University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Sri Lanka, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.40 (1995).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Neuvième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Sri Lanka



1. Le Comité a examiné le rapport initial de Sri Lanka (CRC/C.8/Add.13) de sa 228ème à sa 230ème séance (CRC/C/SR.228 à 230), les 5 et 6 juin 1995, et a adopté*/ les observations finales ci-après :

A. Introduction

2. Le Comité prend note avec satisfaction du rapport initial de Sri Lanka et des réponses écrites aux questions posées par le Comité dans la liste des points à traiter. Le Comité juge encourageantes la franchise et la bonne volonté avec lesquelles la délégation de l'Etat partie s'est exprimée dans le dialogue pour signaler non seulement les progrès accomplis dans l'application des dispositions de la Convention, mais aussi les difficultés rencontrées à ce propos. Le Comité prend note de la déclaration de la délégation selon laquelle le gouvernement, contrairement à son intention initiale, n'a malheureusement pas pu assurer la participation d'une délégation plus importante au dialogue.

B. Aspects positifs

3. Le Comité prend note avec satisfaction de la création, en 1993, d'une Commission nationale pour la surveillance des droits de l'enfant, sous les auspices du Ministère de la santé, des ponts et chaussées et des services sociaux. Il se félicite également du lancement, en 1991, du plan d'action pour les enfants à Sri Lanka, qui sera mis en application au cours de la période 1992-1996. Le Comité juge encourageante l'existence d'un dialogue entre l'Etat partie et les organisations non gouvernementales, notamment le Forum des ONG.

4. En ce qui concerne la réforme législative, le Comité se félicite de ce que l'Etat partie envisage la possibilité de modifier ses lois concernant la maltraitance des enfants, le travail des enfants et la justice pour mineurs, afin de les rendre compatibles avec les dispositions de la Convention.

5. Le Comité prend note aussi de la volonté de la délégation sri-lankaise de solliciter des avis et une assistance technique des organismes et des institutions spécialisées des Nations Unies, ainsi que des institutions non gouvernementales nationales et internationales actives dans les domaines des violences infligées aux enfants, du travail des enfants et de la justice pour mineurs.

C. Facteurs et difficultés entravant l'application de la Convention

6. Le Comité prend note de la situation économique et sociale difficile de Sri Lanka, imputable notamment aux effets préjudiciables des mesures d'ajustement structurel et à la guerre civile en cours dans les régions septentrionale et orientale du pays, qui drainent les ressources nationales. Huit des 25 provinces du pays sont touchées par le conflit qui, au cours des douze dernières années, a coûté la vie à 30 000 personnes et a actuellement un impact sur plus d'un demi-million d'enfants.

D. Principaux sujets de préoccupation

7. Le Comité déplore que le Gouvernement sri-lankais n'ait pas tenu dûment compte des dispositions de l'article 4 de la Convention. Il regrette qu'une faible partie seulement du budget national soit consacrée à la protection de l'enfant et note le pourcentage élevé des dépenses militaires.

8. Le Comité constate avec préoccupation que ni la Convention ni la Charte sri-lankaise des droits des enfants n'ont un caractère contraignant dans le système de droit national. Il est préoccupé par le fait que les principes généraux de la Convention, et plus particulièrement l'article 2 (principe de non-discrimination), l'article 3 (principe de l'intérêt supérieur de l'enfant) et l'article 12 (respect des opinions de l'enfant) ne trouvent pas leur expression dans la législation nationale.

9. L'absence de mécanismes efficaces et intégrés de suivi de la situation des enfants est un sujet de préoccupation, d'autant plus que dans le cadre de la révision de la Constitution un pouvoir politique accru a été conféré aux provinces. Le Comité relève à cet égard un manque de données quantitatives et qualitatives fiables, une insuffisance de moyens de mise en oeuvre des programmes et un manque d'indicateurs et de mécanismes qui permettraient d'évaluer les progrès accomplis et l'impact des politiques adoptées.

