UNITED
NATIONS

Conseil Economique et Social

Distr.
GENERALE
E/CN.4/1995/66
14 février 1995
ORIGINAL: FRANCAIS


COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante et unième session
Point 12 de l'ordre du jour provisoire

 

QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES, OU QU'ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE, EN PARTICULIER DANS LES PAYS ET TERRITOIRES COLONIAUX ET DEPENDANTS

 

 

Situation des droits de l'homme au Burundi

Rapport du Secrétaire général

 

 

Introduction

 

1. Le 9 mars 1994, à sa cinquantième session, la Commission des droits de l'homme a adopté sans vote la résolution 1994/86, intitulée "Situation des droits de l'homme au Burundi". Dans le préambule de la résolution, la Commission s'est déclarée profondément préoccupée par la violence interethnique qui prévaut depuis la tentative du coup d'Etat du 21 octobre 1993, entraînant des pertes en vies humaines et des violations des droits de l'homme au Burundi. Elle l'est aussi par l'exode massif de Burundais ayant fui leur pays pour se réfugier dans les pays voisins et par le nombre considérable de personnes déplacées à l'intérieur du pays.

2. Convaincue que la consolidation des acquis démocratiques contribuera à créer un environnement favorable au règlement durable des tensions ethniques ayant ensanglanté le pays ces trente dernières années, la Commission a énergiquement condamné l'interruption brutale du processus démocratique amorcé au Burundi et exigé la cessation immédiate des actes de violence. Elle a en outre invité la communauté internationale à continuer d'apporter un soutien politique, diplomatique, matériel et financier pour faire cesser la violence, aider le gouvernement à trouver une solution durable aux tensions ethniques et à créer des conditions favorables au retour des réfugiés.

3. La Commission a également noté avec satisfaction que le Secrétaire général avait réagi immédiatement à cette situation, en dépêchant sur place un envoyé spécial chargé d'une mission de bons offices afin de faciliter le rétablissement du régime constitutionnel dans le pays. De plus, elle a accueilli favorablement la désignation par le Secrétaire général d'un représentant spécial pour le Burundi et les efforts déployés pour mettre en place une mission internationale d'enquête, chargée d'établir les faits ayant entouré la tentative de coup d'Etat et les violences qui ont suivi et de fournir des conseils pour faciliter les efforts du Gouvernement burundais et de l'Organisation de l'unité africaine. La Commission a également invité les autorités burundaises à mener avec diligence une enquête sur les violations des droits de l'homme ayant suivi la tentative de coup d'Etat, ainsi que sur les massacres interethniques et à traduire en justice les responsables de ces actes de violence.

4. Enfin, la Commission a prié le Secrétaire général de lui faire rapport, à sa cinquante et unième session, sur la situation des droits de l'homme au Burundi en se fondant sur tous les renseignements pertinents. Elle a aussi encouragé le Gouvernement burundais à solliciter une assistance technique pour renforcer les structures de promotion et de protection des droits de l'homme, notamment par l'intermédiaire du programme des services consultatifs du Centre pour les droits de l'homme, en coopération étroite avec le représentant du Secrétaire général pour le Burundi.

5. Par une note verbale datée du 25 mars 1994, le Secrétaire général a transmis au Ministère des affaires étrangères et de la coopération de la République du Burundi une copie de la résolution 1994/86 et a exprimé le souhait de recevoir de la part du Gouvernement burundais tout renseignement et toute observation qu'il voudrait présenter au sujet de cette résolution. Le gouvernement n'a pas encore répondu à la communication du Secrétaire général, malgré plusieurs rappels de la part du Secrétariat. On trouvera une éventuelle réponse des autorités burundaises en additif au présent rapport, si elle parvient au Secrétariat dans les délais requis.

6. Lors de sa quarante-sixième session, à Genève, la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a adopté sans vote, le 25 août 1994, la résolution 1994/17 sur la situation au Burundi. Dans cette résolution, elle s'est notamment déclarée convaincue que l'impunité dont jouissent les auteurs de violations flagrantes et massives des droits de l'homme telles que l'assassinat du Président de la République, les massacres de civils innocents à l'instigation de certains responsables gouvernementaux et la répression de l'armée ayant recouru, dans de nombreux cas, à une force excessive, provoquait un cycle incessant d'actes de vengeance collective. La Sous-Commission a par conséquent invité les autorités du Burundi à réaliser une enquête sur les exécutions sommaires et arbitraires, à punir les responsables, à désarmer la population, et à réprimer toute forme d'encouragement à la haine raciale. Elle a aussi encouragé les efforts déployés par le Haut Commissaire aux droits de l'homme, le Centre pour les droits de l'homme et les organisations non gouvernementales pour accélérer la mise en place d'un programme d'assistance au Burundi; elle a exprimé l'espoir qu'une première mission, chargée principalement de la fourniture d'une assistance au Burundi, serait mise en place par le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies et que, à titre préventif, celui-ci aurait recours aux organes compétents de l'ONU. La Sous-Commission a enfin demandé au représentant spécial du Secrétaire général pour le Burundi, au Haut Commissaire, au Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et à la Commission des droits de l'homme, d'inviter les autorités compétentes à surveiller plus étroitement la situation des droits de l'homme au Burundi par l'envoi d'observateurs pour éviter toute réapparition de la violence.

7. A sa quarante-neuvième session, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 25 octobre 1994, la résolution 49/7 intitulée "Conférence régionale pour l'assistance aux réfugiés, aux rapatriés et aux personnes déplacées dans la région des Grands Lacs", dans laquelle elle a noté l'action efficace du Secrétaire général et de son représentant spécial pour le Burundi, ainsi que le rôle important joué par le Secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine et par son représentant spécial pour le Burundi. L'Assemblée générale a notamment prié les Etats membres, les organismes du système des Nations Unies, les organisations intergouvernementales et non gouvernementales d'apporter aux Burundais a) leur appui aux programmes nationaux de restauration de la confiance entre les diverses composantes du peuple burundais, notamment par le déploiement des observateurs civils des droits de l'homme chargés d'épauler l'administration locale; b) une assistance financière et technique pour renforcer les capacités de l'appareil judiciaire du pays afin de rompre le cycle de l'impunité et permettre aux autorités burundaises de traduire en justice les auteurs de la tentative du coup d'Etat d'octobre 1993 et des massacres interethniques ultérieurs; et c) leur concours pour le démantèlement de la radio pirate clandestine "Rutomorangingo" et de tout autre outil de propagande ruinant les patients efforts de réconciliation nationale.

