University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Jamahiriya arabe libyenne, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.84 (1998).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT


Dix-septième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION


Observations finales du Comité des droits de l'enfant :
Jamahiriya arabe libyenne

1. Le Comité a examiné le rapport initial de la Jamahiriya arabe libyenne (CRC/C/28/Add.6) à ses 432ème, 433ème et 434ème séances (CRC/C/SR.432 à 434), les 8 et 9 janvier 1998, et a adopté* les observations finales ci-après :


A. Introduction

2. Le Comité remercie l'Etat partie de son rapport, qui a été établi conformément à ses directives, ainsi que des réponses écrites qu'il a fournies à la liste des points à traiter (CRC/C/Q/LIBYA.1). Le Comité constate qu'un dialogue constructif s'est instauré avec la délégation de l'Etat partie et prend note des réponses fournies par la délégation au cours du dialogue. Il prend note également des renseignements complémentaires fournis par la délégation au cours de l'examen du rapport.


B. Aspects positifs

3. Le Comité se félicite de ce que la Convention soit directement applicable et que ses dispositions puissent être invoquées devant les tribunaux de l'Etat partie.

4. Le Comité note avec satisfaction l'étendue des services fournis par l'Etat partie, spécialement dans les domaines de la santé et de l'éducation. Il note en particulier que la scolarité est gratuite et que pratiquement tous les enfants fréquentent l'école primaire. Il note également avec satisfaction que les services de santé sont gratuits pour tous les enfants, que l'allaitement maternel est pratiqué à 91 % et qu'il existe un grand nombre de services et d'installations spécialisés pour les personnes handicapées, y compris les enfants.


C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

5. Se référant à l'Observation générale No 8 (1997) adoptée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité note que l'imposition par le Conseil de sécurité d'un embargo aérien à l'Etat partie a eu des effets néfastes sur l'économie et sur de nombreux aspects de la vie quotidienne des citoyens, empêchant ainsi la population de l'Etat partie, y compris les enfants, de jouir pleinement de leurs droits à la santé et à l'éducation.


D. Principaux sujets de préoccupation

6. Le Comité note avec préoccupation que la législation interne n'est pas pleinement conforme aux principes et dispositions de la Convention.

7. Tout en notant avec satisfaction l'existence de divers organes gouvernementaux responsables de la protection des enfants aux niveaux national et local, le Comité regrette le manque de coordination appropriée entre ces organes en ce qui concerne la promotion et la protection des droits de l'enfant, ainsi que la mise au point d'une approche globale de l'application de la Convention.

8. Le Comité constate que l'Etat partie a déployé des efforts pour encourager la sensibilisation aux dispositions de la Convention dans les établissements scolaires. Il reste toutefois préoccupé par l'insuffisance des mesures prises à ce jour pour promouvoir la prise de conscience et la compréhension des principes et des dispositions de la Convention, tant parmi les enfants que parmi les adultes. Il s'inquiète en particulier du fait que la formation aux droits de l'enfant dispensée aux professionnels travaillant avec et pour les enfants est apparemment insuffisante et peu systématique.

9. Le Comité note avec préoccupation qu'aucune mesure appropriée n'a été prise pour élaborer des indicateurs et assurer la collecte systématique de données quantitatives et qualitatives désagrégées dans les domaines visés par la Convention et concernant tous les groupes d'enfants, permettant de suivre et d'évaluer les progrès réalisés et de mesurer l'incidence des politiques adoptées à l'égard des enfants. Le Comité s'inquiète particulièrement de l'absence de données sur la santé des adolescents, notamment sur les grossesses des adolescentes, l'avortement, le suicide, la violence et les sévices.

