University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Jamaïque, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.32 (1995).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Huitième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Jamaïque



1. Le Comité a examiné le rapport initial de la Jamaïque (CRC/C/8/Add.12) de ses 196ème à 198ème séances (CRC/C/SR.196, 197 et 198), tenues les 18 et 19 janvier 1995, et il a adopté*/ les observations finales ci-après :

A. Introduction

2. Le Comité remercie l'Etat partie d'avoir ouvert avec lui, par l'intermédiaire d'une délégation de haut niveau, un dialogue franc et constructif. Il se félicite également des réponses que le Gouvernement jamaïquain a données par écrit à la liste des questions établie par le Comité (CRC/C.8/WP.3) qui lui avait été communiquée avant la session.

B. Aspects positifs

3. Le Comité est heureux que le Gouvernement jamaïquain se montre résolu à s'acquitter de ses obligations au titre de la Convention comme en témoignent son intention d'inclure les droits de l'enfant dans la réforme constitutionnelle en cours et l'examen des lois qui vise à aligner la législation nationale sur les dispositions de la Convention, notamment en élaborant une loi sur les soins et la protection à assurer aux enfants. Il faut également se féliciter que le gouvernement ait l'intention de publier un document directif sur l'enfance, d'élaborer un plan quinquennal de développement pour les enfants, de tenir, en coopération avec des organisations non gouvernementales, des ateliers sur les mesures à prendre pour assurer l'application de la Convention, d'adopter un programme national en faveur des enfants vivant dans des conditions particulièrement difficiles et de créer un comité d'experts chargé de la question des mauvais traitements infligés aux enfants.

4. Le Comité note également que le Gouvernement jamaïquain est disposé à demander conseil et assistance technique aux organismes et institutions spécialisées des Nations Unies ainsi qu'aux organisations non gouvernementales nationales et internationales dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l'enfant, conformément aux normes énoncées dans la Convention.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

5. Le Comité note que de graves difficultés économiques et sociales ont eu un effet préjudiciable sur la situation des enfants. Le niveau très élevé de l'endettement extérieur et les exigences des programmes d'ajustement structurel qui ont entraîné la réaffectation de crédits au détriment des services sociaux, ainsi que le ch_mage et la pauvreté, ont nui à la jouissance des droits des enfants.

6. Le Comité note aussi les difficultés que créent quelques attitudes, traditions et préjugés sociaux.

D. Principaux sujets de préoccupation

7. Le Comité note avec préoccupation que, dans le cadre de la réforme législative en cours, il subsiste un certain nombre de domaines où la législation nationale n'a pas encore été pleinement alignée sur les dispositions de la Convention, en particulier sur les principes généraux qui y sont énoncés dans les articles 2, 3, 6 et 12. A cet égard, les préoccupations du Comité concernent en particulier la définition de l'enfant, la nécessité de le protéger contre les châtiments corporels et les informations qui nuisent à son bien-être, les responsabilités parentales, les enfants abandonnés et maltraités - y compris les sévices sexuels - les questions de santé, l'âge minimum d'admission à l'emploi, la protection des enfants qui travaillent et l'administration de la justice pour mineurs.

8. Le Comité constate avec préoccupation l'absence de mécanisme intégré chargé de suivre toutes les activités visant à promouvoir et protéger les droits de l'enfant, ainsi que l'insuffisance de la coordination entre les divers départements gouvernementaux, et entre les autorités centrales et régionales, pour ce qui est de mettre en oeuvre des politiques visant à promouvoir et protéger les droits de l'enfant. A cet égard, il se déclare préoccupé par le manque de dispositifs efficaces de collecte de données statistiques et autres informations pertinentes concernant la situation des enfants, lesquelles revêtent une importance primordiale pour l'élaboration de programmes ciblés de mise en oeuvre des droits énoncés dans la Convention.

9. Le Comité s'inquiète de l'impact de la crise économique sur les enfants et des disparités socio-économiques existant dans le pays. A cet égard, il se demande si les crédits prévus et les mesures sociales adoptées sont suffisants, compte tenu des dispositions des articles 3 et 4 de la Convention, pour éviter que les enfants, en particulier ceux qui vivent dans la pauvreté ou qui appartiennent à des groupes vulnérables, ne pâtissent de cette situation.

10. Le Comité est préoccupé par les difficultés que pose l'enregistrement des enfants à la naissance. Les enfants non enregistrés n'ayant pas de personnalité juridique ne pourront exercer pleinement leurs libertés et leurs droits fondamentaux. Le Comité s'inquiète également des difficultés que pose l'enregistrement des décès néonatals.

11. Le Comité constate avec préoccupation que les comportements traditionnels qui ont cours dans le pays risquent de ne pas favoriser la mise en oeuvre des principes généraux énoncés dans la Convention. Il pense notamment à la persistance de stéréotypes fondés sur le sexe et à la répartition actuelle des r_les entre les garçons et les filles, aux pratiques sexuelles dont peuvent être victimes les très jeunes filles et à l'attitude discriminatoire qui se manifeste envers certaines catégories d'enfants particulièrement vulnérables, tels que les adolescentes mères célibataires, les enfants handicapés, les enfants qui souffrent du VIH/SIDA ou les enfants rastafari.

