COMITE POUR L'ELIMINATION
DE LA DISCRIMINATION RACIALE
Soixante-quatrième session
23 février – 12 mars 2004
EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
Observations finales du Comité pour l'Elimination de
la Discrimination Raciale
SURINAME
.
1. Le Comité a examiné les premier à dixième rapports périodiques du Suriname,
soumis en un seul document (CERD/C/446/Add.1), à ses 1614ème et 1615ème
séances (CERD/C/SR.1614 et 1615), tenues le 23 et le 24 février 2004. A
ses 1636ème et 1637ème séances, les 9 et 10 mars 2004, le Comité a adopté
les conclusions suivantes.
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Suriname et
la possibilité qui lui est ainsi donnée d'ouvrir un dialogue approfondi avec
l'État partie. Le Comité salue le fait que le Gouvernement se soit fait représenter
par une délégation de haut rang, ainsi que les réponses, orales et écrites,
que celle-ci lui a fournies.
3. Le Comité prend note avec satisfaction des efforts accomplis par l'Etat
partie pour se conformer aux directives du Comité en matière d'établissement
des rapports, et relève tout particulièrement les informations relatives à
la composition ethnique de la population. Il regrette cependant que le rapport
initial, dans son ensemble, ne contienne pas suffisamment d'informations relatives
à l'application concrète de la Convention.
4. Le Comité regrette également que le rapport initial lui ait été remis avec
18 ans de retard. Il invite l'Etat partie à respecter la périodicité indiquée
par le Comité pour la soumission de ses prochains rapports.
B. Aspects positifs
5. Le Comité note avec satisfaction que, conformément à l'ordre constitutionnel
de l'Etat partie, la Convention prévaut sur la législation interne.
6. Le Comité se félicite de la définition de la discrimination raciale en
droit interne, qui est conforme à l'article 1 de la Convention.
7. Le Comité note avec satisfaction que la législation pénale de l'Etat partie
se conforme, pour l'essentiel, aux exigences de l'article 4 a) de la Convention.
8. Le Comité note avec intérêt l'affirmation de l'Etat partie selon laquelle
le nombre de Marrons et d'autochtones qui occupent des positions de responsabilités
augmente régulièrement, même si beaucoup reste encore à faire.
C. Sujets de préoccupation et recommandations
9. Le Comité regrette que la Cour constitutionnelle, prévue de longue date,
et présentée par l'Etat partie comme un mécanisme essentiel de protection
des droits de l'homme, notamment dans le domaine de la Convention, n'ait toujours
pas été créée.
Il invite l'Etat partie à mettre sur pied cette institution dans les meilleurs
délais.
10. S'agissant de l'interdiction des organisations incitant à la discrimination
raciale, le Comité relève que la législation surinamaise ne répond pas aux
exigences de l'article 4 b) de la Convention.
Il recommande à l'Etat partie d'élaborer une loi déclarant illégales et interdisant
ces organisations.
11. Le Comité est préoccupé par le fait que l'Etat partie, plus de 10 ans
après les Accords de paix de 1992, n'a toujours pas adopté de cadre législatif
approprié relatif à la reconnaissance légale des droits des populations
autochtones et tribales (Amérindiens et Marrons) sur leurs terres, territoires
et ressources communaux.
Prenant note du principe énoncé à l'article 41 de la Constitution, selon
lequel les ressources naturelles sont la propriété de la Nation et doivent
être utilisées pour promouvoir le développement économique, social, et
culturel, le Comité rappelle que ce principe doit s'harmoniser avec les
droits des populations autochtones et tribales.
Il recommande à l'Etat partie de reconnaître légalement le droit des
populations autochtones et tribales de posséder, mettre en valeur, contrôler
et utiliser leurs terres et territoires communaux, et de participer
à l'utilisation, la gestion, et la conservation des ressources naturelles
de ces terres.
12. Le Comité relève les efforts accomplis par l'Etat partie pour concilier,
dans une certaine mesure, le droit de l'Etat sur les ressources naturelles
du pays et les droits des populations autochtones et tribales à travers, en
particulier, les Accords de paix de 1992. Il relève toutefois que ces Accords
manquent de précision, et n'ont pas été mis en œuvre.
Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre d'urgence des initiatives
pour identifier, en coopération avec les populations autochtones et tribales
concernées, les terres et territoires occupés et utilisés traditionnellement
par eux. Des renseignements plus complets devraient lui être fournis sur
la composition, le mandat, les méthodes de fonctionnement et les moyens
financiers et humains du Conseil pour le Développement de l'Intérieur,
qui doit participer à la démarcation des territoires selon les Accords
de paix.
13. Tout en notant également que, selon l'affirmation de l'Etat partie, des
mécanismes garantissent l'information et la consultation des populations autochtones
et tribales avant tout octroi de concessions d'exploitation forestière et
minière sur leurs territoires, le Comité s'inquiète des informations selon
lesquelles de telles consultations sont rares.
