University of Minnesota



Comité pour l'élimination de la discrimination
à l'égard des femmes, Recommandation générale no. 19, Violence à l'égard des femmes, (Onzième session, 1992), U.N. Doc. A/47/38, réimprimé en Récapitulation des observations générales ou recommendations générales adoptées par les organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, U.N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 (2004).





Généralités

1. La violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination qui empêche sérieusement les femmes de jouir des droits et libertés au même titre que les hommes.

2. En 1989, le Comité a recommandé aux Etats d'inclure dans leurs rapports des renseignements sur la violence et sur les mesures adoptées pour l'éliminer (recommandation générale No 12, huitième session).

3. A sa dixième session, en 1991, le Comité a décidé de consacrer une partie de sa onzième session à l'examen et à l'étude de l'article 6 et des autres articles relatifs à la violence contre les femmes et au harcèlement sexuel ainsi qu'à l'exploitation des femmes. Ce sujet a été choisi en prévision de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme de 1993, convoquée par l'Assemblée générale dans sa résolution 45/155 du 18 décembre 1990.

4. Le Comité a conclu que les rapports des Etats parties ne reflètent pas tous suffisamment le lien étroit qui existe entre la discrimination à l'égard des femmes, la violence fondée sur le sexe et les violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour appliquer intégralement la Convention, les Etats doivent prendre des mesures constructives visant à éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes.

5. Le Comité a recommandé aux Etats parties, lorsqu'ils réexaminent leur législation et leurs politiques et fournissent des renseignements au titre de la Convention, de tenir compte des observations suivantes du Comité concernant la violence fondée sur le sexe.

Observations générales

6. L'article premier de la Convention définit la discrimination à l'égard des femmes. Cette définition inclut la violence fondée sur le sexe, c'est-à-dire la violence exercée contre une femme parce qu'elle est une femme ou qui touche spécialement la femme. Elle englobe les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d'ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté. La violence fondée sur le sexe peut violer des dispositions particulières de la Convention, même si ces dispositions ne mentionnent pas expressément la violence.

7. La violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l'homme, constitue une discrimination, au sens de l'article premier de la Convention. Parmi ces droits et libertés, on peut citer notamment :

a) Le droit à la vie;

b) Le droit à ne pas être soumis à la torture et à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

c) Le droit à l'égalité de protection qu'assurent les normes humanitaires en temps de conflit armé, national ou international;

d) Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne;

e) Le droit à l'égalité de protection de la loi;

f) Le droit à l'égalité dans la famille;

g) Le droit au plus haut niveau possible de santé physique et mentale;

h) Le droit à des conditions de travail justes et favorables.

8. La Convention s'applique à la violence perpétrée par les autorités publiques. Outre qu'ils contreviennent à la Convention, de tels actes de violence peuvent également transgresser les obligations qui incombent aux Etats en vertu des principes généraux du droit international en matière de droits de l'homme et d'autres conventions.

9. Il convient de souligner toutefois que la discrimination au sens de la Convention n'est pas limitée aux actes commis par les gouvernements ou en leur nom [voir art. 2 e), 2 f) et 5)]. Par exemple, aux termes de l'article 2 e) de la Convention, les Etats parties s'engagent à prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l'égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque. En vertu du droit international en général et des pactes relatifs aux droits de l'homme, les Etats peuvent être également responsables d'actes privés s'ils n'agissent pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer.

Observations concernant certaines dispositions de la Convention

Articles 2 et 3

10. Les articles 2 et 3 établissent une obligation globale quant à l'élimination de la discrimination sous toutes ses formes, venant s'ajouter aux obligations spécifiques prévues aux articles 5 à 16.

Articles 2 f), 5 et 10 c)

11. Les attitudes traditionnelles faisant de la femme un objet de soumission ou lui assignant un rôle stéréotypé perpétuent l'usage répandu de la violence ou de la contrainte, notamment les violences et les sévices dans la famille, les mariages forcés, les meurtres d'épouses pour non-paiement de la dot, les attaques à l'acide, l'excision. De tels préjugés et de telles pratiques peuvent justifier la violence fondée sur le sexe comme forme de protection ou de contrôle sur la femme. Cette violence qui porte atteinte à l'intégrité physique et mentale des femmes les empêche de jouir des libertés et des droits fondamentaux, de les exercer et d'en avoir connaissance au même titre que les hommes. Tandis que cette observation a trait surtout à la violence effective ou aux menaces de violence, ces conséquences sous-jacentes de la violence fondée sur le sexe contribuent à enfermer les femmes dans des rôles subordonnés et à maintenir leur faible niveau de participation politique, d'éducation, de qualification et d'emploi.

12. Ces attitudes contribuent également à propager la pornographie, à exploiter à des fins commerciales et à dépeindre la femme comme objet sexuel plutôt que comme être humain. La violence fondée sur le sexe en est d'autant plus encouragée.

Article 6

13. Les Etats sont requis, au titre de l'article 6, de prendre des mesures pour supprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes.

