University of Minnesota



Observations finales du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Soudan, U.N. Doc. A/48/18,paras.100-127 (1993).





COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION


Conclusions du Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale



Soudan

100. Le Comité a examiné le huitième rapport périodique du Soudan (CERD/C/222/Add.1) à ses 968e, 970e, 971e et 983e séances, les 9, 10 et 18 mars 1993 (voir CERD/C/SR.968, 970, 971 et 983).

101. Le rapport a été présenté par le représentant de l'Etat partie qui a indiqué que le Gouvernement soudanais attachait une importance considérable aux travaux du Comité, dont l'objectif ultime était le bien-être de la population soudanaise. Toutefois, le Gouvernement précédent ne s'était pas acquitté de ses obligations de faire rapport en vertu des divers instruments relatifs aux droits de l'homme auxquels le Soudan était partie. Plusieurs rapports avaient été élaborés le plus rapidement possible afin de rétablir la coopération avec les organes conventionnels.

102. Les membres du Comité ont salué la volonté de l'Etat partie de faire son autocritique et d'engager un dialogue avec le Comité. Notant toutefois que la société soudanaise était multiraciale et pluriculturelle, ils ont regretté que le rapport ne contînt aucun renseignement sur la composition démographique du pays, comme il était demandé dans la Recommandation générale IV du Comité, et qu'il n'y fût fait aucune mention des sous-groupes les plus importants de la vallée du Nil bleu du sud. Il serait utile d'indiquer la composition démographique dans le prochain rapport, sous forme de tableau. Les membres ont également demandé quel était le nombre de réfugiés et d'étudiants étrangers au Soudan. Eu égard à la campagne menée dans les années 80 en vue d'éliminer certaines langues tribales et d'établir un Etat islamique monoculturel, ils ont demandé combien de langues étaient reconnues par le Gouvernement et si l'anglais était la principale langue parlée dans le sud.

103. Le Comité a noté que la Convention n'était plus respectée du point de vue constitutionnel, judiciaire ou administratif et que l'Assemblée générale, par sa résolution 47/142, avait demandé au Gouvernement soudanais de se conformer aux dispositions des instruments internationaux applicables dans le domaine des droits de l'homme et de veiller à ce que toutes les personnes se trouvant sur son territoire, y compris les membres de tous les groupes religieux et ethniques, jouissent des droits reconnus par ces instruments. D'après divers rapports émanant d'organismes des Nations Unies, d'organisations non gouvernementales internationales et d'organes d'information, les forces de sécurité infligeaient des mauvais traitements à l'encontre de la population, et l'on déplorait notamment des détentions arbitraires, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions et des détentions forcées, ainsi que des campagnes d'épuration ethnique dans le sud du pays. De plus amples renseignements ont été sollicités sur la façon dont le processus d'intégration nationale évoqué au paragraphe 29 du rapport pouvait être accéléré dans une situation de conflit armé.

104. Les membres du Comité ont fait remarquer que, depuis la suspension de l'application de la constitution provisoire de 1989, le Conseil révolutionnaire pour le salut national avait gouverné par décret, attribuant des pouvoirs d'exception au Président. Etant donné que le premier décret avait aboli les organes législatif et politique existants, les membres ont souhaité savoir comment le Soudan pouvait mettre en oeuvre les dispositions de la Convention sans promulguer une législation spéciale. A ce sujet, des précisions ont été demandées sur l'organisation des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire.

105. Les membres ont rappelé qu'en vertu de l'article 4 de la Convention, les Etats parties s'engageaient à prendre des mesures législatives pour empêcher les actes de discrimination raciale et ont souhaité savoir comment le Soudan s'acquittait de cette obligation.

106. Etant donné que le conflit semblait avoir une composante ethnique et que les questions religieuses se mêlaient parfois aux questions ethniques, les membres se sont inquiétés d'un risque de discrimination ethnique dans l'exercice des droits visés à l'article 5.

