University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Pakistan, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.18 (1994).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Sixième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Conclusions du Comité des droits de l'enfant : Pakistan



1. Le Comité a examiné le rapport initial du Pakistan (CRC/C/3/Add.13) à ses 132ème, 133ème et 134ème séances (CRC/C/SR.132 à 134), tenues les 5 et 6 avril 1994, et a adopté */ les conclusions suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité note que l'Etat partie a ratifié promptement la Convention et prend acte du rôle qu'il a joué aux côtés des cinq autres Etats à l'origine du Sommet mondial pour les enfants de 1990, contribution essentielle à la promotion et à la protection des droits de l'enfant.

3. Le Comité se félicite des réponses écrites fournies aux questions qu'il a posées avant la session. Il regrette que pour rédiger son rapport, l'Etat partie n'ait pas suivi les directives générales applicables.

4. Se fondant sur les informations données dans le rapport initial et à l'occasion du dialogue auquel son examen a donné lieu, le Comité est d'avis que les mesures d'ordre législatif et autres en vigueur ne permettent pas d'assurer l'application de la Convention. En même temps, il prend note des déclarations faites par le représentant de l'Etat partie indiquant que de nouveaux efforts seront faits pour remédier aux problèmes soulevés par le Comité. A la lumière de ces considérations, le Comité demande qu'un rapport intérimaire lui soit soumis avant la fin de 1996.


B. Aspects positifs

5. Le Comité se félicite qu'une conférence nationale ait été organisée en décembre 1991 pour débattre des questions prioritaires de la survie, de la protection et du développement de l'enfant. Il a pris note avec satisfaction de la "Déclaration d'Islamabad" adoptée à cette occasion.

6. Le Comité note avec satisfaction l'appui tangible et les encouragements apportés par le Gouvernement pakistanais à la Décennie de la fillette lancée par l'Association sud-asiatique de coopération régionale (ASACR).

7. Le Comité se félicite des observations faites par la délégation de l'Etat partie sur l'importance qu'il attache aux conseils émis par le Comité quant aux mesures à prendre pour mettre effectivement en application la Convention avec le concours notamment d'institutions et d'organismes internationaux et d'organisations non gouvernementales.


C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre
de la Convention

8. Le Comité reconnaît que l'Etat partie accuse un fort taux de croissance démographique et que près de la moitié de la population est âgée de moins de 18 ans. Il note par ailleurs que la situation économique n'a pas été favorable et que le revenu par habitant est relativement faible. L'arrivée de plus de 3 millions de réfugiés d'Afghanistan a pesé lourdement sur les ressources. Le Comité a relevé parmi d'autres difficultés un taux élevé d'analphabétisme et l'existence de coutumes et de valeurs traditionnelles qui ont par exemple retardé la lutte contre la discrimination dont les fillettes sont victimes.


D. Principaux sujets de préoccupation

9. Le Comité est d'avis que l'étendue et l'imprécision de la réserve faite à la Convention justifient une profonde inquiétude quant à sa compatibilité avec l'objet et le but de la Convention.

10. Le Comité estime que pour rédiger le rapport, il n'a peut-être pas été accordé toute l'attention voulue à la possibilité d'obtenir une vue d'ensemble de la situation actuelle en ce qui concerne la réalisation des droits de l'enfant, propre à assurer la base de stratégies bien ciblées, y compris la définition de priorités et un contrôle des progrès réalisés. Il ne voit pas très bien non plus dans quelle mesure l'examen de la situation des enfants dans l'Etat partie était destiné à encourager et faciliter la participation populaire et l'intérêt critique de l'opinion publique pour la politique gouvernementale.

11. Le Comité constate par ailleurs combien il est difficile, eu égard au régime fédéral, de départager les responsabilités des autorités fédérales et provinciales; l'absence de coordination administrative semble poser un grave problème. Un autre sujet de préoccupation réside dans l'incohérence et le manque de transparence entre certaines lois et leur application au sein des provinces et d'une province à l'autre.

12. Bien que le Comité prenne acte de la déclaration faite par l'Etat partie, à savoir que dans son ensemble la législation interne n'est pas contraire aux droits de l'enfant tels qu'ils sont définis dans la Convention, il est préoccupé par le fait que plusieurs de ces droits ne sont pas reconnus par le droit interne. Plus précisément, la législation ne semble pas garantir à tous les enfants, y compris aux non-citoyens, la protection que devraient leur assurer les droits proclamés dans la Convention. Qui plus est, le Comité relève l'incompatibilité de certaines dispositions de la législation interne avec les dispositions et principes de la Convention, notamment celles touchant la flagellation, la peine capitale et l'emprisonnement à perpétuité qui peuvent être imposés aux enfants âgés de moins de 18 ans.

13. Le Comité est préoccupé par le fait qu'il ne semble pas avoir été tenu suffisamment compte des dispositions de caractère budgétaire de l'article 4 de la Convention, en raison de la division des responsabilités entre autorités fédérales et provinciales. Il note que des organismes internationaux ont mis en cause la répartition actuelle des crédits dans l'Etat partie entre les affaires sociales et les autres secteurs, dont la défense.

