University of Minnesota



M. Nikolas Regerat et consorts c. France, Communication No. 24/2002, U.N. Doc. CERD/C/62/D/24/2002 (2001).





Présentée par: M. Nikolas Regerat et al (représenté par un conseil, Me Yolanda Molina Ugarte)

Au nom de: Requérants

État partie: France

Date de la communication: 3 août 2001 (date de la lettre initiale)




Décision concernant la recevabilité


1. Les requérants sont M. Nikolas Regerat, M. Mizel Alibert, Mme Annie Bacho, Mme Kattin Bergara, M. Jakes Bortayrou, Mme Maritxu Castillon, M. Jean-Michel Ceccon, M. Txomin Chembero, Mme Maialen Errecart, Mme Irène Ithursarry, M. Emmanuel Torree, citoyens français résidant en France. Ils se déclarent victimes en leur qualité de membres de l'association A.E.K. (Euskal Herriko Alfabetatze Euskalduntze Koordinakundea) de la violation par la France de l'article 1 de la Convention. Ils sont représentés par un conseil.


Rappel des faits présentés par les requérants

2.1 L'association A.E.K. est un organisme ayant pour mission l'enseignement de la langue basque aux adultes. Afin de faire connaître son existence et son activité, elle lance régulièrement des campagnes publicitaires par voie postale, en libellant l'adresse de ses courriers en langue basque.

2.2 À cette fin, l'association a conclu avec la Poste un contrat type proposé pour les envois en nombre. Cette convention, appelée «Postimpact mécanisable», est réservée aux envois publicitaires. Ce tarif préférentiel repose, en effet, sur la possibilité de traitement automatique du courrier par une trieuse équipée d'un lecteur laser. Celui-ci suppose que les envois respectent des règles précises de contenu des messages et de présentation de l'envoi.

2.3 Après avoir bénéficié, dans un premier temps, d'un tarif préférentiel de 1,87 FF par envoi, l'association a été avisée par la Poste au cours de mai 1998 qu'à l'avenir un tarif supérieur, soit 2,18 FF par envoi, lui serait appliqué en raison de l'inscription sur les plis du nom des communes en langue basque. La Poste faisait valoir, à cet égard, que le traitement du courrier adressé en langue régionale ne pouvait se faire, contrairement au courrier adressé en français, de façon automatique et entraînait un surcoût par rapport au tarif préférentiel.

2.4 Le 18 février 1999, le Président de l'Association, M. Nikolas Regerat, a cité la Poste à comparaître devant le tribunal correctionnel de Bayonne, considérant que l'abandon par la Poste du maintien du tarif préférentiel contracté était constitutif du délit de discrimination.

2.5 Par jugement du 3 juin 1999, le tribunal correctionnel de Bayonne a relaxé la Poste du chef de discrimination et rejeté les demandes de condamnation de celle-ci à des dommages et intérêts, présentées par l'association A.E.K. qui s'était constituée partie civile. Le tribunal a relevé qu'en l'espèce, il n'était pas établi que la Poste avait modifié le tarif des envois en nombre effectués par l'association A.E.K. pour un des motifs visés à l'article 225-1 du Code pénal relatif au délit de discrimination (1). Le tribunal a estimé que la modification de tarif n'avait été effectuée par la Poste que pour des raisons purement techniques.

2.6 Les 9 et 10 juin 1999, l'association A.E.K et le Procureur de la République ont interjeté appel de ce jugement. Le 21 juin 2000, la Cour d'appel de Pau a relaxé la Poste du chef de discrimination et débouté l'association A.E.K. de ses demandes. (2)

2.7 Le 22 juin 2000, l'association A.E.K. s'est pourvue en cassation. Le 16 janvier 2001, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, décision notifiée à l'association A.E.K. par lettre du 27 février 2001 du Procureur général près la Cour d'appel de Pau.