107. Les membres ont noté que d'après certains rapports, des centaines de villages de tribus noubas et fours avaient été rasés et leurs habitants arrachés à leur terre, dans le cadre d'un vaste programme de purification ethnique. A cet égard, on avait appris que, tous les mois, des dizaines de milliers d'habitants des monts Nouba étaient déplacés et que les femmes étaient contraintes de se marier pour former des couples mixtes, ou étaient vendues en esclavage dans le nord. Il semblerait donc que les alinéas d) i), iv) et v) de l'article 5 de la Convention ne soient pas respectés.

108. A propos de l'alinéa b) de l'article 5 de la Convention, qui garantit l'absence de discrimination dans l'exercice du droit à la sûreté de la personne et à la protection de l'Etat, les membres du Comité ont noté qu'ils avaient eu connaissance de rapports faisant état de massacres et d'exécutions extrajudiciaires parmi la population civile des monts Nouba, où le programme d'action militaire lancé par le Gouvernement semblait être un programme d'épuration ethnique. Des rapports analogues faisaient état de violations des droits de l'homme commises par l'Armée populaire de libération du Soudan. A ce sujet, les membres ont souligné l'importance du droit à la vie et ont noté que les infractions pour lesquelles la peine capitale pouvait être prononcée n'étaient pas clairement définies dans la législation soudanaise. Il fallait espérer que le Gouvernement ferait une enquête sur les violations des droits de l'homme commises à l'encontre des groupes ethniques qui avaient été rapportées et traduirait les responsables en justice.

109. En ce qui concernait la mise en oeuvre effective des dispositions de l'alinéa c) de l'article 5 de la Convention, garantissant l'absence de discrimination dans l'exercice du droit de prendre part au gouvernement ainsi qu'à la direction des affaires publiques, les membres ont demandé de plus amples renseignements sur la Conférence du dialogue national de 1989. A ce sujet, ils ont voulu savoir comment le Gouvernement comptait autoriser les groupes à coexister au sein du système fédéral établi par le décret No 4, en réponse aux revendications du sud. Les tentatives visant à islamiser le pays en introduisant la charia semblaient revenir sur des accords précédents. Les membres ont aussi voulu savoir comment on pouvait affirmer que presque toutes les couleurs de l'opinion politique étaient représentées à l'Assemblée alors que les partis politiques avaient été interdits et que le corps législatif avait été démantelé.

110. S'agissant de l'alinéa d) iv) de l'article 5 de la Convention, les membres du Comité ont appelé l'attention sur l'indication donnée au paragraphe 50 du rapport selon laquelle un non-musulman qui souhaitait épouser la fille d'un musulman devait se convertir à l'islam. Ils ont également noté avec préoccupation que le droit d'exercer sans aucune discrimination la liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi que la liberté d'opinion, consacré aux alinéas d) vii) et viii) de l'article 5 de la Convention risquait d'avoir été bafoué et que le délit d'apostasie emportait la peine de mort. Le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association était dénié depuis la proclamation de l'état d'urgence. De même, les syndicats avaient été interdits et leurs dirigeants emprisonnés, ce qui était contraire à l'alinéa e) ii) de l'article 5 de la Convention, si la décision dénotait un préjugé ethnique. A propos de l'alinéa e) iii) de l'article 5, les membres ont souhaité savoir ce que le Gouvernement avait fait en faveur des sans-abri, en particulier des enfants sans abri.

111. Pour ce qui était du droit à l'éducation sans discrimination (alinéa e) v) de l'article 5 de la Convention), les membres du Comité ont demandé quel était l'âge minimum et maximum de la scolarité obligatoire, si le système d'enseignement était le même dans le nord et dans le sud, si les enfants scolarisés pouvaient recevoir un enseignement dans les langues locales et quels problèmes les migrations forcées du sud vers le nord créaient pour les enfants.

112. S'agissant des observations du représentant de l'Organisation internationale du Travail à propos de la mise en oeuvre par le Soudan de la Convention de l'OIT concernant l'abolition du travail forcé (No 105) et compte tenu des allégations d'esclavage émises devant le Groupe de travail des formes contemporaines d'esclavage, les membres ont demandé des précisions sur les mesures prises par le Gouvernement à ce sujet, en particulier pour faire face au problème du transfert illicite d'enfants.