14. Le Comité s'inquiète du peu de sensibilisation apparent de l'opinion publique, y compris des enfants et des différents milieux professionnels, aux dispositions et aux principes de la Convention.

15. Le Comité constate qu'il ne semble pas que l'on ait accordé suffisamment d'attention à la mise en oeuvre des principes généraux de la Convention, à savoir de ses articles 2, 3, 6 et 12, pour orienter les mesures à prendre afin qu'aucun des droits de l'enfant ne demeure lettre morte.

16. Le Comité est profondément préoccupé par la situation des fillettes, pour ce qui est à la fois de l'effet de la législation en vigueur, des mesures adoptées et des pratiques et coutumes qui contribuent à exercer une discrimination à leur encontre, telles que le mariage précoce et le manque d'intérêt prêté à leur scolarisation.

17. La discrimination exercée contre les enfants handicapés est une autre cause de souci pour le Comité.

18. Le Comité note avec inquiétude que les plans de santé nationaux semblent mettre l'accent sur la formation de médecins plutôt que d'infirmières et d'autres agents du personnel sanitaire, y compris d'auxiliaires médicaux. L'absence apparente de clarté quant à la répartition des responsabilités entre autorités provinciales et fédérales s'agissant du développement d'un système de soins de santé primaires efficace a aussi retenu son attention.

19. Le Comité s'interroge sérieusement sur l'efficacité des mesures propres à atteindre l'objectif de l'enseignement primaire pour tous, tout spécialement pour les filles.

20. Le Comité souligne qu'il est très préoccupé par le système d'administration de la justice pour les jeunes et son incompatibilité avec les dispositions de la Convention, notamment ses articles 37, 39 et 40, ainsi que d'autres normes pertinentes des Nations Unies, en l'occurrence, les "Règles de Beijing", les "Principes directeurs de Riyad" et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.

21. Le Comité est profondément alarmé par les rapports faisant état du travail forcé des enfants, de l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile dans l'agriculture et le secteur parallèle de l'économie ainsi que du trafic d'enfants, qui ont été portés à son attention.


E. Suggestions et recommandations

22. Le Comité exprime le ferme espoir que l'Etat partie reconsidérera la réserve qu'il a formulée en vue de la retirer.

23. Tout en notant les informations contenues dans le rapport, à savoir qu'un examen de la législation interne a été entrepris en vue d'en examiner la conformité avec la Convention, le Comité encourage l'Etat partie à se pencher de près sur les mesures d'ordre législatif et autres prises à l'échelon tant fédéral que provincial pour veiller de façon générale, à ce qu'à tous égards, elles soient pleinement compatibles avec les principes et dispositions de la Convention. Le Comité exprime aussi l'espoir que, ce faisant, l'Etat partie tiendra compte des préoccupations du Comité, en particulier de ses recommandations concernant l'abolition de la flagellation et de la peine capitale pour les enfants âgés de moins de 18 ans, tendant à ce que la privation de liberté ne serve qu'en dernier recours et pour un laps de temps aussi bref que possible, ainsi que de ses suggestions à propos de ce qu'il faut entendre par "enfant", s'agissant par exemple de l'âge de la responsabilité pénale.

24. Le Comité encourage l'Etat partie à entreprendre un examen approfondi de son plan national d'action en faveur des enfants. Il recommande des dates limites et de définir des buts quantifiables, que les buts du plan soient atteints, de façon quantifiable, dans des délais précis et que la Convention relative aux droits de l'enfant soit pleinement intégrée dans ce plan.

25. Le Comité souligne l'importance et l'intérêt qu'il y a à mettre en place un mécanisme de coordination pour déterminer les priorités, suivre et évaluer régulièrement les progrès réalisés dans la mise en oeuvre des droits de l'enfant aux niveaux fédéral, provincial et local. Comme première mesure en ce sens, le Comité suggère à l'Etat partie d'envisager de créer une commission interministérielle ou un organe similaire doté d'un pouvoir politique pour, dans un premier temps, passer en revue et définir les mesures propres à donner suite aux observations formulées au cours du dialogue constructif qui s'est engagé entre l'Etat partie et le Comité.

26. L'intérêt supérieur de l'enfant est un principe directeur dans la mise en oeuvre de la Convention, notamment de son article 4, et, à cet égard, le Comité note l'importance de son application, en veillant à ce que le maximum de ressources possible soit consacré aux programmes en faveur des enfants, tout spécialement à l'occasion de l'examen du budget du secteur social, aux niveaux tant fédéral que provincial.

27. De l'avis du Comité, des mesures énergiques s'imposent pour faire largement connaître les dispositions et les principes de la Convention aux adultes comme aux enfants. Il est suggéré, pour ce faire, d'encourager les dirigeants politiques, religieux et communautaires à assumer un rôle actif dans l'action menée pour éradiquer des pratiques ou coutumes traditionnelles qui exercent un effet discriminatoire à l'égard des enfants et plus particulièrement des fillettes, ou nuisent à leur santé et à leur bien-être. De plus, il est recommandé de dispenser une formation aux droits de l'enfant aux milieux intéressés. Le personnel chargé de l'application des lois, notamment les policiers et les magistrats, en particulier ceux qui ont à voir avec le système d'administration de la justice pour les jeunes, devraient connaître les dispositions de la Convention.

