University of Minnesota



POEM et FASM
c. Danemark, Communication No. 22/2002, U.N. Doc. CERD/C/62/D/22/2002 (2003).




Présentée par
: POEM et FASM (représentés par un conseil)

Au nom de: Les requérants

État partie intéressé: Danemark

Date de la communication: 8 août 2001 (date de la lettre initiale)


Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, créé en application de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 19 mars 2003,

Ayant achevé l'examen de la communication no 22/2001, soumise conformément à l'article 14 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Ayant pris en considération tous les renseignements écrits qui lui ont été communiqués par les auteurs et l'État partie,

Tenant compte de l'article 95 de son règlement intérieur, en vertu duquel il est tenu de formuler son opinion sur la communication dont il est saisi,

Adopte la décision ci-après:




Décision concernant la recevabilité




1. Les auteurs de la communication (ci-après dénommés «les requérants»), datée du 8 août 2001, sont POEM (Organisation faîtière pour les minorités ethniques) et FASM (Association d'étudiants musulmans). Ils affirment qu'il y a eu violation par le Danemark du paragraphe 1 d) de l'article 2 et des articles 4 et 6 de la Convention. Ils sont représentés par un conseil.


Rappel des faits présentés par les requérants

2.1 Le premier requérant, l'Organisation faîtière pour les minorités ethniques (ci-après dénommée «POEM») est une organisation danoise qui fait campagne pour l'égalité ethnique dans toutes les sphères de la société, y compris pour la jouissance de tous les droits civils et politiques par les minorités ethniques. Cette organisation comprend actuellement 30 membres qui représentent la plupart des minorités ethniques et nationales présentes dans l'État partie.

2.2 Le second requérant, l'Association des étudiants musulmans (ci-après dénommée «FASM»), est aussi une organisation danoise qui sensibilise l'opinion aux problèmes des musulmans et lutte contre les effets négatifs pour l'image de l'islam des propos tenus par les politiciens «islamophobes» et les médias. Cette organisation regroupe actuellement plus de 100 membres, tous étudiants et musulmans pratiquants qui, pour la plupart, sont nés et ont grandi au Danemark.

2.3 POEM représente plusieurs organisations musulmanes ainsi que d'autres organisations qui, bien que non musulmanes, comprennent des membres de groupes ethniques ou nationaux de culture musulmane. FASM est une organisation complètement musulmane. Il s'ensuit que lorsque des propos contraires à l'Islam ou défavorables aux musulmans sont tenus en public, ces deux requérants et leurs membres - y compris les non-musulmans - en sont affectÚs.

2.4 L'incident de discrimination raciale dÚnoncÚ par les requÚrants concerne une dÚclaration faite par la prÚsidente du Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti, ci-aprÞs DPP) et parlementaire Pia Kjµrsgaard le 19 juin 2000 dans sa lettre d'opinion hebdomadaire diffusÚe sur le site Web du Parti et dans un communiquÚ de presse:

2.5 Le 20 juin 2000, le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale (DRC) a rapporté cette déclaration à la police de Copenhague, en alléguant qu'il y avait eu violation de l'article 266 b) du Code pénal (ci-après dénommé «l'article 266 b)»). (1)

2.6 Par une lettre du 21 juillet 2000, la police de Copenhague a informé le DRC que l'affaire avait été classée. Dans cette décision, elle indiquait qu'il ressortait des travaux préparatoires concernant l'article 266 b) que le but de celui-ci n'était ni de limiter les sujets pouvant donner lieu à un débat politique, ni de décider de la manière dont ces sujets devaient être traités. Les déclarations politiques, même si elles pouvaient être perçues comme offensantes par certains, s'inscrivaient dans une dialectique où, traditionnellement, l'usage de généralisations ou d'allégations simplifiées était largement toléré. La teneur de la lettre d'opinion hebdomadaire susmentionnée était une observation sur l'échelle des peines infligées pour des actes de violence, observation légitime dans un débat politique. Enfin, bien que cette déclaration puisse être considérée comme offensante, une place importante devait être accordée en l'espèce aux considérations touchant la liberté d'expression et la liberté du débat politique.

