University of Minnesota



Observations finales du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Nigéria, U.N. Doc. A/48/18,paras.306-329 (1993).




COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION


Conclusions du Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale

Nigéria


306. Les dixième, onzième et douzième rapports périodiques du Nigéria, publiés en un seul document (CERD/C/226/Add.9), ont été examinés par le Comité à ses 993e et 998e séances, tenues les 6 et 10 août 1993 (voir CERD/C/SR.993 et 998).

307. Les rapports ont été présentés par le représentant de l'Etat partie qui a indiqué qu'avec une population de plus de 88,5 millions d'habitants, le Nigéria était le pays noir le plus peuplé du monde. Les principaux groupes ethniques étaient les Hausas, les Fulanis, les Yorubas et les Ibos. Parmi d'autres importants groupes ethniques, on pouvait citer les Edos, les Ibibios, les Isokos, les Urhobos, les Itsekiris, les Kanuris, les Nupes, les Efiks, les Ijaws, les Egbiras, les Idomas, les Tivs, les Kamiris, les Chambes, les Gwaris et les Ekois, sans compter plus de 200 autres groupes ethniques plus petits ayant leur propre culture et leurs propres traditions. Malgré leur diversité ethnique, culturelle et linguistique, les Nigérians faisaient preuve d'une cohésion découlant de longs siècles de relations commerciales, d'intermariages et d'autres contacts.

308. Les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de tous les Nigérians, indépendamment de la race ou de la minorité à laquelle ils appartenaient, étaient assurés et protégés par nombre d'institutions, comme les tribunaux indépendants par rapport au pouvoir exécutif, et le médiateur (Public Complaints Commissioner), dont la création remontait à une vingtaine d'années et qui connaissait des plaintes présentées par des particuliers, des groupes et des sociétés commerciales. Le Bureau du code de conduite avait été établi pour compléter les efforts du médiateur. La Commission nigériane de réforme des lois revoyait régulièrement les lois nationales pour en assurer la conformité avec les besoins internes contemporains, ainsi qu'avec les instruments juridiques internationaux. Par ailleurs, le Nigéria avait récemment créé un Service de surveillance des droits de l'homme relevant du Ministère fédéral de la justice, en vue de renforcer la mise en oeuvre des instruments relatifs aux droits de l'homme et d'examiner les pétitions et les plaintes concernant des violations des droits de l'homme. Les gouvernements des différents Etats disposaient de services analogues au sein de leur ministère de la justice.

309. Les membres du Comité se sont félicités de la reprise du dialogue avec le Nigéria et ont exprimé l'espoir que la coopération du Nigéria avec le Comité aurait désormais lieu sur une base régulière. Ils ont noté que le rapport à l'examen ne répondait pas aux nombreuses questions qui avaient été soulevées au cours de l'examen du neuvième rapport périodique et n'était pas d'autre part pleinement conforme aux principes directeurs du Comité. Ils ont également regretté l'absence d'informations détaillées sur la composition ethnique de la société nigériane, dont le Comité avait essentiellement besoin pour surveiller l'application de la Convention. Ils ont demandé des renseignements supplémentaires sur les nombreux conflits internes, les violences ethniques et leurs causes, ainsi qu'au sujet de la récente suspension des garanties de base de l'exercice des droits de l'homme fondamentaux. Des renseignements complémentaires ont été également demandés à propos des groupes spécialement vulnérables, comme les Ogonis, victimes d'ingérences de la part de la police et des compagnies pétrolières et dont les terres subissaient les effets de détérioration et de pollution de l'exploitation pétrolière de compagnies multinationales. A cet égard, les membres ont souhaité savoir comment le Gouvernement envisageait d'accéder aux demandes des minorités qui entendaient gérer elles-mêmes leur économie et leurs ressources; et quels seraient les effets du décret de 1989 portant promotion des entreprises nigérianes (abrogeant le décret de 1977 sur l'autochtonisation) sur la participation de groupes ethniques locaux à l'exploitation des ressources naturelles. Ils ont aussi demandé des renseignements plus détaillés sur l'action des forces nationales de police à l'égard des groupes ethniques et religieux minoritaires dans 30 Etats. Ils ont estimé que la situation politique tendue du Nigéria, qui résultait de nombreux facteurs, dont les difficultés ethniques et religieuses en cours n'étaient pas les moindres, allait à l'encontre de l'application de la Convention, et ils ont été d'avis que le Comité devrait maintenir l'application de la Convention par le Nigéria à l'examen à sa session suivante.

310. S'agissant de l'article premier de la Convention, les membres ont demandé quels étaient les droits et garanties des non-citoyens conformément à la Constitution et pourquoi une distinction était faite dans la législation nationale entre les Nigérians de naissance et les autres Nigérians.

