University of Minnesota



Prévention de la discrimination, raciale, alerte et procédure d'urgence
, Rwanda, U.N. Doc. A/49/18,paras.53-72 (1994).





COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE

PRÉVENTION DE LA DISCRIMINATION RACIALE, ALERTE
RAPIDE ET PROCÉDURE D'URGENCE

Rwanda

53. Étant donné les informations faisant état d'un conflit ethnique au Rwanda, le Comité a décidé, à sa quarante et unième session, de demander au Gouvernement rwandais, conformément au paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention, de lui fournir des renseignements complémentaires sur ce conflit et sur ses conséquences pour l'application de la Convention au Rwanda, en particulier pour l'application des dispositions de l'article 5 b). Le Comité n'a pas reçu de réponse écrite. À sa 1027e séance, le 9 mars 1994, le Comité a examiné l'application de la Convention au Rwanda.

54. Le représentant de l'État partie a fait observer que depuis le 5 janvier 1994, le Rwanda passait par une crise constitutionnelle causée par la réticence des chefs des partis à partager le pouvoir comme le prévoyait l'Accord de paix d'Arusha d'août 1993. Le représentant était certain que son gouvernement, qui avait toujours coopéré avec l'Organisation des Nations Unies, ne négligerait pas le rapport du Comité. Il a également déclaré qu'un rapport sur la situation au Rwanda était en cours de préparation et serait présenté au Comité dès que possible.

55. Les membres du Comité ont retracé l'historique des conflits ethniques actuels au Rwanda et noté que les tentatives pour former un gouvernement fondé sur le partage du pouvoir étaient dans l'impasse. Des critiques avaient émis des doutes sur la bonne foi du Président pour expliquer le retard apporté à former le nouveau gouvernement et contesté qu'il fût prêt à accepter les obligations de l'État au regard du droit international. Des membres ont fait observer en outre qu'il était difficile de dire, de l'aspect politique et de l'aspect ethnique, celui qui avait le plus de poids dans le conflit; le Front patriotique rwandais, souvent perçu comme une organisation à base ethnique dirigée par les Tutsis, était présidé par un Hutu.

56. Les membres du Comité ont demandé au représentant du Rwanda quelle suite avait été donnée à l'Accord de paix d'Arusha; quelle suite avait été donnée également aux conclusions de la Commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme créée par un groupe d'organisations non gouvernementales qui avait accusé l'armée, l'administration et la justice d'être responsables de la détérioration de la situation; quelles dispositions le Gouvernement avait prises pour traduire les auteurs des violations des droits de l'homme en justice; quelle part avaient les milices attachées aux partis politiques dans les violations des droits de l'homme et si leurs activités étaient restreintes d'une manière ou d'une autre; si le système dit des "quotas ethniques", qui prévoyait une répartition des postes entre les membres de groupes ethniques, avait pour effet de limiter l'accès des Tutsis à des postes de l'enseignement et aux emplois publics; si le système des cartes d'identité indiquant l'origine ethnique avait été aboli et si la minorité twa continuait à être traitée comme une catégorie de citoyens de seconde zone.

57. Dans sa réponse, le représentant de l'État partie a dit que les espoirs de paix reflétés dans l'Accord de paix d'Arusha avaient été déçus du fait de l'égoïsme de certains dirigeants politiques qui n'étaient pas capables de s'accorder sur un compromis. Les querelles de ces dirigeants avaient repoussé la mise en place des institutions de transition et installé un vide politique après la démission du gouvernement de coalition le 5 janvier 1994. Toutefois, le représentant restait convaincu que l'Accord d'Arusha contenait les réponses à toutes les questions du Comité et qu'il pourrait être appliqué si la communauté internationale faisait pression sur les dirigeants politiques.

58. En ce qui concerne les conclusions de la Commission internationale d'enquête des organisations non gouvernementales, le représentant a fait savoir que le Président et le Premier Ministre avaient fait une déclaration d'intention par laquelle ils s'étaient engagés à mettre en oeuvre les recommandations de la Commission. Le système des quotas ethniques avait disparu en juin 1991 avec l'avènement du multipartisme. Le représentant a également déclaré que les Twas bénéficiaient de divers programmes d'intégration et n'étaient pas traités comme des citoyens de seconde zone. Il avait été décidé d'abolir le système des cartes d'identité indiquant l'origine ethnique, mais étant donné le vide politique cette décision n'avait pas encore été suivie d'effets. Les groupes décrits comme des milices étaient les mouvements de jeunesse des différents partis.

59. Suite aux déclarations du représentant de l'État partie imputant des responsabilités aux dirigeants politiques, les membres du Comité ont demandé au représentant de commenter le refus du Président de participer à une séance de travail commune pour trouver les moyens de sortir de l'impasse politique et le risque pour le Président de saper le principe même de l'accord de paix en refusant d'abandonner une position qui ne pouvait que conduire à la guerre.