2.7 Par une lettre du 21 août 2000, le DRC a demandé que le Procureur régional soit saisi de l'affaire. Le DRC faisait valoir que des déclarations analogues à celles qui avaient été faites par Pia Kjærsgaard avaient conduit à des condamnations et que ni les travaux préparatoires de l'article 266 b) ni l'article 4 de la Convention ne prévoyaient une extension de la liberté d'expression pour les membres du Parlement ou pour les observations faites dans le cadre d'un débat politique. En conséquence, les requérants estimaient que les déclarations faites dans le cadre d'un débat sérieux devaient être évaluées indépendamment de la qualité de leurs auteurs.

2.8 Par une lettre du 31 août 2000, le Procureur régional a confirmé la décision de la police de Copenhague. Il a souligné qu'il avait soigneusement mis en balance le caractère insultant de la déclaration, d'une part, et le droit à la liberté d'expression, d'autre part, et qu'il fallait accepter jusqu'à un certain point que, pour assurer un débat libre et critique, on puisse faire des déclarations offensant certains individus ou certains groupes. Quel que puisse être leur caractère dégradant et insultant pour des personnes appartenant à un contexte culturel différent, les allégations contenues dans cette déclaration n'étaient pas suffisamment graves pour justifier de déroger à la liberté d'expression.

2.9 Par un courrier du 4 octobre 2000, le DRC a écrit au Procureur général pour demander un réexamen de la décision du Procureur régional du 31 août 2000. Le DRC a également demandé au Procureur général de se prononcer sur l'existence d'une liberté d'expression plus étendue pour les parlementaires et pour les observations faites dans le cadre d'un débat politique. Le DRC a demandé en outre si la décision du Procureur régional était conforme à la pratique judiciaire danoise et aux obligations du Danemark au titre de la Convention.

2.10 Par une lettre du 8 février 2001, le Procureur général a indiqué qu'il n'y avait pas de motif justifiant de réexaminer la décision du Procureur régional.


Teneur de la plainte

Épuisement des recours internes

3.1 Les requérants font valoir qu'en vertu du paragraphe 1 de l'article 749 de la loi de l'État partie sur l'administration de la justice il appartient à la police de décider si elle va ouvrir une enquête sur les incidents qui lui sont rapportés. La décision peut être renvoyée au Procureur régional qui tranche en dernier ressort. Cependant, l'État partie lui-même a indiqué dans son quatorzième rapport périodique au Comité que toutes les affaires relevant de l'article 266 b) doivent être notifiées au Procureur général. Les requérants ont donc procédé à cette notification afin d'épuiser tous les recours internes.

3.2 Les requérants font également valoir qu'une action en justice directe contre Pia Kjærsgaard serait inefficace en l'absence d'une enquête menée par la police ou le Procureur régional. En outre, la Haute Cour de la région Est de l'État partie a estimé le 5 février 1999 qu'un incident de discrimination raciale n'impliquait pas en lui-même qu'il y ait eu atteinte à l'honneur et à la réputation d'une personne aux termes de l'article 26 de la loi sur la responsabilité civile.


Allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et de l'article 6

3.3 Les requérants font valoir que l'État partie n'a pas rempli les obligations qui lui incombent au titre du paragraphe 1 d) de l'article 2 et de l'article 6 de la Convention puisque, du fait que le Procureur général a seul compétence pour engager des poursuites face à ce type d'incident, les personnes qui s'estiment victimes d'un tel incident n'ont pas la possibilité de porter l'affaire devant un tribunal et n'ont donc aucun moyen de recours si le Procureur général décide de classer l'affaire.

3.4 Les requérants se réfèrent à la jurisprudence du Comité dans l'affaire no 4/1991 (L. K. c. Pays-Bas), dans laquelle le Comité a souligné que les États parties avaient l'obligation de donner suite aux plaintes faisant état d'incidents de discrimination raciale.

