Conclusions du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, Suisse, U.N. Doc. CERD/C/60/CO/14 (2002).
COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION
DE LA DISCRIMINATION RACIALE
Soixantième session
4-22 mars 2002
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
Conclusions du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale
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Suisse
1. Le Comité a examiné les deuxième et troisième rapports périodiques de la Suisse (CERD/C/351/Add.2), qui devaient être présentés respectivement le 29 décembre 1997 et le 29 décembre 1999, ainsi qu'un rapport complémentaire à ses 1495e et 1496e séances (CERD/C/SR.1495 et 1496), tenues les 4 et 5 mars 2002, et a adopté les conclusions suivantes à sa 1520e séance (CERD/C/SR.1520), tenue le 21 mars 2002.
A. Introduction
2. Le Comité se félicite du rapport détaillé présenté par l'État partie, dont le contenu suit à la lettre les principes directeurs révisés (CERD/C/70/Rev.5) du Comité. Le Comité se félicite également des réponses détaillées données aux préoccupations qu'il avait exprimées et aux recommandations qu'il avait formulées dans ses conclusions précédentes, ainsi que des informations supplémentaires fournies oralement par la délégation en réponse aux questions posées. Le Comité se déclare satisfait du dialogue franc et fructueux instauré avec les représentants de l'État partie.
B. Aspects positifs
3. Le Comité salue les progrès sensibles que, depuis l'examen de son rapport initial (CERD/C/270/Add.1), l'État partie a réalisés dans la mise en œuvre des dispositions de la Convention. Dans ce contexte, il se félicite de ce que le principe de l'égalité de tous devant la loi ait été inscrit dans la nouvelle Constitution fédérale, entrée en vigueur en janvier 2000 (art. 8).
4. Le Comité note avec satisfaction qu'un certain nombre de constitutions cantonales ont été révisées récemment pour inclure des dispositions interdisant la discrimination.
5. Le Comité note par ailleurs que la Convention fait partie intégrante du système juridique suisse, que certaines de ses dispositions peuvent être invoquées directement devant les tribunaux et que le Tribunal fédéral s'est fondé sur les dispositions de la Convention à plusieurs reprises.
6. Le Comité se félicite des informations fournies par l'État partie concernant le nombre d'affaires traitées par les tribunaux au titre de l'article 261
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du Code pénal, qui punit l'incitation publique à la haine ou à la discrimination raciale et la propagation d'une idéologie raciste.
7. Le Comité fait part de sa satisfaction devant la création d'un fonds de 15 millions de francs suisses pour le financement de projets de lutte contre le racisme, dont la création d'un réseau national de centres consultatifs pour les victimes d'actes de discrimination raciale. Il se félicite également de la création d'une instance de lutte contre le racisme chargée, entre autres choses, de coordonner les mesures prises au niveau du Gouvernement fédéral et des cantons pour combattre le racisme, l'antisémitisme, la xénophobie et l'extrémisme.
C. Sujets de préoccupation et recommandations
8. Le Comité souhaite souligner qu'en dépit de la structure fédérale de l'État partie, qui peut rendre difficile l'exécution intégrale sur tout le territoire des obligations contractées par l'État partie au titre de la Convention, c'est au Gouvernement fédéral qu'appartient la responsabilité de garantir la mise en oeuvre de la Convention sur la totalité du territoire et de veiller à ce que les autorités cantonales aient connaissance des droits énoncés dans la Convention et prennent les mesures nécessaires pour les faire respecter.
9. Le Comité se dit préoccupé au plus haut point face à la persistance en Suisse d'attitudes hostiles envers les Noirs, les musulmans et les demandeurs d'asile. Aussi recommande-t-il à l'État partie de poursuivre ses efforts visant à prévenir et à combattre de telles attitudes, notamment par le biais de campagnes d'information et l'éducation de l'opinion publique. En outre, compte tenu de sa recommandation générale XIX, le Comité encourage l'État partie à continuer à surveiller toutes les tendances susceptibles de provoquer la ségrégation raciale ou ethnique et à s'attacher à éliminer les conséquences négatives qui en découlent.