8. Enfin, l'Assemblée générale a pleinement souscrit au souci des chefs d'Etat et de gouvernement africains de convoquer une conférence régionale pour l'assistance aux réfugiés, aux rapatriés et aux personnes déplacées dans la région des Grands Lacs et a, en conséquence, invité les organismes compétents du système des Nations Unies à participer à la mise en oeuvre d'une telle initiative. Elle a en outre encouragé le Secrétaire général de l'ONU et celui de l'OUA à poursuivre leurs efforts pour contribuer à la normalisation de la situation au Burundi, dont la précarité reste préoccupante; enfin, elle a prié le Secrétaire général de l'ONU, en étroite collaboration avec le Secrétaire général de l'OUA et le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, de mobiliser des ressources à cet effet.

9. Le premier chapitre du présent rapport traite de l'action du Secrétaire général dans le cadre de sa mission de bons offices. Le deuxième chapitre relate l'action menée par le Haut Commissaire aux droits de l'homme. Le troisième chapitre résume les actions menées par le représentant du Secrétaire général pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, les rapporteurs spéciaux et les groupes de travail de la Commission des droits de l'homme, ainsi que par les mécanismes conventionnels concernant le Burundi. Le quatrième chapitre fait état d'informations émanant d'institutions des Nations Unies. Enfin, le dernier chapitre reflète un recoupement des informations contenues dans les rapports portés à la connaissance du Secrétaire général par des organisations non gouvernementales.

 

I. ACTION MENEE PAR LE SECRETAIRE GENERAL DANS LE CADRE DE SA MISSION DE BONS OFFICES

 

10. Le Secrétaire général des Nations Unies s'est investi dans la recherche d'une solution pacifique au Burundi dès l'éclatement de la crise dans ce pays, le 21 octobre 1993. Au cours de cette tentative de putsch, le chef de l'Etat élu démocratiquement et plusieurs de ses collaborateurs sont assassinés. Des massacres interethniques - 100 000 personnes - s'en suivirent. Après avoir dépêché immédiatement un envoyé spécial pour évaluer la situation, le Secrétaire général a nommé, le 19 novembre 1993, un Représentant spécial, l'Ambassadeur Ahmedou Ould-Abdallah (Mauritanie), pour suivre les développements au Burundi avec pour mandat : favoriser le dialogue entre les partenaires politiques; restaurer les institutions démocratiques renversées par la tentative de coup d'Etat, entamer une enquête sur les faits liés aux événements d'octobre et, enfin, coopérer et aider la mission de l'OUA au Burundi.

11. Dès son arrivée au Burundi, le 25 novembre 1993, le Représentant spécial du Secrétaire général s'est mis à la tâche, contactant les leaders politiques, les responsables religieux, militaires, économiques et sociaux. Il poursuivit ses contacts en rencontrant aussi les groupes des femmes, des jeunes et les représentants de la communauté diplomatique et ceux du système des Nations Unies. En quelques semaines, l'action du Représentant spécial du Secrétaire général a très largement contribué à relancer le dialogue entre les différentes factions politiques, civiles, militaires, religieuses et autres. Peu de temps après, les institutions sont remises en place : le Président de l'Assemblée nationale, le 23 décembre 1993; le Président de la République, élu le 13 janvier 1991 par le Parlement, après amendement de la Constitution, prête serment le 5 février et un gouvernement d'Union nationale est nommé le 11 février. Une mission d'enquête sur les faits composée des Ambassadeurs Ake et Huslid est nommée par le Secrétaire général pour entamer son travail au Burundi. En moins de trois mois le mandat de la mission du Représentant spécial est largement réussi.

12. Pendant que le Représentant spécial, grâce à l'appui de la communauté diplomatique et au soutien des responsables burundais, poursuit les efforts de consolidation des nouvelles institutions, le président nouvellement élu, Cyprian Ntaryamira, perdait la vie dans l'avion du Président rwandais abattu, le 6 avril 1994, à Kigali. C'est alors une nouvelle mission qui commence : préserver la stabilité au Burundi, éviter la contagion du Rwanda, et aider à la mise en place de nouvelles institutions. Après plusieurs mois de négociations extrêmement difficiles, douze partis politiques signent une convention de gouvernement, le 10 septembre 1994. Celle-ci a organisé le partage et la gestion du pouvoir pour la période allant jusqu'au mois de juin 1998. Peu après la signature de cette convention de gouvernement, un président est élu le 30 septembre 1994. Il prête serment ce même jour. Un nouveau gouvernement de coalition est mis en place le 5 octobre 1994.

13. Or quelques semaines seulement après la mise en place du gouvernement, un groupe limité de politiciens extrémistes de l'opposition a entrepris une action déstabilisatrice au Burundi, en particulier dans la capitale, Bujumbura; ces extrémistes utilisent divers moyens d'intimidation et de terrorisme aveugle, notamment par le biais de milices de jeunes. La police et la gendarmerie, impuissantes sinon complaisantes, sont sans action efficace. Selon les déclarations officielles du président d'un de ces partis de l'opposition, le 31 janvier 1995, l'objectif est de "renverser par tous les moyens appropriés et à tout prix le gouvernement actuel".

14. En dépit de la crise très grave qui sévit dans toute la sous-région et de l'insécurité qui y règne, le Burundi n'a pas basculé dans l'horreur et le chaos. Les Nations Unies vont continuer à jouer leur rôle de médiateur pour consolider la situation, favoriser l'enquête internationale sur les événements d'octobre 1993 et préparer le débat national qui doit préparer les fondations d'une cohabitation pacifique et durable entre les deux communautés hutu et tutsi. Le débat national doit s'ouvrir en avril-mai 1995.

 

II. ACTION MENEE PAR LE HAUT COMMISSAIRE AUX DROITS DE L'HOMME

 

A. Préliminaires de l'action du Haut Commissaire aux droits de l'homme

15. Comme l'indique la résolution 48/141 de l'Assemblée générale, du 20 décembre 1993, une des principales responsabilités du Haut Commissaire aux droits de l'homme consiste à jouer un rôle actif dans l'élimination des obstacles à la pleine réalisation des droits de l'homme, à faire face aux défis que cette entreprise implique et à empêcher que ne se commettent de nouvelles violations des droits de l'homme à travers le monde. L'expérience a montré que, dans des circonstances appropriées, l'apport de services consultatifs et d'assistance technique peut constituer un frein important pour empêcher des violations de droits de l'homme.