3.5 Se référant aussi au quatorzième rapport périodique de l'État partie au Comité, les requérants déplorent qu'alors que toutes les affaires de violation de l'article 266 b) dans lesquelles des chefs d'accusation sont provisoirement retenus doivent être renvoyées pour décision au Procureur général, celles qui sont classées sans qu'un tel chef d'accusation soit formulé sont simplement notifiées à ce dernier. En outre, les requérants font valoir que, dans la procédure de l'État partie concernant des affaires de discrimination raciale, il y a une inégalité foncière de moyens car, lorsque des chefs d'accusation ont été retenus, aussi bien le Procureur régional que le Procureur général ont le droit de réexaminer la décision, tandis que si aucun chef d'accusation n'a été retenu, l'affaire relève uniquement du Procureur régional.


Allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et des articles 4 et 6

3.6 Les requérants font valoir que l'État partie n'a pas rempli ses obligations au titre du paragraphe 1 d) de l'article 2 et des articles 4 et 6 de la Convention car, par le biais de la décision du Procureur général qui sous-entend que la décision initiale de la police de Copenhague était conforme à l'article 266 b), l'État partie accorde une liberté d'expression plus étendue lorsqu'il s'agit de membres du Parlement ou d'observations faites au cours d'un débat politique, même si les déclarations en question ont un caractère raciste ou préjudiciable.

3.7 À cet égard, les requérants se réfèrent au treizième rapport périodique de l'État partie dans lequel il est dit que:

24. L'article 266 b) du Code pénal, dont il est question en détail dans le dernier rapport périodique du Danemark (par. 34 à 41), a été modifié par la loi no 309 du 17 mai 1995 en y ajoutant un nouveau paragraphe 2 aux termes duquel «le fait que les propos incriminés tiennent de la propagande» doit être considéré comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine. Cette modification est entrée en vigueur le 1er juin 1995.
25. Au cours des lectures du projet de loi au Parlement danois (Folketing), il a été déclaré que dans ces affaires particulièrement graves, les procureurs ne devraient plus se montrer aussi réticents qu'auparavant à engager des poursuites.
26. Quant à savoir s'il y a «propagande» dans un cas d'espèce, cela dépendra d'une évaluation globale qui visera en particulier à chercher à déterminer s'il y a eu diffusion systématique de déclarations discriminatoires, etc., y compris dans des pays étrangers, en vue d'influencer l'opinion publique. On pourra considérer que le paragraphe 2 de l'article 266 b) s'applique si la violation a été commise par plusieurs personnes conjointement, notamment si les personnes en question appartiennent au même parti ou à la même association ou autre organisation et que les manifestations incriminées entrent dans le cadre des activités de l'organisation en cause. On peut de même pencher pour l'application du paragraphe 2 de l'article 266 b) dans les cas où les déclarations visées font l'objet d'une large diffusion. À cet égard, il est pertinent de savoir si ces déclarations ont été faites au travers de moyens de communication de masse, par exemple une publication sur papier, la radio, la télévision ou d'autres médias électroniques.

3.8 Pour illustrer la pratique de l'État partie à cet égard, les requérants expliquent que le fondateur du «Parti du progrès» d'extrême-droite (Fremskridtsparti), Mogens Glistrup, bien qu'il n'ait cessé de faire des déclarations qui auraient dû tomber sous le coup de l'article 266 b), n'a jamais été inquiété au titre de cette disposition tant qu'il était membre du Parlement. Le 23 août 2000, alors qu'il avait quitté le Parlement, Mogens Glistrup a été condamné par la Cour suprême au titre du paragraphe 1 de l'article 266 b) à sept jours de prison avec sursis pour des propos racistes tenus à la télévision; toutefois il n'a pas été condamné au titre du paragraphe 2 de cet article. Les requérants soulignent que la Cour avait estimé dans cette affaire que l'existence d'une possible liberté d'expression plus étendue pour les politiciens s'exprimant sur des affaires publiques controversées ne pouvait constituer une base pour acquitter le défendeur.

