University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Sénégal, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.44 (1995).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Dixième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Sénégal



1. Le Comité a examiné le rapport initial du Sénégal (CRC/C/3/Add.31) au cours de ses 247ème, 248ème et 249ème séances (CRC/C/SR.247 à 249), les 8 et 9 novembre 1995, et il a adopté*/ les observations finales ci-après :

A. Introduction

2. Le Comité remercie le Gouvernement sénégalais d'avoir engagé avec lui un dialogue constructif par l'intermédiaire d'une délégation de haut niveau. Toutefois, il déplore que pour le rapport on n'ait pas suivi les indications des Directives concernant l'établissement des rapports initiaux des Etats parties, et qu'il n'y soit pas question de certains domaines visés par la Convention.

B. Facteurs positifs

3. Le Comité, notant que, de longue date, l'Etat partie est attaché aux instruments internationaux concernant les droits de l'homme, et rappelant sa participation active au processus de rédaction de la Convention, exprime sa satisfaction du fait que le Sénégal a rapidement ratifié celle-ci.

4. Le Comité se réjouit du fait que le Sénégal applique le principe de la primauté des règles internationales relatives aux droits de l'homme par rapport à la législation nationale. Il note également avec satisfaction que la Convention est d'application directe et que ses dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux.

5. Le Comité note avec satisfaction le r_le actif que joue le Sénégal pour promouvoir la prise de conscience des droits de l'enfant, dont on voit des preuves dans l'organisation à Dakar de la Conférence internationale pour l'assistance à l'enfant africain et dans l'organisation de la récente rencontre africaine de préparation à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, au cours de laquelle la situation des enfants de sexe féminin a fait l'objet d'une attention particulière.

6. Certaines initiatives précises qui ont été prises dans le contexte de la ratification de la Convention sont également les bienvenues, y compris l'institution de parlements des enfants aux niveaux national et régional, la mise en place d'un Comité présidentiel chargé du suivi du Sommet mondial pour les enfants, et l'action en faveur du Mouvement des maires pour l'enfance.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

7. Le Comité reconnaît les difficultés économiques rencontrées par l'Etat partie, en particulier celles qui découlent de l'application des politiques d'ajustement structurel et de la récente dévaluation du franc CFA.

D. Principaux sujets de préoccupation

8. Le Comité est préoccupé par le fait que certaines attitudes culturelles traditionnelles à l'égard des enfants peuvent entraver le plein exercice, par les enfants sénégalais eux-mêmes, des droits consacrés dans la Convention. L'idée de l'enfant comme sujet de droits n'a pas encore pénétré dans toutes les couches de la société sénégalaise.

9. Le Comité est préoccupé par le fait que la formation méthodique des catégories professionnelles qui ont affaire aux enfants, y compris les enseignants, les travailleurs sociaux, les juges et les fonctionnaires chargés de l'application des lois, ne bénéficient que d'une attention insuffisante.

10. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des mesures adoptées pour pouvoir disposer d'un système de collecte des données satisfaisant en vue de la surveillance de l'application de la Convention; la ventilation des données et l'établissement d'indicateurs appropriés permettraient de se faire une idée des progrès réalisés dans tous les domaines en ce qui concerne toutes les catégories d'enfants, et ceci sur le triple plan national, régional et local.

11. Le Comité est également préoccupé de l'insuffisance des mesures adoptées pour assurer la pleine conformité de la législation nationale avec les dispositions de la Convention. Il note en particulier l'absence de conformité des dispositions législatives pour les questions ayant trait à la définition juridique de l'enfant. Les filles peuvent se marier très jeunes, et de plus l'âge du mariage est pour elles plus bas que pour les garçons, ce qui pose de graves questions de compatibilité avec la Convention, en particulier avec l'article 2. Autre sujet de préoccupation : l'écart entre l'âge de la fin de l'obligation scolaire et l'âge minimum pour occuper un emploi. On note aussi avec inquiétude qu'il n'est prescrit aucun âge minimum au-dessous duquel les enfants sont présumés ne pas pouvoir enfreindre sciemment la loi pénale.