10. Le Comité est préoccupé par l'absence de coordination entre les services administratifs et les ministères, ainsi qu'entre les autorités centrales et les autorités régionales. Cette absence de coordination a une incidence préjudiciable sur la mise en oeuvre des politiques globales destinées à promouvoir et protéger les droits de l'enfant.

11. Le Comité s'inquiète de l'existence de disparités entre les trois systèmes différents de droit (sri-lankais, kandyen et musulman) qui fixent l'âge minimum du mariage. Ces systèmes de droit établissent une différence entre les garçons et les filles pour ce qui est de l'âge du mariage et autorisent le mariage des filles dès l'âge de 12 ans sous réserve de l'obtention de l'autorisation parentale. De telles situations pourraient soulever la question de la compatibilité avec le principe de non-discrimination et le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 2 et 3).

12. Le Comité demeure préoccupé par l'apparente persistance de comportements discriminatoires à l'égard des filles, des enfants nés hors mariage, des enfants issus de groupes à faibles revenus, des enfants des zones rurales, des enfants réfugiés ou des enfants déplacés, des enfants qui travaillent, des enfants touchés par les conflits armés et des enfants de travailleurs expatriés.

13. Le Comité se déclare préoccupé par l'application de l'article 12 de la Convention. Les opinions de l'enfant ne sont pas suffisamment prises en considération, notamment au sein de la famille, à l'école et dans le système d'administration de la justice pour mineurs.

14. Le Comité s'inquiète des difficultés qui persistent pour inscrire les naissances sur les registres d'état civil, s'agissant en particulier d'enfants nés hors mariage. Tous les enfants doivent nécessairement être déclarés à la naissance pour pouvoir exercer pleinement leurs droits et leurs libertés fondamentales.

15. En ce qui concerne les violences infligées à des enfants, y compris la violence sexuelle, le Comité est gravement alarmé par la fréquence de ce type de maltraitance. Il est préoccupé par le fait qu'il n'existe pas de mesures spécifiques de réadaptation pour les enfants victimes de violences et que ceux-ci sont traités comme des délinquants. La pratique du châtiment corporel subsiste aussi dans la société sri-lankaise et est admise à l'école.

16. Le Comité est préoccupé par la situation des enfants dont les mères travaillent à l'étranger, notamment dans les Etats du Golfe, et laissent leurs enfants au pays. Ces enfants (au nombre de 200 000 à 300 000) vivent souvent dans des conditions difficiles et peuvent être l'objet de différents types de maltraitance ou d'exploitation.

17. Le Comité note que les autorités sri-lankaises ont promulgué une nouvelle loi sur l'adoption internationale, qui offre des garanties contre la vente et le trafic d'enfants. Le Comité demeure préoccupé par le fait que les mêmes mesures n'aient pas été adoptées pour réglementer les adoptions par des nationaux.

18. Le Comité exprime sa profonde préoccupation devant le niveau élevé de malnutrition chez les enfants. On estime que 23 % des nourrissons ont un poids insuffisant à la naissance.

19. Le Comité s'inquiète vivement aussi du nombre extraordinairement élevé de suicides chez les adolescents.

20. Le Comité est préoccupé par le caractère inapproprié des mesures prises pour faciliter l'accès des enfants déplacés et réfugiés aux services d'éducation et de santé.

21. Le Comité s'inquiète des taux élevés d'abandon scolaire, des disparités entre les équipements éducatifs, notamment dans les zones rurales, et du nombre insuffisant d'établissements d'éducation préscolaire qui sont généralement gérés par des institutions non gouvernementales et ne relèvent pas de l'Etat.

22. Le Comité exprime sa préoccupation au sujet de l'application des dispositions et principes de la Convention en ce qui concerne l'administration de la justice pour mineurs. Il s'inquiète vivement du jeune âge fixé pour la majorité pénale (8 ans) et de la situation des enfants âgés entre 16 et 18 ans que la législation pénale considère comme des adultes. Ces enfants sont mis en examen devant des tribunaux pour adultes.

23. Le Comité exprime sa profonde préoccupation devant le nombre important d'enfants qui travaillent comme domestiques et qui sont souvent victimes de violences sexuelles. Il s'inquiète vivement aussi de l'accroissement du nombre des enfants soumis à l'exploitation sexuelle, notamment des jeunes garçons forcés de se livrer à la prostitution, tant sur le plan local que dans le cadre du tourisme sexuel international.