16. Le cas du Burundi est significatif à cet égard. Plusieurs mois avant l'assassinat du président Ntaryamira, le Centre pour les droits de l'homme était déjà en pourparlers avec le Gouvernement burundais en vue de la mise sur pied d'un programme de services consultatifs et d'assistance technique. Dès son entrée en fonction, le Haut Commissaire a souhaité voir se réaliser ledit programme, surtout après les événements d'avril 1994.

17. Lors d'une première mission à Bujumbura en mai 1994, le Haut Commissaire a obtenu l'accord du gouvernement et du Président par intérim pour l'ouverture d'un bureau du Centre pour les droits de l'homme à Bujumbura. Il a également lancé un appel financier à la communauté internationale pour obtenir des fonds en vue de financer le fonctionnement de ce bureau. Lors de sa deuxième mission au Burundi, les 18 et 19 août 1994, le Haut Commissaire a pu informer les autorités burundaises de l'accueil positif réservé par la communauté internationale à son appel financier, qui permettra d'augmenter les effectifs du nouveau bureau du Centre à une dizaine de personnes, pour faire suite à la requête exprimée par les autorités burundaises.

18. Enfin, le Haut Commissaire a signé, le 2 septembre 1994, un accord avec le Gouvernement du Burundi en vue de réaliser le programme d'assistance technique et de services consultatifs envisagé, dont les principaux axes sont les suivants :

 

 

 

 

 

 

 

 

19. Il convient encore de rappeler que l'Assemblée générale a salué dans sa résolution 49/7 du 25 octobre 1994 sur la situation au Burundi l'action du Haut Commissaire et du bureau qu'il a ouvert au Burundi.

20. On trouvera ci-après une description des activités menées dans le cadre du programme d'assistance technique précité.

 

B. Activités réalisées

1. Actions entreprises dans le domaine de la formation et de l'information

21. Le bureau du Centre pour les droits de l'homme à Bujumbura a commencé son activité dès le 15 juin 1994. Il est dirigé par une coordinatrice assistée de trois chargés de programme, recrutés localement et chargés respectivement de la communication, de la formation et de l'éducation et des questions judiciaires. La coordinatrice a établi des contacts de travail suivis avec les différentes composantes de la société burundaise, afin de mettre en adéquation les activités prévues et les attentes des autorités et de la population.

22. Le programme d'assistance technique et de services consultatifs, actuellement en cours de réalisation, met particulièrement l'accent sur :

 

2. Assistance aux corps constitués

23. Une mission d'évaluation de deux experts s'est rendue à Bujumbura, en septembre 1994, pour évaluer la situation réelle de l'armée, de la gendarmerie et de la police, afin de déterminer l'assistance à donner à ces corps au point de vue de l'enseignement des droits de l'homme et de la mise en application de ces principes dans le vécu quotidien. Un des experts a également pris de nombreux contacts avec les représentants du pouvoir judiciaire pour discuter avec les autorités burundaises de la mise sur pied d'un programme de formation destiné aux magistrats, aux avocats et aux greffiers. A ce jour, les magistrats nommés sur titre après la licence en droit, sans aucune expérience, rendent une justice contestée par les justiciables. Une formation va donc être mise sur pied dès janvier 1995, au sein de la Faculté de droit, pour former les nouveaux aspirants à la fonction et permettre le recyclage des anciens magistrats.

 

3. Activités en direction de la jeunesse

24. Un camp de jeunes, intitulé "Camp de reconstruction et d'éducation à la paix et aux droits de l'homme", a été organisé conjointement avec le PNUD et l'UNESCO et avec l'appui des ONG locales et du Centre de promotion des droits de l'homme de Bujumbura. Cette expérience pilote suscite beaucoup d'espoir pour aider à la réconciliation au niveau des jeunes. Il s'agit de combiner des activités de réhabilitation et de reconstruction avec des sessions de formation aux droits de l'homme et à la paix.

 

C. Collaboration établie avec le représentant spécial du Secrétaire général et le PNUD

25. Les projets du programme ont été réalisés en coopération étroite avec le bureau du représentant spécial du Secrétaire général. Celui-ci a été invité à toutes les réunions et aux cours de formation organisés par le bureau du Centre pour les droits de l'homme à Bujumbura. Le bureau a obtenu également le soutien des autorités du pays et de toutes les parties concernées sur le plan national, ainsi que le concours du bureau du PNUD au Burundi.

 

D. Observations et résultats escomptés

26. Le programme d'assistance actuel en matière de droits de l'homme a été établi pour apporter au Burundi un soutien technique et institutionnel en vue de la promotion et la protection des droits de l'homme. Il soulève de grands espoirs tant au niveau du gouvernement, qui a besoin de prouver sa détermination à instaurer un régime démocratique et respectueux des droits de l'homme, face à une opposition traumatisée par les derniers événements du Rwanda, que du côté des populations dont les droits de tous, majorité comme minorité, doivent être garantis.

27. Bien perçu par les différentes couches de la société burundaise, le programme suscite un réel intérêt auprès des autorités politiques du pays qui ont émis le voeu que les jeunes participent largement à la réalisation de certains de ses projets. Il importe donc que la communauté internationale réponde à ces espoirs et veille au succès de ce programme d'assistance dans une région particulièrement sensible. Une collaboration étroite avec tous les organismes des Nations unies oeuvrant sur place doit être assurée, afin de renforcer l'image de cohésion du système et l'impact du message.

 

III. ACTIONS MENEES PAR LE REPRESENTANT DU SECRETAIRE GENERAL POUR LES PERSONNES DEPLACEES A L'INTERIEUR DE LEUR PROPRE PAYS, LES RAPPORTEURS SPECIAUX ET LES GROUPES DE TRAVAIL DE LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME, AINSI QUE PAR LES MECANISMES CONVENTIONNELS CONCERNANT LE BURUNDI

 

A. Action menée par le représentant du Secrétaire général pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays

28. L'action détaillée du représentant spécial du Secrétaire général pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, en ce qui concerne le Burundi, est présentée dans son rapport à la Commission (E/CN.4/1995/50/Add.2). Dès son entrée en fonction, le représentant du Secrétaire général a accordé une attention prioritaire au problème des personnes déplacées au Burundi, qui se pose avec une acuité toute particulière dans ce pays où, en raison des tensions ethniques majeures qui le déchirent depuis des années, quelque 500 000 personnes déplacées (statistique de début octobre 1994), sur une population totale d'environ 5,5 millions, ont besoin de protection et d'assistance.