10. Le Comité se déclare préoccupé par les sentiments xénophobes et racistes manifestés dans le cadre de procédures de naturalisation, notamment celles soumises au vote populaire. Il constate avec inquiétude que, conformément à la législation en vigueur, les décision prises au titre de ces procédures ne peuvent pas faire l'objet d'un recours judiciaire. Le Comité est d'avis qu'il convient d'introduire expressément dans la politique de naturalisation, actuellement en cours de révision, le droit de faire appel d'une décision en matière de naturalisation, en particulier lorsque cette décision est arbitraire ou discriminatoire. En outre, l'État partie devrait faire tout son possible pour éviter les cas d'apatridie, notamment chez les enfants, sur son territoire, eu égard à l'article 38, paragraphe 3, de la nouvelle Constitution fédérale, qui stipule que la Confédération «facilite la naturalisation des enfants apatrides».
11. Tout en saluant la position du Conseil fédéral, qui considère que la ségrégation à l'école est contraire à la Constitution fédérale, à la Convention relative aux droits de l'enfant et à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité se déclare préoccupé par les mesures envisagées dernièrement dans certains cantons en vue de la création de classes séparées pour les élèves étrangers. Le Comité considère que la ségrégation à l'école ne peut être considérée comme conforme à l'article 2 et à l'alinéa
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v)
de l'article 5 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles.
12. Les allégations de violences policières et de recours excessif à la force contre des personnes d'origine étrangère au cours de leur arrestation ou durant leur expulsion préoccupent également le Comité. Celui-ci note que de nombreux cantons ne possèdent pas de mécanismes indépendants leur permettant d'instruire les plaintes concernant les violences policières et que les sanctions à l'encontre des responsables sont rares. L'État partie devrait veiller à ce que des organismes indépendants habilités à instruire les plaintes contre des agents des forces de l'ordre soient créés dans tous les cantons. Il faudrait aussi que l'État s'efforce de recruter dans les rangs de la police des membres des groupes minoritaires et de sensibiliser et de former les agents des forces de l'ordre aux questions de la discrimination raciale.
13. Tout en saluant les importantes activités entreprises par la Commission fédérale contre le racisme, le Comité note que cette Commission n'a que des pouvoirs limités. Aussi, invite-t-il l'État partie à renforcer les pouvoirs et les moyens de la Commission fédérale contre le racisme. Par ailleurs, il faudrait tenir compte, dans le cadre de l'examen de la possibilité de mettre en place un organisme national de défense des droits de l'homme, des critères établis sur ce point par l'Assemblée générale dans sa résolution 48/134 (Principes de Paris).
14. Notant que la politique d'immigration des «trois cercles» suivie par la Suisse, qui classait les étrangers en fonction de leur origine nationale et de leur capacité d'intégration, a été abandonnée pour être remplacée par un système binaire d'admission, et compte tenu du dialogue instauré avec la délégation suisse sur ce point, le Comité invite l'État partie à réfléchir sur la question de savoir si la réserve qu'il a émise à l'alinéa
a
du paragraphe 1 de l'article 2 de la Convention est toujours nécessaire ou si elle peut être levée.
15. Le Comité se dit aussi préoccupé par la situation en Suisse des gens du voyage, notamment les Roms et les Jenisch, et espère que des efforts continueront d'être déployés pour améliorer leurs conditions de vie et de travail.
16. Le Comité demande des informations sur la législation en vigueur concernant l'interdiction de la discrimination raciale dans le secteur privé, dans des domaines tels que l'emploi, le logement, l'enseignement, la santé et l'accès aux lieux publics.
17. Le Comité prend note du processus entamé au sein des organes exécutifs en vue de la formulation de la déclaration facultative prévue à l'article 14 de la Convention et encourage l'État partie à mener cette entreprise à son terme.
18. Le Comité recommande à l'État partie de tenir compte, lorsqu'il incorpore les dispositions de la Convention, en particulier celles des articles 2 à 7, dans l'ordre juridique interne des passages pertinents de la Déclaration et du Programme d'action de Durban et de communiquer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les plans d'action et autres mesures adoptées pour appliquer au niveau national la Déclaration et le Programme d'action de Durban.
19. Le Comité recommande à l'État partie de soumettre son quatrième rapport périodique et son cinquième rapport périodique, attendu le 29 décembre 2003, en un seul rapport qui constituerait une mise à jour et traiterait des questions soulevées dans les présentes conclusions.
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La cote CERD/C/n° de la session n°/CO/... remplace désormais l'ancienne cote CERD/C/304/Add...