24. Le Comité est gravement préoccupé par le nombre élevé d'enfants touchés par le conflit armé, notamment d'enfants déplacés et d'enfants devenus orphelins par suite de la guerre. Le Comité s'inquiète aussi du caractère aléatoire des services sanitaires mis en place dans les zones touchées par le conflit armé. Le Comité constate avec regret que dans son rapport initial Sri Lanka n'a pas fourni d'informations détaillées concernant l'effet du conflit armé sur les enfants, l'enr_lement de ceux-ci dans les forces armées et la manière dont les autorités traitent les enfants soldats faits prisonniers de guerre.

E. Suggestions et recommandations

25. Le Comité recommande à l'Etat partie d'harmoniser sa législation nationale avec les dispositions et principes de la Convention. Les principes relatifs à l'intérêt supérieur de l'enfant et à l'interdiction de toute discrimination à l'égard des enfants devraient trouver leur expression dans la législation nationale et pouvoir être invoqués devant les tribunaux.

26. Le Comité est conscient que l'Etat partie a entrepris de revoir sa législation concernant la maltraitance des enfants, le travail des enfants et la justice pour mineurs et, à cet égard, appelle son attention sur les activités conçues par le Programme de services consultatifs et d'assistance technique du Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme.

27. Le Comité se félicite de l'adoption d'une Charte nationale des droits des enfants mais recommande de l'ériger en loi et de porter, s'il y a lieu, ses dispositions au niveau des normes de la Convention.

28. Le Comité recommande vivement d'envisager, d'élever et de normaliser dans toutes les communautés l'âge minimum pour contracter mariage, de relever l'âge minimum d'accès à l'emploi et de la majorité pénale et d'éliminer toute discrimination à l'égard des enfants nés hors mariage.

29. Il conviendrait de prendre des mesures pour renforcer le secrétariat pour les enfants et le Comité national de la surveillance des droits de l'enfant. Le Comité recommande qu'un mécanisme indépendant de suivi soit mis en place. A cet égard, l'institution d'un médiateur serait la bienvenue. Il conviendrait aussi de renforcer les mécanismes de coordination entre toutes les autorités responsables des droits de l'homme et des droits de l'enfant, en particulier avec le Ministère des affaires de la femme, tant à l'échelon national qu'à l'échelon local. Le Comité suggère de prendre des mesures pour améliorer le système de collecte de statistiques, d'indicateurs précis et autres données relatives à la situation des enfants.

30. Le Comité engage le Gouvernement sri-lankais à veiller tout particulièrement à l'application intégrale de l'article 4 de la Convention et à assurer une répartition judicieuse des ressources aux niveaux central, régional et local. Les allocations budgétaires au titre de la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels, et notamment des services de probation et de protection, devraient être effectuées au maximum des ressources disponibles et compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant.

31. En ce qui concerne l'application des articles 12, 13 et 15 de la Convention, le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager la possibilité de faciliter la participation des enfants à l'adoption des décisions les concernant et la prise en considération de leurs opinions à cet égard, notamment dans la famille, à l'école et devant la justice.

32. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre des mesures pour lutter contre les violences et les brutalités physiques infligées aux enfants, y compris la violence sexuelle et les châtiments corporels. Dans le cadre de la révision de sa loi sur la maltraitance des enfants, l'Etat partie devrait tenir soigneusement compte de toutes les garanties offertes par l'article 19 de la Convention. Le Comité suggère en outre de donner à des groupes professionnels, notamment aux enseignants, aux responsables de l'application des lois, aux travailleurs sociaux et aux membres des forces armées, une formation en ce qui concerne les dispositions de la Convention. Les autorités pourraient demander une assistance technique internationale en la matière.