113. A propos de l'article 6 de la Convention, les membres du Comité voulaient savoir comment le code pénal était appliqué dans la pratique en cas de discrimination raciale, s'il prévoyait des peines pour les actes de discrimination raciale, si la Convention pouvait être invoquée devant un tribunal, quelle était la procédure à suivre pour dénoncer un acte de discrimination raciale devant un tribunal et de quel recours les victimes de discrimination raciale disposaient. S'agissant de l'indépendance du pouvoir judiciaire, les membres du Comité se sont déclarés préoccupés de certains rapports selon lesquels les magistrats qui n'étaient pas considérés comme sympathisants du régime avaient été remplacés. Concernant les juridictions pénales d'exception, les membres du Comité ont demandé dans quelles circonstances ces tribunaux avaient été institués, quelles lois les régissaient et si elles étaient habilitées à appliquer des règles spéciales.

114. A propos de l'article 7 de la Convention, on a noté que les réponses données dans le rapport n'étaient pas conformes aux dispositions de la Convention et le Gouvernement a donc été prié d'y répondre comme il convenait dans son prochain rapport.

115. Dans sa réponse, le représentant de l'Etat partie s'est félicité des questions et des observations formulées par les membres du Comité car elles aideraient le Gouvernement soudanais qui était fermement résolu à accorder la plus haute importance aux droits de l'homme et à mieux appliquer la Convention.

116. Répondant aux questions, le représentant a déclaré que la Conférence du dialogue national avait reconnu formellement les droits légitimes de la population du sud. Le Gouvernement avait admis que sur le plan économique le sud était en retard sur le nord, et avait créé un organisme afin de faciliter le développement du sud. Sur le plan politique, le Gouvernement avait instauré un système de gouvernement fédéral dans le cadre duquel les ressources et les postes de responsabilité devaient être répartis équitablement. Le Gouvernement avait attaché une importance considérable aux recommandations de la Conférence, en particulier en ce qui concernait les minorités linguistiques et religieuses. A cet égard, il avait décidé que la charia ne serait pas appliquée dans le sud, dont les habitants avaient une culture différente. De plus, le Gouvernement était disposé à accepter un arrangement de partage du pouvoir avec les trois factions rivales représentant le mouvement rebelle au Soudan, arrangement qui pourrait prendre la forme d'une structure fédérale.

117. En ce qui concernait les rapports entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le pouvoir judiciaire était indépendant et continuait d'être régi par une loi de 1986. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif étaient au départ exercés l'un et l'autre par le Conseil de la Révolution. Afin de mettre fin à cette situation où les deux pouvoirs étaient concentrés dans les mêmes mains, il avait été décidé de confier le pouvoir législatif au Conseil supérieur de transition, composé de plus de 300 personnes représentant les différentes provinces du pays et les différents secteurs de la population. Lors d'élections locales récentes, 1 600 conseillers municipaux avaient été élus par quelque 5 300 000 électeurs. Tous ces faits attestaient la volonté du Gouvernement soudanais de s'acheminer vers la démocratie.

118. En réponse aux questions posées par les membres, le représentant a indiqué que, si la flagellation existait en tant que châtiment, elle n'avait pas été instituée par la loi pénale islamique de 1991 mais par le code pénal promulgué par les Britanniques en 1898. Elle était considérée comme l'un des meilleurs châtiments, non pas d'un point de vue religieux, mais du point de vue de la criminologie moderne. L'apostasie n'était pas punissable en soi et tout musulman pouvait se convertir au christianisme. Ce qui était punissable en vertu du code pénal était l'incitation à l'apostasie, qui pouvait constituer une menace pour la paix et l'ordre public.

119. En ce qui concernait les allégations de tortures et de jugements et d'arrestations arbitraires, le représentant a renvoyé aux conclusions d'un expert indépendant désigné par l'ONU, qu'il avait lui-même accompagné lors de sa visite au Soudan en sa qualité de Secrétaire général de la Commission soudanaise des droits de l'homme. L'expert avait pu constater que ces allégations n'avaient jamais été attestées. Il avait pu rencontrer une personne qui, d'après Amnesty International et Africa Watch, avait été torturée et en était morte. D'autres personnes arrêtées ou jugées prétendument de façon arbitraire avaient été soit acquittées soit condamnées en vertu de jugements écrits portés à leur connaissance. De plus, l'expert avait constaté que les conditions dans lesquelles les prisonniers étaient incarcérés étaient normales.