29. Répondant à une invitation du Gouvernement burundais, en janvier 1994, à se rendre dans le pays, le représentant du Secrétaire général a effectué son voyage du 30 août au 4 septembre 1994. Il s'est rendu dans quatre provinces qui abritent de nombreuses populations déplacées, à savoir Kayanza, Kirundo, Muyinga et Muramvya. Il a constaté que la principale cause du déplacement au Burundi découle du conflit ethnique, dans lequel Hutus et Tutsis s'affrontent sur des enjeux majeurs comme la répartition du pouvoir et des ressources nationales ou les questions d'éducation et d'emploi dans les services publics et l'économie. Le déplacement est ainsi devenu le lot commun de beaucoup de Burundais. Bien qu'il soit difficile à vérifier, en raison de la diversité des modes de déplacement, le nombre des personnes déplacées dans le pays - en grande majorité des femmes et des enfants - serait évalué à environ 300 000 personnes, avec une poche de quelque 14 000 déplacés à Bujumbura même. Aucune région du pays n'est restée épargnée par le phénomène.

30. Le représentant du Secrétaire général a également noté que le phénomène du déplacement, devenu endémique au Burundi depuis le début des années soixante-dix, a gravement perturbé le fonctionnement des services publics, des hôpitaux, des écoles et de la société en général. Cet état de choses se répercute aussi sur le régime de propriété des terres, de leur répartition, voire de leur redistribution, aboutissant rarement à l'élaboration de titres juridiques appropriés. Le problème qui affecte déjà les quatre cinquièmes de la population burundaise est encore aggravé par le retour d'anciens réfugiés ou rapatriés. Le grand nombre de personnes déplacées, suite aux événements d'octobre 1993, a de surcroît considérablement perturbé les travaux agricoles et épuisé les réserves alimentaires du pays qui, habituellement, était autonome sur ce plan.

31. Dans son rapport à la Commission, le représentant souligne l'importance de divers paramètres régionaux, à savoir la vicinité du Rwanda, certaines analogies que ce pays présente avec la situation du Burundi, et le pôle d'attraction subversif qu'il incarne dans son histoire récente sur les protagonistes du conflit ethnique au Burundi. Les répercussions du génocide perpétré au Rwanda vont se perpétuer dans la région au moins pour plusieurs décennies. A cet égard, le représentant du Secrétaire général a noté que le Burundi n'avait pas encore ratifié la Convention sur la prévention et la poursuite du crime de génocide, ratifiée à ce jour par 90 Etats.

32. Dans ses conclusions et recommandations à la Commission, le représentant du Secrétaire général souligne que le partage du pays fondé sur des lignes ethniques serait hors de question, étant donné la forte imbrication des deux groupes ethniques entre eux. La seule issue possible au conflit semble être, aux yeux du représentant, celle d'un compromis fonctionnel axé sur la réforme du régime foncier, des forces armées et du pouvoir judiciaire, notamment en ce qui concerne les questions de l'impunité et de l'indemnisation des victimes. L'identification et la poursuite des auteurs des massacres lui apparaissent indispensables à la restauration d'un climat de confiance envers la règle de droit et le système judiciaire.

33. En outre, le représentant du Secrétaire général estime que l'évolution du pays dépendra beaucoup des progrès accomplis pour sensibiliser tous les niveaux de l'administration civile et militaire aux droits de l'homme. Il recommande que le projet d'assistance technique des services consultatifs du Centre soit doté d'un personnel international plus nombreux et qu'une étroite collaboration soit établie avec des institutions internationales telles que le HCR ou l'UNICEF, en coordination avec l'ensemble des activités du représentant spécial du Secrétaire général pour le Burundi.

34. Le représentant du Secrétaire général souhaite enfin que le problème de déplacement dont souffre le Burundi puisse être examiné au sein d'une conférence sous-régionale, qui devrait étudier l'ensemble des questions liées aux réfugiés, lesquelles sont particulièrement ardues en Afrique centrale. L'approche sous-régionale de ces questions devrait s'inspirer de l'évaluation faite des rôles respectifs joués par les envoyés spéciaux pour le Rwanda et le Burundi du Secrétaire général et ceux du Haut Commissaire pour les réfugiés. De son côté, l'OUA devrait aussi être sollicitée en vue d'examiner la possibilité de prendre des initiatives régionales appropriées.

 

B. Action menée par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires

35. On trouvera le détail de l'action menée par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires présumées, sommaires ou arbitraires à propos du Burundi dans son rapport à la Commission (E/CN.4/1995/61, par. 76 à 80). Entre mars et avril 1994, le Rapporteur spécial a envoyé trois appels urgents au Gouvernement burundais. Le premier exprimait sa préoccupation à propos du massacre perpétré par des membres de l'armée à l'encontre d'une cinquantaine de civils, en janvier et février, et de plus de 200 civils non armés, au début du mois de mars, dans le quartier de Kamenge, à Bujumbura. A la suite des nouvelles faisant état de nouveaux massacres dans ce quartier et en d'autres secteurs de Bujumbura, le Rapporteur spécial a insisté auprès des autorités burundaises, dans son deuxième appel, pour qu'elles agissent de manière à limiter les actes de violence, souvent dus à un recours exagéré à la force. Le troisième appel concernait un groupe de réfugiés rwandais, comprenant l'ancien Procureur général de la Cour d'appel, qui aurait été retenu à l'aéroport de Bujumbura avant d'être envoyé à Bukawu (Zaïre), où leur vie se serait trouvée en danger en raison de la présence d'éléments des forces gouvernementales. Peu après, le Gouvernement burundais a répondu au dernier appel du Rapporteur spécial, en spécifiant que le Procureur général avait quitté le pays pour la Belgique, tandis que les 186 réfugiés avaient été acheminés sur Bukawu, à leur propre demande.

 

C. Action menée par le Rapporteur spécial sur la question de la torture

36. Le détail de l'action menée par le Rapporteur sur la question de la torture à propose du Burundi figure dans son rapport à la Commission (E/CN.4/1995/34, par. 81). Durant l'année écoulée, le Rapporteur spécial a fait parvenir un appel urgent au Gouvernement du Burundi concernant neuf hommes qui auraient été arrêtés, parmi un groupe de 27 personnes, en avril 1994, durant une opération menée par les forces de sécurité pour désarmer la population civile du quartier de Kamenge, à Bujumbura. Ils auraient ensuite été emmenés à l'Ecole nationale de police (ENAPO), puis à la Brigade spéciale de recherches, où ils auraient été sévèrement battus et soumis à d'autres formes de torture. A ce jour, le gouvernement n'a fourni aucune information sur le sort de ces personnes.