311. Au sujet de l'article 2 de la Convention, les membres du Comité ont voulu savoir comment le Gouvernement nigérian encourageait la formation d'organisations et de mouvements multiraciaux intégrationnistes, dont il était question au paragraphe 9 du rapport, comment fonctionnaient ces organisations et quelle influence elles avaient sur la politique générale du Gouvernement touchant l'application de la Convention.

312. A l'égard de l'article 3 de la Convention, les membres du Comité ont félicité le Gouvernement nigérian sur les mesures prises, notamment au niveau international, pour donner effet aux dispositions de cet article, tout en faisant ressortir que le Nigéria devrait également s'employer à prévenir, à interdire et à éliminer toutes les pratiques de ségrégation raciale dans les territoires relevant de sa juridiction.

313. Notant que l'article 39 de la Constitution du Nigéria semblait répondre aux dispositions de l'article 4 de la Convention, les membres du Comité ont cependant fait observer que le rapport n'expliquait pas comment les dispositions de cet article étaient mises en oeuvre. Ils ont relevé, d'autre part, que la définition de "l'intention séditieuse" ne couvrait pas tous les cas de discrimination raciale visés à l'article 4, et ont demandé des éclaircissements sur ce point. Les membres ont estimé que le système de tribunaux spéciaux et de tribunaux militaires n'était pas compatible avec la protection des droits énoncés à l'article 4 de la Convention. Des précisions ont été en outre demandées au sujet de l'interdiction, par un décret du 20 mai 1992, de toutes les associations ethniques, religieuses et régionales qui avaient appuyé des candidats aux élections. Les membres ont demandé enfin si la Constitution interdisait l'existence d'organisations racistes ou simplement la participation à de telles organisations.

314. Ayant souligné que, conformément à l'article 5 de la Convention, l'Etat était tenu de garantir les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de l'ensemble de la population et pas seulement des nationaux, les membres ont souhaité avoir des renseignements plus détaillés sur l'application de toutes les dispositions de cet article. Ils ont en particulier demandé ce que l'on avait fait pour assurer une représentation équitable de tous les groupes ethniques au Parlement fédéral et aux parlements des Etats, et quelles mesures concrètes avaient été prises aux fins de la réconciliation nationale; quelles mesures avaient été envisagées pour prévenir les ingérences dans les régions et la dissolution prolongée des conseils administratifs locaux; si le droit à la liberté d'opinion et d'expression était garanti par la loi; si la liberté de mouvement et de résidence était reconnue dans les limites de l'Etat; et quelles étaient les perspectives d'investissements accrus en vue de favoriser l'emploi, l'éducation et le logement et quelle était la politique du Gouvernement en la matière.

315. Pour ce qui est de l'article 6 de la Convention, les membres ont demandé si le droit à réparation était reconnu aux victimes d'actes de discrimination raciale; comment fonctionnaient les institutions relatives aux droits de l'homme, comme le bureau du médiateur; dans quelle mesure ces institutions étaient indépendantes et de quelle manière le Gouvernement donnait suite à leurs recommandations.

316. Sur l'article 7 de la Convention, les membres du Comité ont voulu savoir si une formation était dispensée aux fonctionnaires qui avaient à traiter des conflits ethniques, en vue d'éliminer les préjudices menant à la discrimination raciale et d'encourager la compréhension et la tolérance entre les divers groupes raciaux et ethniques.

317. En réponse aux questions qui avaient été soulevées et aux observations qui avaient été formulées, le représentant de l'Etat partie a dit que le Nigéria maintiendrait son dialogue avec le Comité et s'efforcerait de son mieux de soumettre ses rapports à temps. Le concept d'unité nationale n'était pas contraire à l'existence de nombreux groupes ethniques. Il était à la base de l'aspiration tendant à forger une seule nation de telle manière que tous les citoyens se considèrent Nigérians et mettent le Nigéria à la première place. Ce concept n'impliquait nullement l'interdiction de la culture, de la langue et des traditions des différents groupes ethniques. Le rapport ne fournissait pas de données sur la composition démographique du Nigéria car on ne disposait pas de tels chiffres. Lors du recensement de la population réalisé deux années auparavant, il n'avait pas été prévu de recueillir d'informations sur les groupes ethniques ou religieux afin d'empêcher les Etats d'amplifier les chiffres de manière à tirer des recettes accrues du Gouvernement fédéral, comme cela s'était produit dans le passé.

318. Le représentant a donné au Comité certains renseignements sur l'organisation institutionnelle de la République fédérale du Nigéria et a déclaré que l'ancienne pratique des Etats tendant à priver les gouvernements locaux des fonds qui leur étaient alloués par le Gouvernement fédéral avait été éliminée grâce au transfert direct de 10 % aux gouvernements locaux. Les divers conflits auxquels les membres s'étaient référés comme étant de caractère ethnique ou religieux avaient été en fait déclenchés par des facteurs économiques, tels que les problèmes fonciers. Il fallait, pour prévenir les conflits "ethniques", régler leur cause sous-jacente, à savoir le sous-développement du pays. Le représentant a fourni des informations supplémentaires au sujet de la situation des Ogonis dans l'Etat de Rivers, en signalant que le Gouvernement fédéral reversait aux zones productrices de pétrole 3 % des recettes totales de la production pétrolière en vue de leur développement, et 2,5 % pour la protection de l'environnement.