Il invite les autorités à vérifier que les mécanismes d'information et
de consultation mis en place sont effectifs, et recommande à l'Etat partie
de s'efforcer, dans toute la mesure du possible, de conclure des accords
avec les populations concernées avant d'autoriser des concessions.
14. Le Comité relève qu'en vertu du projet de loi sur les mines (Mining Act),
les populations autochtones et tribales seront tenues d'accepter les activités
minières sur leurs terres, après avoir conclu avec les exploitants un accord
de compensation des dommages, et qu'en cas d'impossibilité de parvenir à un
tel accord, il reviendra au pouvoir exécutif, et non judiciaire, de trancher
la question. De façon plus générale, le Comité s'inquiète de ce que les populations
autochtones et tribales ne pourraient pas, en tant que telles, saisir les
tribunaux pour faire reconnaître leurs droits traditionnels, du fait de l'absence
de reconnaissance légale de la personnalité juridique de ces populations.
Il recommande que des recours devant les tribunaux ou toute instance indépendante
spécialement créée à cet effet soient ouverts aux populations autochtones
et tribales, aux fins de faire valoir leurs droits traditionnels de même
que leur droit d'être consultées avant l'octroi de concessions et leur
droit à indemnisation équitable pour tout dommage subi.
15. Le Comité note avec préoccupation que les populations autochtones et tribales
de l'intérieur se plaignent des conséquences néfastes de l'exploitation des
ressources naturelles sur leur environnement, leur santé, et leur culture.
Il regrette que l'Etat partie ne semble pas avoir donné la plus haute priorité
à la nécessité de résoudre le problème de l'empoisonnement au mercure des
régions de l'intérieur.
Rappelant que les objectifs de développement ne peuvent être invoqués
pour justifier une atteinte aux droits de l'homme, et que le droit d'exploiter
les ressources naturelles s'accompagne d'obligations précises envers les
populations locales, le Comité recommande à l'Etat partie d'adopter un
cadre législatif énonçant clairement les grands principes régissant l'exploitation
des terres, notamment l'obligation des exploitants de respecter des normes
environnementales strictes. Il lui recommande de créer un organisme indépendant
chargé de mener des études d'impact sur l'environnement avant toute autorisation
d'exploitation et d'effectuer des contrôles sanitaires de l'extraction
artisanale et industrielle de l'or.
16. Le Comité s'inquiète d'informations faisant état de l'augmentation de
l'exploitation sexuelle des enfants et de viols de jeunes filles parmi les
populations autochtones et tribales, dans les régions où les activités minières
et forestières se sont développées.
Il recommande à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour
que les auteurs de ces actes soient poursuivis.
17. Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de l'augmentation
des maladies sexuellement transmissibles telles que le VIH-Sida, dans les
populations autochtones et tribales, en liaison avec le développement des
activités minières et forestières dans l'intérieur du pays.
Il recommande à l'Etat partie de mettre en œuvre un plan d'action
contre le Sida dans l'intérieur du pays.
18. Le Comité s'étonne de la déclaration de l'Etat partie selon laquelle les
Marrons et Amérindiens n'ont jamais officiellement soumis de plaintes dénonçant
les effets de l'exploitation des ressources naturelles.
Il recommande à l'Etat partie de mener une campagne d'information à destination
des populations autochtones et tribales sur les voies de recours dont
elles disposent pour faire valoir leurs droits et intérêts, et d'ouvrir
des enquêtes dès que des informations relatives au non respect de leurs
droits lui parviennent.
19. Le Comité s'inquiète du manque d'infrastructures et de moyens en matière
de santé, d'éducation et de services, dont souffrent encore les populations
autochtones et tribales. Il regrette que des mesures spéciales en faveur de
ces populations n'aient pas été adoptées, au motif qu'aucune donnée ne permet
de penser qu'elles auraient besoin d'une protection spéciale.
Le Comité recommande que l'Etat partie accentue ses efforts, en particulier
en ce qui concerne le plan global d'action en matière d'éducation dans
l'arrière-pays. Il recommande également que les accords conclus avec les
grands opérateurs économiques contiennent, en consultation avec les populations
concernées, des clauses relatives à la contribution de ces opérateurs
à la promotion des droits de l'homme, notamment en matière d'éducation.
20. Le Comité accueille avec satisfaction la déclaration de la délégation
selon laquelle la loi d'amnistie de 1992 n'a pas mis fin aux procédures relatives
aux violations des droits de l'homme commises pendant la période du conflit
civil de 1985 à 1991, y compris en ce qui concerne le massacre de Moiwana
de 1986. Il juge toutefois préoccupant que les enquêtes sur ces évènements
n'aient pas abouti jusqu'à maintenant.
Le Comité recommande à l'Etat partie de donner une haute priorité à la
lutte contre l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme
commises pendant la guerre civile, en veillant à ce qu'une réparation
adéquate soit offerte aux victimes dans les meilleurs délais.