 

D. Action menée par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires

37. L'action du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires concernant le Burundi est relatée en détail dans son rapport à la Commission (E/CN.4/1995/36, par. 97 à 103). Durant l'année 1994, le Groupe de travail a transmis neuf nouveaux cas de disparition au Gouvernement du Burundi, selon la procédure d'action urgente. Ces cas, sauf un, concernent des personnes d'origine hutue qui auraient été rassemblées et détenues en avril 1994 par des membres des forces de sécurité à l'intérieur d'un terrain de jeu. Ces personnes, soupçonnées de détenir des armes, auraient ensuite été emmenées vers une destination inconnue.

38. Le Groupe de travail constate, toujours d'après les renseignements recueillis, qu'aucune mesure n'a encore été prise pour mettre fin à l'impunité dont jouissent les forces armées au Burundi. Quant au pouvoir judiciaire, son actuelle structure administrative serait loin d'être en mesure de poursuivre efficacement les auteurs des plus récentes violations de droits de l'homme. Les principaux obstacles rencontrés résideraient dans le manque de ressources humaines et financières à disposition, le déséquilibre observé au niveau de la représentation ethnique et une piètre performance au niveau de l'impartialité et de l'indépendance du pouvoir judiciaire.

 

E. Mécanismes conventionnels

39. Le Burundi est partie aux principaux instruments internationaux : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1990); Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1990); Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1977); Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid (1978); Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1992); Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1993); et Convention relative aux droits de l'enfant (1990).

 

1. Observations du Comité des droits de l'homme

40. Durant l'année écoulée, le Burundi a soumis, en date du 12 juillet 1994, un rapport au Comité des droits de l'homme en application de l'article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a examiné ce rapport le 25 juillet, à sa cinquante et unième session, et a adopté à cet effet des observations, en date du 28 juillet 1994 (CCPR/C/79/Add. 36).

41. Le Comité a noté que le Burundi a régulièrement fait face depuis son accession à l'indépendance, en raison notamment de pesanteurs socio-politiques héritées du passé, à des situations de conflits graves entre la majorité hutue et la minorité tutsie. Ces conflits, en particulier le plus récent survenu à l'automne 1993, suite à l'assassinat du président de la République, ont été marqués par des violations massives des droits de l'homme. L'absence de mesures efficaces suite à de tels événements et l'impunité dans les faits dont bénéficient à tous les échelons de l'armée, de la police, de la gendarmerie, de la sûreté ou de l'administration les personnes responsables de graves violations des droits de l'homme empêchent le rétablissement d'une paix durable et la rupture du cycle de violences entre la majorité hutue et la minorité tutsie.

42. Le Comité a également relevé que la position dominante occupée au sein de l'armée, de la police, de la gendarmerie, de la sûreté, de l'appareil judiciaire et, en général, aux postes les plus élevés de l'administration de l'Etat, de personnes appartenant à une composante minoritaire du pays est un facteur constant entravant gravement l'application du Pacte et suscitant d'une manière constante les craintes de la majorité de la population.

43. Le Comité a déploré les massacres consécutifs aux affrontements entre Hutus et Tutsis au Burundi depuis l'examen du rapport initial de ce pays en octobre 1992, et, par suite, les difficultés de plus en plus importantes à la coexistence pacifique des différentes composantes du Burundi. Les tentatives menées pour rétablir la paix civile, apaiser les tensions de la vie quotidienne dans la société, et rééquilibrer les différents corps de l'Etat, en particulier l'armée, la police, la gendarmerie, la sûreté et le corps judiciaire, afin de mieux représenter les différentes composantes de la population, ont manifestement échoué.

44. Le Comité a aussi déploré les violations graves et répétées des droits de l'homme marquées par de nombreuses exécutions sommaires, des disparitions et des tortures survenues suite aux événements de l'automne 1993. L'armée, la police, la gendarmerie et la sûreté ont continué à être à l'origine de nombreuses violations des droits de l'homme. Les populations civiles continuent de s'armer et de nouvelles violations des droits de l'homme sont à craindre.

45. De plus, le Comité a déploré l'absence de toute enquête au sujet des violations précédemment mentionnées. Les auteurs de ces actes sont demeurés impunis et continuent d'exercer leurs fonctions, et parfois d'en abuser, au sein de l'armée, de la police, de la gendarmerie ou de la sûreté. Les victimes ou leurs familles n'ont fait l'objet d'aucune forme d'indemnisation. Le pouvoir judiciaire s'est montré dans l'incapacité d'exercer ses fonctions de manière indépendante et impartiale et n'a su lancer les enquêtes nécessaires et juger les responsables. De surcroît, le fait que les commissions d'enquêtes récemment mises sur pied pour identifier les auteurs des violations des droits de l'homme soient composées de personnes appartenant à une seule des composantes du pays est une source de grave préoccupation et n'a pu qu'ébranler la confiance de la population à l'égard des autorités et approfondir le conflit et la violence entre les différentes composantes du pays.

46. Le Comité a en outre indiqué que l'utilisation des médias pour l'appel à l'hostilité et la violence entre les différentes composantes du pays représente une violation évidente des dispositions de l'article 20 du Pacte.

47. Dans ses suggestions et recommandations au Gouvernement burundais, le Comité des droits de l'homme a exhorté celui-ci d'initier sans tarder un processus de réconciliation nationale. Différentes mesures concrètes devraient accompagner ce processus, telle la mise sur pied de commissions d'enquêtes composées de personnes appartenant à chacune des composantes du pays. Des observateurs impartiaux étrangers pourraient participer à ces enquêtes qui devraient permettre d'identifier les personnes responsables de violations massives des droits de l'homme survenues à l'automne 1993, de les juger et les sanctionner, et d'expurger les différents corps de l'Etat, en particulier l'armée, la police, la gendarmerie et la sûreté, de toutes les personnes associées à de tels crimes. Les victimes et leur familles devraient aussi être indemnisées.