28. Le Comité recommande aussi à l'Etat partie de mettre au point des programmes de sensibilisation et de formation pour lutter contre la violence à l'égard des enfants et empêcher qu'ils ne soient victimes d'exploitation, de délaissement, d'abandon et de mauvais traitements. Ces programmes devraient viser notamment les parents, les enseignants et les responsables de l'application des lois. Il faudrait aussi envisager d'instaurer des procédures efficaces d'examen des plaintes.

29. Le Comité encourage le gouvernement à continuer de prendre des mesures pour renforcer le système de soins de santé primaires. Il aimerait que l'on accorde davantage d'importance à l'éducation familiale, notamment à la planification familiale, et encourage la formation d'agents de soins de santé communautaires à cet effet. Il suggère aussi de mettre au point au niveau communautaire un programme de vulgarisation qui traite des problèmes des enfants handicapés, eu égard à leur vulnérabilité particulière.

30. Faisant écho aux recommandations d'instances internationales, le Comité tient à souligner combien il importe d'appeler l'attention sur l'amélioration de la diffusion et de la qualité de l'enseignement, vu notamment la contribution qu'il peut apporter à la solution de problèmes divers, dont la situation des fillettes et la réduction du nombre d'enfants qui travaillent. Le Comité exhorte le gouvernement à envisager de prendre d'urgence des mesures énergiques pour s'attaquer aux problèmes de la faible fréquentation scolaire des fillettes et des taux élevés d'abandon scolaire et d'analphabétisme, en particulier chez les fillettes et les femmes. Il appelle l'attention sur la possibilité de tirer parti des activités des groupes de femmes pour améliorer l'accès à l'éducation des fillettes au niveau communautaire.

31. Le Comité suggère de revoir le système d'administration de la justice pour les jeunes pour l'adapter aux dispositions et principes de la Convention. L'Etat partie pourrait à cet égard demander au Centre pour les droits de l'homme des conseils et une assistance techniques au titre de son programme de services consultatifs et d'assistance technique.

32. Le Comité recommande à l'Etat partie d'évaluer sérieusement la pertinence des mesures prises pour traiter des problèmes de l'exploitation des enfants. Se référant à la législation qui vient d'être adoptée dans ce domaine, à savoir la loi sur l'emploi des enfants et la loi portant abolition du régime du travail forcé, ainsi qu'aux conclusions du Séminaire pour la région de l'Asie consacré à l'esclavage des enfants qui s'est tenu à Islamabad, le Comité tient à souligner l'importance des mesures à prendre pour mettre ces textes en application, en pensant notamment à l'instauration d'une part, de procédures d'inspection et examen des plaintes et d'autre part, de commissions de vigilance. Un programme de réadaptation des enfants libérés après avoir été soumis au travail forcé est également recommandé. Le Comité recommande aussi à l'Etat partie de prêter davantage attention aux problèmes de l'emploi des enfants dans le secteur parallèle de l'économie et dans l'agriculture et d'arrêter les mesures voulues pour y remédier. Le Comité estime que des conseils techniques, en particulier de l'OIT, pourraient être utiles à cet égard.

33. Le Comité reconnaît que depuis de nombreuses années, l'Etat partie manifeste sa bonne volonté en accueillant des réfugiés, en particulier des pays voisins, et exprime l'espoir que le gouvernement fédéral continuera d'accorder le statut de réfugié aux enfants, et à leurs familles, si le besoin s'en fait sentir à l'avenir, tout en assurant un système d'enregistrement élaboré.

34. Le Comité appelle l'attention sur les dispositions de l'article 45 b) de la Convention concernant la prestation d'une assistance et de conseils techniques et encourage le gouvernement à continuer de coopérer avec les organisations intergouvernementales et non gouvernementales pour améliorer la situation des enfants. Qui plus est, il encourage le Centre pour les droits de l'homme, l'UNICEF et l'OIT, ainsi que les autres organisations et organismes intéressés à fournir, si la demande leur en est faite, assistance et conseils à l'Etat partie pour ses programmes de mise en oeuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant.

35. Enfin, le Comité se félicite de l'engagement pris par la délégation de l'Etat partie de lui faire parvenir des réponses aux questions auxquelles elle n'a pu répondre pendant l'échange de vues. Il accueille aussi avec satisfaction l'invitation faite aux membres du Comité de se rendre dans l'Etat partie. Il propose à l'Etat partie de lui soumettre avant la fin de 1996 un rapport intérimaire sur l'application de la Convention, établi conformément aux directives générales pertinentes et tenant compte des observations émises à l'occasion du dialogue qui s'est instauré entre le Comité et l'Etat partie.

*/ A la 156ème séance, tenue le 22 avril 1994.




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