3.9 En ce qui concerne Pia Kjærsgaard, les requérants font valoir que, le 27 août 1998, elle avait publié dans un hebdomadaire la déclaration suivante:

3.10 Dans un autre billet hebdomadaire du 25 avril 2000, où elle comparait les candidats musulmans au Parlement à Lénine qui s'était appuyé sur les petits partis socialistes et les avait brutalement écrasés une fois qu'il avait été au pouvoir, Pia Kjærsgaard écrivait:

En fait, un fondamentaliste musulman ne sait pas comment se conduire de manière digne et policée selon les traditions démocratiques danoises. Il ne sait simplement pas ce que cela signifie. Des principes communément admis comme le fait de dire la vérité et de se conduire avec dignité et courtoisie - y compris vis-Ó-vis de personnes dont vous ne partagez pas les vues - sont tout Ó fait Útrangers Ó des gens tels que M. Z.

3.11 Par contre, quelques membres de la section «jeunes» du DPP ont été accusés de violation de l'article 266 b) pour avoir publié l'annonce suivante: Viols collectifs - violences caractÚrisÚes - insÚcuritÚ - mariages forcÚs - oppression des femmes - crime organisÚ. C'est ce qu'une sociÚtÚ multiethnique a Ó nous offrir - Est-ce bien cela que vous voulez?

3.12 L'action du Parti du progrès et du DPP consistant à promouvoir, depuis trois décennies, une politique d'immigration restrictive - en particulier Ó l'Úgard des musulmans - fondÚe principalement sur l'½islamophobie╗, les requÚrants considÞrent qu'il s'agit d'une propagande et d'une incitation Ó la haine raciale contre les musulmans installÚs au Danemark. Ils estiment en consÚquence que, lorsque l'╔tat partie accorde une libertÚ d'expression plus Útendue aux parlementaires qui bÚnÚficient d'une immunitÚ de poursuites, il autorise la propagande raciste et n'accorde pas aux musulmans une protection suffisante.


Allégation de violation des articles 4 et 6 de la Convention

3.13 Les requérants font valoir que l'État partie n'a pas rempli ses obligations au titre des articles 4 et 6 de la Convention car, du fait que la police de Copenhague n'a pas mené une véritable enquête, ils ont été privés de la possibilité d'établir si leurs droits au regard de la Convention avaient été violés. L'État partie a donc failli à son obligation de fournir aux requérants une protection effective contre la discrimination raciale.

3.14 Se référant à la jurisprudence du Comité dans l'affaire no 16/1999 (Kashif Ahmad c. Danemark), les requérants soulignent qu'alors que les incidents ont été rapportés le 20 juin 2000 la décision de la police a été communiquée un mois plus tard, le 21 juillet 2000. De même, le Procureur régional a décidé de confirmer la décision de la police 10 jours seulement après que l'affaire eut été portée à sa connaissance par le DRC. Les requérants font valoir qu'il est hautement improbable que le Procureur régional ait pu mener une enquête en l'espace de 10 jours et en particulier examiner tous les incidents précédemment notifiés concernant Pia Kjærsgaard afin de déterminer s'il y avait ou non «propagande». Ils font valoir en outre qu'ils n'ont jamais été interrogés par les autorités au sujet de leur plainte.

3.15 Pour appuyer encore cette allégation, les requérants soulignent que le Procureur régional n'a jamais répondu à proprement parler aux différents arguments développés dans la plainte, sa décision faisant uniquement référence à la décision de la police de Copenhague et se contentant de reproduire des paragraphes quasiment standard. Cela prouve que le Procureur régional n'a pas enquêté sur cette affaire.


Allégation de violation générale de la Convention

3.16 Les requérants font valoir que l'État partie n'a pas respecté les principes de la Convention dans leur ensemble, puisqu'il accorde une protection plus étendue aux personnes victimes de diffamation qu'à celles qui sont victimes de discrimination raciale.

3.17 Alors que, d'après le parquet, des déclarations politiques du type de celles qui ont été faites en l'espèce doivent être considérées comme des contributions légitimes au débat public général, les requérants soulignent que, de son côté, un journaliste – Lars Bonnevie – qui avait écrit que Pia Kjærsgaard soutenait des thèses apparemment racistes a été reconnu coupable de diffamation et a été condamné à une amende et au versement de dommages-intérêts.

3.18 En conclusion, les requérants demandent au Comité de recommander à l'État partie d'ouvrir une véritable enquête sur cette affaire et de verser une indemnité appropriée aux victimes.