10. Le Comité exprime sa préoccupation générale devant le fait que l'Etat partie ne semble pas avoir pleinement tenu compte, dans sa législation, ses décisions administratives et judiciaires et ses politiques et programmes concernant les enfants, des dispositions de la Convention, en particulier des principes généraux qui y sont énoncés aux articles 2 (non-discrimination), 3 (intérêt supérieur de l'enfant), 6 (droit à la vie, à la survie et au développement) et 12 (respect des opinions de l'enfant). Il note qu'il existe des mécanismes d'enregistrement et d'examen des plaintes, mais il s'inquiète de l'absence de mécanismes indépendants d'enregistrement et d'examen des plaintes déposées par les enfants concernant les violations des droits que leur reconnaît la loi.

11. Le Comité regrette que la Grande Charte verte des droits de l'homme, promulguée par le Congrès général du peuple, ne prévoit pas l'interdiction expresse de la discrimination fondée sur la langue, l'origine nationale, ethnique ou sociale, la situation de fortune, l'incapacité et la naissance. Il est particulièrement préoccupé par la discrimination à l'égard des enfants de travailleurs migrants et de non-citoyens, ainsi que des enfants nés hors mariage. Il s'inquiète également de ce que, même si la Grande Charte verte des droits de l'homme interdit la discrimination fondée sur le sexe, des disparités subsistent dans la législation et la pratique, en particulier en ce qui concerne les droits de succession. Il constate en outre avec préoccupation qu'en vertu de la législation libyenne relative à la citoyenneté, les décisions concernant l'acquisition de la nationalité sont fondées uniquement sur le statut du père.

12. Compte tenu des articles 2 et 3 de la Convention, le Comité est préoccupé par la persistance de l'emploi de l'expression "enfants illégitimes" dans les instructions administratives et les règlements de l'Etat partie pour désigner les enfants nés hors mariage, ce qui pourrait conduire à des pratiques discriminatoires à l'encontre de ces enfants.

13. Le Comité note avec une profonde préoccupation que la loi applicable en cas de viol d'une mineure exclut les poursuites pénales contre l'auteur du délit si celui-ci est disposé à épouser sa victime.

14. Le Comité note avec inquiétude l'absence d'interdiction dans la législation locale du recours aux châtiments corporels, aussi légers soient-ils, dans les foyers. A son avis, cette absence va à l'encontre des principes et des dispositions de la Convention.

15. Le Comité est préoccupé par l'existence de sévices et de violences infligés aux enfants au sein de la famille.

16. Tout en constatant une amélioration de l'état nutritionnel des enfants dans l'Etat partie, le Comité note avec préoccupation que les maladies diarrhéiques, la sous-alimentation chronique ou le rachitisme sont encore largement répandus parmi les enfants de moins de 5 ans.

17. Le Comité est préoccupé par la situation en matière d'administration de la justice pour mineurs et s'interroge en particulier sur sa compatibilité avec les articles 37 et 40 de la Convention, ainsi qu'avec d'autres normes pertinentes des Nations Unies telles que l'Ensemble de Règles minima concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles pour la protection des mineurs privés de liberté.


E. Suggestions et recommandations

18. Le Comité recommande à l'Etat partie de réexaminer sa législation dans le but de la réformer afin qu'elle soit pleinement conforme à la Convention. Il suggère à l'Etat partie d'envisager de promulguer un code de l'enfance. Il recommande particulièrement que la législation interdise explicitement la discrimination pour quelque motif que ce soit, y compris la langue, l'origine nationale, ethnique ou sociale, la situation de fortune, l'incapacité et la naissance. Il recommande également que la législation interne soit modifiée de façon à garantir à chaque enfant le droit à une nationalité, conformément à l'article 7 de la Convention.

19. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre des mesures supplémentaires pour renforcer la coordination entre les divers organes gouvernementaux chargés des droits de l'enfant aux niveaux national et local, ainsi qu'entre les ministères, et de déployer davantage d'efforts pour veiller à instaurer une coopération plus étroite avec les organisations non gouvernementales (ONG) actives dans le domaine des droits de l'homme et des droits de l'enfant.