14. La pauvreté et le chômage accroissent les possibilités de trafic des femmes. Outre les formes habituelles de trafic, l'exploitation sexuelle prend de nouvelles formes, telles que le tourisme sexuel, le recrutement d'employées de maison dans les pays en développement pour travailler dans le monde développé et les mariages organisés entre femmes des pays en développement et étrangers. Ces pratiques sont incompatibles avec une égalité de jouissance des droits et avec le respect des droits et de la dignité des femmes. Elles exposent particulièrement les femmes aux violences et aux mauvais traitements.

15. La pauvreté et le chômage forcent de nombreuses femmes, y compris des jeunes filles, à se prostituer. Les prostitués sont particulièrement vulnérables à la violence du fait que leur situation parfois illégale tend à les marginaliser. Elles doivent être protégées contre le viol et la violence dans la même mesure que les autres femmes.

16. Les guerres, les conflits armés et l'occupation de territoires provoquent souvent une augmentation de la prostitution, de la traite des femmes et des violences sexuelles contre les femmes, ce qui nécessite des mesures spécifiques sur le plan de la protection et de la répression.

Article 11

17. L'égalité dans l'emploi peut être gravement compromise lorsque les femmes sont soumises à la violence fondée sur le sexe, tel le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.

18. Le harcèlement sexuel se manifeste par un comportement inopportun déterminé par des motifs sexuels, consistant notamment à imposer des contacts physiques, à faire des avances et des remarques à connotation sexuelle, à montrer des ouvrages pornographiques et à demander de satisfaire des exigences sexuelles, que ce soit en paroles ou en actes. Une telle conduite peut être humiliante et peut poser un problème sur le plan de la santé et de la sécurité; elle est discriminatoire lorsque la femme est fondée à croire que son refus la désavantagerait dans son emploi, notamment pour le recrutement ou la promotion ou encore lorsque cette conduite crée un climat de travail hostile.

Article 12

19. Les Etats sont requis au titre de l'article 12 de prendre des mesures pour assurer l'égalité d'accès aux soins de santé. La violence exercée contre les femmes met en danger leur santé et leur vie.

20. Il existe dans certains Etats des pratiques traditionnelles et culturelles qui nuisent à la santé des femmes et des enfants. Ces pratiques incluent notamment les restrictions alimentaires imposées aux femmes enceintes, la préférence pour les enfants mâles, l'excision ou la mutilation des organes génitaux féminins.

Article 14

21. Les femmes rurales sont exposées à la violence fondée sur le sexe étant donné la persistance dans de nombreuses communautés d'attitudes traditionnelles leur assignant un rôle subalterne. Les jeunes filles des zones rurales risquent particulièrement d'être victimes de violences et d'être exploitées sexuellement lorsqu'elles quittent leur campagne pour chercher du travail en ville.

Article 16 (et art. 5)

22. La stérilisation ou l'avortement obligatoire nuisent à la santé physique et mentale des femmes et compromettent leur droit de décider du nombre et de l'espacement des naissances.

23. La violence dans la famille est l'une des formes les plus insidieuses de violence exercée contre les femmes. Elle existe dans toute société. Dans le cadre des relations familiales, des femmes de tous âges sont soumises à toutes sortes de violences, notamment sévices, viol, autres formes d'agressions sexuelles, violence psychologique et formes de violence décrites à l'article 5, qui sont perpétuées par la tradition. La dépendance économique oblige grand nombre de femmes à vivre dans des situations de violence. Les hommes qui ne s'acquittent plus de leurs responsabilités familiales peuvent aussi exercer de cette façon une forme de violence ou de contrainte. Cette violence met la santé des femmes en péril et compromet leur capacité de participer à la vie familiale et à la vie publique sur un pied d'égalité.

Recommandations concrètes

24. Tenant compte de ces observations, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes recommande :

a) Que les Etats parties prennent des mesures appropriées et efficaces pour éliminer toutes formes de violence fondée sur le sexe, qu'il s'agisse d'un acte public ou d'un acte privé;

b) Que les Etats parties veillent à ce que les lois contre la violence et les mauvais traitements dans la famille, le viol, les sévices sexuels et autres formes de violence fondée sur le sexe assurent à toutes les femmes une protection suffisante, respectent leur intégrité et leur dignité. Des services appropriés de protection et d'appui devraient être procurés aux victimes. Il est indispensable pour la bonne application de la Convention de fournir au corps judiciaire, aux agents de la force publique et aux autres fonctionnaires une formation qui les sensibilise aux problèmes des femmes;

c) Que les Etats parties encouragent l'établissement de statistiques et les recherches sur l'ampleur, les causes et les effets de la violence ainsi que sur l'efficacité des mesures visant à prévenir la violence et à la combattre;

d) Que des mesures efficaces soient prises pour que les médias respectent et incitent à respecter la femme;

e) Que les Etats parties précisent dans leurs rapports la nature et l'ampleur des attitudes, coutumes et pratiques qui perpétuent la violence à l'égard des femmes et fournissent des informations sur le type de violence qui en résulte. Ils devraient indiquer quelles mesures ont été prises pour éliminer la violence et quels ont été leurs effets;

