University of Minnesota



Conclusions du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Fédération de Russie, U.N. Doc. CERD/C/304/Add.5 (1996).




COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE
Quarante-huitième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION


Conclusions du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale

Fédération de Russie

1. Le Comité a examiné les douzième et treizième rapports périodiques de la Fédération de Russie (CERD/C/263/Add.9) à ses 1133ème et 1134ème séances (voir CERD/C/SR.1133 et 1134), tenues les 28 et 29 février 1996, et a adopté, à sa 1150ème séance, le 12 mars 1996, les conclusions suivantes.

A. Introduction

2. Le Comité note avec satisfaction que l'Etat partie entend poursuivre le dialogue avec le Comité et que, en envoyant une délégation de haut niveau pour présenter ses rapports, le Gouvernement de la Fédération de Russie montre l'importance qu'il attache aux obligations qui lui incombent en vertu de la Convention. Toutefois, le Comité regrette que les rapports n'aient pas été présentés en temps voulu, ne soient pas pleinement conformes aux directives concernant leur établissement, ne contiennent pas d'informations satisfaisantes sur l'application de la Convention dans les républiques et, en particulier, que les informations relatives à la Tchétchénie demandées à la quarante-sixième session du Comité n'y figurent pas mais aient seulement été fournies oralement par la délégation.

B. Aspects positifs

3. Il y a lieu de se féliciter de la création en 1993 d'une commission spéciale des droits de l'homme. On note également avec satisfaction qu'une commission parlementaire a été mandatée pour enquêter sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire dans le conflit tchéchène. En outre, la création récente d'un organe spécial chargé de suivre l'application des programmes d'Etat relatifs au développement économique et social des territoires du Nord est un motif de satisfaction.

4. On note l'entrée, officielle depuis février 1996, de la Fédération de Russie au Conseil de l'Europe. L'espoir est formulé que la Fédération de Russie ratifiera sans tarder la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe et acceptera la procédure de réception de plaintes individuelles prévue par la Convention. L'élaboration, récemment, de deux conventions régionales relatives aux droits de l'homme, dont une sur les droits des minorités, dans le cadre de la Communauté d'Etats indépendants, est également une initiative positive.

C. Facteurs et difficultés entravant l'application de la Convention

5. Les difficultés auxquelles est actuellement confrontée la Fédération de Russie dans une période de transition marquée par des changements sociaux et une crise économique profonde sont prises en compte. On note également que la Fédération de Russie est un vaste pays pluriethnique et pluriculturel. Il faut également tenir compte de la situation de fait des minorités. Certaines d'entre elles possèdent leur propre Etat et sont représentées au sein de la Fédération tandis que d'autres sont dispersées sur l'ensemble du territoire. Des mesures particulières sont sans doute nécessaires pour assurer que la Convention s'applique pleinement à celles qui appartiennent à ce deuxième groupe. Enfin, on comprend bien que l'établissement et la mise en place, dans les domaines politique, économique et social, d'un nouveau cadre démocratique non discriminatoire soit une procédure longue et difficile.

D. Principaux sujets de préoccupation

6. Les lacunes qui existent actuellement dans l'ensemble du dispositif juridique qui a trait à la protection de tous les individus contre les pratiques discriminatoires sont un motif de préoccupation. L'article 19 de la Constitution de la Fédération de Russie, qui stipule l'égalité de droits sans distinction "de race, de nationalité, de langue, d'origine ou d'autres circonstances" n'a pas une portée assez large pour qu'on puisse y voir l'interdiction totale de la discrimination raciale exigée par la Convention. On note également avec préoccupation que les dispositions requises pour assurer l'application de l'article 19 de la Constitution et d'autres dispositions constitutionnelles relatives à la protection des droits des minorités n'ont pas encore été pleinement adoptées ni effectivement appliquées.

7. Plusieurs minorités et groupes autochtones n'ont pas accès à l'éducation dans leur propre langue. Dans leurs rapports avec l'administration ou la justice, ces groupes se voient fréquemment interdire l'usage de leur propre langue.

8. Bien que l'on ait reconnu la nécessité d'améliorer la situation économique, sociale et culturelle des populations des territoires du Nord, l'absence de mesures destinées à protéger et préserver réellement leurs modes de vie traditionnels ainsi que leur droit d'exploiter la terre est aussi un motif de préoccupation.

9. L'application concrète des principes et dispositions de la Convention laisse à désirer, en particulier aux échelons régional et local. L'application des articles 2 et 4 de la Convention, en particulier, suscite des préoccupations.

10. Le rapport contient des informations très limitées sur le droit à la sûreté de la personne (art. 5 b) de la Convention), le droit de circuler librement (al. i) de l'article 5 d)) et le droit, visé à l'article 5 e) de la Convention, de ne pas être soumis à la discrimination en ce qui concerne la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels.

11. La fréquence croissante des prises de position racistes associées aux mouvements nationalistes comme le Parti national républicain est très préoccupante. Egalement inquiétante est l'augmentation, au sein de la population ou des autorités locales, des comportements racistes à l'égard des Caucasiens, en particulier des Tchétchènes, de même que les manifestations d'antisémitisme d'une partie de la population.