20. Le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager d'élaborer et d'appliquer un plan spécial d'action pour l'enfance, inspiré d'une approche globale des droits de l'enfant et intégrant tous les aspects et toutes les dispositions de la Convention.

21. Le Comité recommande que davantage d'efforts soient déployés pour veiller à ce que les dispositions de la Convention soient largement connues et comprises, tant par les adultes que par les enfants. Il recommande également la mise en place de programmes systématiques de formation et de nouvelle formation aux droits de l'homme à l'intention des groupes de professionnels travaillant avec et pour les enfants, tels que les magistrats, les avocats, le personnel chargé de l'application des lois, les enseignants, les gestionnaires d'établissements scolaires, le personnel de santé, les travailleurs sociaux, les fonctionnaires des administrations centrales ou locales et le personnel des établissements de soins pour enfants, ainsi que des médias et de la population en général. Le Comité suggère à l'Etat partie d'intégrer l'étude de la Convention dans les programmes d'enseignement des établissements scolaires et des universités. Il suggère également à l'Etat partie de solliciter une assistance technique auprès, notamment, du Haut Commissariat aux droits de l'homme et de l'UNICEF, en vue de la mise en place d'un tel programme de formation et de réforme des programmes d'enseignement.

22. Le Comité recommande que le système de collecte de données soit modifié, afin qu'il couvre tous les domaines visés dans la Convention. Ce système devrait porter sur tous les enfants, l'accent étant placé en particulier sur les enfants vulnérables et les enfants en situation particulièrement difficile, notamment les enfants victimes de sévices ou de mauvais traitements, les enfants qui travaillent, les enfants soumis à la justice pour mineurs, les petites filles, les enfants de familles monoparentales et les enfants nés hors mariage, abandonnés, placés en établissement et handicapés. Des données désagrégées appropriées devraient être rassemblées et analysées afin d'évaluer les progrès accomplis dans la réalisation des droits des enfants et de faciliter la définition des politiques visant à mieux mettre en oeuvre les dispositions de la Convention. Sur ce dernier point, le Comité recommande que d'autres études et des enquêtes de suivi soient entreprises sur les groupes d'enfants vulnérables et invite l'Etat partie à envisager de solliciter une assistance technique auprès, notamment, de l'UNICEF et de l'OIT.

23. Le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager d'adopter un certain nombre de politiques et de programmes garantissant l'application de la législation en vigueur, par le moyen de services, de mesures de redressement et de programmes de réadaptation appropriés. Il recommande également à l'Etat partie d'envisager de créer un organe indépendant chargé de surveiller la mise en oeuvre de la Convention.

24. Le Comité recommande à l'Etat partie de supprimer l'emploi des termes "enfants illégitimes" dans sa législation, ses politiques, ses programmes, sa réglementation et ses instructions administratives.

25. Le Comité recommande aussi que, compte tenu de l'article 2 de la Convention, des mesures appropriées soient prises pour veiller à la protection et à l'exercice des droits des non-citoyens relevant de la juridiction de l'Etat partie.

26. Le Comité recommande que des études plus approfondies soient effectuées concernant les cas généralisés de malnutrition ou de rachitisme chronique et de maladies diarrhéiques. De telles études permettraient d'orienter les politiques et les programmes visant à réduire les cas de rachitisme. Le Comité suggère à l'Etat partie d'envisager de solliciter une assistance technique dans ce domaine auprès de l'UNICEF et de l'OMS, notamment.

27. En application du paragraphe 4 de l'article 44 de la Convention, le Comité prie l'Etat partie de lui fournir un complément d'information sur les dispositions législatives selon lesquelles l'auteur d'un viol n'est pas passible de poursuites pénales s'il est disposé à épouser la victime. De l'avis du Comité, ces dispositions sont contraires au respect de la libre volonté de la victime et risquent de conduire à des mariages précoces.