60. Le représentant a fait valoir que ces accusations étaient injustes puisqu'à la différence des autres dirigeants des partis, le Président avait prêté serment dans le cadre du nouveau gouvernement de transition et s'était formellement engagé à appliquer l'Accord de paix d'Arusha. Le représentant n'était pas opposé à l'idée d'un forum qui réunirait le Rwanda et d'autres acteurs régionaux, mais il niait que le Rwanda eût joué un rôle quelconque dans le récent coup d'État au Burundi ou dans les violences ultérieures dans ce pays.

Conclusions

61. À sa 1039e séance, le 17 mars 1994, le Comité a adopté les conclusions ci-après.

a) Introduction

62. Il est regrettable que le Gouvernement rwandais n'ait pas fourni les renseignements complémentaires que lui avait demandés le Comité. Il est heureux toutefois qu'une délégation ait été présente pour répondre aux questions et aux observations formulées par les membres du Comité.

b) Principaux sujets de préoccupation

63. Le fait que le Gouvernement n'ait pas identifié ni puni les responsables des meurtres commis au Rwanda pour des motifs ethniques est préoccupant. Une telle impunité a encouragé la poursuite de graves violations des droits de l'homme, qui ont compromis les tentatives faites pour rétablir un État de droit.

64. S'il convient de se féliciter de la signature, en août 1992, du Protocole relatif à l'État de droit, il est préoccupant qu'un gouvernement fondé sur le partage des pouvoirs n'ait toujours pas été établi et que de nombreuses dispositions de ce Protocole n'aient pas été appliquées, en particulier les articles 15 et 16 qui prévoient l'établissement d'une commission nationale d'enquête chargée d'examiner les violations des droits de l'homme et la mise en place d'une commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme commises pendant la guerre.

65. Également préoccupant est l'état du système de justice pénale, y compris du système judiciaire, qui ne s'est pas acquitté de ses fonctions de façon

indépendante et efficace. Les mauvaises conditions auxquelles sont soumis les détenus ne faciliteront pas le règlement du conflit.

c) Suggestions et recommandations

66. Le Comité recommande instamment que des mesures décisives soient prises immédiatement au niveau international, par l'intermédiaire du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, et aux niveaux régional et national pour briser le cercle vicieux de la violence ethnique et des atrocités qui se poursuivent au Rwanda. À cette fin, le Comité appuie l'application intégrale de l'Accord de paix d'Arusha et des protocoles connexes, notamment du Protocole relatif à l'État de droit.

67. Parallèlement au conflit ethnique qui se déroule au Rwanda, un conflit a lieu au Burundi qui implique des membres des deux mêmes groupes. Il est peu probable que ces États parviennent à mettre un terme au conflit à l'intérieur de leurs frontières tant que le conflit sous-régional n'aura pas été réglé.

68. Le Comité recommande la mise en oeuvre d'une réforme majeure du système judiciaire et souligne que des protections juridiques adéquates doivent être mises en place pour assurer la sécurité des membres de toutes les communautés ethniques et leur accès à des voies de recours effectives.

69. Le Comité demande instamment qu'un effort résolu soit fait pour mettre fin à l'impunité des auteurs des massacres perpétrés pour des motifs ethniques et des autres violations des droits de l'homme fondées sur la race qui ont ravagé le pays. À cet égard, le Comité souligne la nécessité d'ouvrir des enquêtes, d'engager des poursuites et d'appliquer des sanctions afin de rétablir la confiance dans la légalité et de montrer clairement qu'il ne sera pas toléré que de tels crimes se reproduisent. À cette fin, des mesures doivent être prises immédiatement à l'échelon international pour enquêter sur les crimes contre l'humanité qui ont été commis au Rwanda et pour réunir systématiquement des éléments de preuves qui pourraient, le moment venu, être soumis à un tribunal international ayant compétence en la matière.

70. Le Comité recommande que le Gouvernement rwandais sollicite l'assistance technique du Centre pour les droits de l'homme pour tout ce qui concerne le renforcement des institutions démocratiques et la promotion du respect des droits de l'homme, avec le concours éventuel d'un ou de plusieurs membres du Comité. Une telle assistance serait utile en particulier pour la réforme législative et judiciaire, la formation du personnel chargé de faire appliquer la loi, la mise en place d'une institution nationale pour la protection des droits de l'homme et l'élaboration de programmes d'enseignement visant à encourager la tolérance et la compréhension interethniques.

d) Autres mesures

71. Conformément au paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention, le Comité demande à l'État partie des renseignements complémentaires sur les mesures qu'il a prises pour mettre en oeuvre les dispositions de la Convention compte tenu des observations adoptées par le Comité à sa quarante-quatrième session. L'État partie est prié de fournir ces renseignements avant le 30 juin 1994 de façon qu'ils puissent être examinés par le Comité à sa quarante-cinquiènme session.

72. À sa 1045e séance (quarante-cinquième session), le 3 août 1994, le Comité a poursuivi l'examen de la situation au Rwanda (voir plus loint sect. B).



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