University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Nicaragua, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.36 (1995).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Neuvième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Nicaragua


1. Le Comité a examiné le rapport initial du Nicaragua (CRC/C/3/Add.25) à ses 211ème, 212ème et 213ème séances (CRC/C/SR.211 à 213), tenues les 22 et 23 mai 1995, et a adopté*/ les observations finales suivantes :

A. Introduction

2. Le Comité note que les problèmes des enfants au Nicaragua sont exposés avec franchise dans le rapport de l'Etat partie. A son avis, le dialogue instauré avec le gouvernement et ses représentants, notamment grâce à leurs réponses écrites et orales aux questions posées par le Comité, est constructif et utile puisqu'il permet de préciser les mesures prises ou envisagées pour mettre en oeuvre la Convention.

B. Aspects positifs

3. Le Comité note que le gouvernement reconnaît que des efforts importants s'imposent pour résoudre les problèmes graves auxquels les enfants sont confrontés dans l'Etat partie. Il partage l'opinion de l'Etat partie selon laquelle la situation des enfants ne peut être améliorée que si la réforme législative s'accompagne d'un développement social et économique. Il note à cet égard qu'au niveau national, le gouvernement a inscrit la situation des enfants à l'ordre du jour du développement social et qu'au niveau local, des initiatives ont été prises par les maires des villes pour affecter des ressources supplémentaires au secteur de l'éducation.

4. Pour ce qui est de la réforme législative, le Comité note, en particulier, que l'Etat partie envisage la possibilité d'amender la Constitution pour y inclure une disposition en vertu de laquelle la Convention relative aux droits de l'enfant bénéficierait du même rang juridique que la Constitution. Le Comité a également noté que l'Assemblée nationale du Nicaragua a apporté des modifications importantes à certaines lois qui portent sur les violences sexuelles commises à l'encontre des femmes et des enfants et qu'elle a entrepris un examen approfondi des diverses lois relatives aux enfants pour assurer leur compatibilité avec les dispositions de la Convention.

5. Le Comité note avec satisfaction que le Gouvernement nicaraguayen a créé en 1994 la Commission nationale de promotion et de défense des droits de l'enfant et envisage de nommer un médiateur pour les enfants. Il note également avec satisfaction que la Commission nationale est en contact avec la Coordination nicaraguayenne des organisations non gouvernementales s'occupant de l'enfance et que ces contacts semblent faciliter la coordination et l'exécution de divers plans d'ensemble ainsi que l'organisation de manifestations qui ont un impact sur les enfants.

6. Le Comité se félicite de ce que l'Etat partie considère l'obligation de présenter des rapports en application de la Convention comme l'occasion d'établir un document et d'engager un dialogue qui pourraient servir de points de référence et de sources d'inspiration pour l'adoption de mesures plus concrètes en faveur des enfants.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

7. Le Comité reconnaît que les catastrophes naturelles et les années de conflit interne ont sérieusement affecté la situation des enfants et des familles au Nicaragua.

8. Le Comité est conscient qu'étant un des pays les plus endettés du monde, le Nicaragua a des obligations particulièrement lourdes en matière de remboursement de la dette extérieure. Il note également que le Nicaragua est l'un des pays les plus pauvres de l'Amérique latine, que le ch_mage et le sous-emploi touchent presque 60 % de la population et que plus de 70 % de la population vit dans la pauvreté et près de 25 % dans la misère. Compte tenu de cette réalité et du fait que plus de la moitié de la population nicaraguayenne a moins de 18 ans, le Comité note que ces facteurs montrent encore mieux les difficultés auxquelles les enfants se heurtent au Nicaragua.

D. Principaux sujets de préoccupation

9. Le Comité est préoccupé par le fait que les attitudes culturelles traditionnelles à l'égard des enfants et de leur r_le dans la famille et dans la société risquent d'entraver la mise en oeuvre de la Convention. A cet égard, il note que les mesures législatives et autres prises par l'Etat partie n'accordent pas suffisamment d'importance à l'enfant en tant que sujet de droit, ce qui risque d'empêcher les enfants nicaraguayens de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux tels qu'ils sont reconnus dans la Convention.

