University of Minnesota



Observations finales du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Colombie, U.N. Doc. A/47/18,paras.142-159 (1992).





COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION


Conclusions du Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale

Colombie


142. Le Comité a examiné le cinquième rapport périodique de la Colombie (CERD/C/191/Add.1) à ses 944e, 945e et 950e séances, tenues les 6 et 11 août 1992 (voir CERD/C/SR.944, 945 et 950).

143. Le rapport a été présenté par le représentant de l'Etat partie, qui a déclaré que l'élection de l'Assemblée constituante avait ouvert la voie menant à la réconciliation démocratique. La Colombie était une société multiraciale et attachait beaucoup d'importance à la défense de l'héritage culturel de toutes les communautés autochtones. Les droits des minorités étaient protégés par un certain nombre d'articles de la Constitution. Mention a été faite à cet égard des dispositions des articles 5, 7, 10, 43, 246 et 286 de la Constitution. Deux décrets avaient été adoptés depuis l'établissement du rapport, à savoir le décret No 436 du 10 mars 1992 portant création du Conseil politique national pour les populations autochtones, et le décret No 716 du 28 avril 1992 instituant la Commission nationale des droits des autochtones. Le premier, composé de trois sénateurs et de quatre représentants élus par les communautés autochtones aidait à promouvoir les intérêts de ces communautés, notamment en définissant les domaines prioritaires de l'action sociale. Quant à la Commission nationale pour les droits des autochtones, son rôle consisterait à coordonner les activités menées en matière de prévention des violations des droits des populations autochtones. Le Gouvernement s'occupait actuellement de surveiller l'impact sur l'environnement des opérations de construction et de prospection entreprises dans des zones autochtones. L'exécution de deux projets, l'un dans le Chocó et l'autre à l'aéroport de Punto Mayo, avait été arrêtée car ils risquaient de porter atteinte à l'environnement. Le Comité national des langues autochtones avait aidé à la formation de 20 experts des langues, dont 15 étaient des autochtones. On s'efforçait aussi d'adapter les programmes scolaires aux besoins des communautés autochtones. Le Gouvernement s'employait à mieux faire prendre conscience aux autorités à tous les niveaux des droits des populations autochtones.

144. Les membres du Comité se sont félicités de l'attitude positive du Gouvernement colombien à l'égard des obligations qui lui incombaient en matière de présentation des rapports et de la régularité avec laquelle il communiquait ses rapports. Ils ont noté avec satisfaction que le rapport était pour l'essentiel conforme aux directives du Comité. En même temps, ils ont regretté que le rapport ne donne pas assez de renseignements sur la manière dont les dispositions constitutionnelles ou législatives étaient appliquées dans la pratique. Notant l'absence dans le rapport de généralités décrivant le cadre social, économique, politique et institutionnel dans lequel s'appliquait la Convention en Colombie, les membres du Comité ont souhaité être informés dans le détail de la composition démographique de la population, en particulier dans le cas des groupes minoritaires autres que les communautés autochtones, et de la mesure dans laquelle ces groupes étaient intégrés dans la société colombienne. On a également souligné que lors de l'établissement du prochain rapport périodique du pays, il conviendrait de tenir compte des directives unifiées concernant l'élaboration de la première partie des rapports présentés par les Etats parties. Au sujet de l'Assemblée constituante nouvellement élue, on a demandé des éclaircissements quant aux conditions dans lesquelles les représentants des populations autochtones avaient été élus à cette assemblée. Les membres ont aussi voulu savoir s'il était arrivé dans la pratique que la Convention soit invoquée devant les autorités nationales et si des tribunaux avaient été amenés à rendre des arrêts en s'y référant; on a également demandé si, dans le cadre de l'élaboration de la nouvelle Constitution colombienne, on avait fait référence à la Convention ou à d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, si les obligations internationales découlant de la Convention avaient force obligatoire dans la législation colombienne ou pouvaient être annulées par des lois postérieures, et enfin si la Colombie avait pris des dispositions en vue de faire la déclaration prévue à l'article 14, ainsi que l'avait annoncé son représentant lors de l'examen du précédent rapport. Les membres ont par ailleurs souhaité en savoir davantage sur les conclusions de la commission chargée d'enquêter sur les incidents qui avaient éclaté en 1987 dans la région du Chocó à propos de droits d'exploitation minière. Ils ont aussi demandé des éclaircissements concernant des informations faisant état d'actes de violence perpétrés par des groupes militaires ou paramilitaires, notamment d'enlèvements d'enfants par les escadrons de la mort, de violences exercées contre des populations rurales dans des zones de guérilla et d'autres violations des droits de l'homme. A cet égard, les membres du Comité souhaitaient savoir dans quelle mesure les populations autochtones étaient touchées par la violence, si elles en étaient uniquement victimes ou si elles y participaient également.