Observations de l'État partie

4.1 Dans une communication du 28 janvier 2002, l'État partie a formulé ses observations tant sur la recevabilité que sur le fond de cette plainte.

Sur la recevabilité

4.2 L'État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione personae au regard du paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention car les requérants sont des personnes morales et non des personnes physiques ou des groupes de personnes. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme dans les affaires nos 502/1992 et 737/1999. En outre, le fait que les organismes requérants comptent un certain nombre de membres et travaillent pour les intérêts des musulmans et d'autres minorités ethniques ne les autorisent pas à présenter une communication au titre de l'article 14 de la Convention.

4.3 Qui plus est, les requérants n'ont pas fourni de procuration émanant d'une ou plusieurs personnes s'estimant victimes d'une violation, qui les autoriserait à présenter une telle communication.

4.4 Enfin, l'État partie fait valoir que les requérants n'ont pas participé à la procédure interne. Les faits rapportés le 20 juin 2000 l'ont été uniquement par le DRC qui s'est par la suite adressé au Procureur régional au nom de sept personnes nommément désignées.

Sur le fond


Allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et de l'article 6

4.5 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et de l'article 6, l'État partie estime que l'on ne peut pas déduire de la Convention que des enquêtes doivent être diligentées dans des situations qui ne le justifient pas; il considère en conséquence que les autorités danoises ont rempli leurs obligations au titre de la Convention.

4.6 En outre, l'État partie considère que, même si la procédure dans les affaires d'allégations de discrimination raciale doit être menée conformément aux dispositions de la Convention, celle-ci ne spécifie pas quelle est l'autorité qui doit décider d'engager des poursuites ou à quel niveau de la hiérarchie la décision doit être prise.

4.7 Pour les mêmes raisons, l'État partie soutient que la notification de l'incident au Procureur général ne soulève pas de problème au regard de la Convention et a pour seul but d'assurer une uniformité dans les poursuites et de constituer une jurisprudence dans ce domaine.


Allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et des articles 4 et 6

4.8 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et des articles 4 et 6, l'État partie fait valoir que l'article 4 de la Convention prévoit que les États parties doivent s'engager à déclarer délit punissable par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale mais qu'ils doivent en même temps agir conformément à l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et au point viii) de l'alinéa d de l'article 5 de la Convention.

4.9 L'État partie considère que les allégations des requérants, selon lesquelles le fait que Mogens Glistrup n'ait pas été reconnu coupable au titre de l'article 266 b) 2) de la Convention implique que la propagande raciste est acceptée au Danemark, ne reposent sur rien car les requérants ne font référence à aucun incident particulier qui aurait été signalé à la police sans résultat. En outre, pour ce qui est de la décision de la Cour suprême à laquelle les requérants se réfèrent, l'État partie indique qu'étant donné que les chefs d'accusation au titre de l'article 266 b) 2) ont été rejetés pour des questions de procédure cette décision ne peut être considérée comme reflétant une acceptation par le Danemark de la propagande raciste faite par des politiciens.

4.10 L'État partie explique en outre que l'article 266 b) a été modifié pour se conformer aux obligations du Danemark au titre de l'article 4 de la Convention. En ce qui concerne le lien avec la liberté d'expression, il est dit dans les travaux préparatoires que:

D'un autre côté, il est nécessaire de tenir dûment compte de la liberté d'expression qui doit s'appliquer, y compris aux commentaires concernant des groupes raciaux, etc., et que les rédacteurs de l'article 4 de la Convention avaient à l'esprit lorsqu'ils ont fait référence entre autres choses à la Déclaration universelle des droits de l'homme. À cet égard, il faut mentionner tout d'abord que, selon le projet de texte, ne doivent être considérés comme des délits pénaux que les déclarations et autres messages délivrés «publiquement ou avec l'intention d'atteindre un vaste public». En outre, la qualification des déclarations susdites et en particulier l'emploi des mots «insultants ou offensants» doivent être interprétés comme signifiant que les délits mineurs doivent rester hors du domaine pénal. Ne relèvent pas de cette disposition les théories scientifiques qui peuvent être avancées concernant les différences entre les races, les nationalités ou les origines ethniques et que les rédacteurs de la Convention n'avaient vraisemblablement pas l'intention de couvrir. Comme on l'a mentionné plus haut … il faut également s'attendre à ce que des déclarations qui n'auront pas été faites à proprement parler dans un contexte scientifique, mais plutôt dans le cadre d'un débat objectif, bénéficient d'une certaine impunité (italiques ajoutés par l'État partie).