10. Le Comité constate avec inquiétude que les principes et les dispositions de la Convention sont mal connus et mal compris dans le pays. Cette lacune apparaît également dans le fait qu'il n'existe pas à proprement parler de cours consacrés aux droits de l'enfant dans les programmes de formation destinés aux professionnels travaillant avec les enfants ou pour eux.

11. Le Comité reste préoccupé par les insuffisances apparentes de la coordination des différents efforts visant à appliquer la Convention.

12. Le Comité considère aussi que faute de mécanismes appropriés de collecte et d'analyse des informations, statistiques et autres, relatives aux différents groupes d'enfants, notamment les enfants autochtones, les fillettes et les enfants vivant dans la pauvreté, il est très difficile de mesurer efficacement le degré d'application de la Convention.

13. Le Comité note avec préoccupation que les lois nationales actuelles et les projets de loi ne sont pas pleinement conformes à certains éléments de la définition juridique de l'enfant. De l'avis du Comité, le fait que la loi autorise les jeunes filles à contracter mariage très jeunes et plus t_t que les garçons soulève de graves problèmes quant à la compatibilité de ces dispositions légales avec les principes et les dispositions de la Convention, en particulier ceux qui figurent aux articles 2, 3 et 6.

14. Le Comité est très préoccupé par les réformes législatives fixant l'âge de la fin de la scolarité obligatoire à 12 ans et l'âge minimum d'accès à l'emploi à 14 ans car les enfants âgés de 12 à 14 ans courent ainsi le risque d'être exploités économiquement.

15. Le Comité reste préoccupé par la persistance apparente d'attitudes discriminatoires à l'égard des filles, des enfants nés hors mariage, des enfants appartenant à des familles à faible revenu et des enfants appartenant à des groupes minoritaires ou à des groupes autochtones.

16. Le Comité est préoccupé par les difficultés permanentes rencontrées pour assurer l'enregistrement des naissances, en particulier dans les régions rurales. L'enregistrement de tous les enfants est nécessaire, en particulier pour assurer leur reconnaissance en tant que sujets de droit ainsi que leur aptitude à jouir pleinement de leurs droits et, d'une manière générale, pour faciliter le suivi efficace de la situation des enfants et aider ainsi à l'élaboration de programmes appropriés et correctement ciblés.

17. Le Comité partage les préoccupations qu'inspire à l'Etat partie l'exploitation fréquente des enfants dans les médias, au détriment de leur personnalité et de leur statut de mineurs.

18. Le Comité se demande avec inquiétude si les mesures visant à assurer une supervision et un contr_le réguliers du fonctionnement des institutions s'occupant d'enfants sont suffisantes. De même, il continue de se demander si les mesures prises pour appliquer les dispositions de la Convention relatives à l'adoption, en particulier l'adoption internationale, et pour lutter contre la traite d'enfants sont suffisantes.

19. Le Comité est préoccupé par le taux relativement élevé de mortalité maternelle au Nicaragua, d'autant plus que des jeunes filles figurent parmi les victimes. Il note également que les avortements clandestins et les grossesses chez les adolescentes semblent être un grave problème dans le pays.

20. Le Comité note que les femmes nicaraguayennes donnent naissance en moyenne à cinq enfants, que le pourcentage des familles monoparentales est relativement élevé, que les familles ont du mal à assurer un niveau de vie suffisant à leurs enfants et que des enfants souffrent de retard de croissance et de malnutrition.

21. Le Comité continue de se poser avec inquiétude la question de savoir si les mesures prises pour améliorer l'accès à l'éducation et pour réduire les taux élevés d'abandon scolaire et de redoublement sont suffisantes.

22. Le Comité est profondément préoccupé par la question des mauvais traitements et de la violence, qui persistent dans la famille et dans la société en général. Etant donné cette réalité, il continue de se demander avec une profonde inquiétude si des mesures suffisantes sont prises pour prévenir ces mauvais traitements et cette violence, donner suite aux plaintes des enfants qui disent en avoir été victimes et empêcher que les personnes qui leur ont infligé des mauvais traitements restent impunies.