12. Le Comité se déclare préoccupé par l'insuffisance des mesures prises pour protéger les enfants contre les informations qui nuisent à leur bien-être, compte tenu des dispositions de l'article 17 de la Convention.

13. Le fait que beaucoup de parents n'encadrent pas suffisamment leurs enfants et comprennent mal leurs responsabilités parentales conjointes, et la fréquence des sévices et des mauvais traitements infligés aux enfants au sein de la famille sont des sujets de préoccupation. En raison de la forte incidence des grossesses parmi les adolescentes et de ménages dont le chef est une femme, les enfants sont particulièrement exposés à divers risques - sévices sexuels, actes de violence dans la famille, mauvais traitements et abandon - ce qui les conduit parfois à se livrer à des activités contraires à la loi.

14. Le Comité note également l'insuffisance des mesures prises pour appliquer les dispositions de la Convention qui concernent le droit à la santé, notamment dans le domaine des soins de santé préventifs et de l'éducation sanitaire.

15. Le Comité s'inquiète des problèmes auxquels se heurte l'application du droit à l'éducation dans la pratique. Le manque d'installations scolaires adéquates, la réduction du budget de l'éducation, le peu de prestige dont jouissent les enseignants, qui entraîne une pénurie d'éducateurs qualifiés, et l'insuffisance des mesures visant à assurer la formation professionnelle sont des questions extrêmement préoccupantes.

16. Pour ce qui est de l'exploitation des enfants, le Comité constate avec préoccupation que le travail des enfants reste un problème grave à la Jamaïque, notamment dans les zones rurales et dans le secteur informel, et il note l'absence de législation appropriée protégeant les enfants qui travaillent. Il s'inquiète également du nombre croissant d'enfants qui vivent et/ou travaillent dans la rue où ils courent le risque d'être exploités ou maltraités de diverses manières.

17. En ce qui concerne l'administration de la justice pour mineurs, le Comité se déclare préoccupé par la situation actuelle qui ne tient pas compte de l'esprit et des dispositions de la Convention. Il juge particulièrement alarmantes les informations faisant état de garde à vue et de détention prolongées d'enfants dans les locaux de la police où ils risquent de ne pas bénéficier des garanties énoncées dans les articles 37 et 40 de la Convention.

E. Suggestions et recommandations

18. Le Comité recommande que le Gouvernement jamaïquain, dans le cadre de la réforme constitutionnelle et législative en cours, veille à ce que les principes et dispositions de la Convention soient pleinement intégrés dans la Constitution et autres lois nationales. Il suggère en particulier que la nouvelle législation concerne des questions telles que la définition de l'enfant, l'âge minimum de la responsabilité pénale et d'admission à l'emploi, les responsabilités parentales, la protection des enfants contre les sévices et les mauvais traitements et le système d'administration de la justice pour mineurs. Il encourage l'Etat partie à demander au Centre pour les droits de l'homme de l'aider à entreprendre cette réforme législative.

19. Le Comité souligne la nécessité de mettre en place un système efficace et intégré de suivi de l'application de la Convention. Il est indispensable à son avis d'associer divers secteurs de la société à un tel système, notamment les structures gouvernementales et non gouvernementales, aux niveaux local et national, ainsi que les parlementaires. Il faut également une coordination plus étroite entre les autorités nationales et les diverses agences internationales qui fournissent une assistance technique, afin de garantir que l'on tiendra dûment compte, conformément aux articles 3 et 4 de la Convention, de la nécessité d'élaborer des projets axés sur les enfants et de les mettre en oeuvre effectivement. Le Comité recommande à l'Etat partie d'établir un système global de collecte de données sur les enfants et les tendances relevées dans la réalisation de leurs droits. A cet égard, il recommande au gouvernement d'envisager la possibilité d'organiser une réunion pour examiner, dans le cadre de la coopération internationale, l'application des dispositions de la Convention à la lumière des présentes observations.

20. Tout en reconnaissant les efforts qu'a faits l'Etat partie pour fournir des secours et une assistance sociale aux familles les plus touchées par la crise économique, le Comité souligne qu'aucun effort ne doit être épargné pour garantir, dans toutes les limites des ressources dont dispose l'Etat partie et dans le cadre de la coopération internationale, que des fonds suffisants sont alloués à la protection de l'enfance. A cet égard, il faut accorder l'attention nécessaire aux besoins des enfants particulièrement vulnérables et misérables de manière à ce qu'ils bénéficient, ainsi que leur famille, de filets de sécurité permettant d'éviter que leurs droits ne se dégradent davantage.