4.11 En conséquence, l'État partie doit appliquer l'article 266 b) en tenant compte du droit à la liberté d'expression de l'auteur des propos incriminés, droit qui est énoncé dans l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

4.12 L'État partie se réfère à cet égard à plusieurs affaires tranchées par la Cour européenne des droits de l'homme, indiquant que cette dernière attache beaucoup d'importance à la liberté d'expression, en particulier lorsque des propos sont tenus dans le cadre d'un débat politique ou social. Dans l'affaire Jersild c. Danemark qui concernait un journaliste condamné au titre de l'article 266 b) pour avoir fait des déclarations racistes, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré qu'il fallait mettre en balance la protection contre les propos racistes et la liberté d'expression de l'auteur. En ce qui concerne le lien avec la Convention, la Cour a déclaré ce qui suit:

Il faut, autant que faire se peut, interpréter les obligations souscrites par le Danemark au titre de l'article 10 [de la Convention européenne des droits de l'homme] de manière à les concilier avec celles découlant de la Convention des Nations Unies. À cet égard, il n'appartient pas à la Cour d'interpréter les mots «dûment compte» figurant à l'article 4 de ce texte et qui se prêtent à diverses interprétations. La Cour tient cependant l'interprétation qu'elle donne de l'article 10 de la Convention européenne en l'espèce pour compatible avec les obligations du Danemark au regard de la Convention des Nations Unies.

4.13 Cet équilibre est également respecté dans la jurisprudence de l'État partie. Dans l'affaire Mogens Glistrup susmentionnée, la Cour suprême a estimé que les déclarations de Glistrup ne pouvaient être objectivement justifiées et que la liberté d'expression étendue dont bénéficiaient les politiciens ne pouvait conduire à un acquittement en l'espèce.

4.14 L'État partie explique ensuite que l'article incriminé du 19 juin 2000 concernait l'échelle des peines appliquées dans les cas de viol et de viol collectif, à la suite du viol d'une jeune fille de 14 ans par plusieurs hommes d'origine non danoise. Le débat avait eu lieu dans le contexte d'une proposition d'amendement de la loi visant à alourdir les peines pour viol collectif et avait passionné l'opinion publique.

4.15 L'État partie estime que la déclaration faite par une parlementaire devrait donc être considérée comme faisant partie du débat public sur cette question et qu'elle ne présente pas le même caractère aggravé que les déclarations pour lesquelles Mogens Glistrup a été reconnu coupable par la Cour suprême.

4.16 L'État partie considère en outre que le contenu de la déclaration faite dans l'article incriminé n'est pas hors de proportion avec le but poursuivi, qui est de prendre part au débat sur la question des peines infligées pour certains délits. La police de Copenhague et le Procureur régional ont en l'occurrence mis correctement en balance l'article 4 de la Convention et le droit à la liberté d'expression en se prononçant à l'avantage de ce dernier.


Allégation de violation des articles 4 et 6 de la Convention

4.17 En ce qui concerne l'allégation de violation des articles 4 et 6 de la Convention, l'État partie considère que la question que les autorités compétentes devaient trancher en l'espèce était de savoir si Pia Kjærsgaard avait violé l'article 266 b) par les propos qu'elle avait tenus dans l'article du 19 juin 2000. Elle ne concernait pas d'autres déclarations faites par cette personne ni, de manière générale, la question de l'étendue de la liberté d'expression dont jouissent les membres du Parlement.

4.18 Pour ce qui est de l'obligation d'enquêter sur les faits de discrimination raciale, l'État partie, se référant à plusieurs décisions prises par le Comité, considère que l'enquête menée par la police en l'espèce satisfait pleinement aux obligations qui découlent de la Convention. Sur la base du rapport qui a été fait par le DRC, un autre rapport a été rédigé, mais aucun complément d'enquête n'a été entrepris car la décision à prendre consistait en une évaluation juridique du contenu de l'article incriminé, la question étant de savoir s'il constituait ou non une violation de l'article 266 b).