12. Le recours excessif et abusif à la force pour mettre un terme à la tentative de sécession en Tchétchénie a fait inutilement des victimes parmi les civils, ce qui suscite de profondes préoccupations. Les informations concernant les arrestations arbitraires, les mauvais traitements infligés aux détenus, la destruction abusive de biens appartenant à la population civile et le pillage en Tchétchénie sont également inquiétantes.

13. En particulier, les rapports sur la situation dans ce que l'on appelle les camps de "sélection" sont extrêmement préoccupants. Il est regrettable que des représentants d'organisations humanitaires, comme le Comité international de la Croix-Rouge, n'aient pas encore été autorisés à se rendre dans ces camps.

14. La situation en Ingouchie et dans l'Ossétie du Nord est également une source de préoccupation profonde. Très nombreux sont les exilés ingouches qui se voient dénier, par les autorités d'Ossétie du Nord, le droit de regagner librement leur région d'origine, en particulier le district de Prigoradnyi, malgré la loi sur la réhabilitation des populations victimes de la répression. La population ingouche a également souffert, directement ou indirectement, du conflit tchéchène.

E. Suggestions et recommandations

15. Le Comité recommande vivement que le Parlement national élabore et adopte sans tarder tous les textes législatifs annoncés concernant les droits de l'homme, en particulier le projet de loi sur l'autonomie nationale et culturelle. Il faudrait que les divers organes législatifs achèvent l'élaboration des lois sur l'utilisation des langues des minorités et que celles-ci soient pleinement appliquées. Le Comité suggère également à l'Etat partie d'envisager de ratifier la Convention No 169 de l'OIT.

16. L'Etat partie devrait prendre toutes les mesures qui s'imposent pour assurer la promotion des langues des minorités et des populations autochtones. Le Comité recommande que l'enseignement soit dispensé dans les langues appropriées.

17. Le Comité recommande que les minorités et les groupes autochtones qui vivent sur les territoires du Nord reçoivent une attention particulière et que l'on prenne les mesures voulues pour promouvoir et protéger les droits de ces populations, en particulier le droit d'utiliser et d'exploiter les terres sur lesquelles elles sont établies et de conserver leur propre mode de vie.

18. Le Comité recommande que, conformément au paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention, l'Etat partie prenne des mesures spéciales et concrètes pour assurer comme il convient le développement et la protection adéquate des groupes les moins développés au sein de la Fédération.

19. Le Comité recommande vivement au gouvernement de prendre des mesures concrètes et appropriées en vue de déclarer illégaux et d'interdire toutes les organisations et tous les groupes politiques ainsi que leurs activités qui favorisent les idées ou la poursuite d'objectifs racistes, et ce conformément à l'article 4 de la Convention.

20. De même, le Comité recommande vivement que l'Etat partie applique la décision de la Cour constitutionnelle d'abolir effectivement le système des permis de séjour.

21. Le Comité recommande à l'Etat partie de rendre plus efficace la protection contre les actes de discrimination raciale devant les instances nationales compétentes, comme l'exige l'article 6 de la Convention, et ce en renforçant les tribunaux et l'indépendance des magistrats afin que la population ait davantage confiance dans le système judiciaire. Le Comité recommande en outre que les juges, les avocats et les magistrats reçoivent une formation dans le domaine des droits de l'homme. Ce type de formation devrait également être dispensé, conformément à la recommandation générale No XIII du Comité, aux membres des forces de police et des forces armées.

22. Le Comité recommande vivement à l'Etat partie de prendre d'urgence toutes les mesures voulues pour rétablir la paix en Tchétchénie et pour faire en sorte que les droits de l'homme soient pleinement protégés dans cette région. En outre, il recommande instamment que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect intégral des droits humains fondamentaux dans la région, sans discrimination. Le Comité réaffirme que les personnes responsables de violations massives, flagrantes et systématiques des droits de l'homme et de violations flagrantes du droit international humanitaire devraient être tenues pour responsables et faire l'objet de poursuites.

23. Le Comité recommande à l'Etat partie de garantir les droits de toutes les victimes du conflit en Ingouchie et en Ossétie du Nord, en particulier les droits des réfugiés, et de fournir des informations dans son prochain rapport sur la situation des droits de l'homme en Tchétchénie, en Ingouchie et en Ossétie du Nord.

24. Le Comité invite l'Etat partie à fournir, dans son prochain rapport, des données plus précises sur la répartition en pourcentage de tous les groupes ethniques au sein de la population.

25. Il est également demandé de plus amples informations, dans le prochain rapport, sur le nombre de plaintes pour discrimination raciale et d'affaires connexes traitées par les tribunaux qui ont été enregistrées récemment par l'Etat partie, sur les décisions et les jugements qui ont été rendus à cet égard et sur l'application de l'article 7 de la Convention.

26. Le Comité recommande à l'Etat partie de ratifier les amendements au paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention, adoptés à la quatorzième réunion des Etats parties.

27. Le Comité suggère à l'Etat partie de diffuser son rapport périodique et les conclusions adoptées par le Comité. La procédure de présentation de communications individuelles (art. 14 de la Convention) que l'Etat partie a acceptée devrait être portée à la connaissance de l'opinion publique.

28. Le Comité recommande que le prochain rapport périodique de l'Etat partie, qui doit être reçu le 5 mars 1996, soit un rapport complet dans lequel tous les motifs de préoccupations mentionnés dans les présentes conclusions soient abordés.



Page Principale || Traités || Recherche || Liens