145. S'agissant de l'article 2 de la Convention, les membres du Comité ont souhaité obtenir un complément d'information sur les mesures prises pour accorder aux populations autochtones la reconnaissance de leurs droits et améliorer leur situation sur le plan juridique, économique et social. Ils ont voulu obtenir des éclaircissements sur la signification exacte et le statut des réserves autochtones et ont demandé si les autochtones habitant ces réserves pouvaient posséder des terres à titre individuel ou seulement collectivement. Ils souhaitaient savoir si les réserves occupaient 25 % du territoire colombien ou s'il y avait des autochtones concentrés dans d'autres régions du pays. On a demandé plus de précisions sur ce qu'étaient "les zones de gestion spéciale" et on voulait savoir en quoi elles se différenciaient des réserves et ce que l'on entendait par aménagement et agrandissement des réserves et "organes de coordination" chargés de permettre aux populations autochtones de participer aux activités de développement. Les membres du Comité ont voulu savoir si le Gouvernement procédait à la révision des titres de propriété dans le cas des réserves créées à l'époque coloniale. Ils se sont enquis du nombre exact d'hectares attribués aux communautés autochtones qui n'avaient pas assez de terres ou qui n'en possédaient pas du tout. On a demandé si les ressources non renouvelables étaient la propriété de l'Etat, qui avait le droit de les exploiter et ce qui se passait lorsque ces ressources se trouvaient dans des zones où la terre appartenait aux autochtones. Les membres du Comité ont souhaité avoir des renseignements sur la nomination et les fonctions des inspecteurs autochtones des ressources naturelles et ont demandé si le Gouvernement avait réussi à mettre fin à la contamination de l'environnement et aux actes de violence en Amazonie. A cet égard, ils ont voulu savoir si les populations autochtones avaient été indemnisées pour les dégâts causés à l'environnement et les atteintes à leurs droits de propriété sur leur sol dont étaient responsables les sociétés d'exploitation forestières et minières. Des renseignements ont également été demandés concernant le taux de mortalité infantile et l'espérance de vie au sein des communautés autochtones par rapport aux chiffres enregistrés pour le reste de la population. Les membres du Comité ont voulu savoir si les décrets Nos 88 de 1976 et 1142 de 1978 qui reconnaissaient le droit des communautés autochtones à une éducation bilingue et biculturelle et la décision de 1984 qui prévoyait que les programmes scolaires devaient être basés sur les principes de développement et éducation ethniques avaient été appliqués dans de bonnes conditions et si le bilinguisme ne valait que pour les communautés autochtones ou aussi pour le reste de la population. Ils ont également voulu savoir si les autochtones étaient tenus de faire enregistrer les naissances et les décès.

146. S'agissant de l'article 3 de la Convention, les membres du Comité ont noté que la Colombie n'avait pas de relations diplomatiques ou autres avec l'Afrique du Sud.

147. Concernant l'article 4, les membres du Comité ont relevé que les autorités colombiennes n'avaient pas encore adopté de législation spécifique interdisant la discrimination raciale. A cet égard, ils ont rappelé qu'une telle législation avait un caractère obligatoire et ils ont souligné l'importance de dispositions législatives antidiscriminatoires, ne serait-ce qu'à des fins de prévention.