21. Le Comité recommande que soit lancée une campagne d'éducation à l'échelle nationale pour sensibiliser la population en général aux principes et aux dispositions de la Convention et que soit élaborée et mise en oeuvre une stratégie globale afin de mieux faire connaître les droits de l'enfant aux enfants eux-mêmes et aux adultes et de lutter contre les préjugés dont souffrent les groupes d'enfants vulnérables. Le Comité suggère en particulier que les membres de groupes professionnels qui travaillent avec les enfants ou qu'intéresse l'application de la Convention, par exemple les juges, les avocats, les forces de police et le personnel des centres de détention, les enseignants et les travailleurs sociaux soient systématiquement informés des dispositions de la Convention, notamment dans le cadre de la formation qui leur est dispensée.

22. Le Comité est d'avis qu'il faut intensifier les efforts pour appliquer pleinement les dispositions de l'article 2 de la Convention. Des mesures devraient être prises pour combattre les comportements et les stéréotypes traditionnels et sensibiliser la société à la situation et aux besoins des jeunes filles, des enfants handicapés, des enfants souffrant du VIH/SIDA, des enfants des zones rurales, des enfants socialement défavorisés ou des enfants rastafari.

23. Le Comité recommande que de nouvelles mesures soient prises pour faciliter l'enregistrement des enfants, en coopération avec les organisations non gouvernementales et avec l'appui d'organisations internationales.

24. Le Comité souligne que des efforts accrus doivent être faits pour développer l'éducation familiale et faire connaître les responsabilités parentales qui incombent conjointement aux deux parents, à la lumière de l'article 18 de la Convention. Il faudrait accorder une attention et des ressources accrues aux services et à l'information en matière de planification de la famille. Le Comité encourage l'Etat partie à appuyer davantage les mesures visant à promouvoir le développement du jeune enfant et à fournir des services et des centres de garde aux mères qui travaillent.

25. Le Comité suggère à l'Etat partie de prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre la violence et les mauvais traitements infligés aux enfants, y compris les sévices sexuels. Il faudrait développer les programmes d'orientation scolaire pour qu'ils répondent aux besoins des enfants exposés à des situations de violence, ainsi que les services de crise qui leur sont destinés. Des programmes de réadaptation et de réinsertion des enfants souffrant de maux ou de traumatismes physiques ou psychologiques doivent être créés avec la coopération des organisations non gouvernementales.

26. L'Etat partie devrait veiller à ce que des procédures et des mécanismes adéquats soient mis en place pour traiter les plaintes concernant les mauvais traitements infligés aux enfants, et à ce qu'il soit dûment enquêté sur les cas de violations des droits de l'enfant.

27. Tout en reconnaissant les résultats importants obtenus par l'Etat partie dans le domaine de la vaccination, le Comité recommande que de nouveaux efforts soient faits pour étendre et renforcer le système de soins de santé primaire. L'éducation sanitaire devrait également être développée de manière à ce que la population comprenne mieux les avantages des soins préventifs et l'effet préjudiciable qu'a sur les enfants la persistance de pratiques traditionnelles qui nuisent à leur santé.

28. Le Comité suggère qu'un examen approfondi du système d'éducation soit entrepris. Il recommande à l'Etat partie de demander l'aide de l'UNESCO en la matière. Il faudrait envisager de prendre des mesures pour améliorer la qualité de l'éducation et renforcer la formation des maîtres et la formation professionnelle.

29. En ce qui concerne l'exploitation des enfants, le Comité recommande l'intensification des efforts faits pour prévenir et combattre le travail des enfants, notamment dans le secteur informel. Il suggère que, dans le cadre de la révision des lois, l'Etat partie examine dûment la question de l'âge minimum d'admission à l'emploi et qu'à cet égard il envisage de ratifier la Convention No 138 de l'OIT. Il recommande à la Jamaïque d'envisager de demander l'aide de l'OIT et de l'UNICEF en la matière.

30. Pour ce qui est de l'administration de la justice pour mineurs, le Comité suggère que le nécessaire soit fait pour appliquer pleinement les principes et dispositions énoncés dans la Convention. Il recommande que la réforme législative qui doit être menée dans ce domaine tienne dûment compte des dispositions de la Convention ainsi que d'autres normes internationales pertinentes, telles que les règles de Beijing, les principes directeurs de Riyad et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. Il suggère que l'on accorde l'attention voulue à l'intérêt supérieur et à la dignité de l'enfant et que la privation de liberté ne soit envisagée qu'en tout dernier recours et pour une période aussi brève que possible. A cet égard, il recommande à l'Etat partie d'envisager de faire appel au Centre pour les droits de l'homme ainsi qu'au Service de la prévention du crime et de la justice pénale des Nations Unies.

31. Le Comité recommande également que le rapport de l'Etat partie, les comptes rendus analytiques des séances auxquelles il a été examiné et les présentes observations finales soient diffusés aussi largement que possible dans le pays.


*/ A la 208ème séance, le 26 janvier 1995.



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