4.19 L'État partie indique aussi que les requérants n'ont pas été interrogés car ils n'étaient pas partie prenante dans la procédure interne et que ni le DRC, ni les sept personnes désignées par celui-ci n'ont été interrogés parce que ces interrogatoires ne présentaient pas d'intérêt pour l'enquête puisque l'issue de cette affaire dépendait seulement d'une évaluation juridique.

4.20 Cette argumentation vaut aussi pour la décision prise par le Procureur régional.

4.21 En outre, l'État partie considère qu'étant donné que les déclarations faites n'ont pas été considérées comme violant le paragraphe 1 de l'article 266 b) ni la police de Copenhague ni le Procureur régional n'avaient à examiner s'il y avait eu propagande au sens du paragraphe 2 de cet article 266 b) puisque ce paragraphe traite uniquement de l'existence d'une circonstance aggravante pour les actes tombant sous le coup du paragraphe 1 de l'article.


Allégation de violation générale de la Convention

4.22 En ce qui concerne l'allégation de violation générale de la Convention du fait que les personnes individuellement victimes de diffamation seraient mieux protégées que les groupes de victimes de propos diffamants, dégradants ou insultants, l'État partie fait valoir que le but des dispositions juridiques concernant la diffamation est de protéger l'honneur de personnes déterminées contre des propos et des actes offensants, tandis que le but de l'article 266 b) est de protéger des groupes de personnes qui sont menacées, insultées ou exposées à des affronts en raison de leur race, de leur couleur, de leur origine nationale ou ethnique, de leur religion ou de leur préférence sexuelle. Les deux types de dispositions sont appliqués différemment car les contextes et les buts recherchés sont différents.

4.23 De plus, ces deux types de dispositions se complètent puisque, par exemple, une personne peut être reconnue coupable de diffamation même si les conditions d'une inculpation au titre de l'article 266 ne sont pas réunies.


Commentaires des auteurs

5.1 Par une communication du 14 mai 2002, les requérants ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l'État partie.

5.2 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, les requérants estiment que l'article 14 de la Convention ne fait pas interdiction aux organisations non gouvernementales de présenter des communications au Comité. Contestant le fait que POEM et FASM soient des personnes morales, ils font valoir que ces organisations sont des organisations non gouvernementales qui représentent un groupe de personnes physiques et qui sont donc habilitées à présenter une communication au titre de l'article 14.

5.3 Les requérants font valoir en outre que l'objectif de l'article 14 est d'écarter les communications émanant de personnes qui ne relèvent pas de la juridiction de l'État partie. Les requérants considèrent aussi que l'article 14 de la Convention doit être interprété en accord avec l'article 34 de la Convention européenne des droits de l'homme (2) vqui prévoit expressément que les organisations non gouvernementales ont le droit de saisir directement la Cour européenne des droits de l'homme.

5.4 D'un autre côté, les requérants notent que les procurations des différents membres de POEM et de FASM qu'ils ont jointes à leurs présents commentaires font apparaître clairement que ces personnes, ainsi que les organisations qui les représentent, ont chargé le DRC de présenter la communication au Comité.

5.5 S'agissant de l'allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et de l'article 6, les requérants maintiennent que les affaires relevant de l'article 266 b) sont traitées différemment selon que la police a l'intention de classer l'affaire ou qu'elle a l'intention de poursuivre.

5.6 Les requérants expliquent que, si le Procureur régional avait décidé de poursuivre Pia Kjærsgaard, celle-ci aurait bénéficié d'une troisième opinion puisque c'est le Procureur général qui prend la décision finale en pareil cas. En revanche, les victimes supposées ne bénéficient pas du même droit si le Procureur régional décide de classer l'affaire. Le Procureur général est alors simplement avisé de la décision de classement. De l'avis des requérants, cela constitue une différence de traitement qui est incompatible avec la Convention et en particulier avec le paragraphe 1 d) de l'article 2.