148. Concernant l'article 5 de la Convention, les membres ont constaté que les renseignements contenus dans le rapport ne couvraient pas tous les aspects de cet article. Ils ont voulu en savoir plus sur les mesures concrètes prises ou prévues pour garantir le droit des populations d'être protégées contre les actes de violence commis par des groupes militaires ou paramilitaires. On a également demandé de plus amples détails quant à l'exercice par les populations autochtones et autres minorités ethniques de leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels. On a souhaité avoir communication de chiffres comparatifs concernant l'éducation, le revenu par habitant, le logement, les soins médicaux et la représentation politique.

149. S'agissant de l'article 6 de la Convention, les membres du Comité ont souhaité savoir dans quelles mesures les citoyens usaient des facilités que leur offraient par exemple les installations téléphoniques nationales, qui permettaient aux personnes de signaler tout ce qui était susceptible de menacer ou de limiter leur droit à la vie et à leur liberté. On a demandé des renseignements plus complets concernant le nombre d'affaires portées devant les autorités judiciaires et réglées par elles, ainsi que des détails sur les peines appliquées aux auteurs d'actes de violence et sur les mesures prises à l'encontre des sociétés d'exploitation forestières ou minières qui n'avaient pas respecté les conditions mises à la poursuite de leurs activités.

150. Dans sa réponse aux questions et observations des membres du Comité, le représentant de l'Etat partie a souligné que la Colombie avait entamé un processus politique très complexe dont l'enjeu était capital pour l'avenir du pays. La Colombie était un pays démocratique et ouvert qui doit faire face à de graves problèmes tels celui de la drogue ou de la violence. Les populations autochtones vivaient dans les deux bassins de l'Amazone et de l'Orenoque, régions difficiles d'accès, et les autorités s'efforçaient de les protéger contre une exploitation abusive et un déboisement massif et de les aider à conserver leur habitat et leur culture. A propos de la représentation des autochtones à l'Assemblée constituante, le représentant a indiqué que les deux autochtones y siégeant avaient été désignés lors d'élections auxquelles l'ensemble de la population avait participé. La représentation des autochtones au Congrès résultait quant à elle d'une garantie constitutionnelle, conformément à l'article 171 de la Constitution qui prévoyait l'élection de deux membres dans les circonscriptions spéciales par les communautés autochtones. En ce qui concerne la place occupée par les instruments internationaux en droit interne, c'était le droit international qui primait sur la législation interne.

151. En dépit de l'accord de démobilisation et de désarmement conclu entre le Gouvernement et certains parmi les six groupes de guérilleros qui existaient à la fin des années 80, les efforts de paix n'avaient pas entièrement abouti et deux mouvements, les Forces armées révolutionnaires de Colombie et l'Armée de libération nationale, continuaient la guérilla. La violence qui secouait la Colombie était liée au phénomène de la drogue. Un accord de coopération avait été signé entre le Gouvernement et les communautés autochtones pour lutter contre ce phénomène. Le Gouvernement central avait créé un comité composé de représentants des autochtones et de membres de l'administration centrale, afin de lancer un programme de remplacement de la culture du pavot, de mettre en place une infrastructure de services et de développer le système de production. La Constitution reconnaissait les instruments internationaux ratifiés par le Gouvernement, et notamment la Convention, comme sources de droit pouvant être invoquées devant les instances judiciaires du pays. S'agissant de la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention, le Gouvernement colombien continuait d'examiner la question. Quant aux événements du Chocó en mai 1987, qui ne concernaient pas l'exploitation de gisements miniers, il ne s'agissait pas d'un affrontement entre des communautés autochtones et le Gouvernement, mais de rivalités entre deux tribus voisines du Chocó, et le Gouvernement s'était efforcé de réconcilier les parties.