48. Le Comité a estimé que des mesures urgentes de réorganisation de l'Etat s'imposent, visant à assurer la participation équilibrée de toutes les composantes de la population à la conduite des affaires publiques et à permettre à tout citoyen, sans discrimination, d'accéder aux fonctions publiques, dans l'administration, l'armée, la police, la gendarmerie, la sûreté et la magistrature. En outre, le Comité a estimé que l'armée devrait être ramenée sous contrôle effectif des autorités civiles. Compte tenu des difficultés considérables rencontrées par l'Etat partie dans la mise en oeuvre du Pacte, des violations massives des droits de l'homme survenues à l'automne 1993, et des risques sérieux que de telles violations n'interviennent à nouveau, le Comité a en outre considéré que, dans ses efforts de pacification interne et de réconciliation nationale, le Burundi devrait recevoir le soutien déterminé de la communauté internationale.

49. Enfin, le Comité a recommandé au Haut Commissaire pour les droits de l'homme de poursuivre ses efforts en faveur du Burundi afin d'éviter que de nouvelles violations massives des droits de l'homme ne se reproduisent dans l'avenir, en encourageant par exemple la mise en place d'un mécanisme international d'enquête et d'un programme d'assistance technique avec l'appui du Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme.

 

2. Mesures du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale

50. Par ailleurs, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a relaté dans son rapport à l'Assemblée générale les mesures prises à propos du Burundi (A/49/18, par. 30 à 52). En raison d'informations faisant état d'un conflit ethnique au Burundi, le Comité a décidé, à sa quarante et unième session, de demander au Gouvernement burundais, conformément au paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention, de lui fournir des renseignements supplémentaires sur ce conflit et sur ses conséquences pour l'application des dispositions de la Convention. N'ayant pas reçu de réponse écrite, le Comité a finalement examiné l'application de la Convention au Burundi, lors de deux séances le 9 mars 1994, en présence de la représentante de l'Etat partie.

51. A l'issue des explications fournies par cette dernière en réponse aux questions et observations des membres du Comité, celui-ci a adopté des conclusions, en date du 17 mars, soulignant ses principaux sujets de préoccupation. Le Comité a notamment fait valoir que l'éruption, une fois de plus, de violences massives à motivation ethnique au Burundi et les violations systématiques des droits de l'homme auxquelles ont été soumis les membres des communautés aussi bien hutue que tutsie inspirent la consternation. La répétition des violences est préoccupante en ce qu'elle constitue un grave obstacle à la paix, à la stabilité et au respect des droits de l'homme dans la région. Le Comité a noté avec inquiétude qu'il n'y avait pas d'interdiction efficace de l'incitation à de telles violences, que ce fût parmi les forces armées et la police ou parmi le grand public. Le Comité a enfin relevé l'insuffisance de la réaction de la communauté internationale pour aider le Burundi à faire face aux problèmes graves et difficiles qui se posent à lui.

52. Dans ses suggestions et recommandations, le Comité a instamment recommandé que des mesures décisives soient prises immédiatement aux niveaux international, régional (par le biais de l'Organisation de l'unité africaine) et national, et par l'intermédiaire du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, pour briser le cercle vicieux de la violence ethnique et des atrocités qui continuent à survenir régulièrement au Burundi. A cette fin, le Comité a appuyé l'appel lancé par le Gouvernement burundais pour bénéficier d'une coopération internationale dans les efforts qu'il déploie pour rétablir la stabilité et renforcer les institutions démocratiques. Le Comité a aussi souligné la nécessité de restructurer les forces armées, la police et la fonction publique afin de les placer sous un contrôle civil effectif, et de prendre des mesures pour favoriser, à tous les niveaux de la société, un dialogue de réconciliation incluant notamment les forces armées et les autres forces de sécurité. Le Comité a recommandé en outre la mise en oeuvre d'une réforme majeure du système judiciaire et souligné que des protections juridiques adéquates doivent être mises en place pour assurer la sécurité des membres de toutes les communautés ethniques et leur accès à des voies de recours effectives.

53. Il convient de signaler que dans la décision adoptée le 16 août 1994 par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale à propos de la situation au Burundi, celui-ci a recommandé que le Secrétaire général et les organes compétents de l'ONU, notamment le Conseil de sécurité, envisagent des mesures d'urgence en coopération avec l'OUA, afin d'éviter une nouvelle tragédie humaine au Burundi. Le Comité s'est par ailleurs félicité de la création par le Haut Commissaire aux droits de l'homme d'un bureau du Centre pour les droits de l'homme à Bujumbura. Il a aussi appuyé le programme d'assistance technique au Burundi, invité les gouvernements des Etats parties à y contribuer de façon substantielle pour en assurer le succès, et s'est déclaré prêt à coopérer avec le Haut Commissaire dans les domaines de sa compétence, en ce qui concerne la réforme législative, administrative et judiciaire, ainsi que la formation d'agents de l'Etat et de magistrats.

 

IV. INFORMATIONS EMANANT D'ORGANISMES DES NATIONS UNIES

 

54. La question des réfugiés, des rapatriés et des personnes déplacées au Burundi demeure cruciale pour l'évolution future du pays. A cet égard, les informations ci-dessous fournies par le Haut Commissaire pour les réfugiés (HCR) sont révélatrices de la complexité du problème et de l'urgence des solutions à trouver pour tenter de le résoudre.

55. Parallèlement à une surveillance continue de la situation globale du pays, le HCR a, en 1994, renforcé sa présence sur le terrain, notamment dans les provinces septentrionales où se trouvent les réfugiés. Toutes les dispositions visant à assurer une protection élémentaire des personnes concernées ont été prises en collaboration étroite avec la mission internationale de l'OUA au Burundi, ainsi qu'avec le Comité international de la Croix-Rouge et le Centre pour les droits de l'homme.

 

Réfugiés

56. Après la crise que le Rwanda a connue en avril, des milliers de Tutsis rwandais ont fui leur pays d'origine. Vers le milieu du mois de mai, environ 65 000 personnes avaient trouvé refuge au Burundi et étaient regroupées en six endroits dans le nord du pays. Après la victoire du Front patriotique rwandais (FPR), ces personnes ont commencé à rentrer spontanément dans leur pays, ce qui a permis de fermer les emplacements où elles avaient été installées.

57. Dans le même temps, un nouvel afflux s'est produit dans la région frontalière avec l'arrivée de réfugiés Hutus. La plupart d'entre eux venaient de Bugesara, de Butare et de Gitarama, craignant des représailles de la part du FPR. Comme les réfugiés tutsis, ils étaient également d'origine rurale. Le HCR, en collaboration avec le Gouvernement burundais, a choisi huit emplacements dans les provinces septentrionales de Kirundo, Kayanza, Ngozi et Muyinga, et y a transféré les réfugiés depuis les zones de transit.

