University of Minnesota



Prévention de la discrimination, raciale, alerte et procédure d'urgence
, Burundi, U.N. Doc. A/49/18,paras.30-52 (1994).





COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE

PRÉVENTION DE LA DISCRIMINATION RACIALE, ALERTE
RAPIDE ET PROCÉDURE D'URGENCE


Burundi

30. Étant donné les informations faisant état d'un conflit ethnique au Burundi, le Comité a décidé, à sa quarante et unième session, de demander au Gouvernement burundais, conformément au paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention, de lui fournir des renseignements complémentaires sur ce conflit et sur ses conséquences pour l'application de la Convention, en particulier pour l'application des dispositions de l'article 5 b). Le Comité n'a pas reçu de réponse écrite. A ses 1026e et 1027e séances, le 9 mars 1994, le Comité a examiné l'application de la Convention au Burundi.

31. La représentante de l'État partie a dit que la crise que traversait actuellement son pays était la plus grave des crises à caractère ethnique qui avaient ravagé le Burundi depuis plus de 30 ans; cette dernière crise avait coûté la vie au premier Président de la République démocratiquement élu et entraîné de nombreux massacres dans tout le pays. Entre 30 000 et 50 000 personnes avaient été tuées, 800 000 personnes s'étaient réfugiées hors des frontières, principalement au Rwanda, et 300 000 personnes avaient été déplacées à l'intérieur du pays. La représentante de l'État partie voulait faire toute la lumière sur les problèmes ethniques et sur les violations des droits de l'homme au Burundi, et était ouverte à toutes les questions. Elle a souligné que son pays avait besoin de l'aide internationale.

32. Les membres du Comité ont remercié la représentante de l'État partie pour sa présentation franche des faits qui s'étaient déroulés dans son pays et ont souligné la gravité de la crise que traversait le Burundi, crise qui faisait subir un revers au mouvement amorcé en direction de la démocratie et du respect des droits de l'homme. Les membres du Comité ont ensuite examiné la conformité de la législation interne avec les dispositions de la Convention. La Constitution adoptée en 1992 et approuvée par 90 % de la population par référendum prévoyait un statut égal et une protection égale pour tous sans discrimination, mais souvent l'exercice des droits de l'homme prévus dans la Constitution était subordonné à des impératifs d'ordre public, qui les limitaient. De plus, beaucoup de dispositions constitutionnelles défendant les droits de l'homme, telles que celles interdisant la détention illégale, n'avaient pas de lois leur donnant effet. La Charte de l'unité nationale, qui prenait le pas sur toute la législation, y compris la Constitution, devait être acceptée par toutes les organisations politiques; il serait bon d'obtenir de plus amples détails sur le contenu de cette charte. Les membres du Comité ont également voulu savoir qui détenait le pouvoir effectif à l'heure actuelle au Burundi.

33. Des membres du Comité ont noté la conformité des nouvelles règles constitutionnelles en matière de droits politiques, et de leur exercice, avec l'article 5 c) de la Convention. En revanche ils ont constaté le non-respect de l'article 5 b) de la Convention, puisque de nombreuses exécutions sommaires et des cas de torture s'étaient produits en novembre 1991 et en avril 1992. De même, de nombreux cas de répression brutale de la part des Tutsis à l'encontre des Hutus soupçonnés d'appartenir au parti Palipehutu avaient été mentionnés par des organisations non gouvernementales et par le Comité des droits de l'homme. Des efforts étaient-ils faits pour réformer l'armée, pour conclure des accords avec le Palipehutu, ainsi qu'avec les pays limitrophes, sur la question des réfugiés et pour limiter, sinon stopper, les trafics d'armes?

34. Concernant l'article 6 de la Convention, il a été noté qu'il n'existait au Burundi aucune voie de recours effective pour les personnes victimes de violations des droits de l'homme.

35. S'agissant de l'article 7 de la Convention, il a été demandé si des mesures avaient été prises pour enseigner les droits de l'homme aux personnels de la justice, des forces de police et des prisons.