33. Pour éviter que des enfants ne soient abandonnés par leurs mères qui travaillent à l'étranger, le Comité suggère à l'Etat partie d'entrer en pourparlers avec les pays d'accueil aux fins de la conclusion d'un accord international autorisant les travailleurs migrants à emmener leurs enfants avec eux à l'étranger. Il faudrait envisager la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

34. Pour lutter contre le placement en institution et l'abandon des enfants nés hors mariage, le Comité recommande à l'Etat partie d'établir un système de rechange approprié de protection de la famille, correspondant à la culture et aux coutumes nationales. Le Comité engage aussi les autorités à accorder une aide sans réserve aux mères d'enfants nés hors mariage, désireuses de garder leurs enfants.

35. En ce qui concerne l'adoption nationale, le Comité insiste sur la nécessité de porter les normes au niveau de celles en vigueur pour l'adoption internationale. Il se félicite de ce que Sri Lanka ait été l'un des premiers Etats qui ont ratifié la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

36. Le Comité suggère que des mesures de réadaptation soient prises en faveur des enfants victimes de violences et que le gouvernement interdise la publication, par les médias, des noms des victimes.

37. Afin de mieux comprendre et mieux prévenir le suicide, le Comité engage les autorités à entreprendre une étude et une enquête concernant ce phénomène.

38. En ce qui concerne le problème général des enfants déplacés et réfugiés, le Comité recommande de prendre toutes les mesures pertinentes pour assurer que ces groupes vulnérables aient accès aux services de base, notamment dans les domaines de l'éducation, de la santé et de la réadaptation sociale.

39. Le Comité recommande que le Ministère de l'éducation prenne sous sa responsabilité la création et la gestion d'établissements d'éducation préscolaire.

40. En ce qui concerne l'administration de la justice pour mineurs, il est suggéré à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour mettre pleinement en application les principes et les dispositions de la Convention. Le Comité recommande que la réforme législative qui sera entreprise dans ce domaine reflète dûment les dispositions de la Convention ainsi que d'autres normes internationales pertinentes, telles que les Règles de Beijing, les Principes de Riyad et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. Il est suggéré de prendre dûment en considération l'intérêt supérieur de l'enfant et son droit d'être entendu, et de n'envisager la privation de liberté qu'en dernier recours et pour une période aussi brève que possible. A cet égard, le Comité recommande de relever l'âge de la majorité pénale et de considérer comme des enfants les personnes âgées entre 16 et 18 ans.

41. Le Comité recommande que la réforme de la loi régissant le travail des enfants porte à 15 ans l'âge minimum d'accès à l'emploi, de même que l'âge de fin de scolarité obligatoire. Il suggère d'instituer un mécanisme de surveillance et d'inspection pour faciliter une application efficace de la nouvelle loi. L'Etat partie devrait porter dûment son attention sur les enfants qui travaillent comme domestiques et encourager, par la voie de la promotion et de l'application de la Convention, une évolution des mentalités et des comportements. Le Comité propose que le Gouvernement sri-lankais envisage de demander une assistance technique à l'OIT dans la perspective de la réforme législative, et suggère que l'Etat partie envisage de ratifier la Convention No 138 de cette organisation.

42. Le Comité se déclare profondément préoccupé par le développement de l'exploitation sexuelle d'enfants, en particulier de garçons, à la faveur du tourisme sexuel. Il suggère que les autorités entreprennent une campagne de prévention contre le VIH et renforcent les procédures de surveillance des zones touristiques où celui-ci sévit.

43. Le Comité recommande au gouvernement, eu égard au paragraphe 6 de l'article 44 de la Convention, de donner à son rapport périodique la plus grande diffusion possible et d'envisager de le faire publier, ainsi que les comptes rendus analytiques et les présentes observations finales du Comité.

44. S'agissant de l'impact traumatisant que le conflit civil armé à Sri Lanka exerce sur les enfants, le Comité recommande que, conformément au paragraphe 4 de l'article 44 de la Convention, des renseignements complémentaires lui soient présentés dans un délai de deux ans concernant les effets du conflit armé sur les enfants, la participation de ces derniers aux combats et la manière dont les autorités traitent les enfants soldats faits prisonniers de guerre.


*/ A la 233ème séance, le 9 juin 1995.



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