23. Le Comité exprime sa préoccupation devant l'application insuffisante des dispositions et des principes de la Convention relatifs à l'administration de la justice pour mineurs. Il relève l'absence de mesures visant à créer un système de justice pour mineurs adapté aux besoins des enfants et capable de protéger leurs droits. A cet égard, il est préoccupé par l'absence de mécanisme permettant d'appliquer un traitement de substitution et par le fait que le système actuellement en place semble incapable de répondre aux besoins des enfants âgés de moins de 15 ans qui ont des problèmes de comportement. De même, en ce qui concerne la situation des jeunes âgés de 15 à 18 ans qui ont maille à partir avec la justice, il semble qu'aucune mesure de substitution ne soit prévue pour ces enfants et qu'il soit difficile d'assurer la séparation des jeunes et des adultes dans les prisons. Le Comité note également que dans son rapport, l'Etat partie souligne les problèmes liés aux insuffisances, dans le domaine des droits de l'enfant, de la formation du personnel chargé de l'application des lois, insuffisances qui sont l'une des causes des atteintes aux droits de l'enfant.

24. S'agissant de l'exploitation des enfants, le Comité s'inquiète de ce que le travail des enfants reste un grave problème au Nicaragua, d'autant plus que le taux de ch_mage des adultes est élevé. Il est préoccupé par l'apparente inefficacité des mesures visant à remédier à ce problème, en particulier en ce qui concerne les nombreux enfants qui travaillent, notamment comme domestiques, dans le secteur non structuré, où il n'existe apparemment aucun mécanisme efficace de protection des enfants effectuant de tels travaux.

25. Le Comité se déclare gravement préoccupé par le fait que les enfants, de plus en plus nombreux, qui gagnent leur vie dans la rue comme vendeurs ou comme mendiants, sont particulièrement exposés à l'exploitation sexuelle.

E. Suggestions et recommandations

26. Le Comité recommande que, dans le cadre de la réforme législative actuellement entreprise, le Gouvernement nicaraguayen veille à ce que la législation nationale soit compatible avec les principes et dispositions de la Convention. Cette réforme devrait répondre aux préoccupations exprimées par le Comité durant ses débats avec l'Etat partie, notamment en ce qui concerne les questions relatives à la définition juridique de l'enfant. En ce qui concerne la place de la Convention dans la législation nationale, le Comité voudrait encourager l'Etat partie à étudier plus avant la possibilité de donner à la Convention la valeur de dispositions constitutionnelles.

27. Le Comité pense qu'il faut continuer à envisager en priorité l'établissement d'un système efficace permettant de coordonner l'application de la Convention. Il suggère à cet égard que la Commission nationale pour la promotion et la défense des droits de l'enfant soit renforcée.

28. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour améliorer le système de collecte des données statistiques et autres concernant la condition de l'enfant. Il estime également que le développement de mécanismes de ce genre serait une bonne occasion de faire mieux comprendre ce qu'impliquent la ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant et son application.

29. Le Comité exprime aussi l'espoir que le gouvernement nommera un médiateur pour les enfants en vue de promouvoir et de protéger les droits de l'enfant.

30. Le Comité recommande que l'Etat partie envisage d'utiliser la Convention comme moyen de prévenir la violence et les sévices dont sont victimes les enfants. Pour cela, il faudrait apprendre aux enfants à défendre leurs droits et charger les professionnels qui s'occupent des enfants de leur inculquer les valeurs de la Convention. Le Comité recommande, par conséquent, que l'enseignement de la Convention figure dans les programmes d'enseignement scolaire et extra-scolaire et dans les programmes de formation et de recyclage des professionnels qui s'occupent d'enfants (enseignants, personnel de santé, travailleurs sociaux, juges, personnel chargé de l'application des lois, etc.).

31. Le Comité suggère que le gouvernement organise des campagnes d'information publique sur les droits de l'enfant en vue de s'attaquer au problème posé par la persistance des attitudes et des pratiques discriminatoires à l'encontre de certains groupes d'enfants (fillettes, enfants appartenant à une minorité ou à un groupe autochtone, enfants pauvres, etc.). Il suggère également que de nouvelles mesures soient prises pour améliorer la condition de ces groupes d'enfants.