58. En décembre 1994, le nombre total de réfugiés rwandais d'origine hutue était de l'ordre de 200 000. Sept camps ont été ouverts dans les provinces de Kirundo, Ngozi et Muyinga, où les réfugiés bénéficient de l'assistance de la communauté internationale. Ces camps devaient en principe répondre aux conditions requises à la fin 1994.

 

Rapatriés et personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays

59. On estime que près de 500 000 réfugiés burundais ont regagné leur pays d'origine en 1994. L'assistance fournie à ces personnes a souvent été perturbée par le manque de sécurité dans les zones de rapatriement et par les nouvelles arrivées inopinées de réfugiés rwandais. La dispersion des zones de rapatriement a également entravé la fourniture de l'aide. Le HCR a accordé une assistance ponctuelle à la population concernée en distribuant des semences et des produits de première nécessité autres que des aliments. En outre, plusieurs projets multisectoriels à impact rapide ont été mis en oeuvre dans des secteurs tels que l'approvisionnement en eau, la santé et l'éducation.

60. Parallèlement au programme relatif aux rapatriés, le HCR a également fourni un appui limité aux personnes déplacées à l'intérieur même du pays dans les zones où il intervenait en faveur des rapatriés et des réfugiés. L'aide aux hôpitaux locaux, la mise en place de dispensaires mobiles, ainsi que la fourniture de matériaux de construction ont sensiblement contribué au relèvement du pays. Cette assistance visait non seulement à faciliter une réintégration progressive des rapatriés burundais, mais également à encourager le retour des populations touchées dans leurs "collines" d'origine. Divers organismes de l'ONU ont aussi participé à cette entreprise en distribuant des denrées alimentaires et des outils agricoles et en assurant des services de nutrition et de santé.

 

Problèmes de sécurité

61. La situation précaire du Burundi en matière de sécurité est restée le principal sujet de préoccupation dans la mise en oeuvre de l'assistance et la protection des personnes concernées en 1994. La forte présence militaire burundaise (tutsie) dans les camps de réfugiés rwandais d'origine hutue et sa position résolument hostile à la libre circulation des réfugiés ont souvent causé d'importants problèmes de protection. Les contrôles rigoureux exercés par l'armée burundaise se sont soldés par la mort de réfugiés en dehors des camps. Cette situation a parfois été aggravée dans la région frontalière, où la présence du FPR était souvent signalée. Il convient de rappeler qu'une cinquantaine de réfugiés ont été tués dans la région en novembre 1994. Tous ces facteurs ont entraîné des départs constants de réfugiés vers les pays voisins, notamment la Tanzanie. Toutefois, l'existence d'éléments des anciennes forces armées rwandaises et de milices interahamwe a été signalée dans certains camps et parmi la population burundaise d'origine hutue, ayant recours parfois à des actions armées qui, quoique limitées, provoquent de vives réactions des "déplacés internes" tutsis et d'éléments incontrôlés de l'armée.

62. L'aide aux rapatriés et aux personnes déplacées a également été freinée par la violence chronique régnant dans le pays, qui a empêché les personnes concernées de retourner chez elles en sécurité. A ce jour, environ 100 000 personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays sont encore regroupées en certains endroits dans la crainte de persécutions lors de leur retour dans leurs villages d'origine.

 

Vers une solution durable

63. En 1995, le HCR compte axer ses activités sur le rapatriement organisé et librement consenti des réfugiés rwandais et le maintien d'une assistance en leur faveur, ainsi que sur l'aide aux rapatriés et aux personnes déplacées d'origine burundaise. Dans cette optique, un appui continuera d'être fourni au Gouvernement burundais en vue d'atteindre les objectifs prévus. A cet égard, et en dépit des difficultés, le gouvernement demeure résolu à trouver une solution pour le retour sans risque des réfugiés et des personnes déplacées d'origine burundaise, et à offrir un asile aux réfugiés rwandais.

64. Dans un premier temps, le gouvernement a signé en décembre 1994, avec le Gouvernement rwandais et le HCR, un accord tripartite sur le rapatriement librement consenti des réfugiés rwandais. Cet accord facilitera certainement les négociations concernant le retour des réfugiés en sécurité et dans la dignité. Le gouvernement accueillera également la Conférence régionale sur l'assistance aux réfugiés, aux rapatriés et aux personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays dans la région des Grands Lacs, qui se tiendra à Bujumbura en février 1995. Les pays concernés, la communauté internationale, l'OUA et le HCR examineront cette question dans un contexte sous-régional, ce qui constituera un jalon important en vue d'une solution définitive à un problème d'une telle ampleur.

65. Le HCR appuiera activement le processus évoqué ci-dessus, tout en continuant de sensibiliser les fonctionnaires gouvernementaux à la protection des droits fondamentaux des réfugiés. Un premier séminaire sur les principes du droit des réfugiés, auquel les autorités tant civiles que militaires ont été invitées, a été organisé en décembre 1994. Cette initiative a été très bien accueillie par le gouvernement.

 

V. INFORMATIONS EMANANT D'ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES

 

66. Ce chapitre regroupe l'essentiel des informations portées à la connaissance du Secrétaire général par diverses organisations non gouvernementales telles que : Amnesty International, la commission internationale d'enquête sur les droits de l'homme (regroupant six organisations non gouvernementales), la Fédération internationale des droits de l'homme, Human Rights Watch/Africa et l'Organisation mondiale contre la torture. D'autres informations sont également parvenues au Secrétaire général de la part du Comité de solidarité pour la paix au Burundi (Genève), de la Ligue burundaise des droits de l'homme "Iteka" et d'United States Committee for Refugees.

 

A. Situation générale au Burundi en 1994

67. Tous les renseignements reçus des organisations non gouvernementales corroborent les informations qui sont parvenues par d'autres voies au Secrétaire général. Les paragraphes qui suivent mettent en lumière les points les plus significatifs de leurs contributions, dans la mesure où elles ont trait à la situation actuelle.

68. La plupart des organisations non gouvernementales soulignent que dans la série des massacres qui se sont échelonnés entre 1965 et 1993, les responsables de tels actes n'ont jamais été poursuivis ni déférés à la justice à l'issue d'une enquête ordonnée par les autorités. L'impunité dont ont joui la plupart des responsables du gouvernement et des forces de sécurité qui ont ordonné, commis ou cautionné ces actes aurait incité les Burundais des deux principales ethnies à se faire justice eux-mêmes et alimenté des vagues de violences répétées qui sont aujourd'hui la cause majeure des graves difficultés que traverse le Burundi. La Commission d'enquête gouvernementale mise sur pied en décembre 1993, après les événements d'octobre, n'aurait jamais entamé les investigations requises.