12. Le Comité est particulièrement préoccupé par l'insuffisance des mesures visant à assurer l'application effective du principe de non-discrimination. A cet égard, il note la persistance d'attitudes discriminatoires à l'égard des filles, qui se traduit également, à leur détriment, par un taux de fréquentation scolaire notablement plus bas et par un taux d'abandon scolaire plus élevé. Il déplore aussi la discrimination de facto et de jure qui existe à l'égard des enfants nés hors mariage.

13. En ce qui concerne l'article 4 de la Convention, le Comité est préoccupé du caractère peu satisfaisant des mesures adoptées pour mettre en oeuvre les droits économiques, sociaux et culturels en utilisant au maximum les ressources disponibles. La proportion du produit intérieur brut qui est allouée à la santé est insuffisante par rapport à ce qui est recommandé par l'Organisation mondiale de la santé.

14. L'absence d'instruction à la fois obligatoire et gratuite au niveau primaire est un sujet de profonde inquiétude.

15. Le Comité est gravement préoccupé par les conditions de vie difficiles d'un grand nombre de talibés, qui sont privés de l'exercice des droits fondamentaux reconnus par la loi.

16. Le Comité exprime sa préoccupation au sujet du nombre élevé des enfants qui travaillent, en particulier de ceux qui travaillent dans le secteur informel, et au sujet de la situation des filles employées comme domestiques.

17. Le Comité est également préoccupé par les insuffisances du régime actuel de la justice pour mineurs et des incompatibilités qu'il fait apparaître par rapport à la Convention.

E. Suggestions et recommandations

18. Le Comité encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts visant à vulgariser, à faire connaître et à faire mieux comprendre la Convention, et à familiariser le grand public avec ses principes fondamentaux, notamment en la faisant traduire dans toutes les langues nationales, l'accent étant mis en particulier sur les personnes qui vivent dans les zones rurales. Le gouvernement devrait poursuivre ses efforts, en coopération étroite avec les dirigeants communautaires et religieux, en vue de favoriser l'évolution des attitudes négatives persistantes dont souffrent les enfants, en particulier les filles, et d'abolir les pratiques préjudiciables à la santé des enfants, en particulier les pratiques de mutilation génitale des filles.

19. Le Comité encourage également l'Etat partie à veiller à la mise en place systématique d'activités de formation portant sur la Convention à l'intention des catégories professionnelles qui travaillent avec et pour les enfants, y compris les enseignants, les juges, les travailleurs sociaux, les fonctionnaires chargés de l'application de la loi et le personnel chargé de recueillir des données dans les domaines visés par la Convention.

20. Le Comité recommande que soit élaboré un mécanisme de coordination permanent et pluridisciplinaire pour la surveillance et l'évaluation des progrès réalisés dans l'application de la Convention.

21. Le Comité recommande aussi que des mesures soient prises pour améliorer le système de rassemblement des données statistiques et autres, dans tous les domaines visés par la Convention et sur la base d'indicateurs appropriés, aux niveaux national, régional et local. Ce système devrait concerner toutes les catégories d'enfants, étant entendu que les catégories les plus vulnérables, y compris les enfants pauvres, les filles, les jeunes domestiques et les talibés feraient l'objet d'une attention particulière.

22. Le Comité est d'avis qu'un effort tout particulier devrait être fait pour mettre en place un système efficace d'enregistrement des naissances, compte tenu de l'article 7 du Pacte, ceci afin que tous les enfants puissent jouir sans discrimination des droits fondamentaux inscrits dans la Convention, et afin de disposer d'un instrument utile pour connaître les difficultés et faciliter les progrès.