32. En ce qui concerne l'article 4, et quelles que soient les difficultés économiques auxquelles l'Etat partie doit faire face, le Comité estime qu'il faudrait faire un effort plus important sur le plan budgétaire pour accroître la portée et améliorer la qualité des services destinés aux enfants, compte tenu des articles 2 et 3 de la Convention. A cet égard, il encourage et appuie les initiatives visant à faciliter la coopération internationale pour aider l'Etat partie à s'acquitter de ses obligations en vertu de la Convention.

33. En ce qui concerne l'application des articles 12, 13 et 15 de la Convention, le Comité recommande que l'Etat partie envisage d'étendre et d'élargir le r_le des enfants dans les initiatives qu'il prend pour faciliter leur participation aux décisions qui les concernent.

34. Le Comité recommande que des mesures soient prises d'urgence pour protéger l'enfant contre les informations et matériels nuisibles à son bien-être et contre toute atteinte à sa vie privée, conformément aux dispositions des articles 16 et 17 de la Convention.

35. Le Comité recommande que l'Etat partie envisage d'organiser une campagne plus large et mieux coordonnée pour s'attaquer aux problèmes étroitement liés, qui touchent la famille et la société, à savoir : le nombre élevé de familles éclatées, le taux relativement élevé de mortalité maternelle et de grossesses précoces, le nombre d'enfants victimes de violence ou de sévices, et le nombre croissant d'enfants vivant ou mendiant dans la rue qui risquent d'être victimes d'exploitation sexuelle.

36. Le Comité exprime l'espoir que l'Etat partie envisagera la possibilité de ratifier la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

37. Vu les problèmes généraux concernant l'état de santé de la population, en particulier des enfants, le Comité suggère que l'accent soit mis sur les soins de santé primaire, dont les deux principaux éléments sont les services de planification de la famille et l'enseignement des principes de nutrition, et que des stratégies soient mises au point pour fournir aux familles l'appui technique et autre nécessaire pour cultiver ce dont elles ont besoin pour se nourrir.

38. Le Comité pense que des efforts accrus devraient être faits pour mettre au point des stratégies peu coûteuses mais efficaces afin d'augmenter considérablement les taux d'inscription et de fréquentation scolaires des enfants et d'obtenir un enseignement de meilleure qualité et mieux adapté aux besoins des enfants. En adoptant de pareilles mesures le gouvernement montrerait mieux sa volonté d'attirer les enfants à l'école et de convaincre les familles de la valeur de l'éducation. Le Comité pense également que le gouvernement devrait envisager de porter à neuf ans la durée de l'enseignement obligatoire, de façon à ce que l'âge de la fin de la scolarité obligatoire corresponde à l'âge minimum d'admission à l'emploi. Compte tenu du lancement récent de la Décennie des Nations Unies pour l'éducation dans le domaine des droits de l'homme, le Comité encourage l'Etat partie à saisir cette occasion pour promouvoir l'incorporation de l'enseignement de la Convention dans les programmes scolaires, étant entendu que les enfants seraient informés de leurs droits par des enseignants dûment formés et qualifiés.

39. Le Comité recommande qu'un système d'administration de la justice pour mineurs soit créé conformément aux provisions pertinentes de la Convention, notamment à ses articles 37, 39 et 40, et compte tenu des autres instruments internationaux pertinents. Il souhaite à cet égard souligner l'importance et la pertinence des Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) qui envisagent et demandent le renforcement du r_le crucial de la famille et de la communauté afin d'éliminer les conditions sociales qui sont à l'origine de problèmes comme la délinquance, le crime et la toxicomanie, et d'aider les familles et les communautés à faire face à ces problèmes.

40. Le Comité estime qu'il est urgent d'adopter des réformes législatives et de mener une campagne préventive pour s'attaquer au problème du travail des enfants. Il suggère que le Gouvernement nicaraguayen demande à l'OIT une assistance technique supplémentaire à cette fin.

41. Le Comité accueille avec satisfaction l'invitation que le Nicaragua lui a adressée. Il propose que l'Etat partie publie son rapport, les comptes rendus analytiques de ses débats avec le Comité et les observations finales adoptées par le Comité. Un tel document devrait être largement diffusé afin de faire mieux connaître la Convention, son application et son dispositif de contr_le, tant au sein du gouvernement que dans le grand public, et de susciter un débat à ce sujet, y compris avec les organisations non gouvernementales intéressées.


*/ A sa 233ème séance, tenue le 9 juin 1995.



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