2.8 L'association A.E.K. avait, par ailleurs, déposé le 6 juillet 2000 une demande d'aide juridictionnelle. Par décision du 14 décembre 2000, le bureau d'aide juridictionnelle a rejeté cette demande, estimant «qu'aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé contre la décision critiquée». Le 22 janvier 2001, l'association A.E.K. a formé un recours contre ce rejet auprès du premier Président de la Cour de cassation. (3) Par décision du 8 février 2001, le premier Président de la Cour de cassation a rejeté le recours au motif que l'examen des pièces de la procédure ne laissait pas apparaître un moyen sérieux de cassation qui fût susceptible d'être soulevé.


Teneur de la plainte

3.1 Les requérants contestent la position de la Poste à leur encontre. Ils font valoir que l'A.E.K. se doit d'employer la langue basque, en particulier dans ses relations avec le public auquel elle s'adresse pour diffuser ses objectifs et son action en faveur de la langue basque. Or, d'après les requérants, la Poste assurant une mission de service public, en imposant des tarifs supérieurs aux plis rédigés en langue basque, discrimine les locuteurs de cette langue et les personnes appartenant à l'ethnie basque.

3.2 Les requérants s'opposent, en outre, à l'argument technique avancé par la Poste, argument retenu par les juridictions françaises. Ils estiment qu'il est techniquement simple d'ajouter les 158 noms des communes basques dans les ordinateurs commandant le tri automatique de la Poste, et que la mise à jour à cet effet des outils informatiques de la Poste ne représente pour celle-ci qu'une difficulté minime et un coût non exhorbitant.

3.3 Les requérants considèrent donc que le comportement discriminatoire de la Poste constitue une violation de l'article 1 de la Convention.

3.4 Enfin, les requérants estiment que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.


Observations de l'État partie concernant la recevabilité de la requête

4.1 Dans ses observations du 29 mai 2002, l'État partie conteste la recevabilité de la requête.

4.2 Il soutient que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes. En l'espèce, l'association a bien invoqué devant le tribunal de grande instance de Bayonne et la Cour d'appel de Pau le moyen relatif à une prétendue pratique discriminatoire contraire aux dispositions du droit pénal français. En revanche, d'après l'État partie, elle n'a soulevé aucun moyen à l'appui de son pourvoi en cassation. C'est d'ailleurs cette absence de moyen à l'appui du recours qui a conduit la Chambre criminelle de la Cour de cassation à rejeter le pourvoi dans son arrêt du 16 janvier 2001.

4.3 À cet égard, l'État partie rappelle et précise que l'aide juridictionnelle auprès de l'association A.E.K. avait été, en fait, accordée à titre provisoire le 11 juillet 2000, et que la SCP (4) Jean-Pierre Ghestin avait été désignée à cet effet. Puis, par décision du bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation rendue le 14 décembre 2000 et notifiée le 21 décembre 2000, la demande a été rejetée à titre définitif sur le fondement des dispositions de l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991, estimant «qu'aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé contre la décision critiquée».

4.4 L'État partie explique que le système d'aide juridictionnelle en France a été conçu de façon à concilier le droit des plus démunis à voir leur défense assurée avec le souci d'une justice efficace, qui ne doit pas être entravée par des demandes dilatoires ou manifestement mal fondées. Un système d'assistance judiciaire ne peut, en effet, fonctionner sans la mise en place d'un dispositif permettant de sélectionner les affaires susceptibles d'en bénéficier.

4.5 La loi no 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application no 91-1266 du 19 décembre 1991 ont institué ce système, en vigueur au moment du recours en cassation de l'association A.E.K. L'article 2 de cette loi dispose ainsi que «les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d'une aide juridictionnelle. (…) Son bénéfice peut être exceptionnellement accordé aux personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France et ne disposant pas de ressources suffisantes.»

4.6 L'État partie précise que si, en cas de pourvoi en cassation devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, la demande d'aide juridictionnelle n'interrompt pas les délais pour le dépôt du mémoire, l'article 20 de la loi précitée admet toutefois que «dans les cas d'urgence (…) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (…).» Les requérants ont, en pratique, bénéficié d'une telle admission provisoire. À cet égard, l'État partie souligne que l'avocat aux Conseils désigné à titre provisoire dans le cadre de l'aide juridictionnelle n'a pas estimé opportun de produire un quelconque moyen, à l'appui du pourvoi, comme n'a pas manqué de relever la Cour de cassation dans son arrêt.

