University of Minnesota



Conclusions du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Cambodge, U.N. Doc. CERD/C/304/Add.54 (1998).




COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE
Cinquante-deuxième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Conclusions du Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale

Cambodge

1. Le Comité a examiné les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième rapports périodiques du Cambodge (CERD/C/292/Add.2) à ses 1266ème et 1267ème séances, les 16 et 17 mars 1998, et a adopté à sa 1273ème séance, le 20 mars 1998, les conclusions ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité sait gré au Cambodge d'avoir soumis son rapport après une longue période durant laquelle le dialogue entre le Comité et l'Etat partie avait été interrompu, et se félicite de la présence de sa délégation. Il accueille avec satisfaction l'occasion ainsi donnée de reprendre le dialogue avec l'Etat partie. Il note que le rapport se conforme aux principes directeurs établis par le Comité pour la présentation des rapports. Il regrette cependant que le rapport ne contienne pas de renseignements concrets concernant l'application pratique de la Convention et que nombre de questions soient restées sans réponse. Il sait gré à la délégation d'avoir indiqué qu'elle transmettrait les questions des membres du Comité à l'Etat partie.


B. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

3. Le Comité reconnaît que le Cambodge est obligé de faire face à de nombreuses difficultés qui ont une incidence sur la mise en oeuvre de la Convention. Le Comité pense tout particulièrement à un conflit armé qui a duré plus de vingt ans, au legs du génocide et autres crimes massifs perpétrés par le régime des Khmers rouges, à l'invasion subséquente du pays par un Etat voisin, à l'isolement international du Cambodge pendant de nombreuses années, à l'insécurité qui règne toujours dans certaines régions du pays, à l'instabilité politique chronique, y compris les récents changements intervenus au niveau du Gouvernement, et à une situation économique et sociale des plus difficiles. Ces facteurs ont empêché de traduire en justice les auteurs de graves violations des droits de l'homme qui, dans un certain nombre de cas, ont une dimension ethnique.


C. Aspects positifs

4. Il est pris acte avec satisfaction de la création, au sein de l'Assemblée nationale, d'une Commission des droits de l'homme et des requêtes chargée de dépister les actes de violation des droits de l'homme, de recevoir les plaintes des victimes et de les transmettre aux autorités compétentes pour suite appropriée.

5. La coopération dont il est fait état avec le bureau cambodgien du Haut-Commissariat aux droits de l'homme et avec des organisations non gouvernementales est également accueillie avec satisfaction.


D. Principaux sujets de préoccupation

6. Le manque d'indépendance du pouvoir judiciaire, le fait que le Conseil constitutionnel prévu par la Constitution n'a pas été créé, et l'impunité dont bénéficient les auteurs de violations des droits de l'homme allant dans certains cas jusqu'à la torture et aux exécutions sommaires suscitent des inquiétudes. Cette situation contribue à saper les efforts déployés au Cambodge pour instaurer l'état de droit sans lequel l'application intégrale de la Convention est impossible.

7. Il est pris note de l'article 61 des Dispositions relatives au pouvoir judiciaire, au droit pénal et à la procédure criminelle applicables au Cambodge pendant la période de transition, mais l'absence des dispositions légales requises pour permettre à l'Etat partie de s'acquitter pleinement de ses obligations au titre de l'article 4 de la Convention, et notamment des paragraphes b) et c) dudit article, ne laisse pas d'inquiéter.

8. Les lacunes que présente le cadre juridique requis pour appliquer pleinement la Convention, en particulier le paragraphe 1 d) de l'article 2 et l'article 6, sont également un sujet de préoccupation.

9. Il est pris note de la Constitution de 1993, qui contient de nombreuses dispositions relatives à la protection des droits de l'homme, mais le fait que lesdites dispositions se réfèrent uniquement aux droits des citoyens khmers ne laisse pas de susciter des préoccupations par rapport à l'article 5 de la Convention. Pareille référence va dans le sens de l'idéologie de la pureté ethnique des Khmers, ce qui pourrait inciter à la discrimination raciale, voire à la haine contre des groupes minoritaires, en particulier les Vietnamiens de souche.

10. Il est préoccupant que la loi sur la nationalité, selon laquelle est Khmer celui dont un des parents est de nationalité khmère, ne permette guère aux personnes appartenant à des groupes minoritaires, en particulier les Vietnamiens de souche et les populations autochtones, d'établir leur nationalité.

11. La situation des Vietnamiens de souche est un sujet de préoccupation, en particulier relativement à l'article 5 de la Convention concernant l'égalité sur le plan de la jouissance des droits. Les Vietnamiens de souche sont visés par une propagande raciste, essentiellement de la part des Khmers rouges, qui pourrait susciter la haine contre eux. Les différents massacres de Vietnamiens de souche, dont la plupart sont attribués à des Khmers rouges, n'ont pas fait l'objet d'une enquête menée selon les règles. Les rapports signalant qu'un nombre croissant de Vietnamiennes de souche, en particulier des fillettes, sont exploitées aux fins de prostitution suscitent également l'inquiétude, tout comme les rapports signalant le comportement raciste qu'adopte une grande partie de la population khmère à l'encontre des Vietnamiens de souche nés au Cambodge, qui continuent d'être perçus comme des immigrants.

