3) et le droit qu'a l'enfant d'exprimer son opinion sur toutes décisions l'intéressant (art. 12). Le Comité relève aussi l'existence d'une contradiction dans la législation entre l'âge de la fin de l'obligation scolaire, à savoir 15 ans, et l'âge minimum pour accéder à un emploi, qui est de 16 ans.

9. Le Comité est préoccupé du montant budgétaire insuffisant affecté à la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels des enfants.

10. Le Comité s'inquiète de l'attention insuffisante prêtée à la nécessité de disposer d'un mécanisme de coordination et de surveillance efficace, susceptible d'assurer une compilation systématique et complète de données et d'indicateurs dans tous les domaines visés par la Convention et concernant toutes les catégories d'enfants, notamment les enfants de familles monoparentales, les enfants de parents divorcés, les enfants abandonnés et les enfants placés dans des institutions. Un tel mécanisme permettrait au gouvernement de repérer les domaines où se posent des problèmes et l'aiderait à définir des stratégies pour y faire face.

11. Le Comité s'alarme de la forte proportion d'enfants et notamment de nouveau-nés abandonnés et de l'absence d'une stratégie globale pour aider les familles vulnérables. Cette situation peut donner lieu à des adoptions internationales illégales ou à d'autres formes de traite et de vente d'enfants. Dans ce contexte, le Comité s'inquiète aussi de l'absence de toute loi interdisant la vente et la traite des enfants et du fait que le droit de l'enfant à la préservation de son identité n'est pas garanti par la loi.

12. Le Comité se déclare préoccupé de la situation sanitaire des enfants, en particulier à la suite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, de l'augmentation du taux de mortalité juvénile, de la priorité qui semble donnée aux soins de santé curatifs sur les soins préventifs, de la faible proportion de mères allaitant leurs enfants, du nombre élevé d'avortements et de l'insuffisance des mesures prises en faveur de la santé, de l'éducation et des services de planification familiale ainsi que des disparités entre le système de santé urbain et le système de santé rural.

13. Le Comité s'inquiète de l'absence en Ukraine de tout programme d'action sociale. En particulier, la situation en ce qui concerne le placement, le traitement et la protection des enfants handicapés le préoccupe. Les solutions autres que le placement en institution ne retiennent pas assez l'attention; les services d'appui aux parents qui gardent chez eux un enfant handicapé sont insuffisants.

14. Le Comité regrette qu'aucune mesure adéquate n'ait encore été prise pour prévenir et combattre efficacement les mauvais traitements dans les écoles ou dans les institutions susceptibles d'accueillir des enfants. Le Comité est également inquiet de la fréquence des mauvais traitements et des violences infligés aux enfants au sein de la famille ainsi que de la protection insuffisante qui leur est offerte à cet égard par la législation et les services existants. Il faut aussi s'attaquer au problème de l'exploitation sexuelle des enfants.

15. Le Comité s'inquiète de l'absence d'une stratégie nationale d'information et de diffusion touchant la Convention relative aux droits de l'enfant.

16. La situation actuelle en ce qui concerne l'administration de la justice pour mineurs est un sujet de préoccupation pour le Comité.

E. Suggestions et recommandations

17. Le Comité encourage le Gouvernement ukrainien à poursuivre le travail de révision du cadre législatif afin que celui-ci donne pleinement effet à la Convention, assure le respect des droits de tous les enfants placés sous la juridiction de l'Ukraine, et garantisse l'application intégrale des dispositions et principes de la Convention relative aux droits de l'enfant, notamment les principes de la non-discrimination (art. 2), de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 3), du droit à la vie, à la survie et au développement (art. 6) et du droit de l'enfant d'exprimer son opinion sur toute question l'intéressant (art. 12). Le Comité suggère que les textes relatifs à l'âge de la scolarité obligatoire et à l'âge minimum pour accéder à l'emploi soient revus et que l'âge minimum du mariage soit le même pour les filles et les garçons.

18. Le Comité recommande à l'Etat partie de renforcer la coordination entre les différents mécanismes gouvernementaux s'occupant des droits de l'enfant tant à l'échelon national qu'à l'échelon local, en vue de définir une politique globale de l'enfance et de faire en sorte qu'une évaluation effective de la mise en oeuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant soit assurée en Ukraine. Une coordination plus étroite avec les organisations non gouvernementales devrait être recherchée.

19. Le Comité recommande que l'Etat partie entreprenne de collecter tous les renseignements voulus sur la situation des enfants dans les différents domaines visés par la Convention, notamment ceux concernant les enfants appartenant aux groupes les plus vulnérables.

20. Le Comité encourage le Gouvernement ukrainien à veiller particulièrement à l'application intégrale de l'article 4 de la Convention et à une répartition judicieuse des ressources aux niveaux central, régional et local. Des montants budgétaires doivent être affectés à la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels durant la période de transition vers l'économie de marché dans toute la mesure où les ressources disponibles le permettent et eu égard aux intérêts supérieurs des enfants.

21. Le Comité estime que des mesures sont à prendre de manière systématique et continue pour faire largement connaître et comprendre les dispositions et principes de la Convention, tant par les adultes que par les enfants, conformément à la Convention. La Convention relative aux droits de l'enfant doit être publiée dans toutes les langues parlées par des minorités en Ukraine et une formation spécifique devrait être dispensée à toutes les catégories professionnelles travaillant avec des enfants (juges, enseignants, travailleurs sociaux, fonctionnaires chargés de l'application des lois, etc.). Dans la perspective de la Décennie des Nations Unies pour l'éducation dans le domaine des droits de l'homme, il faudrait envisager de faire figurer la Convention dans le programme scolaire. Le Comité encourage l'Etat partie à réfléchir davantage à la création d'un poste de médiateur pour les enfants ou de tout autre dispositif permanent et indépendant de dép_t de plaintes et de surveillance. La participation des enfants eux-mêmes à l'action de promotion des droits de l'enfant est d'une grande importance, surtout au niveau communautaire.