36. Le Comité a dit qu'il aimerait connaître les mesures d'urgence que le Gouvernement avait l'intention de prendre pour remédier à cette situation de crise et appelé son attention sur les articles 4, 2.1 e) et 5 e) de la Convention, qui engageaient les États parties à prendre des mesures positives conformes aux buts de la Convention. Il souhaitait également connaître l'opinion de la représentante du Burundi concernant l'établissement d'un tribunal qui permettrait de mettre fin à l'impunité dont bénéficiaient les auteurs de massacres et de coups d'État.

37. Répondant aux questions et observations des membres du Comité, la représentante du Burundi a déclaré qu'à la suite de l'assassinat du Président Ndadaye et de ses proches collaborateurs, il avait été décidé que le processus engagé par les premières élections libres de l'histoire du pays ne devait pas être interrompu et, en février 1994, un nouveau Président appartenant au même parti politique que celui du Président assassiné avait pris ses fonctions. Le nouveau Président avait choisi comme premier ministre un membre d'un parti d'opposition et 40 % du Gouvernement était composé de membres de partis d'opposition; les problèmes ethniques qui existaient au Burundi ne pourraient être réglés que par l'établissement de l'équilibre dans l'exercice du pouvoir entre toutes les ethnies, Hutus, Tutsis et Twas, qui vivaient au Burundi. Pour empêcher que des coups comme celui d'octobre 1993 ne se reproduisent, il fallait une aide internationale pour la formation des forces armées et de police dans le domaine des droits de l'homme. De même, l'aide internationale était nécessaire pour permettre au Gouvernement de lutter contre l'impunité dont bénéficiaient depuis plus de 30 ans les auteurs de coups d'État et de massacres. Le dialogue qui avait eu lieu entre toutes les parties au Burundi avait abouti à la rédaction de la Charte de l'unité nationale, mais compte n'avait pas été suffisamment tenu du rôle et de l'importance de l'armée.

Conclusions

38. À sa 1039e séance, le 17 mars 1994, le Comité a adopté les conclusions ci-après.

a) Introduction

39. Il est regrettable que le Gouvernement burundais n'ait pas fourni les renseignements complémentaires que lui avait demandés le Comité. Il est heureux toutefois qu'une délégation ait été présente pour répondre aux questions et aux observations formulées par les membres du Comité. Cette délégation est remerciée pour le dialogue franc et utile qui a eu lieu.

b) Principaux sujets de préoccupation

40. L'éruption, une fois de plus, de violences massives à motivation ethnique au Burundi et les violations systématiques des droits de l'homme qui en ont résulté et auxquelles ont été soumis les membres des communautés aussi bien hutue que tutsie inspirent la consternation. La répétition des violences est préoccupante en ce qu'elle constitue un grave obstacle à la paix, à la stabilité et au respect des droits de l'homme dans la région.

41. Le caractère cyclique des violences ethniques à grande échelle au Burundi est préoccupant et il a été noté avec inquiétude qu'il n'y avait pas d'interdiction efficace de l'incitation à de telles violences, que ce fût parmi les forces armées et la police ou parmi le grand public.

42. Il est vivement déploré que le gouvernement démocratiquement élu du Président Ndadaye ait été brutalement attaqué par des forces armées lors de la tentative de coup d'État du 21 octobre 1993 et que les progrès importants réalisés dans la voie du renforcement des institutions démocratiques au Burundi aient été gravement compromis.

43. Il est jugé préoccupant, en particulier, qu'une réforme majeure des forces armées reste à réaliser pour les placer sous un contrôle civil effectif et élargir leur composition ethnique pour refléter plus adéquatement la composition de la population. Il est également jugé préoccupant qu'une réforme majeure reste à réaliser en ce qui concerne le système judiciaire et la fonction publique, qui ne reflètent pas non plus la composition ethnique de la population.