28. Le Comité note avec satisfaction qu'il existe des installations et des services pour les personnes handicapées, y compris les enfants. Il recommande à l'Etat partie de privilégier le principe de l'inclusion, selon lequel les enfants handicapés sont intégrés dans les systèmes ordinaires et le milieu naturel, tout en bénéficiant de services et d'installations spécialisés, selon leurs besoins. Le Comité appelle l'attention de l'Etat partie sur les Règles des Nations Unies pour l'égalisation des chances des personnes handicapées (1993).

29. Le Comité suggère à l'Etat partie de prendre toutes les mesures appropriées, y compris des mesures d'ordre législatif, afin d'interdire les châtiments corporels dans la famille. Il suggère également que des campagnes de sensibilisation soient organisées pour faire en sorte que d'autres formes de sanctions disciplinaires soient appliquées, dans le respect de la dignité humaine de l'enfant et conformément à la Convention. Il recommande que les cas de sévices et de maltraitance à enfant, y compris de viol et de sévices sexuels au sein de la famille, fassent l'objet d'enquêtes appropriées, que des sanctions soient imposées aux responsables et que les décisions prises dans de tels cas soient largement connues, compte dûment tenu de la nécessité de protéger le droit de l'enfant à la vie privée. Des mesures supplémentaires devraient être prises afin d'offrir des services de soutien aux enfants impliqués dans les procédures judiciaires, de veiller à la réadaptation physique et psychologique et à la réintégration sociale des victimes de viol, de sévices, de négligence, de mauvais traitements, de violences ou d'exploitation, conformément à l'article 39 de la Convention, et d'éviter la pénalisation et la stigmatisation des victimes.

30. Le Comité recommande à l'Etat partie d'entreprendre des recherches sur la question de la violence domestique et des sévices à enfant, afin de mesurer l'ampleur du problème et d'obtenir des informations socio-économiques de base et des données d'analyse sur les familles confrontées à ces problèmes.

31. Le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager de prendre davantage de mesures visant à réformer le système de la justice pour mineurs, dans l'esprit de la Convention, en particulier de ses articles 37, 40 et 39, ainsi que d'autres normes des Nations Unies dans ce domaine, telles que l'Ensemble de Règles minima concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles pour la protection des mineurs privés de liberté. Il conviendrait de n'envisager la privation de liberté qu'à titre de mesure de dernier recours et pour une durée aussi brève que possible et une attention particulière devrait être accordée à la protection des droits des enfants privés de liberté, au respect de la légalité et à la pleine indépendance et impartialité des magistrats. Des programmes de formation concernant les normes internationales applicables devraient être organisés à l'intention de tous les professionnels concernés par le système de la justice pour mineurs. Le Comité suggère à l'Etat partie d'envisager de solliciter une assistance technique auprès, notamment, du Haut Commissariat aux droits de l'homme, du Centre de prévention de la criminalité internationale et de l'UNICEF.

32. Pour veiller à ce que tous les enfants réfugiés ou les enfants demandeurs du statut de réfugié jouissent de leurs droits en vertu de la Convention, le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager de ratifier la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967, ainsi que la Convention de 1954 sur le statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.

33. Le Comité recommande que des recherches soient effectuées sur la situation du travail des enfants dans l'Etat partie, notamment sur la participation des enfants à des travaux dangereux, afin d'en rechercher les causes et d'évaluer l'ampleur du problème.

34. Enfin, compte tenu du paragraphe 6 de l'article 44 de la Convention, le Comité recommande que le rapport initial et les réponses écrites présentés par l'Etat partie fassent l'objet d'une large diffusion auprès du public et il recommande d'envisager la publication du rapport, ainsi que des comptes rendus analytiques pertinents et des observations finales adoptées par le Comité à l'issue de son examen. Il faudrait assurer la large diffusion de ces documents afin de susciter au sein du Gouvernement et du public, y compris des ONG concernées, un débat sur la Convention, sur sa mise en oeuvre et sur son suivi et de faire connaître les dispositions de cet instrument.

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* A la 453ème séance, le 23 janvier 1998.



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