152. Au sujet de l'article 2 de la Convention, le représentant de l'Etat partie a précisé que l'unité territoriale traditionnelle des communautés autochtones était le resquardo, considéré comme municipalité à part entière. Les resquardos étaient destinés à favoriser l'unité culturelle des autochtones; ils étaient soumis à l'autorité d'un gouverneur autochtone chargé de promulguer et d'appliquer les lois et d'établir un système judiciaire conforme aux pratiques de la communauté. Les communautés autochtones assumaient en toute autonomie la distribution des terres, dont la propriété était soumise au régime foncier des autochtones. En ce qui concerne l'exploitation des gisements miniers situés dans des terres autochtones, la législation stipulait que toute mine située dans des terres dont les titres de propriété étaient antérieurs à 1986 appartenait aux propriétaires des terres en question. Dans les autres cas, les richesses du sous-sol appartenaient à la nation. Il s'était présenté deux cas de communautés souhaitant faire valoir leurs droits miniers, pour lesquels la justice devait encore trancher. A propos de l'exploitation du bois, l'Institut national des ressources naturelles renouvelables et de l'environnement (INDERENA) avait pris des dispositions pour faire échec à d'importants intérêts multinationaux et mettre un frein au déboisement dont les populations autochtones étaient les premières victimes. La décision prise par le Gouvernement colombien de protéger les écosystèmes et de respecter le droit des autochtones vivant en Amazonie avait pour but de confier la gestion du bassin de l'Amazone aux communautés qui y vivaient depuis toujours. Le programme colombien d'éducation bilingue lancé en 1975 avait permis la formation de professeurs spécialisés dans l'enseignement bilingue aux peuples autochtones. Dans le cadre de la nouvelle administration autochtone, il serait possible aux différentes communautés d'organiser elles-mêmes l'enseignement et les services de santé sur leurs territoires respectifs, avec le soutien des ministères compétents. Toutes les naissances et tous les décès devaient être enregistrés auprès d'un notaire de la circonscription.

153. S'agissant de l'article 4 de la Convention, le représentant de l'Etat partie a précisé que les tribunaux n'avaient jamais été saisis de plainte pour discrimination raciale. Le problème du racisme ne revêtait pas la même dimension qu'ailleurs dans les sociétés pluriethniques telles que la société colombienne; toutefois le Gouvernement serait informé du souhait manifesté par le Comité qu'une attention plus grande soit portée à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 4.

154. A propos de l'article 5 de la Convention, le représentant a déclaré que la Constitution garantissait le droit de vote à tous, y compris aux autochtones. La plupart des communautés ethniques vivaient très isolées, dans des régions peu peuplées. L'Etat avait tenté de leur apporter les bases élémentaires du bien-être, mais du fait de leurs conditions de vie précaires, leur revenu moyen était probablement très bas.

Conclusions

155. Le Comité a pris note de la révision de la Constitution et des réformes juridiques substantielles introduites en vue de protéger les droits de l'homme. Il a félicité la Colombie d'avoir promulgué une législation et d'avoir élaboré des programmes visant à améliorer la situation économique et sociale ainsi que l'éducation de la population autochtone. Le Comité a conclu en outre que la population autochtone pourrait bénéficier des plans de conservation de l'Amazonie présentés par le Gouvernement.

156. Le Comité a noté toutefois que des projets et programmes similaires concernant la situation économique et sociale des populations autochtones avaient été lancés précédemment et il comptait bien être informé de leurs résultats.

157. De manière générale, le rapport ne donnait pas assez d'informations sur la situation actuelle de la population du point de vue économique, social et éducatif. Le rapport qui serait présenté par la suite devrait contenir des données à ce sujet en les comparant avec celles du reste de la population. Ce n'est qu'une fois qu'il disposerait de ces données que le Comité pourrait évaluer correctement la situation de la population autochtone. Le Gouvernement colombien devrait en outre inclure dans son rapport des informations sur la situation réelle de la communauté noire, au sujet de laquelle le Comité n'avait pas encore reçu de renseignements adéquats.

158. Le Comité s'est de nouveau déclaré préoccupé de constater que le droit pénal national ne tenait pas correctement compte de l'article 4 de la Convention.

159. Le Comité s'est inquiété de la violence qui continuait à sévir en Colombie. Comme le Comité des droits de l'homme l'a déjà déclaré (Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-septième session, Supplément No 40 (A/47/40), par. 393.), les mesures qui avaient été prises par le Gouvernement colombien ne semblaient pas jusqu'ici suffire à protéger effectivement la vie, la santé et la propriété des citoyens, en particulier celles des membres de la population autochtone.



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