120. En réponse à une autre question, le représentant de l'Etat partie a indiqué que la discrimination raciale et religieuse était un délit au regard du droit soudanais, en vertu de la loi et de la jurisprudence. En outre, bien avant l'indépendance, les instruments internationaux auxquels le Soudan avait adhéré faisaient partie de la législation interne, qu'ils primaient. Les principes internationaux condamnant la discrimination raciale et la torture étaient pleinement respectés au Soudan. Les personnes reconnues coupables de discrimination raciale étaient passibles d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans, d'une amende, ou des deux.

121. Concernant la proportion de non-Arabes dans les forces armées et la part respective des Soudanais du sud et des Soudanais du nord dans ce secteur, le représentant a donné au Comité l'assurance que les forces armées comptaient beaucoup plus de non-Arabes que d'Arabes. La participation aux forces de défense populaire ne se faisait pas selon des considérations religieuses.

122. Pour ce qui était des questions linguistiques, l'arabe était certes la langue de la majorité des Soudanais mais il ne devait pas son statut de langue officielle à ce titre mais au fait qu'il était la langue utilisée par l'ensemble des 500 tribus du Soudan. L'anglais, qui était la langue de l'élite, avait conservé son statut important au sein de la société soudanaise. Les allégations d'arabisation forcée du pays étaient battues en brèche par le fait que, pour la loi de 1974 relative à l'interprétation des lois et des dispositions générales, c'était la version anglaise qui faisait foi devant les tribunaux soudanais.

123. Une question avait été posée au sujet du prétendu refus du Gouvernement d'autoriser les organisations internationales à se rendre dans les monts Nouba, dans la province de Kordofan. En fait, un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés s'était rendu dans la région. Le Gouvernement n'avait pas encore institué une commission pour enquêter sur les allégations de violations des droits de l'homme dans la région, en partie parce qu'il attendait de voir si la Commission des droits de l'homme nommerait un Rapporteur spécial sur le Soudan, avec lequel le Gouvernement souhaitait coopérer sans réserve. A cet égard, le représentant de l'Etat partie a invité cordialement tout membre du Comité intéressé à venir au Soudan constater la situation sur place.

Conclusions

124. Le Comité s'est félicité de la volonté du Gouvernement soudanais de poursuivre le dialogue. Il a fait part de sa profonde inquiétude face aux violations graves des droits de l'homme commises au Soudan. Il a pris note de la déclaration du représentant selon laquelle des violations des droits de l'homme s'étaient produites et, compte tenu de ces inquiétudes, le Comité attachait une importance particulière au fait, signalé par le représentant, que le Gouvernement prenait des mesures pour empêcher que ces violations ne se reproduisent.

125. Le Comité a regretté l'absence de renseignements sur la dimension ethnique du conflit actuel dans le pays et l'insuffisance de données démographiques demandées dans les Directives et la Recommandation générale IV du Comité. Celui-ci a demandé au Gouvernement de veiller à harmoniser la législation, la réglementation et les pratiques nationales avec les dispositions de la Convention et d'assurer leur mise en oeuvre effective.

126. Le Comité a pris note des renseignements donnés sur la législation soudanaise mais a fait remarquer qu'il semblait y avoir dans bien des cas une dichotomie entre ces dispositions et leur application pratique. Il s'est déclaré préoccupé de la situation dans les monts Nouba et dans le Dar Four et a souhaité être informé des conclusions de la Commission d'enquête désignée le 25 novembre 1992.

127. Conformément au paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention, le Comité a demandé que des renseignements complémentaires lui soient apportés le plus tôt possible et au plus tard le 31 janvier 1994, en ce qui concernait la mise en oeuvre de la Convention. Il a appelé l'attention de l'Etat partie sur la possibilité de demander au Centre pour les droits de l'homme une assistance technique, dans le cadre du programme de services consultatifs, afin de l'aider à rédiger son prochain rapport.



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