319. Concernant l'article 4 de la Convention, le représentant a souligné que le Gouvernement décourageait la formation de partis politiques sur la base de critères religieux ou ethniques, car de tels critères impliquaient nécessairement l'exclusion de certaines composantes de la population; si un tel parti parvenait au pouvoir, il ne serait pas représentatif de l'ensemble de la nation qu'il serait appelé à diriger.

320. Au sujet de l'article 6 de la Convention, le représentant de l'Etat partie a précisé que le système juridique nigérian n'empêchait nullement une personne qui s'estimait victime de discrimination raciale à chercher à mettre fin à une telle situation en saisissant les tribunaux. Il y avait trois niveaux de juridiction, les tribunaux d'instance, les hautes cours et la Cour suprême. Il existait aussi, dans certains Etats, des tribunaux coutumiers, comme les tribunaux relevant de la charia, qui réglaient les différends selon la coutume et la pratique spécifiques de certaines régions.

Conclusions

321. A sa 1008e séance, tenue le 17 août 1993, le Comité a adopté les conclusions ci-après.

a) Introduction

322. Le Comité a noté que le rapport avait effectivement été présenté, mais qu'il n'était pas tout à fait conforme aux directives révisées du Comité concernant l'établissement des rapports. La reprise du dialogue avec le représentant du Nigéria avait permis de mieux comprendre la situation dans ce pays. Le Comité espérait qu'à l'avenir l'Etat partie s'acquitterait des obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 9 de la Convention. Il a noté qu'à la suite des questions qu'avaient posées ses membres et des observations qu'ils avaient formulées, la délégation nigériane avait donné oralement des renseignements complémentaires. Il a constaté avec satisfaction que le Gouvernement s'était engagé à lui fournir des renseignements complémentaires par écrit.

b) Aspects positifs

323. Le Comité a noté avec intérêt que, depuis son accession à l'indépendance, le Nigéria s'efforçait d'aplanir les tensions régionales et religieuses et de concilier les intérêts des divers groupes ethniques. C'est ce dont témoignait la création, depuis peu, de neuf Etats supplémentaires au sein de la République fédérale du Nigéria. L'entrée en vigueur, prévue pour le 27 août 1993, d'une nouvelle constitution, et le passage d'un régime militaire à un régime civil, favoriseraient le processus démocratique, créant ainsi des conditions propices à une mise en oeuvre plus efficace de la Convention. Le Comité a pris note avec satisfaction des mesures prises par le Nigéria au niveau international pour donner effet à l'article 3 de la Convention.

c) Facteurs et difficultés qui entravent l'application de la Convention

324. Le Comité a fait observer que l'avènement du Gouvernement issu d'élections contribuerait à l'amélioration de la situation des droits de l'homme dans son ensemble, qui subissait non seulement le contrecoup d'une situation politique assez tendue mais également, dans une large mesure, les effets d'une sérieuse crise économique et de la persistance des conflits interethniques ou religieux.

d) Principaux sujets de préoccupation

325. Le Comité a exprimé son inquiétude devant les conflits interethniques qui persistaient dans le pays. Il était particulièrement préoccupé par des informations selon lesquelles la police nigériane n'avait, dans certains cas, pas réussi à protéger les droits des civils.

326. Le Comité a estimé que la législation nationale, en particulier l'article 50, paragraphe d), alinéa 21 du code pénal nigérian, n'était pas entièrement conforme à l'article 4 de la Convention et que les dispositions de l'article 5 de cet instrument n'étaient pas mises en oeuvre de façon satisfaisante.

e) Suggestions et recommandations

327. Le Comité a recommandé que la législation nationale soit intégralement alignée sur les dispositions de la Convention, en particulier pour ce qui concernait une définition de la discrimination raciale (art. premier de la Convention); l'interdiction des organisations racistes et des activités de propagande qui incitaient à la discrimination raciale (art. 4 b) de la Convention); la jouissance effective des droits inscrits dans l'article 5 de la Convention; et une protection et une voie de recours effectives, pour toute personne, devant les tribunaux de l'Etat partie contre tous actes de discrimination raciale (art. 6 de la Convention).

328. Le Comité a demandé en outre que, dans son prochain rapport, le Gouvernement lui fournisse des informations plus satisfaisantes sur la composition ethnique de la société nigériane.

329. Au vu des différentes informations dont il disposait, le Comité a formulé la constatation suivante : la situation qui régnait effectivement au Nigéria exigeait que l'on suive de plus près l'application de la Convention, et il a décidé de demander au Gouvernement nigérian de lui fournir des renseignements complémentaires qu'il examinerait lors de la session qu'il tiendrait au printemps de 1994.



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