22. A la lumière de l'article 2 de la Convention, il conviendrait de prendre des mesures pour prévenir toute aggravation des attitudes ou préjugés discriminatoires à l'égard des enfants appartenant à des groupes minoritaires, des enfants vivant dans les zones rurales, des enfants roms et des enfants porteurs du VIH ou atteints du SIDA.

23. Le Comité souhaiterait que l'accent soit davantage mis sur l'action à mener en matière de soins de santé primaires, en particulier dans les zones rurales, cette action consistant notamment en la mise au point de programmes pédagogiques sur des questions telles que l'éducation familiale, la planification familiale, l'éducation sexuelle et les bienfaits de l'allaitement maternel.


24. Le Comité est favorable au soutien apporté à l'échelon international aux mesures destinées à parer aux conséquences négatives de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en particulier dans le domaine social et en matière de santé et d'environnement.

25. Le Comité estime que davantage d'efforts devraient être déployés pour faire mieux prendre conscience du r_le important de la famille et des responsabilités égales des parents. Des mesures supplémentaires s'imposent pour renforcer le dispositif d'assistance à l'un et l'autre parent afin d'aider ceux-ci à s'acquitter de leur responsabilité d'élever leur enfant.

26. Compte tenu du taux élevé d'abandon d'enfants et d'avortements, le Comité recommande que l'Etat partie se dote d'une stratégie et d'une politique d'assistance aux familles vulnérables pour qu'elles puissent subvenir aux besoins de leurs enfants. Il faudrait évaluer l'efficacité du système de sécurité sociale et des programmes de planification familiale. Le Comité recommande aussi que soit assurée la formation de travailleurs sociaux appelés à mobiliser et renforcer l'action communautaire.

27. Le Comité encourage l'Etat partie à se pencher sur la situation des enfants placés dans des institutions, afin d'envisager et de rendre possibles d'autres options que le placement en institutions, en mettant par exemple en place des services d'orientation et de conseil, des programmes de placement et d'éducation en familles d'accueil ainsi que des programmes de formation professionnelle. Le Comité recommande aussi la mise en place de mécanismes efficaces pour veiller à ce que les droits des enfants placés dans des institutions soient pleinement respectés.

28. S'agissant de la vente et de la traite des enfants, le Comité encourage le gouvernement à interdire expressément ces activités illégales et à veiller à ce que soit pleinement reconnu le droit de l'enfant à la préservation de son identité. Le Comité recommande aussi à l'Etat partie d'envisager de ratifier la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

29. Le Comité suggère en outre que l'interdiction expresse de la torture ou d'autres traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants soit énoncée dans la législation nationale, de même que l'interdiction des châtiments corporels au sein de la famille. Le Comité suggère également que soient mis en place des procédures et mécanismes pour le traitement des plaintes pour mauvais traitements et actes de cruauté au sein de la famille comme à l'extérieur de celle-ci. Des programmes spéciaux devraient être entrepris pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale des enfants victimes de toutes formes de négligence, de sévices, d'exploitation, de tortures ou de mauvais traitements, en les plaçant dans des conditions favorables à la santé, au respect de soi et à la dignité de ces enfants, conformément à l'article 39 de la Convention.

30. Le Comité recommande que l'Etat partie envisage la possibilité de transférer la responsabilité des colonies de travail éducatif pour mineurs du Ministère de l'intérieur à la structure qu'il jugera la plus appropriée pour assurer la promotion et la protection des droits de l'enfant.

31. Dans le domaine de l'administration de la justice pour mineurs, le Comité recommande que dans le cadre de la réforme juridique en cours, il soit pleinement tenu compte de la Convention relative aux droits de l'enfant et en particulier de ses articles 37, 39 et 40, et que d'autres règles internationales applicables en la matière, telles que les Règles de Beijing, les Principes directeurs de Riyad et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, servent de guides pour ce travail de révision. Il conviendrait de prêter une attention particulière à la prévention de la délinquance juvénile, à la protection des droits des enfants privés de liberté, au respect des droits fondamentaux et des garanties juridiques dans tous les aspects du système judiciaire pour les mineurs et à l'indépendance et à l'impartialité absolues des juges pour enfants. Des programmes de formation consacrés aux règles internationales pertinentes devraient être organisés à l'intention de toutes les personnes dont la profession relève du système judiciaire pour les mineurs, en particulier les juges, les responsables de l'application des lois, le personnel des services de rééducation et les travailleurs sociaux.

32. Le Comité encourage l'Etat partie à assurer une large diffusion du rapport de l'Etat partie, des comptes rendus analytiques des séances consacrées par le Comité à l'examen de ce rapport et des observations finales adoptées par celui-ci à la suite de l'examen de ce rapport. Le Comité suggère que ces documents soient portés à l'attention du Parlement et qu'il soit donné suite aux suggestions et recommandations concrètes qui y sont formulées. A cet égard, le Comité préconise la poursuite de la coopération avec les organisations non gouvernementales.


*/ A la 259ème séance, tenue le 17 novembre 1995.



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