23. En ce qui concerne l'application de l'article 4 de la Convention, le Comité recommande qu'une attention particulière soit accordée à la nécessité d'allouer, dans toute la mesure des ressources disponibles, des crédits budgétaires à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, compte tenu des principes concernant la non-discrimination et l'intérêt supérieur de l'enfant. Des efforts devraient être faits pour diminuer l'impact négatif des politiques d'ajustement structurel sur les enfants.

24. Le Comité recommande à l'Etat partie de veiller à ce que la législation nationale soit pleinement conforme aux dispositions et principes de la Convention, compte tenu des sujets de préoccupation recensés par le Comité ainsi que dans l'étude sur une réforme juridique d'ensemble effectuée sous les auspices de l'UNICEF. Les principes de la Convention, y compris ceux qui concernent l'interdiction de la discrimination et la participation des enfants aux décisions les concernant, doivent être reflétés dans le droit interne. Il devrait y avoir des dispositions expresses visant à interdire clairement la mutilation génitale féminine, toute autre forme de torture et de traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant, ainsi que toute forme de châtiment corporel dans le cadre de la famille. Des mesures satisfaisantes, de caractère législatif et autre devraient également être prises pour définir des procédures de plainte pour les enfants dont les droits fondamentaux ont été violés.

25. Le Comité recommande que soient prises des mesures législatives visant à formuler une définition de l'enfant à la lumière de la Convention, y compris en vue de fixer un âge égal du mariage pour les filles et pour les garçons, compte tenu de l'article 2, un âge minimum pour la responsabilité pénale compte tenu de l'article 40 (par. 3 a)), un âge égal pour la fin de l'obligation scolaire et un âge minimum pour l'emploi, compte tenu des articles 28, 29 et 32. Le Comité recommande également que le principe de la non-discrimination soit clairement pris en compte dans la loi, y compris en ce qui concerne les enfants nés hors mariage.

26. Le Comité recommande qu'au cours du processus visant à opérer une réforme d'ensemble de la loi, on se préoccupe de la pleine application des principes et dispositions de la Convention, ainsi que d'autres règles pertinentes adoptées à l'ONU dans le domaine de l'administration de la justice pour mineurs, y compris les Règles de Beijing, les Principes directeurs de Riyad et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, de manière à instaurer un système orienté vers l'enfant compte tenu de l'intérêt supérieur de ce dernier.

27. Le Comité recommande en outre que la réforme de la législation relative au travail des enfants se préoccupe de la situation des enfants travaillant dans le secteur informel, en accordant l'attention voulue aux services domestiques, compte tenu des recommandations formulées dans l'étude établie sous les auspices de l'OIT. A cet égard, le Comité suggère à l'Etat partie d'envisager de demander l'assistance technique de l'OIT.

28. De l'avis du Comité, de nouvelles mesures devraient être prises pour renforcer le système éducatif, en particulier dans les zones rurales, afin d'améliorer la qualité de l'enseignement et d'abaisser le taux d'abandon scolaire. Le Comité recommande aussi à l'Etat partie d'adopter toutes les mesures nécessaires pour que soit mis en place un système d'enseignement primaire obligatoire et gratuit, sur la base de l'égalité des chances, et compte dûment tenu de la situation des filles.

29. Le Comité recommande que, dans le cadre du processus d'application de la Convention, l'Etat partie accorde une attention toute spéciale à la situation des talibés. De nouvelles mesures devraient être adoptées pour faire en sorte qu'ils puissent exercer effectivement leurs droits fondamentaux et être protégés contre toute forme de discrimination. Des efforts devraient être faits pour que soit instauré un système permettant à l'Etat partie de suivre l'évolution de leur situation, en étroite coopération avec les dirigeants religieux et communautaires.

30. Compte tenu de l'article 44, le Comité émet l'avis que le rapport initial présenté par le Sénégal devrait être largement diffusé auprès du public en général, et que l'on devrait envisager de publier ce rapport, ainsi que les comptes rendus analytiques des débats et les observations finales adoptées à cette occasion par le Comité.


*/ A la 259ème séance, le 17 novembre 1995.



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