12. Le fait qu'il manque d'établissements scolaires dans les villages habités par des Vietnamiens de souche, qu'aucune loi n'autorise la création d'écoles pour cette population et que des obstacles sont mis à l'enseignement du khmer aux enfants est un sujet de préoccupation.

13. Il existe certes un Comité interministériel, qui a rédigé un projet de politique nationale pour le développement des populations montagnardes, mais la situation des populations autochtones (appelés aussi montagnards, Khmers Loeu ou membres des tribus des collines), le fait qu'elles n'ont pas de statut légal et les lacunes que présente le cadre juridique conçu pour protéger leurs droits, leur culture et leurs terres traditionnelles suscitent des inquiétudes. Il n'a pas été tenu compte des droits des populations autochtones dans nombre de décisions gouvernementales, en particulier celles ayant trait à la nationalité, aux concessions d'exploitation du bois et aux concessions de plantations industrielles. Le manque de participation des populations autochtones à la gestion des ressources naturelles et à d'autres activités qui les concernent est également un sujet de préoccupation.


E. Suggestions et recommandations

14. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre toutes les mesures voulues, y compris des mesures législatives, pour assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire et créer le Conseil constitutionnel, de manière à mettre un terme à l'impunité dont bénéficient ceux qui se rendent coupables de discrimination raciale. A cet égard, le Comité souligne la nécessité d'ouvrir des enquêtes et de poursuivre et punir les personnes reconnues coupables de ce crime, ainsi que d'instaurer la confiance dans la primauté du droit.

15. Le Comité recommande d'apporter des modifications à la législation, afin qu'elle traduise plus fidèlement les dispositions de la Convention. En procédant à une telle réforme, les autorités cambodgiennes réaffirmeraient clairement que la discrimination raciale est inacceptable. En particulier, le Comité estime aussi qu'il faudrait revoir la loi sur la nationalité.

16. Le Comité recommande que le Code de procédure criminelle et le Code pénal soient promulgués dès que possible et qu'ils traduisent les dispositions de la Convention. Il suggère que l'Etat partie fasse appel au programme d'assistance technique du Haut-Commissariat aux droits de l'homme.

17. Le Comité réaffirme que les dispositions de l'article 4 de la Convention doivent être appliquées, comme il est dit dans la Recommandation générale VII. Il souligne à ce propos que l'Etat partie devrait prendre toutes les mesures voulues pour s'acquitter de toutes les obligations découlant pour lui de cet article et, ce faisant, tenir pleinement compte de la Recommandation générale XV.

18. Le Comité recommande que des mesures soient prises aux niveaux législatif, administratif et judiciaire pour protéger le droit de chacun, notamment des Vietnamiens de souche, de jouir des droits énoncés à l'article 5 de la Convention, en particulier le droit à la sûreté de la personne et à la protection de l'Etat contre les voies de fait ou les sévices, le droit à la santé et aux soins médicaux, et le droit à l'éducation et à la formation professionnelle. Il recommande en outre qu'une information complète sur l'application de cet article soit donnée dans le prochain rapport.

19. Le Comité recommande que l'Etat partie reconnaisse la citoyenneté des populations autochtones, ainsi que leur utilisation des terres, forêts et autres ressources naturelles, et leur identité, culture et mode de vie distincts et uniques. Le Comité recommande en outre que l'Etat partie prenne des mesures pour donner pleinement effet à sa recommandation générale XXIII sur les droits des populations autochtones au titre de la Convention. En particulier, l'Etat partie devrait veiller à ce qu'aucune décision directement liée aux droits et aux intérêts des populations autochtones ne soit prise sans leur consentement informé.

20. Le Comité recommande que l'Etat partie assure une protection contre tous les actes de discrimination raciale par le biais des tribunaux compétents, conformément à l'article 6 de la Convention, notamment en renforçant le système judiciaire, l'indépendance de la justice et la confiance de la population dans cette institution. Il recommande également que le droit de demander satisfaction ou réparation juste et adéquate pour les victimes d'actes de discrimination raciale soit garanti en fait et en droit.

21. A propos de l'application de l'article 7 de la Convention, le Comité recommande que toutes les mesures nécessaires soient prises pour donner une formation aux responsables de l'application des lois, aux fonctionnaires, aux magistrats, aux avocats, aux enseignants et aux étudiants, à tous les niveaux de l'enseignement, ainsi qu'au grand public, dans le domaine des droits de l'homme et en matière de prévention de la discrimination raciale.

22. Le Comité recommande que l'Etat partie tienne compte, lorsqu'il élaborera son prochain rapport, des présentes conclusions et recommandations.

23. Le Comité recommande que l'Etat partie ratifie les amendements au paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention adoptés le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des Etats parties à la Convention.

24. Il est pris note de ce que l'Etat partie n'a pas fait la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention, et certains membres du Comité demandent que la possibilité d'une telle déclaration soit envisagée.

25. Le Comité invite l'Etat partie à soumettre son prochain rapport, attendu le 28 décembre 1998, à temps en vue de la cinquante-quatrième session du Comité et suggère que ce rapport soit complet. Il devrait fournir des réponses aux questions soulevées pendant l'examen du rapport précédent et aborder tous les points soulevés dans les présentes conclusions.



Page Principale || Traités || Recherche || Liens