4.7 En outre, rien n'empêchait l'association de déposer elle-même un mémoire en tant que demandeur au pourvoi en cassation, en soulevant l'ensemble des moyens de droit qu'elle estimait pertinents à l'appui de son pourvoi. En effet, en vertu de l'article 584 du Code de procédure pénale, «Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation.» D'après l'État partie, l'association A.E.K. ne peut invoquer son ignorance pour justifier l'absence de dépôt de mémoire personnel, alors que dans le cadre de la procédure d'appel, elle était assistée par un conseil, qui ne pouvait pas ignorer les règles légales encadrant les formes ou les conditions des recours et qui aurait dû informer ses clients des formalités procédurales à respecter.

4.8 En conséquence, les requérants, qui font valoir aujourd'hui devant le Comité une discrimination au sens de l'article 1 de la Convention, en raison des tarifs pratiqués par la Poste française, n'ont pas mis la Cour de cassation en mesure de répondre à leurs allégations. La communication ne répond donc pas aux exigences du paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention.


Commentaires des requérants sur les observations de l'État partie concernant la recevabilité

5.1 Dans leurs commentaires du 31 janvier 2003, les requérants contestent les conclusions de l'État partie quant au non-épuisement des voies de recours internes.

5.2 Ils font valoir, d'une part, ne pas avoir pu soutenir leur pourvoi en cassation dans la mesure où leur demande d'aide juridictionnelle avait été rejetée, étant précisé que l'intervention d'un avocat à la Cour de cassation, spécialiste intervenant exclusivement devant ces juridictions, était indispensable et le mieux à même d'assurer une défense effective.

5.3 D'autre part, ils soutiennent qu'ils ne disposaient pas d'un recours interne effectif puisqu'à deux reprises, le bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation et le premier Président de la Cour de cassation ont considéré qu'aucun moyen sérieux de cassation n'était susceptible d'être soulevé.


Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale doit, conformément à l'article 91 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable ou non en vertu de la Convention.

6.2 Le Comité note que, selon l'État partie, la plainte des requérants est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, dans la mesure où aucun moyen – en particulier celui de discrimination – n'a été produit à l'appui de leur pourvoi en cassation. Les requérants ont répondu que leur pourvoi n'avait pas pu être soutenu en raison du rejet de leur demande d'aide juridictionnelle, et qu'en outre, ces décisions de refus s'étant fondées sur l'absence de moyen sérieux de cassation susceptible d'être soulevé, elles les privaient d'un recours interne effectif.

6.3 Le Comité constate, en premier lieu, que les requérants n'ont pas déposé de mémoire personnel à l'appui de leur pourvoi en cassation, droit régi par l'article 584 du Code de procédure pénale dont ils n'ont pas usé malgré l'assistance d'un avocat, lors de la procédure d'appel, qui aurait dû les informer des modalités procédurales de leurs voies de recours. Le Comité constate, en second lieu, que les requérants ont bénéficié à partir du 11 juillet 2000, d'un avocat aux Conseils désigné à titre provisoire dans le cadre de l'aide juridictionnelle et que ce dernier n'a pas estimé opportun de produire, auprès de la Cour de cassation, un quelconque moyen à l'appui du pourvoi, ce que ne contestent pas les requérants. Le Comité estime que le rejet définitif, par la suite de la demande d'aide juridictionnelle pour les motifs précités, ne liait aucunement la Cour de cassation quant à sa décision sur le pourvoi des requérants; les réserves de ces derniers quant à l'efficacité de leur pourvoi ne les dispensaient donc pas d'exercer leur recours en soulevant leur grief de discrimination; la décision de ne pas l'exercer relève par conséquent de la responsabilité des requérants assistés de Conseils, et ne peut être imputée à l'État partie.

6.4 À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que les requérants n'ont pas satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention.

7. En conséquence, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et aux requérants.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (original). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



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