44. Une préoccupation profonde est exprimée au sujet du climat d'impunité qui continue à prévaloir au Burundi. Comme dans le passé, l'absence d'enquêtes effectives, de poursuites et de sanctions à l'encontre de ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l'homme subies par les deux communautés ethniques menace de vouer à l'échec les efforts déployés pour renforcer la légalité et créer la confiance en les institutions démocratiques. Il est jugé préoccupant que l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme soit un des facteurs qui contribuent à la menace de nouvelles violences sans frein.

45. L'insuffisance de la réaction de la communauté internationale pour aider le Burundi à faire face aux problèmes graves et difficiles qui se posent à lui est préoccupante.

c) Suggestions et recommandations

46. Le Comité recommande instamment que des mesures décisives soient prises immédiatement aux niveaux international, régional (par le biais de l'Organisation de l'unité africaine) et national, et par l'intermédiaire du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, pour briser le cercle vicieux de la violence ethnique et des atrocités qui continuent à survenir régulièrement au Burundi. À cette fin, le Comité appuie l'appel lancé par le Gouvernement burundais pour bénéficier d'une coopération internationale dans les efforts qu'il déploie pour rétablir la stabilité et renforcer les institutions démocratiques. À cet égard, le Comité souligne la nécessité de restructurer les forces armées, la police et la fonction publique afin de les placer sous un contrôle civil effectif. Le Comité souligne également la nécessité urgente de prendre des mesures pour favoriser, à tous les niveaux de la société, un dialogue de réconciliation incluant notamment les forces armées et les autres forces de sécurité.

47. Parallèlement au conflit ethnique qui se déroule au Burundi, un conflit a lieu au Rwanda qui implique des membres du même groupe. Il est peu probable qu'un de ces États parvienne à mettre un terme au conflit à l'intérieur de ses frontières tant que le conflit sous-régional n'aura pas été réglé.

48. Le Comité recommande la mise en oeuvre d'une réforme majeure du système judiciaire et souligne que des protections juridiques adéquates doivent être mises en place pour assurer la sécurité des membres de toutes les communautés ethniques et leur accès à des voies de recours effectives.

49. Le Comité recommande instamment que le Gouvernement burundais fasse un effort résolu pour mettre fin à l'impunité des auteurs des massacres perpétrés pour des motifs ethniques et des autres violations des droits de l'homme fondées sur la race qui ont ravagé le pays. À cet égard, il souligne que le Gouvernement burundais doit ouvrir des enquêtes, engager des poursuites et sanctionner les coupables afin de rétablir la confiance en la légalité et de montrer clairement qu'il ne sera pas toléré que de tels crimes se reproduisent. À cette fin, des mesures devraient être prises immédiatement à l'échelon international pour apporter plus d'appui et d'assistance au Gouvernement burundais en vue de mettre fin aux violences, de contribuer à trouver une solution durable aux tensions ethniques et de créer des conditions favorables au retour des réfugiés.

50. Le Comité recommande que le Gouvernement burundais sollicite l'assistance technique du Centre pour les droits de l'homme pour tout ce qui concerne le renforcement des institutions démocratiques et la promotion du respect des droits de l'homme, avec le concours éventuel d'un ou de plusieurs membres du Comité. Une telle assistance serait utile en particulier pour la réforme législative et judiciaire, la formation du personnel chargé de faire appliquer la loi, la mise en place d'une institution nationale pour la protection des droits de l'homme et l'élaboration de programmes d'enseignement visant à encourager la tolérance et la compréhension interethniques.

d) Autres mesures

51. Conformément au paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention, le Comité demande à l'État partie des renseignements complémentaires sur les mesures qu'il a prises pour mettre en oeuvre les dispositions de la Convention compte tenu des observations adoptées par le Comité à sa quarante-quatrième session. L'État partie est prié de fournir ces renseignements avant le 30 juin 1994 de façon qu'ils puissent être examinés par le Comité à sa quarante-cinquième session.

52. À sa 1063e séance (quarante-cinquième session), le 16 août 1994, le Comité a poursuivi l'examen de la situation au Burundi (voir plus loin sect. B).



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