69. En ce qui concerne les événements qui ont suivi le coup d'Etat du 21 octobre 1993, la commission internationale d'enquêtes, conduite par six organisations non gouvernementales au Burundi, du 27 janvier au 10 février 1994, a émis les principales conclusions suivantes dans son rapport :

 

 

 

 

 

70. Cet état de choses aurait entre autres fait naître un sentiment d'insécurité grandissant entre les deux communautés qui, selon les renseignements reçus, aurait incité la population civile de certains quartiers de Bujumbura, à majorité hutue ou tutsie, à se doter d'une quantité d'armes à feu importante et à en faire usage pour tuer ou déplacer des membres de l'autre ethnie.

 

B. Droit de circuler librement et de choisir librement sa résidence à l'intérieur d'un Etat

71. Les témoignages d'ONG transmis en juin et en septembre 1994 au Secrétaire général corroborent le constat de son représentant pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (voir par. 28 à 34). Il subsisterait encore au Burundi de nombreux camps de déplacés ou de rapatriés qui seraient empêchés de regagner leurs foyers en raison des problèmes de sécurité aggravés par l'impunité dont jouiraient les criminels sur les lieux de leurs crimes et la liberté qui leur est laissée de prendre en otages des innocents. Par ailleurs, des réfugiés rwandais installés dans des camps au Burundi seraient confrontés au manque de nourriture, aux épidémies et au manque d'hygiène dans les camps suite à la rareté de l'eau dans la région nord du Burundi. Certains d'entre eux seraient repartis au Rwanda. Dans la province de Kirando, les camps se seraient vidés pour ne laisser que des personnes âgées, tandis que des informations non confirmées par le HCR ou le Gouverneur de la province auraient laissé entendre qu'une centaine de personnes auraient été tuées, le 11 juin 1994, parmi les réfugiés récemment arrivés dans la commune de Bugabira.

 

C. Atteintes au droit à la vie et à l'intégrité physique

72. En sus des informations déjà fournies dans le rapport du Rapporteur spécial sur les exécutions extra-judiciaires, sommaires ou arbitraires (voir par. 35), des nouvelles plus récentes ont été transmises au Secrétaire général par diverses organisations non gouvernementales.

73. Le 10 juin 1994, un groupe de 150 civils armés aurait été signalé dans un quartier de Bujumbura; suite à une tentative des forces de l'ordre pour les déloger, des affrontements se seraient produits, entraînant la mort de nombreuses personnes et, parmi elles, de femmes et d'enfants. Ce même jour, dans la province de Kayanza, une quinzaine de personnes auraient trouvé la mort lors d'échauffourées entre la population et les forces de l'ordre, accompagnées de pillages et d'incendies.

74. A la même époque, la situation dans les écoles secondaires était inquiétante : dans trois d'entre elles au moins, et notamment au lycée de Bulengo, pas loin d'une quinzaine d'élèves et de parents auraient trouvé la mort et 13 personnes auraient été blessées à l'issue d'affrontements ethniques.

75. Entre juin et août 1994, plusieurs communes de la province de Kayanza auraient été la proie de troubles graves ayant débouché sur une centaine de morts au moins et des dégâts matériels considérables. Dans la province de Muzamvya, plusieurs collines recouvrant le territoire de six communes auraient connu des violences analogues, perpétrées en certains endroits par des bandes armées, auxquelles auraient succédé des représailles émanant des forces armées, d'anciens militaires ou même de personnes déplacées.

76. Le 4 septembre 1994, les renseignements reçus signalent une attaque conduite par des hommes armés de fusils, de grenades et d'armes blanches contre le marché et l'Eglise de Muramba, dans la commune de Buhinyuza, province de Muyinga. Lors d'une cérémonie présidée par l'évêque de Muyinga, des individus auraient tué trois fidèles dans l'église même, puis six autres personnes parmi celles qui tentaient de s'échapper de l'église; plusieurs corps calcinés auraient été retrouvés plus tard dans la brousse, toute proche, ainsi que des cadavres dans des maisons abandonnées. Un bilan provisoire indiquerait 123 morts.

 

D. Tortures et traitements inhumains ou dégradants

77. Des renseignements récents viennent compléter le rapport du Rapporteur spécial sur la question de la torture (voir par. 36). Entre le 26 mai et le 1er juin 1994, 18 personnes auraient été arrêtées dans les provinces de Karuzi et Gitega par des membres des forces de sécurité et gravement torturées; l'une d'elles serait dans un état très grave. Toutes ces personnes seraient détenues sans charges à la prison de Gitega. Le 13 septembre 1994, un animateur de la radio à Buyenzi aurait été interpellé par un gendarme en uniforme et emmené à la Brigade spéciale de recherches, où il aurait été injurié, dépouillé de ses effets personnels, menotté, frappé et finalement jeté dans un cachot, avant d'être à nouveau battu devant les autres prisonniers. Cet homme aurait été libéré trois jours plus tard dans un piteux état de santé.

 

E. Disparitions forcées ou involontaires

78. En complément au rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (voir par. 37 et 38), de nouvelles disparitions ont été signalées : le 14 septembre 1994, un groupe de 13 personnes auraient été embarquées à bord d'un véhicule militaire et emmenées à la Brigade spéciale de recherches ou à l'Ecole nationale de police, lors d'une opération d'évacuation d'habitants de Kamenge qui se trouvaient sur un terrain de jeu. Ces personnes n'auraient pas regagné leurs foyers et se trouveraient sur la liste des détenus transférés dans une prison à Mpimba, deux jours plus tard.

 

F. Interdiction de toute incitation à la guerre, à la haine ou à la violence

79. Les derniers renseignements reçus feraient état d'une résurgence d'appels à la guerre, à la violence et à la haine, en violation de l'article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, diffusés par les médias, dont certains seraient privés ou clandestins comme la radio "Rutomorangingo", sans que leurs auteurs ne soient nettement poursuivis ou inquiétés. Des journaux comme Le Carrefour des Idées, L'Aube, Le Témoin, Nyabusorongo, L'Eclaireur ou Le Miroir auraient contribué à répandre des messages de haine et de violence. D'autres journaux, de part et d'autre, incitent aussi directement et indirectement, à la violence interethnique par des messages codés. Les organisations non gouvernementales dénoncent l'inaction des autorités face à ces développements.