5.7 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 d) de l'article 2 et des articles 4 et 6, les requérants sont d'accord avec l'État partie et avec la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Jersild c. Danemark, à savoir qu'il faut trouver un juste équilibre entre la liberté d'expression et la protection contre les propos racistes. Toutefois, en l'espèce, il apparaît que le Procureur régional, bien qu'il ait constaté que les propos tenus présentaient un caractère dégradant et insultant pour des personnes d'une autre origine ethnique, n'a pas été suffisamment sévère pour limiter la liberté d'expression. Les requérants considèrent que le Procureur régional aurait dû décider que ces propos tombaient sous le coup de l'article 266 b), comme dans un précédent jugement du 10 avril 1996 dans une affaire similaire. En l'espèce, la liberté d'expression ne pouvait constituer une justification suffisante pour classer l'affaire.

5.8 Les requérants concluent donc qu'au Danemark les politiciens ont le droit de faire des déclarations tombant sous le coup de l'article 266 b) sans s'exposer à des poursuites, tandis que des non-politiciens seraient poursuivis pour des propos analogues. Les requérants avaient demandé au Procureur général de commenter cette vision des choses qui, selon eux, n'a aucune justification et est contraire au paragraphe 1 d) de l'article 2 et aux articles 4 et 6 de la Convention.

5.9 Les requérants indiquent en outre que, s'ils ne contestent pas que la Cour européenne accorde une plus grande liberté d'expression aux politiciens, il devrait en aller de même pour les journalistes. À cet égard, ils se réfèrent à nouveau au cas de Lars Bonnevie qui a été reconnu coupable de diffamation le 29 avril 1999 pour avoir déclaré que Pia Kjærsgaard propageait des «thèses apparemment racistes». Dans le même ordre d'idées, les requérants se réfèrent à une décision du Tribunal d'Aarhus qui a condamné une politicienne, Karen Sunds, pour avoir déclaré «on ne peut pas coopérer avec le Parti du peuple danois car la présidente de ce parti a une vision raciste des choses».

5.10 Enfin, les requérants soutiennent que c'est aux tribunaux qu'il appartient de tracer la frontière entre la liberté d'expression et la protection contre les propos racistes et non pas à la police ou au Procureur régional. Eu égard à l'indépendance de la justice, cela se justifie encore davantage dans les cas où l'auteur supposé de l'infraction est un politicien.

5.11 En ce qui concerne l'allégation de violation des articles 4 et 6, les requérants répètent que cette affaire n'a pas fait l'objet d'une enquête approfondie et n'a pas été examinée individuellement.


Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner une communication quant au fond, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, en application de l'article 14 de la Convention et des articles 86 et 91 de son règlement intérieur, examine si cette communication est ou non recevable.

6.2 Le Comité note que l'État partie fait valoir qu'aucun des requérants n'a été plaignant dans une procédure interne et que les faits rapportés à la police de Copenhague l'ont été uniquement par le DRC.

6.3 Le Comité souligne qu'en vertu du paragraphe 7 a) de l'article 14 le critère essentiel est l'épuisement des recours internes par les requérants eux-mêmes et non par d'autres organisations ou particuliers. Le Comité estime par conséquent que la communication est irrecevable au titre du paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention.

7. Sans préjudice de ce qui précède, le Comité appelle l'attention de l'État partie sur le paragraphe 115 du Programme d'action adopté le 8 septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée à Durban (Afrique du Sud), dans lequel la Conférence «souligne le rôle capital que les politiciens et les partis politiques peuvent jouer dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, et encourage les partis politiques à prendre des mesures concrètes pour promouvoir l'égalité, la solidarité et la non-discrimination dans la société, notamment en se dotant volontairement de codes de conduite qui prévoient des mesures disciplinaires internes en cas de violation de leurs dispositions, de façon que leurs membres s'abstiennent de toutes déclarations et actions publiques qui invitent ou incitent au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l'intolérance qui y est associée;».



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[Fait en anglais, en espagnol et en français, le texte anglais étant la version originale. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]


Notes

1. L'article 266 b) du Code pénal danois s'énonce comme suit:

2. L'article 34 de la Convention européenne des droits de l'homme se lit comme suit:



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