f) Que des mesures efficaces soient prises pour mettre fin à ces pratiques et changer ces attitudes. Les Etats devraient adopter des programmes d'éducation et d'information afin de contribuer à éliminer les préjugés qui entravent l'égalité de la femme (recommandation No 3, 1987);

g) Que les Etats parties prennent les mesures préventives et répressives nécessaires pour supprimer la traite des femmes et leur exploitation sexuelle;

h) Que les Etats parties indiquent dans leurs rapports l'ampleur de ces problèmes et les mesures, y compris les dispositions pénales, les mesures préventives et les mesures de réinsertion, qui ont été prises pour protéger les femmes qui pratiquent la prostitution ou qui sont victimes du trafic ou d'autres formes d'exploitation sexuelles. Il faudrait aussi préciser l'efficacité de ces mesures;

i) Que les Etats parties prévoient une procédure de plainte et des voies de recours efficaces, y compris pour le dédommagement;

j) Que les Etats parties incluent dans leurs rapports des informations sur le harcèlement sexuel ainsi que sur les mesures adoptées pour protéger les femmes contre la violence, la contrainte et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail;

k) Que les Etats parties prennent des mesures pour créer ou appuyer des services destinés aux victimes de violences dans la famille, de viols, de violences sexuelles et d'autres formes de violence fondée sur le sexe (notamment refuges, personnel médical spécialement formé, services de réinsertion et de conseil);

l) Que les Etats parties prennent des mesures pour éliminer ces pratiques et tiennent compte de la recommandation du Comité concernant l'excision (recommandation No 14) dans leurs rapports sur les questions relatives à la santé;

m) Que les Etats parties veillent à ce que les femmes puissent décider sans entraves de leur fécondité et ne soient pas forcées de recourir à des pratiques médicales dangereuses, telles que l'avortement clandestin, faute de services leur permettant de contrôler leur fécondité;

n) Que les Etats parties précisent dans leurs rapports l'étendue de ces problèmes et indiquent les mesures prises ainsi que leurs effets;

o) Que les Etats parties veillent à ce que les services destinés aux victimes de violences soient accessibles aux femmes rurales et à ce que des services spéciaux soient, le cas échéant, offerts aux communautés isolées;

p) Que, pour protéger les femmes rurales, les Etats parties leur assurent notamment des possibilités de formation et d'emploi et contrôlent les conditions dans lesquelles les gens de maison travaillent;

q) Que les Etats parties communiquent des informations sur les risques que courent les femmes rurales, sur l'étendue et la nature des violences et des mauvais traitements qu'elles subissent et sur leurs besoins en matière de services d'appui et autres et leur accès à ces services ainsi que sur l'efficacité des mesures prises pour combattre la violence;

r) Que, parmi les mesures qui sont nécessaires pour éliminer la violence dans la famille, on cite les suivantes :

i) Sanctions pénales si nécessaire et recours civils en cas de violence dans la famille;

ii) Législation visant à supprimer la défense de l'honneur comme motif légitimant les actes de violence ou le meurtre commis contre l'épouse;

iii) Services visant à assurer la sûreté et la sécurité des victimes de violences dans la famille, notamment des refuges et des programmes de conseil et de réinsertion;

iv) Programmes de réinsertion pour les personnes ayant commis des actes de violence dans la famille;

v) Services d'appui destinés aux familles où l'inceste ou des sévices sexuels ont été commis;

s) Que les Etats parties communiquent des informations sur l'ampleur de la violence dans la famille et des sévices sexuels, ainsi que sur les mesures préventives, correctives et répressives qui ont été prises à cet égard;

t) Que les Etats parties prennent toutes les mesures juridiques et autres nécessaires pour assurer aux femmes une protection efficace contre la violence fondée sur le sexe, notamment :

i) Des mesures juridiques efficaces, comprenant sanctions pénales, recours civils et mesures de dédommagement visant à protéger les femmes contre tous les types de violence, y compris notamment la violence et les mauvais traitement dans la famille, les violences sexuelles et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail;

ii) Des mesures préventives, notamment des programmes d'information et d'éducation visant à changer les attitudes concernant le rôle et la condition de l'homme et de la femme;

iii) Des mesures de protection, notamment des refuges et des services de conseil, de réinsertion et d'appui pour les femmes victimes de violence ou courant le risque de l'être;

u) Que les Etats parties signalent dans leurs rapports toutes les formes de violence fondée sur le sexe et y incluent toutes les données disponibles sur l'incidence de chaque forme de violence ainsi que leurs conséquences pour les femmes qui en sont victimes;

v) Que dans leurs rapports, les Etats parties fournissent des renseignements concernant les dispositions juridiques, ainsi que les mesures de prévention et de protection qui ont été prises pour éliminer la violence à l'égard des femmes et l'efficacité de cette action.



** Figurant dans le document A/47/38.



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