21. Notant la volonté légitime de l'Etat partie de garantir l'enseignement
de la langue officielle et de promouvoir celui de l'espagnol et de l'anglais,
le Comité s'inquiète de l'absence de projet visant à préserver les langues
maternelles des populations autochtones et tribales. Il s'inquiète aussi de
ce que l'enseignement accorde une place insuffisante au Sranan Tongo, parlé
par la majorité de la population.
Il encourage l'Etat partie à favoriser l'apprentissage des langues maternelles
et notamment du Sranan Tongo, en vue de préserver l'identité culturelle
et linguistique des divers groupes ethniques.
22. Le Comité note que l'action des autorités semble se limiter à ne pas entraver
l'exercice des droits culturels des divers groupes ethniques et de leurs membres.
Le Comité recommande à l'Etat partie de respecter et promouvoir la culture,
la langue et les modes de vie propre des populations autochtones et tribales.
Il encourage les autorités à mener une étude, en coopération avec les
populations concernées, au sujet de l'impact de l'exploitation économique
des terres des populations autochtones et tribales sur les droits culturels
de ces groupes et de leurs membres.
23. Le Comité appelle l'attention de l'Etat partie sur sa Recommandation générale
XXIII (1997) concernant les droits des populations autochtones, et rappelle
l'importance de la Convention n° 169 de l'OIT, relative aux peuples indigènes
et tribaux, dans le contexte de la situation particulière du Suriname.
Il souhaiterait obtenir plus de renseignements sur la discussion générale
concernant le contenu de cette Convention, qui était prévue par les Accords
de paix de 1992, de même que sur le résultat de cette discussion. Il encourage
l'Etat partie à envisager de ratifier cette Convention dans les meilleurs
délais.
24. Le Comité s'inquiète d'informations selon lesquelles le processus de rapatriement
volontaire et de réintégration des Surinamiens réfugiés en Guyane française
serait inachevé en ce qui concerne de nombreux hommes Marrons, laissant leurs
femmes et enfants dans une situation de grande pauvreté.
Le Comité souhaite obtenir des informations précises à ce sujet.
25. Le Comité prend note de la volonté de l'Etat partie de respecter les coutumes
des divers groupes ethniques en matière de mariage, et de ses efforts visant
toutefois à établir un âge de consentement au mariage fixé à 18 ans pour tous
et à interdire les mariages célébrés sans le consentement de la femme. Il
relève à ce propos que Loi de 1973 sur le mariage est entrée en vigueur en
juin 2003.
Le Comité recommande à l'Etat partie de poursuivre ses efforts en vue
d'assurer que les femmes, quelle que soit leur communauté d'appartenance,
voient leurs droits respectés, en particulier dans le cadre du mariage.
Il demande que lui soient fournies des informations précises sur les règles
et pratiques de mariage s'appliquant dans les communautés autochtones
et tribales.
26. Le Comité recommande à l'Etat partie, lorsqu'il applique dans l'ordre
juridique interne les dispositions de la Convention, en particulier celles
des articles 2 à 7, de tenir compte des passages pertinents de la Déclaration
et du Programme d'action de Durban et de communiquer dans son prochain rapport
périodique des renseignements sur les plans d'action et autres mesures adoptées
pour appliquer au niveau national la Déclaration et le Plan d'action de Durban.
27. Le Comité recommande vivement à l'État partie de ratifier l'amendement
au paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention, adoptés le 15 janvier 1992
à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvée par
l'Assemblée générale dans sa résolution 47/111. A cet égard, le Comité renvoie
à la résolution 57/194 de l'Assemblée générale en date du 18 décembre 2002,
dans laquelle l'Assemblée générale a demandé instamment aux États parties
de hâter leurs procédures internes de ratification de l'amendement et d'informer
par écrit le Secrétaire général dans les meilleurs délais de leur acceptation
de cet amendement. Un appel similaire a été formulé par l'Assemblée générale
dans sa résolution …/…. du .. décembre 2003.
28. Le Comité note que l'État partie n'a pas fait la déclaration facultative
prévue à l'article 14 de la Convention, et recommande que cette possibilité
soit envisagée.
29. Le Comité recommande à l'État partie de rendre ses rapports périodiques
publics et de diffuser de la même manière les conclusions du Comité.
30. Le Comité invite l'Etat partie à utiliser l'assistance technique offerte
au titre du programme de services consultatifs et d'assistance technique du
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, en vue d'élaborer
une loi-cadre sur les droits des populations autochtones et tribales, répondant
aux préoccupations du Comité ainsi énoncées.
31. Le Comité recommande à l'Etat partie de soumettre ses onzième, douzième
et treizième rapports périodiques en un seul document, dus le 14 avril 2007,
et de répondre à tous les points soulevés dans les présentes observations
finales.